Farben, de Mathieu Bertholet, mise en scène de Cécile Givernet et Vincent Munsch par la compagnie Espace Blanc

Farben de Mathieu Bertholet, mise en scène de Cécile Givernet et Vincent Munsch (pour adultes)

©  Simon Gosselin-

© Simon Gosselin-

 Dès la première minute du spectacle, sous le bruit des bombes, un suicide. Il s’agit de Clara Immerwahr, première femme docteure d’une université en Allemagne en fin du XIX° siècle. Nous sommes le 1er mai 1915, à Berlin. Quinze jours auparavant, son mari, Fritz Haber, futur Prix Nobel de chimie 1918, vient de superviser la première attaque allemande au gaz moutarde, résultat de ses recherches, qui a fait 15.000 victimes à Ypres. Elle, qui avait juré que la science devait servir au progrès de l’humanité, est horrifiée par l’ambition de son mari, aiguillonné par le manque de reconnaissance manifesté par l’Empire allemand. Son statut de juif a bloqué sa carrière universitaire mais sa volonté, malgré cela, de servir son pays, l’a conduit à peaufiner une invention aussi spectaculaire, dans le cadre du déjà gigantesque Konzern de la chimie, Farben. Fritz, alors qu’il grandissait en célébrité, a toujours maintenu Clara « dans son métier de femme », cuisine et enfant, lui interdisant toute participation à ses recherches.

Telle est l’explication qu’avance Mathieu Bertholet, l’auteur suisse de Farben. La pièce a déjà été montée en 2012 sous la direction de Véronique Bellegarde, puis reprise en 2015 au Théâtre de la Tempête (voir Le Théâtre du Blog). C’est une autre adaptation, mêlant Théâtre et Marionnette, que présente aujourd’hui la Compagnie Espace blanc, dans mise en scène de Cécile  Givernet  et Vincent Munsch. Les comédiens, bien que vêtus de noir, manipulent et jouent à vue du public. Certains personnages ne sont représentés que par leur tête, animée à bout de bras et un gigantesque pantin intervient, représentation de l’autorité. Les espaces sont délimités par la lumière. évoluent les comédiens se déploient puis se resserrent sur un mini-praticable où évoluent les marionnettes. On évolue ainsi sans cesse sur plusieurs échelles de macro à micro dimensionnelles, de  réalisme à onirisme par le recours aux ombres chinoises. Les dates, comme autant de chapitres de cette histoire, s’inscrivent sur un écran, suivant les didascalies de l’auteur.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Toutes les techniques du spectacle se mêlent: lumières et ombres, chant et bande son. Changements de décor et d’accessoires se font à vue, dans une volonté de montrer, jusqu’aux coulisses. L’intelligente scénographie de Jane Joyet crée un espace pluridimensionnel éclairé par Corentin Praud et soutenu par l’univers sonore omniprésent signé Kostia Cavalié et Vicent Munsch.

Honorine Lefetz campe une Clara toute en fermeté soutenue par Brice Coupet qui joue et manipule la marionnette Fritz. Blue Montagne, mezzo soprano, illustre l’action de chants a capella (chansons à boire allemandes notamment) et manipule les têtes en compagnie de Cécile Givernet.

 Cécile Givernet et Vincent Munsch ont fondé la Compagnie Espace Blanc en 2016 pour réaliser des spectacles qui peuvent recourir à la marionnette, aux ombres ou au théâtre. L’univers sonore est traité comme un langage dramaturgique à part entière. Ils privilégient les auteurs contemporains ; ils ont ainsi monté des textes de Luc Tartar, de Stéphane Bientz et Laurent Rivelaygue.

 

Depuis 2021, Espace Blanc dirige le Théâtre Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), spécialisé dans l’art de la marionnette. Le lieu est partagé avec  Le Comptoir (scène de création musicale) et La Nef (espace d’exposition), ce qui en fait un lieu en pleine effervescence. On l’aura compris, Farben est un excellent spectacle de marionnettes pour adultes! Durée une heure trente.

Jean-Louis Verdier

Jusqu’au 27 janvier, Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard, Paris (Vème). T. : 01 84 79 44 44.

Les 1er et 2 février, dans le cadre de Fontenay en Scènes, Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).

Le 11 mars, Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine), dans le cadre du Festival MARTO 

La pièce est éditée chez Actes Sud Papiers.

 


Archives pour la catégorie marionnettes

Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

2.7Au Soir -Cartographie Imaginaire   01

©Kalimba

Création du collectif Le 7 au Soir et troisième volet du récit d’Yvan Corbineau, La Foutue bande, de loin de la Palestine, qu’il a écrit lors de nombreux séjours en Cisjordanie. Cette “matière-texte“ a donné lieu au Bulldozer et l’Olivier (2017), et à La foutue Bande (2020), à la Scène nationale Culture commune (voir Le Théâtre du blog).
Depuis, cette «foutue» Bande de Gaza est dramatiquement foutue! Comment en parler aujourd’hui ? L’auteur quitte ici les rives du réalisme pour nous entraîner dans l’espace métaphorique d’un territoire mouvant, énigmatique où va se perdre un marcheur solitaire. La carte qu’il a en mains se dérobe à la lecture, faute de légendes et il se heurte à un mur sans issue, réduit à tourner en rond.

