Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIII èmes siècles

Pour une histoire des metteuses en scène n° 299 de La Revue d’Histoire du Théâtre, coordination d’Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl

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Il y eut le rapport de Reine Prat qui a eu l’effet d’une mini-bombe il y a presque vingt ans déjà, sur la place des femmes dans le spectacle; très bien documenté, il a marqué un tournant. « Avec une généralisation de la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d’analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres,  l’adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. »
Cela concernait aussi bien entend toutes les disciplines artistiques du spectacle et tous les types de structure, d’activités,  tous les niveaux de responsabilités. Et, en 2006, les chiffres étaient têtus: « Les hommes dirigent 92% des théâtres consacrés à la création dramatique et 59% des centres chorégraphiques nationaux,  97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes et ils dirigent  94% des orchestres. 85% des textes sont écrits par des hommes comme 78% des spectacles sont mis en scène et 57% chorégraphiés par un homme. «Depuis 1900, écrivait Marguerite Duras, on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar, au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. »
Depuis, on est arrivé à la quasi-parité pour les Centres Dramatiques . Oui, mais… il y a un bémol et de taill Les mieux lotis au niveau budgétaire sont tous dirigés par des hommes, et cinq les 5 moins bien lotis le sont par des femmes.  La programmation en terme de parité s’est  accentuée: les spectacles mis en scène par des femmes est passé à 53% en 2023/2024.. .Mais pour les Théâtres Nationaux, seule Caroline N’Guyen dirige un Théâtre National, celui de Strasbourg… depuis cette année. Là, c’est assez lamentable: le ministère de la Culture comme l’Elysée! n’ont jamais voulu qu’il en soit autrement.
Et la dernière nomination-à l’Odéon-a été celle de Thomas Jolly… Pourquoi? Les sociologues doivent avoir leur avis là-dessus. Par ailleurs, y-a-t-il peu de candidates? Qui a envie de gérer ce type de maison où le Ministère tire souvent les ficelles et impose les décisions… Et où bien des hommes se sont cassé les dents ou ont regretté après coup d’avoir accepté le poste…

©x Caroline Giulia N'Guyen

©x Caroline N’Guyen

Comme le rappellent dans l’introduction à Pour une Histoire des metteuses en scène, Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, le moins qu’on puisse dire est que la situation actuelle est encore très déséquilibrée et que les metteuses en scène sont le plus souvent aussi directrices d’un lieu. Les autrices et les auteurs de ce gros ouvrage explorent ce qu’a pu être a été la mise en scène en France du XVII ème siècle au début du XXI ème siècle.
Dans la préface,
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, met d’emblée les choses au point… non sans quelque prétention! «Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne, se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt.  »
Elle fait remarquer qu’elle a « découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVII ème siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française. Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui. On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. » (….) »
Mais Julie Deliquet, grande apôtre du féminisme, ne fait pas dans la nuance! Oui, cela a toujours été un grave problème dans les écoles de théâtre. Antoine Vitez lui-même était pour un recrutement plus important de jeunes femmes qui, en effet dans les concours, ont toujours plusieurs points d’avance sur les garçons. Plus cultivées, plus motivées, plus justes aussi dans leurs choix esthétiques.
Nous avons aussi régulièrement appliqué ce principe à l’école de Jérôme Savary dans ce même Théâtre national de Chaillot, mais bon, il faut avoir aussi des garçons pour donner la réplique.  Une équation difficile à résoudre.  Mais  les jurys n’ont pas commis d’erreur et des jeunes femmes ont souvent eu des parcours tout à fait remarquables comme les metteuses en scène: Léna Bréban, ou Pauline Bayle et Lucie Berelowitsch, celles-ci actuellement directrices de Centres Dramatiques Nationaux. Par ailleurs, Jérôme Savary a employé beaucoup plus d’élève-actrices à l’Ecole (trois pour des rôles importants),
que de garçons…

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©xLéna Bréban


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©x Pauline Bayle

 

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©x Lucie Bérélowitsch

Suivent  dans ce livre une quinzaine de participations sur le thème des femmes de théâtre et de la mise en scène  depuis le  XVI ème siècle avec notamment La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu par Florence Filippi et Aurélien Poidevin et un bon article de Joël Huthwohl sur  Sarah Bernhardt, la première «metteuse en scène ».

©x Sarah Bernhardt

©x Sarah Bernhardt

Le terme était récent (1883) dit son auteur, et plutôt consacré aux chorégraphes. Mais la grande tragédienne fut reconnue par le critique Jean Lorrain comme metteuse en scène de génie quand elle monta La Samaritaine d’Edmond Rostand. Avec juste raison, Eugénie Martin rappelle l’itinéraire de Louise Lara, une artiste d’avant-garde (1876-1952)  qui fut sociétaire de la Comédie-Française ,avec son mari Edouard Autant, fonda en 1919 le laboratoire de théâtre Art et Action, «pour l’affirmation et la défense d’œuvres modernes. »

© Louise Lara

© Louise Lara

Il faut signaler, comme le fait Anne-Lise Depoil, qu’à l’époque du Cartel, il y a un siècle, le rôle que tint Simone Jollivet, la «femme-théâtre» de Charles Dullin, laquelle n’a pas été reconnue à sa juste valeur.  Et Ludmilla Pitoëff resta dans l’ombre de son mari Georges, grand metteur en scène. Dans Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf. Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France éclaire bien ce moment-charnière dans l’histoire du théâtre français quand des actrices se sont dit qu’elle pouvaient aussi être metteuses en scène comme entre autres, Catherine Monnot ou  Catherine Dasté dont le père était Jean Dasté, directeur du Centre Dramatique National de Saint-Etiennne et le grand-père, l’immense Jacques Copeau. Voir l’article Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible par Raphaëlle Jolivet-Pignon.

