La Nuit Unique du Théâtre de l’Unité (suite)
La préparation de la Nuit Unique par Le Théâtre de l’Unité (suite) et début du feuilleton estival consacré à cette compagnie…
« Faut que la machine se refroidisse un peu pour que je réussisse à parler. dit Jacques Livchine; Faut que je prenne un cigarillo pour réussir à écrire sur la vieille table branlante dans le jardin, jamais cultivé, de notre maison…
Un spectacle de sept heures, cela ne se raconte pas ! Alors, je vais essayer de raconter les sept heures qui le précèdent. Tout est compliqué: les dix comédiens ont réclamé un pot de dernière, après qu’ils auront dormi. Ce sera dimanche, le temps que les bouteilles de Crémant aient le temps de refroidir. On fera cela chez nous à Malakoff, alors j’ai fait les courses et j’ai commandé à Adnan, un émigré syrien qui vit ici, de nous préparer un vrai houmous-dont il a le secret- à étaler sur du pain. Mon fils m’a recommandé Dolly, un traiteur indien mais le Théâtre de l’Unité ne peut pas payer cent euros de plus pour tous les amis qui vont s’ajouter et je n’oserais rien leur demander. Mais Hervée de Lafond a dit : » Je m’en charge. » Cela me tourne dans la tête: nous partons d’Audincourt comme prévu à neuf heures mais c’est compliqué: il y a une grande fête dans les rues et nous avons dû faire avant le chargement de notre Jumper et du 20 m 3 de location (nous craignons un surpoids éventuel). Bon, j’avais décidé d’arrêter et voilà que je me mets tout ça sur le dos, alors que j’ai les os rongés par une saloperie de cancer….
Thierry conduit mais nous éviterons le péage honni de Fleury-en-Bière: un de nos acteurs s’y était fait mettre en garde à vue pour avoir eu du shit avec lui et Hervée avait dû le remplacer en deux jours! En plus, il avait le rôle principal! Une autre fois, il y a eu trois cents kgs de décor en surpoids: l’horreur! Hervée et moi, avions dû enlever le matériel, le poser sur une pelouse et attendre qu’un camion de location vienne le chercher…
Là, catastrophe, nous sommes partis le jour même de la représentation. On avait trouvé que ce ne serait pas bien mais on l’a fait pour soulager l’Avant-Scène de Colombes qui nous accueille, de la location de deux chambres d’hôtel, puisque les acteurs voulaient tous rester un jour de plus. L’Avant-Scène a finalement accepté le surcoût mais Hervée ne cessait de répéter en boucle: plus jamais ça…Mais elle savait que c’était la dernière fois que nous jouerions cette Nuit Unique et même plus un autre spectacle!
Toujours moi…Entre temps, Fantazio, comme à son habitude, nous appelle: « Je suis à Saint- Lazare et je ne comprends rien aux trains. » C’est déjà une bonne nouvelle, qu’il soit à Paris! Il vient de Rennes et d’habitude, on tremble à cause d’une soirée de la veille trop arrosée, donc qu’il ne soit pas réveillé et rate son train… et doive prendre un avion et un taxi.
Pourquoi, dans tous nos spectacles, y-a-il toujours à boire et à manger. C’est une de mes théories jetables: le théâtre est né dans une fête dionysiaque, avec alcool et poissons au grill. Repérages : circulation vers les toilettes, nombre exact de matelas et transats pour cent soixante-dix spectateurs….
Fantazio nous appelle : je suis devant le théâtre mais je ne vois pas par où on entre. Génial, Fantazio mais épuisant… Sept heures avant de jouer, je sue à grosses gouttes: l’hormonothérapie me ménopause! C’est la mise sur le plateau et cela circule de tous les côtés… Hervée a réclamé un soutien-gorge, Mélanie et Léonor répètent et font les balances: épuisant mais il le faut. Le directeur de l’Avant-Seine de Colombes me sert la main dans un couloir. Ce n’est plus le même que celui qi était veu voir notre Macbeth en forêt, le long de l’autoroute.