 «C’est l’histoire, dit Judith Morisseau, d’un chemin impossible pour les habitants d’un pays morcelé, ou celle d’un auteur égaré.» Comme Alice au pays des merveilles, la comédienne s’engouffre dans un labyrinthe semé d’embûches, représenté par les dessins qui s’inscrivent sur le tulle transparent de l’avant-scène. De petits objets, animés en direct par la graphiste installée à jardin, s’affichent aussi sur l’écran.
La comédienne doit jouer dans les plis et replis d’un immense drap blanc-le désert ?- manipulé à vue par Yvan Corbineau pour créer sans relâche des creux et des bosses, un ciel nuageux, et parfois engloutir la narratrice. Le marcheur anonyme, à la recherche d’une improbable sortie, nous emmène dans un rêve éveillé fantasmagorique où se confondent dans le texte et graphiquement, une multitude de points de vue, contrôle, départ, fuite, mais aussi de points d’orgue, de suspension… Sa carte devient illisible et il doit s’en remettre au hasard à coups de dé, ou consulter le
Livre des légendes qui tombe des cintres mais dont les tiroirs ne livreront pas leurs secrets. D’étape en étape, d’épreuve en épreuve, il revient sans cesse à son point de départ:  un rocher au pied d’un mur sans brèche.
Au gré de ce parcours onirique, Judith Morisseau reste à juste distance de son personnage et navigue avec grâce dans la danse infernale du décor et le paysage sonore crée et diffusé par Jean-François Oliver, parmi les dessins et projections d’objets ludiques imaginés par la scénographe Zoé Chantre, sous les lumières de Thibault Moutin. Une minutieuse coordination orchestrée par Elsa Hourcade.

Le collectif 7 au soir a entamé un long compagnonnage avec Culture Commune. Et le spectacle a eu lieu à l’Espace culturel Jean Ferrat à Avion, partenaire de cette Scène nationale multipolaire qui, de la Fabrique théâtrale de Loos-en-Gohelle ( Pas-de-Calais), rayonne dans l’ancien bassin minier de l’Artois.
Ce soir, les habitants d’Avion sont venus nombreux. Ils connaissent le travail de la compagnie, pour avoir élaboré pendant un an avec elle, un spectacle collectif en marge de la création de
Cartographie imaginaire. Des ateliers d’écriture et de jeu ont abouti à Chemins de traverse, joué par les habitants du quartier de la République avec pour thème, les parcours et itinéraires bouleversés à cause d’un environnement urbain en mutation.

Cartographie imaginaire a vraiment sa place dans cette municipalité communiste jumelée avec le camp de réfugiés palestiniens de Bourj El Barajneh au Liban et la ville de Qustra en Jordanie. Et cette fiction à la tonalité beckettienne nous renvoie avec élégance et pudeur à une situation sans issue. La poésie et la fantaisie constituent ici une échappatoire possible.

«Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance/ Nous nous tenons tous par la main/ Et nous avançons solitaires dans le désert du monde/ Peu nous importe désormais que quiconque nous aime.» C’est un extrait d’un poème écrit le 25 octobre dernier par l’auteur palestinien Samer Abu Hawwash, «dans un moment de douleur et devant le constat que le monde entier a abandonné Gaza ».

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 10 novembre au Centre culturel Jean Ferrat, Avion (Pas-de-Calais). Les 30 novembre et 1er décembre, Les Passerelles, Pontault-Combault (Seine-et-Marne). T. : 01 60 39 29 90.

Les 1 er et 2 février, Théâtre Berthelot, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T. : 01 71 89 26 70.

En mars, au festival MARTO dans le cadre de la Nuit de la marionnette.

Culture Commune-Fabrique Théâtrale, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, rue de Bourgogne, Base 11/19, Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). T. : 03 21 14 25 35.

Foutue Bande, de loin la Palestine est publié aux éditions Passage(s).

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)

Violetta and Arabuli in Abastumani - (1)

© Irakli Sharashidze

 Tbilissi, dans les années 90. Alfred et Violetta vivent un amour contrarié par la guerre civile qui éclate à la chute de l’Union Soviétique alors qu’Alfred est parti, invité en Italie à un congrès d’astronomie. De délicieuses marionnettes vont nous raconter leur histoire, inspirée par  La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas et son adaptation par Guiseppe Verdi La TraviataCette version actuelle est teintée du vécu de Rezo Gabriadze, longtemps exilé à l’étranger pour raisons politiques et qui retrouva son théâtre confié à un ami, après cinq ans d’absence, dont plusieurs en France.

Alfred et Violetta fut la première création du théâtre Gabriaze fondé par Rezo à Tbilissi en 1981, dans une petite salle en bois au cœur de la vieille ville. Le grand marionnettiste a remanié sa pièce peu avant sa mort en 2021: nouveaux décors, nouveaux personnages, nouvelles musiques, nouvelles lumières. Leo, son fils, héritier de son œuvre, en a repris la mise en scène et la première mondiale a eu lieu  au Théâtre Goldoni, à Venise l’an passé.