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©x Catherine Dasté

Catherine Dasté- qui a aujourd’hui quatre-vingt quinze ans- fut une formidable éclaireuse quand elle monta en 68 avec un grand succès, aidée par Ariane Mnouchkine qui lui « prêta » quelques acteurs, une pièce magnifique pour enfants: L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue. Avec l’appui de Françoise Dolto, elle créa ensuite le premier Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse, au théâtre de Sartrouville. On l’a souvent oublié: dans les années cinquante, les directeurs de théâtre privé à Paris étaient… des directrices!
Il y a aussi pour conclure, un bon entretien  de Joël Huthwohl et Agathe Sanjuan avec Ariane Mnouchkine. Comme à son habitude, la directrice du Théâtre du Soleil  ne mâche pas ses mots et attaque avec raison les institutions, notamment syndicales comme la C.G.T. où un homme à qui elle avait demandé conseil, lui avait dit sèchement :  » Si vous n’avez pas d’argent, il ne faut pas faire de théâtre. »

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©x Ariane Mnouchkine

Mais lucide, elle dit aussi n’avoir pas oublié toute la générosité de Gabriel Garran-celui qui fut longtemps le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers-qui l’a beaucoup encouragé à créer cette troupe emblématique d’une  autre façon de faire du théâtre. Et elle reconnait qu’il y avait de vieux restes patriarcaux, même au Théâtre du Soleil…
Cet ouvrage-trop touffu-de trois cent cinquante pages aurait mérité une mise en page plus aérée et les notes en gris sont dissuasives. Mais on y trouvera nombre d’analyses et d’informations sur un passé qui éclaire souvent le présent du théâtre actuel, à l’heure où de nombreuses femmes dirigent enfin des structures importantes. Et qui sera nommé à la tête de la Comédie-Française? L’Elysée- à qui appartient traditionnellement la décision finale- se risquerait-il à nommer une femme? Cela serait étonnant et de toute façon Emmanuel Macron-qui va rarement au théâtre- a d’autres chats à fouetter mais ce serait un bon signal… Rappelons qu’il y a eu une seule administratrice (Muriel Mayette). Mais juste une directrice au Théâtre National de Chaillot et jamais aucune au T.N.P.,  à l’Odéon ou à l’Opéra-Comique.  Côté théâtre de rue, aucune non plus aux festivals d’Aurillac ou Chalon. Et cela n’a jamais bouleversé les nombreux ministres de la Culture (hommes ou femmes !). Ainsi va la France au XXI ème siècle…

Philippe du Vignal

Société d’histoire du Théâtre BnF. 22 €

 

 

 


Archives pour la catégorie livre

Livres et revues La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Livres et revues

La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Un gros volume (quatre cent pages), issu d’une  thèse de doctorat. Historien et critique d’art,  normalien, diplômé en philosophie et docteur en histoire de l’art (2018), Morgan Labar s’intéresse à la manière dont les catégories esthétiques, canons et discours hégémoniques sont construits au sein des mondes de l’art contemporain. Il a enseigné à l’École du Louvre, dans les départements Arts de l’E.N.S. où il anime avec Daria de Beauvais, le séminaire Autochtonie, hybridité, anthropophagie depuis 2020. Il a été nommé directeur de l’École supérieure d’art d’Avignon il y a trois ans et il est maintenant à la tête de celle de Lyon.

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini administratrice de l'Ecole des Beaux-Arts d'Avignon

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini, administratrice de l’Ecole des Beaux-Arts d’Avignon

Les relations entre arts plastiques et arts du spectacle ont toujours été fréquentes. Auguste et Louis Lumière dont le père était peintre, empruntent leurs thèmes à Claude Monet, Camille Pissaro: paysage, gares… avec L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1895) ou Les Rochers de la Vierge à Biarritz. Puis les arts plastiques ont, dès les années soixante, influencé les créateurs de théâtre, notamment américains: entre autres, John Vaccaro, Richard Foreman, Meredith Monk, Stuart Sherman, Robert Wilson qui, à ses débuts, s’est inspiré du surréalisme, puis du minimalisme…
En Europe, Tadeusz Kantor, a été proche du futurisme et du dadaïsme. Lui-même avait été  élève scénographe à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, et le metteur en scène Roméo Castelluci est, lui, diplômé en scénographie et en peinture de l’École des Beaux-arts à Bologne…
Et le théâtre a aussi fourni nombre d’éléments au  happening (le premier dès 52,  associait le peintre Robert Rauschenberg, le compositeur John Cage et le danseur Merce Cunningham… Une intervention artistique gratuite devant un public limité. Puis il y aura aussi cette forme hybride qu’est la performance, notamment en Europe, avec le mouvement Fluxus fondé en Allemagne, entre autres par George Maciunas. En France, dans les années soixante George Brecht, Robert Filliou, Serge Oldenbourg, Ben Vautier et son Théâtre total, Gina Pane, Michel Journiac.. réalisèrent nombre de performances. Certaines sont depuis entrées dans les Centres d’art contemporain. En novembre dernier, au Palais de Tokyo, une trentaine d’œuvres ont été ainsi exposées par Pierre Bal-Blanc…