Samia Doukhali, incroyable secrétaire générale, que je connais, coordonne toute l’opération. Bien entendu, j’ai honte de tout ce déploiement de forces pour cent-soixante-dix dormeuses et dormeurs: cela coûtera 12.000 €, je crois. Tout compris, mais sans doute plus! L’Avant-Seine de Colombes: des passionnés qui ne craignent pas le risque de se planter.
19 h 30 : Nous dînons dans un climat tendu. On règle les déformateurs de voix de Fantazio et d’Hervée quand elle jouera mon père. Je suis debout depuis sept heures et je dois tenir jusqu’à dix heures, le lendemain! David Mossé, le créateur des lumières est revenu! Il a un touché poétique et sentimental, il voulait faire la dernière… Il essaye la machine à fumée.
Je fais signer les contrats, encore une fois, j’ai honte : deux cent euros net! Alors que nous mettons tous au moins trois jours pour récupérer! On est à moins deux heures et je fais la pâte à blinis. J’ai apporté des bouquins à vendre: je ne juge jamais une représentation aux applaudissements mais à la vente…
Je prends un café, un red-bull et trois pilules de guarana! Je cache une bouteille d’eau glacée sous la table. Jean Couturier, un des critiques du Théâtre du Blog, installe son matos de photo. Ce spécialiste O.R.L. a aussi fait une maîtrise sur le Théâtre de l’Unité avec Robert Abirached, alors professeur à Nanterre-Université (1930-2021). Nous lui disons: pas de photos, mais finalement, on s’en fiche. Il va aussi écrire quelque chose pour Le Théâtre du blog. Avant la représentation, Gérard Surugue et Valérie Moureaux, vieux compagnons de route, nous saluent, tout émus d’assister à ce point final du Théâtre de l’Unité.
23 heures: le public entre. Je dis bonjour aux jeunes de Besançon qui ont fait le déplacement et à Thibault, un pilier de notre cabaret le Kapouchnik. Bien sûr, ma sœur et Gaïa, ma petite-fille. Ma fille Dana, ethno-musicologue au C.N.R. S., n’aime pas le théâtre qui, pour elle, n’a pas de sens. Michaël, un passionné, venu de Calais. Très honnêtement, je n’ai aucune envie de jouer et je voudrais être déjà demain matin. Hervée et moi, n’avons jamais pu voir vu le spectacle…
23 heures quinze, cette Nuit unique commence. Elle fait son discours : « Dormez si vous voulez: ne vous privez pas. Laissez-vous aller, pour une fois. « Mais nous, nous n’avons pas le droit de dormir. C’est moi qui sonne les heures et annonce les chapitres… De vingt-trois heures, à trois heures du matin, cela va encore… Mais ensuite, nous jouons parfois parmi les ronflements. La scène de Dom Juan où je suis tout nu, m’effraye… Fantazio, rempli de tatouages, improvise une ode à mon petit oiseau. Il y a au loin quatre Elvire nues. Honte maximale… La scène de la gourmandise est assez grandiose, avec la folie de chacun et un jeu à 300%: ça réveille. La fin approche et je chante en russe.
6 heures du matin : les derniers mots… Je suis entouré par tous les comédiens : “J’ai des amis qui m’entourent comme des garde- fous.” Les yeux mouillés, ils chantent Reva Baya Reva baya noor chevna, noor chevna…Et Hervée annonce : « Vous allez assister au dernier souffle d’une compagnie. » Nous nous alignons tous mais la musique ne vient pas! Hervée, sans aucune gêne dit à Thierry: « Tu dors ? Envoie le final. » Je ne l’ai pas, lui répond-t-il! La voilà bien, la couille attendue! Soixante ans de carrière finissent sur un couac. Notre devise: Rater mieux, est toujours d’actualité.. Donc, cette nuit, pas de musique triomphale!
Le public se lève, applaudit, applaudit notre mort et là, Hervée pleure…Réaliste, je dédicace mes bouquins et prends les commandes pour le nouveau, Les Mille et une plaisanteries du Théâtre de l’Unité. Frédéric Fort, de la compagnie Annibal et ses éléphants, lit une de nos professions de foi.