Nous sommes accueillis devant le castelet par le vieux directeur du théâtre, une marionnette à la ressemblance de son créateur… Un peu distrait, il nous prie d’être indulgents. Puis le rideau s’ouvre sur les rues de Black Jack, un quartier populaire de Tbilissi où habite Violetta. Sous ses fenêtres, de petits personnages actionnés grâce à des fils et des tringles, bavardent, et parlent littérature et politique.

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)  dans marionnettes cukoo-irakli-sharashidze-300x200

Cuсkoo © Irakli Sharashidze

Les marionnettistes, dont nous devinons le visage et les mains, passent avec une dextérité exceptionnelle d’un personnage à l’autre. Et en un clin d’œil, ils changent les toiles peintes au graphisme coloré, plantent les éléments de décor. Sous leurs doigts agiles, tout s’anime et parle: un bavard et facétieux corbeau propage les nouvelles; un vieux cheval, survivant de Stalingrad dans un ancien spectacle (La Bataille de Stalingrad ) devient ici l’infirmière de Violetta ; la locomotive de Ramona qu’on a pu voir au festival d’Avignon, personnifie avec nostalgie l’ex-Union Soviétique.

Les détails pittoresques s’insinuent dans les tableaux successifs: une mouche taquine un dormeur, un oiseau batifole autour des amoureux, un pigeon s’insurge contre la vente du buste de Karl Marx sur lequel il est né. Et dans un castelet miniature, a lieu une scène parodique de La Traviata à la Scala de Milan. Ces incises poétiques insufflent humour et fantaisie à ce drame qui finira bien.

L’auteur a su créer un univers plastique et graphique singulier, doucement ironique où ses personnages attachants nous bercent dans la langue chantante de l’ancienne Colchide…«Quelle merveille d’être émerveillé !  » disait Peter Brook, quand il découvrit ce théâtre enchanteur dans les années 80 à Tbilissi.  Nous espérons que Leo Gabriaze, par ailleurs réalisateur de films d’animation dont Rezo, un documentaire tourné à partir des souvenirs d’enfance de Rezo Gabriadze, continuera à faire rayonner le théâtre de son père.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’ au 30 novembre, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

Biennale internationale des Arts de la Marionnette Fantine ou le désir coupable,d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Biennale internationale des Arts de la Marionnette

Fantine ou le désir coupable, d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Fantine, un des personnages des célèbres Misérables, sans doute moins connu que  Cosette, sa fille ou Jean Valjean, Marius, Gavroche… Ici plus ou moins remis dans l’actualité. Après tout, pourquoi pas? Le roman de Victor Hugo qui fait une critique virulente sur la société de son temps en a vu d’autres: adaptations au théâtre, films, feuilletons radio,chorégraphies, comédies musicales, bandes dessinées…
Fantine, une très belle jeune femme sans argent se retrouve enceinte mais elle sera abandonnée par son amant, Tholomyès, un bourgeois. Mais le personnage de Fantine n’apparait que dans le troisième livre des Misérables. Précision pour les jeunes générations: jusque vers les années 1960, la contraception était des plus limitées et la pilule n’existait pas, et encore moins celle du lendemain… Solution : l’avortement pratiqué par « une faiseuse d’anges » dans des conditions le plus souvent abominables. Ou par celles qui en avaient les moyens dans une clinique… en Suisse.  Et il y avait quelques médicaments faisant expulser le fœtus  et aussi dans les campagnes, la rue: une plante soi-disant abortive connue depuis l’Antiquité par les accoucheuses et guérisseuses.
Et, si la jeune fille, vite sans moyens pour le faire vivre, gardait l’enfant, restait l’abandon dans la tournette d’un hospice pour qu’on ne voit pas qui l’y avait mis. Ou des expédients comme la vente par Fantine de longs et beaux cheveux et de ses dents, puis très vite le recours inévitable à la prostitution sur le trottoir, très fréquente chez les ouvrières exploitées au temps de Victor Hugo. La belle et pure Fantine accouchera de Cosette qu’elle remet aux époux Thénardier qui s’en occuperont mais exigeront d’elle toujours de plus en plus d’argent et exploiteront la petite fille.

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Ici, un castelet avec un rideau rouge vif au fond et un table longue et noire de manipulation de l’unique marionnette, celle de Fantine réalisée par Einat Landais avec un cou interminable et de grands yeux, tenant, en pire de la poupée Barbie.
Mélanie Depuiset, en jupe noire et serrée dans une guêpière, la manipule et la fait parler avec une très bonne diction. Et elle joue aussi les autres personnages féminins comme Sœur Simplice. A côté d’elle, lui aussi en costume noir, Jérôme Soufflet, lui, raconte l’histoire de Fantine et joue tous les « salauds » comme il dit, du roman  de Victor Hugo. Entre autres, Tholomyès, le bourgeois qui l’a abandonnée, puis le mac qui la prostitue et qui lui aussi, l’abandonnera, quand elle tombera très malade et finira par mourir.

