La Nuit Unique du Théâtre de l’Unité (suite)

La préparation de la Nuit Unique par Le Théâtre de l’Unité (suite) et début du feuilleton estival consacré à cette compagnie…

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©x Jacques Livchine

« Faut que la machine se refroidisse un peu pour que je réussisse à parler. dit Jacques Livchine;  Faut que  je prenne un cigarillo pour réussir à écrire sur la vieille table branlante dans le jardin, jamais cultivé, de notre maison…
Un spectacle de sept heures, cela ne se raconte pas ! Alors, je vais essayer de raconter les sept heures qui le précèdent. Tout est compliqué: les dix comédiens ont réclamé un pot de dernière, après qu’ils auront dormi. Ce sera dimanche, le temps que les bouteilles de Crémant aient le temps de refroidir. On fera cela chez nous à Malakoff, alors j’ai fait les courses et j’ai commandé à Adnan, un émigré syrien qui vit ici, de nous préparer un vrai houmous-dont il a le secret- à étaler sur du pain. Mon fils m’a recommandé Dolly, un traiteur indien mais le Théâtre de l’Unité ne peut pas payer cent euros de plus pour tous les amis qui vont s’ajouter et je n’oserais rien leur demander. Mais Hervée de Lafond a dit : » Je m’en charge. » Cela me tourne dans la tête: nous partons d’Audincourt comme prévu à neuf heures mais c’est compliqué:  il y a une grande fête dans les rues et nous avons dû faire avant le chargement de notre Jumper et du 20 m 3 de location (nous craignons un surpoids éventuel). Bon, j’avais décidé d’arrêter et voilà que je me mets tout ça sur le dos, alors que j’ai les os rongés par une saloperie de cancer….

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Thierry conduit mais nous éviterons le péage honni de Fleury-en-Bière: un de nos acteurs s’y était fait mettre en garde à vue pour avoir eu du shit avec lui  et Hervée avait dû le remplacer en deux jours! En plus, il avait le rôle principal! Une autre fois, il y a eu trois cents kgs de décor en surpoids: l’horreur! Hervée et moi, avions dû enlever le matériel,  le poser sur une pelouse et attendre qu’un camion de location vienne le chercher…
Là, catastrophe, nous sommes partis le jour même de la représentation. On avait trouvé que ce ne serait pas bien mais on l’a fait pour soulager l’Avant-Scène de Colombes qui nous accueille, de la location de deux chambres d’hôtel, puisque les acteurs voulaient tous rester un jour de plus. L’Avant-Scène a finalement accepté le surcoût mais Hervée ne cessait de répéter en boucle: plus jamais ça…Mais elle savait que c’était la dernière fois que nous jouerions cette Nuit Unique  et même plus un autre spectacle!

 Pas de climatisation dans le Jumper, Catherine F. , pas folle, a exigé de prendre le train, donc je vais devoir conduire cinq heures trente tout seul, une serviette mouillée sur la tête… L’enfer. On emmène aussi notre chienne mais: souci, où fera-t-elle ses besoins ? Marie Leila se met à l’avant: nous devons répéter un extrait du Transsibérien de Blaise Cendrars, on se bloque tous les deux sur : « Ninni ninon nichon mimi mamour ma poupoule mon pérou dodo dondon..Les énumérations, c’est pas facile. Hervée qui n’en peut plus de ce Transsibérien,  se met à l’arrière et fait des scrabbles sur son I-phone… Elle répète en boucle : « Belle connerie que partir le jour-même. Tout peut arriver à tout moment. »
 Enfin, nous sommes à Evry: soit juste quarante kms et une heure jusqu’au périphérique, puis encore une autre, pour aller à Colombes. Et là, toujours pareil, où entre-t-on dans le théâtre ?  « Vas-y, Jacques, bouge-toi, va chercher un responsable. »
Toujours moi…Entre temps, Fantazio, comme à son habitude, nous appelle: « Je suis à Saint- Lazare et je ne comprends rien aux trains. » C’est déjà une bonne nouvelle, qu’il soit à Paris! Il vient de Rennes et d’habitude, on tremble à cause d’une soirée de la veille trop arrosée, donc qu’il ne soit pas réveillé et rate son train… et  doive prendre un avion et un taxi.
 Je dois garer le Jumper en marche arrière, une horreur pour moi. Le frigo du théâtre est plein pour la nuit : eaux minérales, bières, pâtés, sardines, lait concentré, jambon, chorizo… Rassurant! Mais Hervée a peur et mobilise Souhil, un jeune d’Audincourt qui veut connaître le théâtre et qui est venu: elle a oublié la menthe et les oignons pour les nems qu’elle doit servir au public à quatre heures du matin. Elle lui demande tout cela et lui apprend au passage, à rouler les nems. Elle lui explique que c’est ça aussi, le théâtre…

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Pourquoi, dans tous nos spectacles, y-a-il toujours à boire et à manger. C’est une de mes théories jetables: le théâtre est né dans une fête dionysiaque, avec alcool et poissons au grill. Repérages : circulation vers les toilettes, nombre exact de matelas et transats pour cent soixante-dix spectateurs….