Morgan Lebar, lui, montre un autre volet de cet échange permanent entre arts plastiques, et arts du spectacle, et comment des artistes se sont inspiré entre autres, du film à grand succès Dumb and Dumber (La Cloche et l’Idiot) des réalisateurs américains Peter et Bobby Farrelly. Leurs protagonistes Harry et Lloyd (sans aucun doute un hommage à Harold Lloyd, le grand acteur/auteur du cinéma muet), privilégient les blagues scatologiques ou idiotes. « L’objet de  cette étude est la gloire de la bêtise, dit Morgan Labar avec des pratiques jusque-là considérées comme infantiles, régressifs et populaires. » Soit pourrait-on dire une bêtise assumée comme telle et hissé au rang de valeur picturale ou sculpturale ou de performance comme chez Mike Kelley, il y a déjà une vingtaine d’années  : « La triade de l’altérité moderne, que représentaient le fou, l’enfant et le primitif, est alors supplantée par la figure de l’adolescent bête. » (…) Le succès de la bêtise compulsive est éclatant. »

Morgan Labar consacre ainsi plusieurs pages au collectif Présence Panchounette… un groupe d’artistes bordelais qui voulait dynamiter  les postures de l’avant-garde: art minimal, art conceptuel, peinture abstraite des mouvements qui « confortaient le goût bourgeois pour une esthétique de l’épure ». En 72, Présence Panchounette exposa au Studio F 4 à Bordeaux, un puits en pneus, de la toile cirée, des jerrycans à mazout. Et ce collectif s’en était pris au groupe Supports/Surfaces qu’il trouvait bourgeois. Cinq ans plus tard pour leur première exposition à la galerie Éric Fabre à Paris, les membres de Présence Panchounette la couvrirent entièrement de papier peint aux motif op’art. «Ce qui est intolérable dans le vulgaire, disaient-ils, c’est son innocence.» Le F.R.A.C. Midi-Pyrénées l’invitera en 86 à mettre en scène des pièces de sa collection, enter autres, celles de Claude Viallat, Philippe Starck, Hervé Di Rosa,  que Présence Panchounette installera dans du mobilier Knoll. Lesquels artistes protesteront… Mission accomplie pour ce collectif qui avait bien atteint son but et quand, il commencera à être respecté, logique avec lui-même, ferma boutique.

L’auteur analyse aussi très finement l’œuvre de l’artiste américain Jeff Koons et son incursion dans le domaine du kitsch, un mot qu’il refuse. Il fera entrer la banalité avec des reproductions à l’identique mais souvent avec « un matériau lisse et froid comme l’acier inoxydable, créant un contraste et un sentiment d’étrangeté ». (…) « Les œuvres de Jeff Koons sont bêtes dans leur refus obstiné de distinction. »
Morgan Labar a raison de  parler d’une question de hiérarchies de valeurs: « Jeff Koons joue donc d’une part le goût prolétarien, d’autre part le travail de l’artisan contre l’art de l’élite culturelle et intellectuelle. (…) Tout en valorisant le goût supposément populaire pour le « bien fait » comme pour le simple et le naïf ». Arriver à brouiller les lignes et à tout faire pour être reconnu: le système a été mis au point par cet artiste qui est aussi un habile homme d’affaires. Quitte à plagier… ce pourquoi, il a été condamné plusieurs fois… mais il a fait fabriquer par des équipes d’ouvriers spécialisés, des œuvres qui sont entrées comme par une porte dérobée, mais avec efficacité, dans les institutions muséales et sur le grand marché de l’art, dans les collections  de riches amateurs..

Suit un chapitre où Morgan Laban analyse l’idéologie de l’économie capitaliste en matière d’art et l’idéologie et les stratégies contre-productivistes employées par les artistes: l’inefficacité, la revendication de l’échec comme Présence Panchounette avant leur auto-dissolution. L’auteur consacre aussi des pages très intéressantes sur Gelitin, un collectif autrichien moins connu du grand public qui occupe pourtant le devant de la scène depuis une vingtaine d’années avec des œuvres et performances aux thèmes scato-urologiques. Comme le travail de l’artiste belge Wim Delvoye avec Cloaca, présentée en 2000 au musée Mukha d’Anvers. Cette machine à caca reproduit la digestion humaine avec  des aliments introduits qu’on retrouve transformés en excréments à l’autre bout de lachaîne. Mais il s’agit ici non plus de bêtise mais d’une mise en abyme d’un phénomène physiologique.
Ainsi dans la Chocolate Factory de Mac Carthy qu’on avait pu voir à l’Hôtel de la Monnaie à Paris, une production des Pères Noël et des sapins… et plugs anaux en chocolat. Cette œuvre qui, un temps, fit scandale, était en décalage entre l’esthétique précieuse du lieu, avec lustres, peintures au plafond, vitrines… Une équipe de performeuses, en tenue rouge et perruque blonde, y moulaient les figurines en chocolat. Soit une attaque contre le mode de production capitaliste. On pouvait voir aussi l
es machines de fabrication et une centrifugeuse, clin d’œil à La Broyeuse de chocolat (1914)  de Marcel Duchamp.