Mais c’est là où cela ne fonctionne pas du tout, le personnage central de Fantine est écrasé par les mains non gantées de noir par sa manipulatrice et l’acteur. Le texte très faible, avec des références actuelles, comme la dramaturgie et le jeu,  (conventionnel) ne sont pas au rendez-vous. Il n’y a vraiment rien à sauver de cette médiocrité -heureusement cela ne dure que cinquante minutes mais déjà trop longues!- sauf la dernière scène où le corps de Fantine est allongé couvert d’un linceul blanc que Mélanie Depuiset déroule avec lenteur. Là surgit enfin une véritable émotion

Cela ne suffit pas à sauver ce spectacle vieillot, laid et sans aucune âme qui n’arrive pas, comme Victor Hugo savait le faire, à dénoncer la misère du peuple, la condition des ouvrières et l’exploitation féminine: «Tant, écrivait-il, que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre, ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »

Nous n’avons sans doute pas eu de chance mais en dehors des magnifiques prestations de Marta Cuscunà : Sorry Boys et La Simplicita ingannata (voir Le Théâtre du Blog) les autres spectacles : Bleu opéra,  Et il mangea de cette Biennale auxquels  nous avons pu assister étaient bien mauvais et nous reposons la même question : pourquoi et comment ce Fantine ou le désir coupable a-t-il été programmé dans cette Biennale…

Thénardier comme le théâtre où le spectacle est joué? Jean Valjean/M. Madeleine, comme le maire de Montreuil, mais Montreuil-sur-mer dans le roman? Une piste??? !!!

Philippe du Vignal

 Spectacle vu au Théâtre Thénardier, Montreuil (Seine Saint-Denis), le 30 mai.

Biennale internationale des Arts de la Marionnette La Simplicità ingannata , de et avec Marta Cuscunà (en italien surtitré)

Biennale internationale des Arts de la Marionnette 2023

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©Alessandro Sala Cesuralab

La Simplicità ingannata de Marta Cuscunà (en italien surtitré)

L’artiste italienne, invitée avec trois spectacles à la B.I.A.M., est seule en scène comme dans Sorry Boys, mais cette fois, elle nous réserve un amusant prélude avant de faire corps avec ses marionnettes: des têtes alignées comme des oiseaux sur une branche.

En robe de mariée, elle nous invite dans l’Italie du XV ème siècle et décrit la condition des jeunes filles qu’il faut marier à tout prix, moyennant une dot versée à l’époux et qui dépend de leur beauté, et surtout de leur soumission. Economiquement parlant, avoir une fille n’est pas une bonne affaire : marchandise périssable, elle se déprécie avec l’âge, et si aucune homme ne se porte acquéreur, ou si l’on ne peut la doter suffisamment, ce sera le couvent. Ainsi Angela qui boite, est placée à six ans chez les sœurs avec la promesse de félicité. Mais, au moment de renoncer au monde pour épouser le Christ, elle découvre avec horreur le cloître. Le titre : La Simplicité trahie renvoie à la tragédie de ces filles mariées au Christ contre leur gré.

Mais tout n’est pas perdu et, en deuxième partie, les marionnettes vont nous raconter la résistance des Clarisses d’Udine ( Frioul), à peu près à la même époque. Ces religieuses italiennes ont transformé leur couvent en espace de contestation libéré des dogmes religieux et de la culture machiste : une histoire d’émancipation collective impensable pour l’époque !

Marta Cuscunà construit ses spectacles à partir d’éléments historiques. Pour la première partie de cette pièce, elle se réfère à L’Inferno monacale, témoignage d’Arcangella Tarabotti (1604-1652). Cette écrivaine et religieuse vénitienne rapporte, à l’aune de son vécu, la tragédie des moniales cloîtrées de force.

Mais l’actrice en tire une charge amusante contre la société patriarcale. De même qu’elle met en boîte la misogynie de l’église catholique quand elle raconte l’histoire des insoumises d’Udine, telle qu’elle l’a lue dans Lo spazio del silenzio où l’historienne Giovanna Paolini publie les minutes du procès en hérésie intenté en 1590 par l’Inquisition contre ces Clarisses.

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©Alessandro Sala Cesuralab

Les têtes parlantes des six religieuses, animées avec maestria, sont confrontées au méchant Barbaro, inquisiteur à la figure patibulaire, à qui Marta Cuscunà prête aussi voix et expressions menaçantes. Les Clarisses se sont instruites malgré les interdits de l’Eglise, et sont capables de ruser et de jouer les bécasses, seront innocentées…. Courte victoire mais signe, pour Marta Cuscunà, qu’ensemble, les femmes sont capables de s’organiser et de vaincre :  » La simplicità ingannata n’est pas un documentaire mais un projet où le théâre donne aussi la possibilité de trahir le fait établi ou au moins de la considérer comme un point de départ permettant de rebondir sur une histoire qui a comme sujet principal la société, les femmes et les hommes qui la composent. « 

La scénographe Elisabetta Ferrandino a donné à ces nonnes, qui ne sont pas sans rappeler les figures aux yeux effarés de Tim Burton, une personnalité correspondant au caractère de chacune. Ces délicieuses poupées, serrées les unes contre les autres « comme des oiseaux piégés dans la glue », selon Marta Cuscunà, ont beaucoup à nous dire sur la sororité.