Fantazio nous appelle : je suis devant le théâtre mais je ne vois pas par où on entre. Génial, Fantazio mais épuisant… Sept heures avant de jouer, je sue à grosses gouttes: l’hormonothérapie me ménopause! C’est la mise sur le plateau et cela circule de tous les côtés… Hervée a réclamé un soutien-gorge, Mélanie et Léonor répètent et font les balances: épuisant mais il le faut. Le directeur de l’Avant-Seine de Colombes me sert la main dans un couloir. Ce n’est plus le même que celui qi était veu voir notre Macbeth en forêt, le long de l’autoroute.
Samia Doukhali, incroyable secrétaire générale,  que je connais, coordonne toute l’opération. Bien entendu, j’ai honte de tout ce déploiement de forces pour cent-soixante-dix dormeuses et dormeurs: cela coûtera 12.000 €, je crois. Tout compris, mais sans doute plus! L’Avant-Seine de Colombes: des passionnés qui ne craignent pas le risque de se planter.
 Ma nièce, Olivia me rassure: « D’habitude, c’est 20. 000 €, les contrats »… Oui, mais pour huit-cent spectateurs et non pour cent soixante-dix… C’est notre quarante-troisième Nuit Unique… Dans ma tête, c’est toujours la première. Je me répète le dicton : rien ne se passe jamais comme prévu. Mais pour l’instant, on ne sait pas trop d’où viendra la couille!
 Réunion de concertation avant cette Nuit unique sur les entrées, les sorties… Hervée, comme toujours, tacle Fantazio: « Les paroles des spectateurs que l’on recueille doivent être vraies.  Même chose quand nous nous présentons: cela doit être en toute sincérité et sans aucun cabotinage. » Mais Fantazio émet des doutes sur la scène Vos dernières vingt minutes!  Hervée l’envoie paître: « Fais ta mise en scène, si tu en as envie ! Pénible, cette ambiance, mais quand elle a peur, elle devient insupportable et à la dernière Nuit Unique, c’est elle qui s’était plantée…
Je vous raconte toutes ces histoires de coulisses, parce que sept heures de représentation, c’est un Airbus qui décolle pour New York. J’essaye de répéter le texte de Valéry Larbaud que je dis au commencement mais il manque un morceau de phrase et je n’arrive pas à me connecter à Internet pour le retrouver… Sans arrêt, je dis: « Et vous, grandes places à travers lesquelles j’ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium, et la mer de Marmara sous une pluie tiède ! » Mais je sais qu’il manque quelques mots dans la phrase et cela m’énerve. Comme il n’y a pas de texte écrit de La Nuit Unique mais juste des conducteurs… Je me dis que cela va revenir comme un automatisme. Et puis, qui connait ce texte ? N’empêche, cela m’irrite. 

19 h 30 : Nous dînons dans un climat tendu.  On règle les déformateurs de voix de Fantazio et d’Hervée quand elle jouera mon père. Je suis debout depuis sept heures et je dois tenir jusqu’à dix heures, le lendemain! David Mossé, le créateur des lumières est revenu! Il a un touché poétique et sentimental, il voulait faire la dernière… Il essaye la machine à fumée.
Je fais signer les contrats, encore une fois, j’ai honte : deux cent euros net!  Alors que nous mettons tous au moins trois jours pour récupérer! On est à moins deux heures et je fais la pâte à blinis. J’ai apporté des bouquins à vendre: je ne juge jamais une représentation aux applaudissements mais à la vente…
 Catherine, au violoncelle, répète. Fantazio se demande si les attaques d’Hervée ne sont pas sa forme d’amour. Ludo et Charlotte se chauffent. Hervée glisse une remarque : « Dans l’extrait de Bernard-Marie Koltès, vous allez trop vite, on n’y comprend rien! ( cela, c’est pour Julie…).  Son compagnon est reparti dormir dans un RNB avec leurs deux enfants: cela lui coûte tout son cachet…
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©x Robert Abirached (1930-2021)

 Je prends un café, un red-bull et trois pilules de guarana! Je cache une bouteille d’eau glacée sous la table. Jean Couturier, un des critiques du Théâtre du Blog, installe son matos de photo. Ce spécialiste O.R.L. a aussi fait une maîtrise sur le Théâtre de l’Unité avec Robert Abirached, alors professeur à Nanterre-Université (1930-2021). Nous lui disons: pas de photos, mais finalement, on s’en fiche. Il va aussi écrire quelque chose pour Le Théâtre du blog. Avant la représentation, Gérard Surugue et Valérie Moureaux, vieux compagnons de route, nous saluent, tout émus d’assister à ce point final du Théâtre de l’Unité.