On ne peut tout citer de ce gros ouvrage qui apporte sa pierre de façon magistrale, à l’histoire de quelques tendances de l’art contemporain le plus récent. Mais il y aussi un chapitre sur François Pinault, richissime industriel et financier, et par ailleurs grand collectionneur, qui racheta le Palazzo Grassi à Venise en 2006 et le fit réhabiliter par l’architecte japonais Tadao Ando et l’année suivante un ancien bâtiment des Douanes vénitiennes, pour les transformer en musées d’art contemporain. Il y a réuni des œuvres du sculpteur américain Carl Andre et Donald Judd, des peintures de Mark Rothko mais aussi de Jeff Koons, Damien Hirst…
Puis il imagina un nouveau musée dans l’ancienne Bourse de commerce à Paris il y a trois ans. Avec l’ambition, remarque lucidement Morgan Labar, d’imposer sa vision de l’art actuel, en concurrence avec les grandes institutions culturelles. François Pinault  inaugura aussi il y a neuf ans une résidence d’artistes à Lens ( Nord), à proximité du musée du Louvre-Lens. Un exemple sans doute unique dans l’histoire de l’art moderne et contemporain?  Bien que ce ne  soit pas le thème de ce livre, cette aventure personnelle aurait sans doute mérité une analyse plus complète des relations pour le moins ambigües qu’entretiennent les conservateurs de musées et les directeurs de galerie, avec le monde politique français comme européen…

« Une histoire complète de la bêtise devrait inclure une protohistoire du déballage du refoulé à l’aube des années soixante-dix, écrit Morgan Labar, comme les débuts de Christian Boltanski, quand nous l’avions connu, habitant encore un rez-de-chaussée dans le VII ème arrondissement de Paris, le travail d’Annette Messager brodant des phrases, les sculptures vivantes de Gilbert et George… Des artistes se révoltant d’une façon ou d’une autre contre les spéculations et le marché de l’art. Mais qui tous les trois sont aussi entrés dans l’histoire de l’art contemporain.
Il faut lire ce livre  important. Parfois touffu, il est bien écrit-ce n’est pas incompatible- et très solidement documenté avec de nombreuses photos et passionnant pour toux ceux qui s’intéressent à la vie artistique actuelle. Morgan Labar souligne qu’en Californie, est né une forme de populisme esthétique légitime avec une effacement entre haute culture (moderniste) et culture commerciale. En France, même si la performance a depuis une trentaine d’années, été le fait d’artistes sortis des Écoles d’art, les pratiques en art de la bêtise, ou du moins, de la bêtise assumée, ne sont plus une évidence et ont perdu leur caractère subversif. Reste à savoir quelle sera la prochaine subversion… 
L’auteur indique que » l’âge d’or de l’art bête semble toucher à sa fin » et  quatre ans après qu’il ait soutenu sa thèse, « le caractère hégémonique de ces pratiques n’est plus aussi manifeste en 2024″. Mais en tout cas, ce mouvement et/ou phénomène inédit, avec un succès réel. D’abord au cinéma-très peu dans le domaine du spectacle vivant- mais surtout en peinture, vidéo, sculpture, performance…  Quel que soit son avenir, il a déjà un riche passé et est entré, qu’on le veuille ou non, dans l’histoire de l’art contemporain. Ce que montre avec intelligence et sensibilité, Morgan Labar.

Philippe du Vignal

Les Presses du réel. 28 €.

 

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique rebaud et Nicolas Villodre

Livres et revues

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre

Un panorama de photos de cinquante films réalisés avec des chorégraphies spécialement conçues avec un article. Dans une post-face de ce livre, Patrick Bensard qui a longtemps dirigé la Cinémathèque de la Danse et y avait constitué depuis 83 une collection de films, précise que Cinédanse est une expression empruntée au vocabulaire surréaliste et qu’employait souvent le cinéaste Jean Rouch.
Les nombreux contributeurs sont à la fois des critiques, entre autres: Raphaël de Gubernatis, Nicole Gabriel, Jean-Marc Adolphe, Dominique Frétard, Nicolas Villodre, Bernard Rémy, Marc Lawton, des chorégraphes: Daniel Larrieu, Bernardo Montet, Cécile Proust, Pascale Houbin, Norbert Corsino, Carolyn Carlson qui parle avec admiration de son maître Alwin Nikolaïs qui a été aussi celui de Philippe Découflé, Dominique Boivin.  Odile Cougoule et la chercheuse en danse Dominique Rebaud, un couturier Christian Lacroix, des interprètes comme Elisabeth Schwartz,  des producteurs: Anne Alexandre, Serge Bromberg… Tous ont en commun une véritable passion pour la danse au cinéma et savent la faire partager dans des textes courts mais précis, et bien documentés avec une photo par film. Ce qui donne une belle unité à cet ouvrage…

On ne peut tout citer mais ici sont analysés dans les quatre sections: Capture, pour, entre autres: Danses Gitanes, Récit  Fondamental avec Die Klage der Kaiserin de Pina Bausch,  Expérimental, Actuel, Musical :  avec La Revue des revues (Joséphine Baker),  Sunnyside de Charlie Chaplin ( 1919), Singuin’in the rain avec l’incomparable Gene Kelly (1952), La Mort du cygne dansée par Anna Pavlova et Swing Time, avec Fred Astaire et Ginger Rogers.
D’une autre époque mais tout aussi passionnantes, ces Danses Gitanes filmées en 1905 par Alice Guy (1873-1968), la première cinéaste à créer des films de fiction et dont on a récemment redécouvert l’œuvre… Léon Gaumont publiait il y a juste un siècle, Notice rétrospective sur les établissements Gaumont, mais ne cita pas une fois Alice Guy. Henri Langlois, qui a consacré une soirée en son honneur à la Cinémathèque française en 1957 ne mentionne pas son nom dans le texte qu’il consacra aux pionniers français du cinéma. Elle a pourtant réalisé ou dirigé à la même époque une centaine de «phonoscènes»: ainsi ont été conservées la voix et la gestuelle de chanteurs d’opéra et chansonniers populaires comme Dranem, Félix Mayol…
Citons aussi Bourrées d’Aubrac de Jean-Dominique Lajoux et Francine Lancelot (1965) par Dominique Rebaud: histoire de dire que l’on dansait aussi ailleurs qu’à Paris et peut-être un clin d’œil à cette ancêtre de la danse classique… Et que Laurence  Louppe, historienne de la danse (1938-2012)  aimait beaucoup regarder dans le Cantal… Il y  avait notamment un éleveur gros format qui, pourtant, dansait avec une grâce inimitable…
©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