Dans tous ses spectacles, Marta Cuscunà a fait le choix d’être seule avec ses personnages: au début, dit-elle, pour des raisons budgétaires mais ensuite elle a pris goût à faire entendre une multitude de voix et, quand le corps n’est plus suffisant au besoin d’un chœur, elle se glisse comme ici , derrière ces têtes auto-portées pour aller à l’essentiel : l’expression des visages et des voix et elle passe ainsi  très vite de l’une à l’autre… `

Après avoir vu ces deux spectacles déjà anciens, nous avons hâte de découvrir d’autres pièces de cette artiste aux multiples visages.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 mai au Théâtre Mouffetard, Centre national de la marionnette 73 rue Mouffetard Paris (Vème). La B.I.A.M. se poursuit jusqu’au 4 juin. : T. 01 84 79 44 44.

Biennale internationale des arts de la marionnette Sorry Boys de Marta Cuscunà

Biennale internationale des arts de la marionnette

Sorry Boys de Marta Cuscunà

Onzième édition de la biennale avec, en coup d’envoi, un spectacle venu d’Italie.  Et elle se clôturera avec un Bal marionnettique conçu par la compagnie Les Anges au plafond. Entre temps, une grande diversité de spectacles, dans trente lieux d’Ile de France, principalement à Paris. Notamment trois de Marta Cuscunà qui avait déjà joué Sorry Boys en 2020 aux Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville et qu’on a plaisir à découvrir ou à revoir.

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© alessandro-salace

Des têtes s’alignent: côté jardin des garçons, et côté cour, plusieurs personnages d’adultes. Ces têtes prendront vie entre  les mains expertes de l’artiste démiurge: seule en scène, on la devine derrière les châssis d’où émergent ces visages. Le titre (en français: « Désolées, les gars! » s’adresse comme un pied de nez à une bande de gamins immatures qui discutent sexe et films d’action et aussi à ces parents qui s’agitent par ces têtes interposées, inquiets pour leurs filles disparues. La cause de cet émoi : dix-huit lycéennes  de moins de seize ans,  toutes  enceintes ont signé un « pacte secret de grossesse » pour élever leurs enfants ensemble dans une communauté de femmes. 

 Tirée d’un fait divers survenu au lycée de Gloucester (Massachusetts) petite ville du Massachusetts en 2000, la pièce nous invite à rire des remous créés par cette initiative féministe « révolutionnaire», et un téléphone géant affiche sous forme de textos, les échanges entre les jeunes filles. On suit donc  l’évolution de leur grossesse mais sans jamais les voir… Seuls les témoignages des autres nous narrent leur aventure.

Tout ce petit monde s’agite et nous apprécions la virtuosité de Marta Cuscunà à animer seule cette foule de personnages, passant de l’un à l’autre avec une célérité remarquable. Elle prête ainsi à chaque visage en latex une expression et une voix particulière.

Sorry Boys, résolument polémique, met en boîte des gamins plutôt couillons: ignorants qu’ils sont de la sexualité et abreuvés de films pornos ils ne comprennent rien à leur copines. Leur sexisme ordinaire se nourrit des clichés masculins du cinéma hollywoodien. Les parents ne valent guère mieux, avec leur prêchi-prêcha conservateur et leur peur du lendemain. Les conversations tournent vite à l’affrontement politique. Seul, Joseph Sullivan, le proviseur du lycée semble entendre le projet des lycéennes et, avec l’infirmière, leur facilite la tâche en secret… Il les aide à fuir et lui revient le mot de la fin : «Elles avaient un drôle de sourire quand elles sont parties ».

Ce sourire, explique la marionnettiste surgie de l’ombre, est une réponse aux boucheries perpétrées par les hommes. Nous recevons cinq sur cinq le message de Marta Cuscunà qui s’est engagée à défendre l’indépendance et la résistance féminine, d’autant plus qu’elle le fait avec humour. Nous sommes curieux de découvrir ses deux autres pièces.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 10 mai au Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris (III ème) T. : 01 83 81 93 30

Les 13 et 14 mai, Canto della caduta de Marta Cuscunà, salle Jacques Brel, 42 avenue Edouard Vaillant, Pantin (Seine-Saint-Denis). 

 Les 16 et 17 mai La Simplicita ingannata de Marta Cuscunà, Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard Paris (Vème). T. : 01 84 79 44 44.

La B.I.A.M. se poursuit jusqu’au 4 juin. Le Mouffetard-Centre national de la marionnette. T. : 01 44 64 82 33.