23 heures: le public entre. Je dis bonjour aux jeunes de Besançon qui ont fait le déplacement et à Thibault, un pilier de notre cabaret le Kapouchnik. Bien sûr, ma sœur et Gaïa, ma petite-fille. Ma fille Dana, ethno-musicologue au C.N.R. S., n’aime pas le théâtre qui, pour elle, n’a pas de sens. Michaël, un passionné, venu de Calais. Très honnêtement, je n’ai aucune envie de jouer et je voudrais être déjà demain matin. Hervée et moi, n’avons jamais pu voir vu le spectacle…
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23 heures quinze, cette Nuit unique commence. Elle fait son discours : « Dormez si vous voulez:  ne vous privez pas. Laissez-vous aller, pour une fois. « Mais nous, nous n’avons pas le droit de dormir. C’est moi qui sonne les heures et annonce les chapitres… De vingt-trois heures, à trois heures du matin, cela va encore… Mais ensuite, nous jouons parfois parmi les ronflements. La scène de Dom Juan où je suis tout nu, m’effraye… Fantazio, rempli de tatouages, improvise une ode à mon petit oiseau. Il y a au loin quatre Elvire nues. Honte maximale… La scène de la gourmandise est assez grandiose, avec la folie de chacun et un jeu à 300%: ça réveille. La fin approche et je chante en russe.


6 heures du matin : les derniers mots… Je suis entouré par tous les comédiens : “J’ai des amis qui m’entourent comme des garde- fous.” Les yeux mouillés, ils chantent Reva Baya Reva baya noor chevna, noor chevna…Et  Hervée annonce : « Vous allez assister au dernier souffle d’une compagnie.  » Nous nous alignons tous  mais la musique ne vient pas!  Hervée, sans aucune gêne dit à Thierry: « Tu dors ? Envoie le final.  » Je ne l’ai pas, lui répond-t-il! La voilà bien, la couille attendue! Soixante ans de carrière finissent sur un couac. Notre devise: Rater mieux, est toujours d’actualité.. Donc, cette nuit, pas de musique triomphale!

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Le public se lève, applaudit, applaudit notre mort et là, Hervée pleure…Réaliste, je dédicace mes bouquins et prends les commandes pour le nouveau,  Les Mille et une plaisanteries du Théâtre de l’Unité. Frédéric Fort, de la compagnie Annibal et ses éléphants, lit une de nos professions de foi.

Le lendemain, après la fête, panne du Jumper. Réparation à distance par Claudine, notre ex-administratrice. Puis, Hervée oublie son portable sur une aire d’autoroute. Quant à moi, je suis allé vérifier le texte de Valéry Larbaud et je retrouve les mots qui manquaient dans la phrase:  » La Castille âpre et sans fleurs… » Il était temps que je m’arrête ! Pas de regret.Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de  l’Unité à Audincourt ( Doubs).

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

  

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Archives pour la catégorie musique

Festival d’Avignon Roda Favela, mise en scène de Laurent Poncelet, par la compagnie Ophélia Théâtre et O Grupo Pé No Châo

Festival off d’Avignon

Roda Favela, mise en scène de Laurent Poncelet, par la compagnie Ophélia Théâtre et O Grupo Pé No Châo

Un théâtre mondial : une évidence pour le metteur en scène et documentariste grenoblois Laurent Poncelet. L’Albanie, le Brésil déjà, plusieurs pays d’Afrique et de Méditerranée… où partout le théâtre et la musique prennent leur sens. Dans les favelas de Recife (Brésil), dont la population est une des plus pauvres au monde, il croise la violence, la joie, la pauvreté mais aussi la jeunesse. Avec O Gruppo Pé No Châo, il a créé et anime des ateliers grâce auxquels des enfants ne seront peut-être pas délinquants ou victimes. Il écoute leurs percussions, les regarde danser,nous fait partager ce regard qui pétille et cette écoute qui éveille… Il travaille à les conduire plus loin dans la reconnaissance de leur art.