Et il y a un bel hommage de la chorégraphe et danseuse Dominique Rebaud qui parle avec admiration du célèbre film Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967). Une distribution d’enfer:  pour la chorégraphie,  Norman Maen et Gene Kelly qui y danse aussi comme George Chakiris, Michel Legrand, compositeur, les actrices Françoise Dorléac-brûlée vive dans un accident de la route, en allant prendre un avion pour aller à la première des Demoiselles de Rochefort en anglais à Londres-sa sœur Catherine Deneuve, Danielle Darrieux. Et  Michel Piccoli, Jacques Perrin, Christiane Legrand, la sœur de Michel, une interprète des parties chantées.  Il n’y a sans doute pas représentés ici tous les chorégraphes mais l’ensemble sur plus de cent ans, donne une très bonne image de la danse au cinéma jusque aux années 2000. Et pas seulement en Europe mais aussi en Afrique ( Les Maîtres fous de Jean Rouch ou en Asie avec Kazuo Ohno…
A la soirée de présentation du livre, nous avons pu voir un montage de plusieurs extraits de ces films. Comment ne pas être ébloui par le célèbre numéro de danse dite «serpentine», mis au point en 1892 par l’artiste américaine de music-hall Loïe Fuller qui a influencé bien des courants esthétiques du XX ème siècle. Stéphane Mallarmé avait vu chez elle une ivresse d’art»

« Le mouvement, disait-elle en 1908, est un instrument par lequel la danseuse jette dans l’espace  des vibrations et de musiques visuelles. « Ce livre, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, est très bien réalisé, avec un excellent choix de photos et comporte aussi des notes, un index de premier ordre complet, une bibliographie.
Les films de danse sont une sorte de trésor national qu’il faut défendre mais  qui doit être accessible à tout le monde. Cinédanse avec cette large palette d’œuvres en tout genre, donne envie d’aller les voir ou revoir tous, ceux d’anonymes, ou de grands cinéastes: Georges Méliès, Jacques Demy… et  de chorégraphes, eux aussi anonymes, ou célèbres: Joséphine Baker, Alwin Nikolaïs, Merce Cunningham, alors inconnu mais accueilli dans leur studio par Dominique et Françoise Dupuy, Pina Bausch régulièrement invitée au Théâtre de la Ville comme Anne Teresa de Keersmaker.  Lucinda Childs qui travailla avec Bob Wilson, lui-même élève d’Alwin Nikolaïs, notamment sur le très fameux Einstein on the beach, Carolyn Carlson… Des artistes étrangers qui ont tant apporté à la danse en France…

Philippe du Vignal

 Nouvelles éditions Scala, 160 pages. 35 €.

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et en sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling dans actualites

© Lysiane Louis

Au sein de La Muse en circuit, le duo Imaginarium : Hélène Breschand, harpiste et improvisatrice, et Wilfried Wendling, compositeur de musique électronique, ont imaginé une série d’explorations oniriques sonores et visuelles. Marc-Antoine Mathieu, travaille, lui, sur la matérialité même du livre : dans son fameux Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Cet album, avec une mise en abyme des images, devient lieu et cause des aventures vécues par le héros et ses compagnons .
Le point de fuite et la perspective disparaissent et arrive une troisième dimension avec des labyrinthes à la M. C. Escher. Dans Les Sous-sols du Révolu, un registre est transmis de main en main, dans Dieu en personne, Dieu est un auteur de best-seller, L’Ascension met en scène un moine bibliothécaire et l’intrigue de Mémoire morte se situe à la  très grande bibliothèque »…

 Le Rêveur rêvé ne déroge pas à ce principe: dans un monde noir, blanc et gris, erre le personnage à chapeau, emblématique de M.A.M. Cette œuvre inédite se présente comme un jeu de quarante cartes aux sous-titres poétiques, avec lesquelles on peut composer son propre itinéraire. Une œuvre ouverte à des combinaisons à l’infini, comme les 100. 000 milliards de poèmes de Raymond Queneau.
Hélène Breschand et Wilfried Wendling, accompagnés
 d’ élèves au Conservatoire du Vle arrondissement, tracent un paysage sonore: « Le nombre de cartes, de combinaisons et leur durée : autant de questionnements essentiels et musicaux prolongeant les réflexions de Marc-Antoine Mathieu sans jamais renoncer à l’exigence poétique. » 

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© Lysiane Louis

 En fond de scène, un mur composé de multiples têtes chapeautées, étranges, ahuries. Ecoulements sonores et gargouillis créent un environnement liquide. Quand les artistes entrent en piste, les têtes s’effacent et l’écran blanc va se découper en cases où seront projetées les images du Rêveur rêvé, dans l’ordre choisi par l’Imaginarium.
Et à partir du traditionnel cyclorama, des lambeaux d’écran sur le plateau reçoivent aussi des projections déformées. Les faisceaux vidéo sortent ainsi d’une exposition frontale dans une mise en abyme chère à Marc-Antoine Mathieu. En passant d’une carte à l’autre, la musique, contrairement à l’oeil, superpose l’ambiance sonore de plusieurs dessins. A côté des images, des personnages surgissent et se démultiplient sur plusieurs mini-écrans, des voix se fondent dans les accords de harpe, soutenus par le continuum électronique de Wilfried Wendling.