2 h 32 de Gwendoline Soublin mise en scène de Guillaume Lecamus

2 h 32 de Gwendoline Soublin mise en scène de Guillaume Lecamus

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© Roland Baduel

« Elle court, elle court Zenash. Elle se lève très tôt le matin, enfile ses baskets avant d’aller faire des ménages  dans un hôtel et, sitôt le boulot fini, elle court, encore, marathonne tout le temps. » Zenash Gezmu, une jeune Ethiopienne, vise la victoire au marathon de Paris : boucler les 42,195 kilomètres en deux heures trente-deux ! Mais, hélas, elle n’y parviendra jamais! Fauchée en plein élan, assassinée chez elle à vingt-sept ans par malfrat qui passait par là. Gwendoline Soublin s’est emparée, à la demande du metteur en scène, de ce fait divers et a écrit une fiction poétique pour marionnettes, où elle montre le courage de celle qui, depuis l’enfance, poursuivait un rêve.  Un rêve contagieux qui va, ironiquement, contaminer toute une communauté de coureurs forcenés…

Zenash Gesnu, représentée ici par une sculpture en carton articulée, manipulée par deux comédiennes, se dédouble en une statuette fixe, toute à sa course. Norbert Choquet a choisi ce matériau en résonance avec la force vitale de la sportive. Le corps nu de la marionnette semble prendre vie grâce aux mots de l’autrice et la performance sportive de Sabrina Manach. Remarquable athlète, la comédienne  court sur place sans s’essouffler, l’équivalent de quatre kilomètres  à 12 km/h… Candice Picaud, sa partenaire,  partage avec elle le texte de la pièce tantôt adressé à Zenash par un « Tu » familier et affectueux, tantôt sous forme de récit. L’énergie des actrices se transmet aussi aux multiples figurines qui, dans la deuxième partie du spectacle, entament un marathon sans fin. Une foule de coureurs anonymes en folie où l’auteure distingue, en trois mots cinglants, quelques individus-types. Une drôle de bande qui court à sa perte… Cette fin surréaliste et inattendue nous emmène loin de la tragédie de Zenash Gesnu : un «tombeau»-hommage à cette femme pugnace…

Le metteur en scène choisit, paradoxalement, des marionnettes statiques aux expressions neutres pour explorer des thèmes comme l’endurance sportive et la vitalité du corps. Il les fait ainsi vivre grâce au texte, au jeu et à l’univers sonore créés par Thomas Carpentier. Mais quelquefois les mots et les actrices prennent le pas sur ces figurines, surtout au début. Les phrases syncopées de Gwendoline Soublin sont pour les interprètes une sorte de jeu par délégation, «un parler pour» selon François Lazaro avec lequel Guillaume Lecamus fit son apprentissage de marionnettiste.

Avec sa compagnie, le Morbus théâtre, il donne la primeur aux auteurs contemporains, le texte étant le moteur de ses spectacles : 2 h 32 est le pendant de 54 x 13 de Jean-Bernard Pouy, ( voir Le Théâtre du Blog), repris en mars dans ce même théâtre et qui met scène un cycliste du peloton.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 20 mars, Le Mouffetard, Théâtre des Arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème). T. 01 84 79 44 44.

Le 21 mai, festival les Echappées, La Chambre d’eau-en-Avesnois, Le Favril (Nord) ; le 27 mai, Médiathèque des Mureaux (Yvelines).

Les 15 et 16 mars 2023, Théâtre à la Coque, Hennebont (Morbihan); le 21 mars, Théâtre du Passage, Fécamp (Seine-Maritime) et le 23 ou 24 mars, Le Sablier, Ifs (Calvados).

 

Première Neige de Guy de Maupassant, adaptation et mise en scène de Pier Porcheron

Première Neige de Guy de Maupassant, adaptation et mise en scène de Pier Porcheron

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@Veronique Beland

Cette adaptation fait entendre des extraits de la nouvelle, dans la langue de Guy de Maupassant, intégrés dans une auto-fiction: un couple s’enferme un hiver dans une maison, après un événement traumatisant et décide de monter une pièce radiophonique ou , plus exactement, un «roman radiophonique» à partir de leur histoire personnelle. Maupassant, lui, raconte la vie d’une femme qui vient mourir au soleil méditerranéen, pour fuir un mariage triste dans un château glacial en Normandie ,où tombent la pluie et la neige. Une histoire qui s’entrecroise avec cette auto-fiction, au point qu’on ne les distingue plus l’une de l’autre. Ce couple enfermé met en scène Première Neige et l’épouse va aller à Paris enterrer ses parents morts dans un incendie…

Pour ce «roman radiophonique», pas de magnétophone, amplificateurs ni consoles de studio. Dans ce théâtre d’objets, les fonctions dramatiques sont à la fois iconiques et sonores, avec des objets qui jouent : tableaux, modèles réduits de meubles, poupées, photos, peluches… Mais aussi des objets du quotidien utilisés  pour  le bruitage. Une boite Maïzena simule le crissement de pas dans le neige, le bruit amplifié d’un coussin de crin nous permet de «voir» l’héroïne marcher sur le sable, des chiffons disent l’apparition d’oiseaux, du papier déchiré imite le crépitement du feu dans la cheminée… Une chignole et d’autres ustensiles suspendus autour de la table de jeu, approchés des micros, composent tout l’univers sonore. Nous pouvons à la fois écouter le texte, voir la manipulation les objets et assister à l’art du bruiteur.