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Nous sommes d’abord saisis par les percussions à un rythme à tout casser. D’un mur percé de petits volets qui claquent, surgissent les cris des mères et voisines : cris d’inquiétude -où est mon fils, que lui est-il arrivé ?- ou de fierté -voyez quel danseur !Dans la rue, la Roda (le cercle  entourant deux danseurs rivaux) réunit capoeira, hip hop, danses africaines… Et une jeune fille essaie, seule, d’apprendre le violoncelle : ici, toutes les musiques appartiennent à tous.
Le tempo du spectacle ne faiblit jamais, entre danse, théâtre et séquences filmées, qu’il évoque les bagarres de rue ou un coup de couteau mortel ou encore un deuil, porté par le chant et la danse. On voit passer l’image fugace et dominante de Jair Bolsonaro et les traces inquiétantes qu’il laisse aujourd’hui dans un Brésil aux pieds nus (ce que dit le nom du groupe) et aux yeux brillants.

 O Grupo Pé No Châo : cette troupe de théâtre musical et dansé est avant tout la voix d’une favela à Recife, ville précaire, bricolée avec des matériaux de récupération, qu’on appelait chez nous, bidonville. Mais ici, comme à la Jamaïque, les bidons, on les fait chanter. De cet immense rassemblement humain (un point d’eau pour deux mille personnes!) à la fois joyeux et dangereux, solidaire et impitoyable, menacé (entre autres) par le trafic de drogue, naissent, comme un défi, la musique et la danse…
Roda Favela, créé en 2022 au Brésil, avec une première tournée en France, n’est pas le premier spectacle dans ce pays de Laurent Poncelet. Il y a créé, entre autres, Résistance Resistência, Magie Noire, Le Soleil Juste après…Et c’est une histoire qui continue, en profondeur. Une troupe à suivre, un spectacle à voir pour un moment de joie et d’ouverture, pour une grande respiration…

Christine Friedel

 Jusqu’au 26 juillet, Le 11attention : dans la cour du lycée Mistral, à 21 h 30.

Festival d’Avignon Les Serge (Gainsbourg point barre), adaptation et mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux

Festival d’Avignon

Les Serge (Gainsbourg point barre), adaptation et mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux

Nous avions découvert ce spectacle à sa création en 2019: cela fait maintenant une éternité ! La covid n’avait pas encore sévi, les crises mondiales ne faisaient pas la une des journaux, les gens n’avaient pas encore les yeux fixés sur leur smartphone et Jane Birkin qui ne s’était pas encore envolée, disait de ce spectacle:  » « Si vous n’avez pas la chance d’avoir connu Serge, allez-y, vous en comprendrez le charme. »  Charlotte, leur fille, maintient son souvenir et a ouvert au public sa maison, rue de Verneuil à Paris, (voir Le Théâtre du Blog).

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Les Serge a été repris plusieurs fois au Studio de la Comédie Française, et ailleurs. Il est maintenant à la Scala-Provence pour quelques représentations pendant le festival avec Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Axel Auriant, tous les cinq de la Comédie Française et pour cette occasion, Rebecca Marder (ancienne pensionnaire).
Chansons et interviews alternent avec la même harmonie. Parmi les bouteilles de whisky et les paquets de cigarettes entamés, les acteurs sont aussi à la batterie, à la clarinette, au piano et à la guitare et ce voyage dans l’univers de Serge Gainsbourg est toujours aussi jubilatoire. Mais nous retiendrons plus le poète que le provocateur Gainsbarre, lui, né dans les années quatre-vingt. Les artistes se sont bien adapté à ce plateau plus grand que celui du Studio et font quelquefois chanter le public.
Morceaux mythiques alternent avec extraits d’entretiens. On reconnaît l’esprit des années quatre-vingt  où fusaient les phrases provocatrices. Thierry Ardisson a disparu hier et, avec lui, toute une époque. «Je ne veux pas qu’on m’aime, disait Serge Gainsbourg, mais je le veux quand même. » Ce petit spectacle est un bijou exceptionnel et on entend très bien la poésie de ses chansons: ce n’était pas autrefois toujours le cas… vu l’état physique du chanteur et compositeur. S’il reste encore des places, allez découvrir ou redécouvrir ce chef-d’œuvre d’intelligence et de délicatesse.

Jean Couturier

Jusqu’au 26 juillet, La Scala-Provence, Avignon.