En épilogue de ce jeu de cartes onirique qui n’est pas sans rappeler le monde de Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay, la harpe devient le personnage principal. Prises dans un balayage de laser, la musicienne et son instrument tourbillonnent sur scène et se décomposent en ombres chinoises sur les écrans, parmi  d’autres ombres. Cette dernière séquence avec jeux de lumière et d’éblouissants éclairs blancs, nous a moins convaincus, que la partie ombreuse initiale. Mais l’ensemble reste d’une grande maîtrise et l’on sort comme d’un rêve éveillé de ce concert visuel et psychédélique, à la croisée des musiques hybrides, des arts numériques, du collage littéraire et de la performance filmique. Imaginarium travaille avec Marc-Antoine Mathieu à un futur spectacle autour de Franz Kafka.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 24 mai au Poc, Scène artistique d’Alfortville, 82 rue Joseph Franceschi, Alfortville (Val-de-Marne) .


Le 24 novembre, à la Muse en Circuit, Alfortville.

Festival Manifeste de l’I.R.C.A.M. au Théâtre Olympia à Tours

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© Hervé Véronèse Centre Pompidou

Festival Manifeste de l’I.R.C.A.M. au Théâtre Olympia à Tours

Les Tourangeaux ont eu la chance d’entendre des pièces radiophoniques immersives créées pour ce festival annuel de l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique).  Avec des «mariages» d’une autrice, d’un compositeur et d’un metteur en scène pour réaliser des objets artistiques sonores à double entrée et faire entendre autrement, la littérature et/ou la musique. Un dôme, espace circulaire ambulant, permet à ces enregistrements d’aller en tournée. «Ambisonique» et conçu pour une jauge limitée, il est équipé de quarante haut-parleurs mais aussi de tubes fluo placés tout autour, diffusant des lumières tournantes animant l’espace. En ouvrant son savoir-faire technologique à la littérature contemporaine, l’I.R.C.A.M. initie une série d’étonnantes collaborations, des voyages vers le son et vers les mots, portés par des comédiens.

 Nous avions assisté à Bacchantes de Céline Minard, adaptation et réalisation de Thierry Bédard, musique d’Olivier Pasquet (voir Le Théâtre du Blog). Cet  habile tricotage de voix, musique et éclairages nous avait séduits… Loin d’une simple illustration sonore, il offre une spatialisation du texte. La collection présentée à Tours en comptait six autres, proposées à des heures variables, pour favoriser le choix. Très littéraires, ces textes ont inspiré des réponses artistiques intéressantes à découvrir les unes après les autres. 

 Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal, adaptation et réalisation de Jacques Vincey, composition de Daniele Ghisi

 Avec son «roman américain», l’autrice retrace, sur le mode épique, la construction d’un gigantesque pont suspendu, quelque part dans une Californie mythique. Dans la pénombre du dôme, le récit prend corps sur un chantier vrombissant de sons mécaniques, de cliquetis métalliques… Le béton et l’acier envahissent l’espace sauvage mais nous entendons des oiseaux qui perturbent un temps le travail, ou des ouvriers en grève. Le dispositif met en perspective les enjeux de ce récit, spectaculaire de précision et quasi documentaire, traversé par les destins croisés d’hommes et de femmes échoués au milieu de nulle part.

Pour adapter ce livre de plus de trois cent pages, il fallait se limiter à quelques-uns des personnages. Jacques Vincey a fait des choix cohérents sans entamer le souffle de cette écriture minutieuse et puissante. Les images n’appellent pas l’illustration sonore qui serait alors redondante et le compositeur propose des climats non figuratifs et, à l’occasion, des sonorités plus concrètes. En quatre séquences de vingt minutes, cette mise en espace, en sons et en mots attise notre imaginaire et nous suivons avec émotion des aventures humaines portées par les voix de François Chattot (Georges Diderot), Marie-Sophie Ferdane (Summer Diamantis) Laurent Poitrenaux (Sanche Alphonse Cameron), Julie Moulier (Catherine Thoreau) Nicolas Bouchaud (Jacob), Alain Fromager (Seamus O’ Shaughnessy), Anthony Jeanne (le jeune au bob orange).

 

La Compagnie des spectres de Lydie Salvayre, adaptation et réalisation d’Anne-Laure Liégeois, composition de Florence Baschet

Dans un modeste appartement, résonnent des voix, des plages de musique grinçante ou des chuintements et grommellements… Un mystère sinistre plane sur les lieux quand un huissier dresse l’inventaire du mobilier à saisir. `Quand la mère de la narratrice surgit, échevelée dans sa chemise de nuit tachée, lui continue, imperturbable à faire son travail. Cette mère souffre de démence, raconte sa fille, et se croit toujours poursuivie par les bourreaux de sa famille : Pétain, Darlan, Bousquet…

A partir de quinze feuillets tirées du roman, Anne-Laure Liégeois nous fait entrer dans ce lieu clos où résonnent et s’entremêlent le récit inquiet de la fille (Anne Girouard), le froid décompte de l’homme de loi (Olivier Dutilloy) et les plaintes rocailleuses de la mère (Annie Mercier). Auxquels se superpose la voix de la soprano Élise Chauvin mêlant sa respiration, son souffle et son chant au texte, opérant ainsi une transformation poétique de la parole.
La réalisatrice a construit une dramaturgie sur une palette d’intonations, violentes ou tendres, glaciales ou sensibles, enjouées, drôles et amères, crues ou alambiquées. «La voix chantée, dit Florence Baschet, entrelacée aux voix des comédiens, sera LE lien entre musique et littérature, en entraînant avec elle, la partie de piano interprétée par Alphonse Cemin et le dispositif électro-acoustique conçu en studio.» Nous entrons, grâce à un son tournant, entre ces quatre murs habités par la folie….