 La compagnie Elvis Alatac, installée à Poitiers depuis 2012, présente ici la version longue (soixante-cinq minutes) de cette Première Neige. Nous en avions vu, en 2020, une format court de quinze minutes avec le même texte de Guy de Maupassant. Mais c’était une véritable émission radiophonique dans un  studio en cabine vitrée, avec publicités, blagues et jeux stupides (voir Le Théâtre du Blog ).
Reste de ce format court, l’utilisation du son amplifié: composante essentielle. Il n’y a pas de marionnettes mais les deux comédiens, tout en produisant des images avec des objets, créent, au micro,  la bande-son 
à vue.

Auprès Marion Rebat, sa partenaire de jeu, Pier Porcheron, metteur en scène mais aussi acteur, ne se prive pas de moduler, hululer, bruiter, siffler et accentuer, colorant ainsi le texte sans aucun effet  électronique. Cet habillage sonore artisanal ouvre une autre dimension supplémentaire à ce théâtre d’objets qui développe plusieurs techniques : mini théâtre d’ombre, mini-écran où sont projetées à partir d’une mini-caméra mobile, des images et des photos du Paris au XIX ème siècle. Pier Porcheron et Marion Rebat nous montrent que, bien dompté, le son crée l’image. Enfin, on l’aura compris, nous sommes ici loin de l’explication de texte scolaire.

Première Neige a été créé en 2017 et depuis, s’est joué une centaine de fois, diffusé dans ses deux versions…

 Jean-Louis Verdier

 Jusqu’au 3 février, Théâtre Mouffetard, 73, rue Mouffetard, Paris (Vème) T. : 01 84 79 44 44.

Le 18 février, Espace des Pierres Blanches, Saint-Jean-de-Boiseau (Loire-Atlantique); le 25 février,Théâtre des Bains Douches, Elbeuf-sur-Seine (Seine-Maritime).

Texte intégral de Première Neige: http://maupassant.free.fr/textes/neige.html

 

 

Le voyage de Gulliver d’après Jonathan Swift, adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

Le Voyage de Gulliver, d’après Jonathan Swift, adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

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© Fabrice Robin

 

Qui n’a lu dans son enfance les aventures de ce marin, seul survivant d’un naufrage, échoué sur le rivage d’un étrange pays où des êtres minuscules mais tyranniques en font leur prisonnier et leur esclave ? On  prend souvent ce livre pour un conte pour enfants…. Il y a eu en effet de nombreuses éditions (mais édulcorées) et illustrées pour la jeunesse.
Les metteurs en scène à qui l’on doit ces réussites comme
20.000 lieux sous les mers et l’opéra baroque, Ercole Amante de Francesco Cavalli (voir Le Théâtre du blog) nous ouvrent de belles images. Nous prenant par la main, l’acteur incarnant Gulliver face à un peuple de marionnettes, raconte les aventures de ce marin devenu un dangereux géant aux yeux des Lilliputiens. A la fois narrateur, témoin et victime d’un pouvoir arbitraire et d’une guerre absurde opposant les mangeurs d’œufs par le gros bout, à ceux qui les entament par le petit bout…

Jonathan Swift (1667-1745) avec ce conte philosophique habillé de merveilleux, s’en prenait à l’absolutisme des souverains anglais et devra s’exiler en Irlande. Pacifiste avant la lettre, ce pamphlet féérique critique aussi la guerre sans fin qui oppose son pays à la France. Mais Le Voyage de Gulliver prend ici la forme d’une fable burlesque, charmante et efficace, plus que d’un libelle contre le pouvoir.
Dans un décor de carton-pâte et bas de plafond, le comédien sur un plateau rehaussé, paraît gigantesque, à côté des marionnettes hybrides où les sept autres acteurs ont glissé leur tête. Ces personnages de cinquante centimètres, au faciès humain sont très expressifs  et leurs corps en costumes bariolés, et manipulés selon le procédé du théâtre noir, un éclairage efface les  acteurs et permet des effets spéciaux.

La scénographe Audrey Vuong et la créatrice de costumes Vanessa Sannino créent une esthétique délibérément naïve et kitch. Un clin d’œil aux illustrations des contes pour enfants du XIX ème siècle. Les acteurs s’en donnent à cœur joie dans cette satire du régime lilliputien, aussi habiles à manipuler leurs bonshommes, qu’à chanter lors des intermèdes. Comme ce moment virtuose où sur la table de la salle à manger transformée en scène de cabaret, l’impératrice Cachaça se livre à une numéro, avec plumes et déshabillage… Une heure quinze de plaisir théâtral attend petits et grands, sous-tendu par un message envoyé à qui veut l’entendre…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 28 janvier, Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris (IX ème).T.: 01 53 05 19 19.

Du 1er au 11 février, Théâtre des Célestins, Lyon (Rhône) les 18 et 19 février, Equilibre, Fribourg (Suisse) ; du 23 au 26 février, Théâtre National de Nice (Alpes-Maritimes).