Faust de Charles Gounod, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Denis Podalydès

Faust de Charles Gounod, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Denis Podalydès

Avec les décors d’Éric Ruf, les costumes de Christian Lacroix, les masques de Louis Arène… toutes les fées se sont penchées sur ce Faust qui a reçu, du Syndicat de la critique, le prix Claude Rostand, (meilleure coproduction lyrique régionale et européenne).
Julien Dran (Docteur Faust), Jérôme Boutillier (Méphistophélès), Vannina Santoni (Marguerite) interprètent avec justesse et fougue les rôles principaux. Leurs performances vocales ont ébloui le public de la salle Favart surchauffée malgré la climatisation. Louis Langrée -chemise noire trempée!- est à la tête de l’Orchestre national de Lille avec le merveilleux chœur de l’Opéra de cette ville. Il a a voulu monter dans sa version d’origine, le deuxième opéra le plus joué au monde après Carmen. Et ici, pour la première fois depuis sa création en 1859, avec dialogues parlés et textes chantés. Le travail des musicologues du Palazzetto Bru Zane et du Centre de musique romantique française sont à l’origine de cette renaissance.

© Stéfan  Brion

© Stéfan Brion

Denis Podalydès a réalisé une mise en scène classique et très lisible avec les costumes sobres fin XIX ème siècle de Christian Lacroix. Tonalité sombre et grise, comme si les personnages évoluaient dans l’antichambre de la mort. Il y a seulement au début du quatrième acte, des couleurs chatoyantes, quand démons et damnés se transforment en prostituées, et que le docteur Faust se livre à ses plaisirs dans la nuit de Walpurgis. La scénographie d’Éric Ruf, très mobile, apparait comme un élément  vivant. Il aime montrer les coulisses autour d’un plateau nu comme pour Le Soulier de Satin, avec, ici, un plateau tournant où les techniciens et les deux interprètes accompagnant Méphistophélès mettent en place les éléments de décor. Entre les II ème et III ème actes, sont inversés de hauts châssis représentant l’habitation de Marguerite : un bel effet…
La chorégraphie de Cécile Bon occupe aussi une place importante. La nuit de Walpurgis au dernier acte imposait le corps de ballet de l’Opéra qui, ici, était absent… Mais les danseuses Julie Dariosecq et Elsa Tagawa sont un fil rouge très présent sur ces quatre heures. Denis Podalydès résume bien cet opéra: « Je ne sais plus qui a dit : « Faust, c’est l’histoire d’un infanticide. » Il y a en effet derrière l’histoire fantastique et religieuse, un fait-divers banal et sordide dans une nouvelle qu’aurait pu écrire Gustave Flaubert ou Guy de Maupassant… Un vieil homme, triste mais riche, veut goûter une dernière fois aux plaisirs de l’amour avec une jeune fille pauvre qui sera enceinte de lui. Mais il la quitte… Elle tuera l’enfant et sera condamnée à mort.
On retrouve les grands standards vocaux avec un réel plaisir. Entre autres à l’acte II, quand Faust chante cette cavatine : « Salut ! Demeure chaste et pure. Où se devine la présence d’une âme innocente et divine. »
Au même acte, Marguerite chante l’air immortalisé par la Castafiore, une créature dHergé : «Ah! Je ris de me voir si belle en ce miroir! » Ce spectacle affiche complet mais il serait bien qu’il soit repris et vu par un large public…

Jean Couturier

Opéra-Comique, place Boieldieu, Paris (II ème), du 21 juin au 1er juillet. T. : 0 825 01 01 23.

Grand Palais d’été

Grand Palais d’été

Des chiffres qui donnent le vertige… . Le Grand Palais avait été construit en 1894 en seulement trois ans! La grande nef: un structure de 6.000 tonnes d’acier, plus que la Tour Eiffel- soit un total de 8. 500 avec le Palais d’Antin. 10% en a été remplacé pendant une première phase des travaux et la surface de la structure de 110.000 m 2, a été repeinte avec soixante tonnes de vert léger réséda fournies par l’entreprise Ripolin! comme à l’origine. Surface au sol : 13. 500 m2 . La verrière, de toute beauté, est la plus vaste en Europe: 17.500 m 2! a, elle, été remplacée. D’où une exceptionnelle lumière zénithale…