 Un Pas de chat sauvage de Marie N’Daye, adaptation et réalisation de David Lescot, composition de Gérard Pesson

Une universitaire raconte ses recherches sur la danseuse et musicienne Maria Martinez, surnommée la Malibran noire. Son travail, dit-elle, est perturbé par l’irruption dans sa vie d’une certaine Marie Sachs, chanteuse, dont l’existence fait écho à celle de l’artiste cubaine. Marie N’Diaye retrace, par de multiples détours, le parcours méconnu de cette native de La Havane. Elle connut le succès à Paris dans les années 1850, fut encensée par Théophile Gautier et immortalisée par une photographie de Nadar. Et par l’intermédiaire de la narratrice, l’autrice se projette dans trois vies de femmes. La voix de Jeanne Balibar se décline en une partition de plusieurs registres et scansions sur laquelle Gérard Pesson a calé sa composition: «Ma musique est donc simplement un climat, une respiration résonnante ou pulsée autour de ces mots phrasés/chantés. Faite de courts fragments, signaux fugaces marquant les pointes du triangle que forment ces trois personnages féminins, liés par la mémoire. Musique comme empreinte de destins fantômes.» Cette réalisation entre voix et instrumentation, offre des repères concrets et une belle dimension spatiale à l’écriture qui se conclut ainsi: «C’est à la hauteur de sa solitude, que survit le chat sauvage.» 

Une expérience à suivre, car ce festival prépare actuellement sa prochaine édition

 Mireille Davidovici

 Du 28 janvier au 18 février,Théâtre Olympia-Centre Dramatique National, 7 rue de Luce, Tours (Indre-et-Loire). T. : 02 47 64 50 50

26 février I.R.C.A.M. Paris 3e 

Du 17 au 24 mai, Théâtre de Cornouaille, Quimper (Finistère).

Et du 18 au 25 juin, T2G, Gennevilliers (Hauts-de-Seine).

Un Pas de chat sauvage, éditions Flammarion .
Naissance d’un pont, éditions Verticales.
La Compagnie des spectres, éditions du Seuil.

 

 

 

 

Livres et revues : Jeu n°180 et Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe

 

Livres et revues

Jeu revue de théâtre n° 180

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Dans son éditorial, Raymond Bertin le rédacteur en chef, met comme d’habitude et avec une grande clarté les choses au point après la pandémie historique que le Canada a subie : «Dans quel état se trouve le théâtre, entendu au sens large des arts du spectacle vivant ? Notre théâtre, celui que nous connaissons et aimons, saura-t-il se relever et retrouver son ampleur, son dynamisme, son rayonnement ? »

Il y a dans ce nouveau et très riche numéro un dossier Renaissance où il est question de mémoire transmission, perte, deuil, guérison, filiation, ruptures générationnelles, espoir, renouveau. Michel Vaïs pense qu’il faut élargir notre horizon, en réfléchissant sur les traumatismes sociaux qu’ a vécu l’humanité au cours de son histoire ; d’autre part, nous voulions chercher dans notre passé récent des réponses d’artistes aux maux de l’ici et après, notamment certain·es dont la longévité au théâtre devrait contribuer à nous éclairer.

Enzo Giacomazzi rappelle en effet que l’art a joué un rôle primordial dans la «reconstruction sociétale des pays endeuillés ». Que sera-t-il d’un nouveau théâtre? Aura-t-il encore à voir avec l’actuel ou faudra-t-il tout reconstruire comme depuis deux ans.

Notre ami Jean-Pierre Han dresse un bilan de la situation du théâtre en France et en Europe. il y a une véritable rupture. Et comme il le dit justement, les criques plus très jeunes mais encore en activité voient un âge d’or dans les quarante dernières années, ce qu’avait déjà remarqué un metteur en scène aussi lucide qu’Antoine Vitez. Mais les jeunes metteurs en scène ne se retrouvent souvent pas du tout dans le travail de ceux qui dirigent maintenant des institutions. Et le numérique comme la vidéo ont fini par envahir les plateaux avec des résultats souvent consternants. Et c’est toute une génération qui profite d’avoir un lieu théâtral pour tenter des expériences plus proches du cinéma. Il y aura un jour une bascule mais laquelle? Quand cette croyance absolue dans les merveilles coûteuses!-de la technologie aura pris un sérieux coup dans l’aile…