Du 2 au 6 mars, Théâtre de Caen (Calvados) ; les 10 et 11 mars La Comète, Châlons-en-Champagne (Marne); le 15 mars, Théâtre Edwige Feuillière, Vesoul (Haute-Saône); le 18 mars, Ma-Scène nationale, Montbéliard (Doubs); les 22 et 23 mars, Tangram, Evreux (Eure) ; les 30 et 31 mars, Maison de la Culture, Nevers (Nièvre).
Les 12 et 13 avril, Théâtre de Sartrouville (Yvelines) ; les 19 et 20 avril, La Ferme du Buisson, Noisiel (Seine-et-Marne).
Et du 17 au 19 mai, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime) et les 24 et 25 mai, Théâtre des Deux-Rives, Rouen (Seine-Maritime).

 

Battre encore, mise en scène de Delphine Bardot et Pierre Tual

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© Virginie-Meigné

Battre encore, mise en scène de Delphine Bardot et Pierre Tual

 La compagnie La Muette, créée par la marionnettiste nancéenne Delphine Bardot et le musicien argentin Santiago Moreno, développe un théâtre visuel et musical fondé sur le rapport «entre corps réels et corps fantoches, manipulateurs et manipulés, résistants et consentants ». Battre encore met en présence trois femmes en chair et en os avec des pantins masculins en plusieurs états et dimensions. Une recherche qui s’appuie sur une fable en forme de conte cruel.

Trois petites fleurs s’épanouissent, cultivées par un gentil jardinier, sur un carré d’herbe peuplé de papillons. Brusque changement d’échelle : le trio se transforme en jeunes filles en fleurs rêvant du Prince charmant, figuré par des marionnettes étranges qu’elles tentent de manipuler, sous l’œil affectueux de leur père. Mais bientôt cette histoire mièvre qui se moque des demoiselles bien élevées, va tourner au cauchemar quand elles sont invitées au bal de l’Ogre. Il apparaît, gigantesque, entouré de ses généraux, sur une musique populaire d’Amérique latine, entrecoupée de violents discours. Et les trois sœurs  sont obligées de danser avec le tyran et ses sbires aux mines patibulaires. Nous nous trouvons soudain transportés aux heures sombres des dictatures sud-américaines…

 Ces comédiennes, danseuses et manipulatrices entrent dans l‘univers onirique fluctuant des scénographes Delphine Bardot et Daniel Trento, sous les éclairages de Joël Fabing. Les pantins, ombres et objets animés créés par Delphine Bardot, Lucie Cunningham et Santiago Moreno qui signe également la musique, sont expressifs, qu’ils soient de taille humaine ou miniatures.  Les metteurs en scène conjuguent avec habileté plusieurs techniques: marionnettes portées par les «corps-castelets» des interprètes, ombres chinoises, projections, mannequins, fragments de corps, masques…Les fondus-enchainés témoignent de la virtuosité de ces artistes et il y a des moments forts comme le bal, un tournant de la pièce, quand les trois femmes, aux prises avec les hommes du tyran, luttent contre la force virile de ces pantins qu’elles manipulent mais qui finissent par les terrasser. Viols et féminicides s’accomplissent en coulisse…Une voix off confirme le crime et se lèvent les poings d’une foule en révolte…

Battre encore veut « redonner corps et mouvements aux écrasées, aux meurtries aux étouffées, (…) en écrivant un anti-conte de fées très librement inspiré du destin des sœurs Mirabal ». Ceci explique pourquoi certaines incohérences et scènes anecdotiques brouillent le récit, sans qu’on en comprenne la nécessité dramaturgique. Le texte de Pauline Thimonnier, allusif, ne nous éclaire pas sur la tragédie vécue par Patria, Minerva et Maria-Theresa, dites «les Sœurs Mariposas » (Papillons). Résistantes à la dictature de Rafael Trujillo, qui dirigea la République Dominicaine de 1930 à 1961, elles furent, en 1960, arrêtées sur la route par la milice, découpées à la machette et jetées dans un fossé avec leur jeep. En 1999, l’O.N.U. fit du 25 novembre, date anniversaire de ce crime, une Journée internationale pour l’élimination de la violence envers les femmes.

 Malgré l’impression de décousu que laisse parfois une narration collant trop à l’Histoire, cette réalisation poétique questionne le politique. La marionnette entre ici en jeu dans un rapport de force féminin/masculin. Sans discours, et par le seul langage des corps et des images, Battre encore rend justice aux luttes des femmes et à leur convergence avec les mouvements pour l’égalité des droits humains.

 Mireille Davidovici

Du 12 au 25 novembre, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (Vème) T. : 01 84 79 44 44.

Le 14 décembre, Transversales, Verdun (Meuse).
Le 25 janvier, Compli’Cité, Le Triangle, Huningue (Haut-Rhin).
Le 10 février, La Machinerie, Homécourt (Meurthe-et-Moselle).
Et le 26 mars, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de-Seine).

 

 

 

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