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Le ministre de la Culture et de la Communication Renaud Donnedieu de Vabres, avait voulu qu’au lieu d’en confier gestion et programmation à des organismes privés, on mette en place un « établissement public», ce qui a été fait depuis. Et le Grand Palais a fusionné avec la Réunion des Musées nationaux. Puis une restauration de grande ampleur a eu lieu de 2021 à 2023 et l’an passé, ont pu s’y dérouler les épreuves d’escrime des Jeux olympiques. Coût : 466 millions d’€, financé en partie par un emprunt et par un mécénat de Chanel. Maintenant la totalité du bâtiment a été remise à neuf. Didier Fusillier, qui a été nommé président du Grand Palais, a annoncé la programmation inaugurée le 6 juin dans la Nef et ses abords. Avec spectacles de danse, expositions, spectacles, DJ sets, performances et parades festives sous la verrière de la nef répartie en trois espaces dont un consacré au spectacle. Au programme de cette première édition, Balloon Museum invité par Didier FusillierEuphoria,une exposition conçue par les équipes du Balloon Museum né en 2021 en Italie et par Valentino Catricala, commissaire. Avec des œuvres de Philippe Parreno, Hyperstudio, Rafael Lozano-Hemmer, Ryan Gander, A.A. Murakami, Karina Smigla-Bobinski, Cyril Lancelin, Camille Walala, Quiet Ensemble, SpY, Nils Völker, Sun Yitian, MOTOREFISICO, Alex Schweder. Cette exposition itinérante a réuni plus de soixante artistes à Berlin, Singapour, San Francisco, Los Angeles, Rome et arrive en France pour la première fois. «Véritable phénomène immersif, l’exposition dévoile une multitude d’environnements aériens Il cultive les ponts entre l’art et le divertissement, en repoussant toujours plus loin les limites de formats et d’interactions. Une exposition qui ne manquera pas d’émerveiller petits et grands ! » (sic)

Bon, mais pas de quoi être  si émerveillé …Il y a, entre autres des œuvres de Philippe Parreno, des « quasi-objets », une notion empruntée à Michel Serres. Dans une grande salle, les poissons de différentes races- baudruches gonflées à l’hélium, assez réalistes et poétiques à la fois, se baladent, mus par le souffle produit par les allées et venues des visiteurs.

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De Nils Völker, artiste allemand, connu par entre autres pour Fuchsia, Orange et Bleu Royal créée pour la M.A.D Galerie en Belgique. Ici, cent-vingt sacs-poubelle noirs se gonflent et se rétractent sans cesse comme un humain qui respire, de part et d’autre d’un long couloir. Un peu anxiogène mais impressionnant. A l’extérieur, une sorte de grand échelle en tissu plastique gonflé aux couleurs vives…d’environ dix huit m. Une « œuvre » gonflée en permanence mais pas vraiment convaincante. Et sous  la verrière, cinq gros ballons argentés qui bougent au-dessus de centaines de baudruches blanches accrochées aux balustrades des galeries.  Il y a aussi plus drôles, de grosses boules suspendues par des fils de couleur et magnifiquement éclairées qui font le bonheur des enfants. Mais beaucoup de plastique dépensé… à l’heure des économies d’énergie! Exposition payante, du lundi au vendredi.

© Joana Linda

© Joana Linda

Côté droit de la nef, à voir gratuitement, il y a une belle installation d’Ernesto Noto :  Nosso Barco Tambor Terra (Notre Barque Tambour Terre), une œuvre monumentale avec une grande voûte faite au crochet, un tapis d’écorce brune au sol et des  épices, du riz… dans de petits sacs suspendus et des instruments de percussion: gongs, tambours… Conçu pour être parcouru sans chaussures, cet environnement est fondé sur une relation fondamentale à la nature et veut «explorer la continuité entre notre propre corps et celui de la Terre, à travers la fabrication manuelle, les matériaux organiques et les techniques ancestrales. » L’œuvre, avec ses grands pans faits au crochet, suspendus par des cordes aux poutres de la grande verrière, s’inspire de l’influence de la voile et de la navigation sur les relations entre les peuples. A voir, et en plus, c’est gratuit.

Aussi gratuite: l’exposition Horizontes peintures brésiliennes, sur les balcons de la nef : une manifestation organisée dans le cadre de la saison Brésil-France 2025 avec des œuvres d’artistes contemporains de ce grand pays. Des pratiques entre mémoire collective et résonances intimes. Agrade Camíz s’inspire de l’architecture des banlieues et favelas de Rio-de-Janeiro et construit des univers colorés évoquant des espaces domestiques avec des thèmes comme la sexualité, l’oppression féminine, le corps et l’enfance. Dans les toiles de Vinicius Gerheim, la nature se mêle aux figures animales et humaines, entre sensualité et spiritualité.