Des créateurs aussi avertis qu’Hervé de Lafond et Jacques Livchine ont bien senti le danger et leur Nuit unique, même si c’est une grosse machine à gérer une nuit entière avec une précision absolue, a plus à voir avec un certain artisanat du spectacle… Il y a actuellement aussi une tendance à la récupération. Ce qui était très rare il ya quelque vingt ans. Ainsi le décor de Roméo et Juliette, passant de la Comédie-Française à l’Opéra-Comique. Ou Murielle Mayette qui, intelligemment, récupère des costumes de la Comédie-Française pour créer sa trilogie Goldoni. Bien entendu la crise covid n’en est pas la cause mais a certainement aidé à prendre conscience de la débauche de moyens pour certains spectacles .
Comme le souligne Jean-Pierre Han, il y a bien une rupture que ce soit en France  ou ailleursentre les générations  et le théâtre des années soixante-dix à maintenant que nous avons connu, est sinon mort, du moins en train d’être oublié. Qui connait encore le parcours du célèbre Living Theatre de Julien Beck et Judith Malina? Qui est Jérôme Savary pour des jeunes gens de  vingt ans?  Et s’il y a renaissance, cela sera comme toujours en dehors des lieux institutionnels dont les jeunes se méfient de plus en plus, surtout quand ils sont cornaqués d’en haut par des énarques incompétents en matière de spectacle mais avec la bénédiction de la Macronie.

Et il a trois articles sur notre force collective de résilience. Celui de Marie-Laurence Marleau qui s’intéresse à la guérison des blessures individuelles.  Élise Fiola étudie le travail de création de Blackout,  The Concordia Computer Riots, et ceux de Serge Boucher et Pol Pelletier, entre autres, pour évoquer les événements traumatiques qui marquent l’inconscient collectif. Et Anne-Marie Cousineau dresse le portrait de Michelle Parent et de sa compagnie Pirata Théâtre  qui intègrent des acteurs non professionnels. Nous ne pouvons tout citer de ce riche numéro qui apporte un bel éclairage sur un théâtre à la fois si loin géographiquement et si près de nous, avec  comme toujours une iconographie précise et de grande qualité…

Philippe du Vignal

 

 Danser hip hop de Rosita Boisseau et Laurent Philippe

hip hop

© Laurent Philippe

 Né dans la rue, le  hip hop est apparu en France dans les années quatre-vingt et a investi progressivement les plateaux de théâtre, cinéma et télévision. Il s’est largement diversifié à la fois par son style et ses publics. Rosita Boisseau, autrice de plusieurs livres sur la danse, notamment Danser Pina prix de la critique 2020,  a vécu de près cette épopée dans l’Hexagone. Dans ce livre, elle remonte aux racines de cette danse, en complicité avec Laurent Philippe dont les photos saisissent l’énergie spectaculaire des artistes.

Une introduction historique va à la source du hip hop, dans les ghettos new yorkais, au début des années soixante-dix, avec joutes acrobatiques au son de «ghetto blasters», fêtes de quartier rythmées par les D J et battles… L’étymologie du mot: hip: être dans le coup, en argot américain, et hop: sauter,  évoque le bouillonnement de ce mouvement artistique et socio-politique. Si la ghettoïsation aux Etats-Unis des minorités noires et latinos «où la fibre hip hop trouve sa sève» est différente de celle des banlieues et villes françaises, on y rencontre les mêmes questions des racines et de la diversité, comme l’a exprimé par exemple le mouvement Black Blanc Beur.

En cinq chapitres, la journaliste dresse un panorama composite de ce mouvement en effervescence et en métamorphose permanente, qu’elle a suivie dès les années quatre-vingt avec des chroniques sur Radio Arc-en-Ciel et Radio Nova, puis à France-Culture dans Avant-Premières d’Yvonne Taquet. Exploration qu’elle poursuit avec ses critiques dans Le Monde et Télérama. Elle retrace l’évolution de ce mouvement en s’appuyant sur la trajectoire de plusieurs artistes : Frank 2 Louise, Hamid Ben Mahi, Kader Attou, Mourad Merzouk, Amala Dianor,i… Sans oublier les femmes qui commencent, elles aussi, à occuper le devant de la scène : Jann Gallois, Anne Nguyen… Ils et elles ont fondé leur compagnie et certains sont devenus directeurs de centres chorégraphiques nationaux.

Danser hip hop nous fait revivre les battles, ces compétitions informelles devenues des performances minutées devant un jury. Chacun avec un style personnel dans des solos ou duos insensés ou des affrontements par équipe.. Les battles ont conquis leurs lettres de noblesse, jusqu’à être programmés par l’Opéra de Paris. «Ils ont dégagé un circuit économique pour les danseurs, qui leur permet de gagner leur vie ou de se faire connaître et engager. » dit Rosita Boisseau. Elle  consacre un autre chapitre à l’aspect collectif que revêt, paradoxalement, le hip hop aujourd’hui : Wanted Posse fête ses vingt ans et à Lyon, Pokemon Crew gagne en notoriété jusqu’à inaugurer le stade de l’Olympique lyonnais.

Le dernier chapitre est consacré à tous les styles du hip hop : on y distingue ceux débout, dits : «old school» comme le waacking sur musique disco, et ceux «new school», dont l’électro, ou le break, dansés au sol,  et vous saurez tout sur le locking, le boogaloo, le smurt, le krump… Et sur le métissage de ces styles avec la danse contemporaine… Vous apprendrez aussi les modes vestimentaires liées à cette histoire du hip hop. Accompagné d’une bibliographie et d’un index, cet ouvrage sera le bienvenu dans la bibliothèque des amateurs de danse. Les nombreuses et belles photos, sont légendées, ce qui est rare, avec les noms de tous les interprètes et constituent ainsi une mémoire précieuse des spectacles…

Mireille Davidovici

Nouvelles éditions Scala, 140 pages, 29 €.

 

 

 

 

 

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