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Antonio Obá, lui, étudie la culture du Brésil et ses contradictions. Sa peinture est fondée sur un acte de résistance : érotisation du corps de l’homme noir et construction de sa propre identité. Banhistas n° 3 – Espreita (Bathers no. 3-Peeking), 2020 est une œuvre étonnante où dans une belle piscine nagent deux hommes noirs ; on ne voit que leurs visages, une petite fille et… un crocodile noir. Les univers non figuratifs de Marina Perez Simão évoquent à la fois des paysages naturels, géologiques mais aussi intérieurs.

A aussi été annoncée Vertige, une expérience alliant acrobatie, musique et architecture de Rachid Ouramdane, chorégraphe et directeur de Chaillot-Théâtre national de la Danse, Chassol et Nathan Paulin, avec la compagnie de Chaillot et la maîtrise de Radio France. Un spectacle dont vous parlera Jean Couturier.

Philippe du Vignal 

Grand Palais 25 avenue du Général Eisenhower, Paris (VIII ème). T. : 01 44 13 17 17. 

Les cloches impériales de Chine

Les Cloches impériales de Chine


Ce spectacle créé en 1983, a déjà présenté dans plus cinquante-sept pays soit 1.000 représentations avec environ un million de spectateurs et est fondé sur la musique de Chu, une civilisation florissante il y a plus de 2.500 ans.
Produit par le Hubei Provincial Performing Arts Groupe, il est interprété les artistes du Hubei Provincial Opera and dance Drama Theatre et est présenté à Paris dans le cadre d’un programme d’échanges culturels internationaux du China Arts and Entertainment Group.
Trouvés en 1978 dans la province du Hubei, et datant de 2.400 ans, ces beaux instruments en bronze sont le plus ancien ensemble d’instruments à gamme chromatique jamais identifié en Chine et probablement dans le monde. Les systèmes musicaux se limitaient souvent à des gammes pentatoniques ou heptatoniques et ce dispositif exceptionnel permettait de produire l’intégralité des demi-tons d’une octave, comme dans la musique occidentale moderne.Les célèbres cloches Bianzhong se distinguent par leur capacité à délivrer deux hauteurs différentes selon le point de percussion montrant une maîtrise acoustique remarquable au VI ème siècle avant J.C. Reproduits avec fidélité, ces instruments de scène permettent d’évoquer les batailles, danses et fêtes d’une civilisation raffinée.

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Ce spectacle d’une heure et demi alterne parties dansées et parties instrumentales avec un panel impressionnant de cloches, gongs, tambours, xylophones jouées par une quinzaine d’interprètes, entre autres au début dans Les Echos de la Chine ancienne et Chemin de quête-musique ancienne pour bianzhong et bianquing. Un groupe remarquable de précision gestuelle et impressionnant de rigueur. Comme par miracle, le temps d’un commentaire en chinois-comme la majorité du public pour cette seule soirée- tous les instruments disparaissent et laissent la place  au chapitre II: Au rythme des danses ancestrales où alternent ballets de danseurs et de danseuses, tous réglés au cm près. Là aussi très impressionnant, notamment un rituel dansé en rond de guerriers sur une musique de  percussions. De temps en temps, il y a en voix off, un commentaire mais en en chinois…
Cueillette du murier-Labourage, danses agricoles interprété par douze jeune femmes est tout aussi précis mais nous a paru plus conventionnel…
Suit le chapitre III: L’Harmonie des huit sons avec des instruments classés selon huit matériaux: métal, pierre, soie, bambou, calebasse, terre cuite, cuir et bois. A cordes comme le « se » qui en comptait autrefois cinquante, à air comme une flûte à bec en bambou, ou une flûte de pan avec vingt-quatre tubes, eux aussi en bambou. Ou le yng-xun, un ocarina en céramique.  Ou encore le Quing, un lithophone composé de pierres plates. Tous d’une beauté stupéfiante.
On ne peut tout citer mais il y a aussi un Chant de justice-Chanson, dansé par des hommes avec un texte plein d’humour: « Les fonctionnaires  cupides, bien qu’ils puissent être corrompus, pourtant peuvent être intègres, les fonctionnaires intègres, bien qu’ils puisent  être honorés, pourtant, sont souvent dédaignés. (…)
« Enfin, le spectacle se termine par Musique de banquet au palais de Chu-Le grand banquet cérémoniel avec de nombreux musiciens et toute la troupe des danseurs et danseuses jouant comme Loïe Fuller avec de grandes écharpes bleues ou roses. Côté des réserves, il y a dans ces Cloches impériales de Chine,  une scénographie parfois kitch, une musique enregistrée amplifiée souvent envahissante et des voix en play-back…comme dans toutes les superproductions  qui doivent être rentabilisées grâce à un nombreux public mais on se lasse pas de regarder l’ensemble de ces instruments d’une grande beauté et l’ensemble du spectacle est une grande leçon de professionnalisme artistique.  Si vous en avez l’occasion, cela vaut le coup d’aller le voir.

Philippe du Vignal 

Spectacle vu le  20 mai au Théâtre Mogador, Paris ( VIII ème).
Tournée en France et en Europe.

Carte blanche à Gaël Faye au musée du Louvre

Carte blanche à Gaël Faye au musée du Louvre

Cela fait de nombreuses années que ce musée collabore avec des artistes. Avec Gaël Faye, il reçoit à la fois l’écrivain mais aussi le chanteur-compositeur et interprète. Une carte blanche avec randonnée nocturne en mars dernier dans le Louvre. «On ressent les choses différemment, quand la ville se calme.» dit-il. Le public est en petit comité et il y a des artistes invités comme Gaël Kamilindi, de la Comédie Française.
La conférence de Maxime Froissant à laquelle nous avons assisté, avait pour thème le processus de création artistique à l’occasion de la sortie de Jacaranda de Gaël Faye (prix Renaudot 2024, Grasset).

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Un concert (malheureusement complet) aura lieu le 20 mai en dialogue avec Le Radeau de la méduse de Théodore Géricault et finira en beauté cette collaboration, en forme de métissage entre tableaux et artistes vivants.
La redécouverte du musée est liée au regard de ces jeunes filles qui tenaient dans un premier temps, à découvrir les seules œuvres représentant des chats ou des chiens. Lui, partage sa vie entre les mots des créations liées à l’enfance et la musique.
Petit Pays (prix Goncourt des lycéens 2016, Grasset) et Jacaranda, sans être vraiment autobiographiques, sont fondés sur ses souvenirs du génocide au Rwanda et le traumatisme de la guerre qu’il a vécue: «Les mots en disent plus que les images. (…) «Tout est écriture ». Et ces romans débutent par un retour à l’enfance mais il n’oppose en rien musique et écriture.
Ecrire lui demande beaucoup de temps et un effort physique qu’il ressent dans son corps. Il nous lit un extrait de Jacaranda et évoque le personnage de Stella. « Elle a grandi auprès de son arbre mystique, son ami et confident, une présence rassurante dans une époque tourmentée, une balise fixe dans les remous du temps qui passe.» Il dit « ressentir son histoire sans savoir au départ comment il va la raconter.»
Stella symbolise la jeunesse rwandaise actuelle qu’il a rencontrée. «Je construis mes romans par tableaux, dit-il, à travers une écriture non linéaire, comme un montage de film. Je finis par parler à mes personnages ; je suis à leur disposition. » Gaël Faye essaye de s’effacer et de leur laisser la place. Et en écrivant, il tente aussi de sauver tout ce qui disparait, comme une soirée banale chez sa grand-mère: une façon de sauver par les mots, tout un univers : « Rendre le passé, présent, est aussi la raison d’être d’un musée ! »

Jean Couturier

Le 20 mai, concert Gaël Faye, musée du Louvre (entrée par la Pyramide) 34 quai François Mitterrand, Paris (Ier).

Festival d’Avignon, Gahugu Gato, d’après Petit pays de Gaël Faye du 17 au 22 juillet, (relâche le 19), cloître des Célestins.

 

Mám, mise en scène et chorégraphie de Michael Keegan-Dolan, musique de Cormac Begley et Stargaze

Mám, mise en scène et chorégraphie de Michael Keegan-Dolan, musique de Cormac Begley et Stargaze

Depuis 1985, le Théâtre de la Ville sous la direction de Gérard Violette (1936-2014) nous a habitué à des découvertes chorégraphiques variées et parfois hors cadre. Comme cette troupe irlandaise. Pleins d’énergie, ses danseurs nous font plonger dans un monde onirique où les légendes ancestrales bousculent la modernité… Un magistral joueur de concertina, l’accordéoniste Cormac Begley va entraîner toute la troupe dans une fête de village. Baptême, mariage, joyeux enterrement? Une fête mi-païenne, mi-religieuse…où la virtuosité de la musique, jouée en direct vient magnifier les danses de groupe. Le même joueur de concertina sera rejoint par le groupe Stargaze (piano, violoncelle, contrebasse, guitares électriques, batterie)

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© G. Meunier


Les danses s’enchaînent avec fluidité et quelques solos montrent l’excellence de ces jeunes interprètes . Et dans un long tableau mais émouvant et sensuel , un artiste vient donner un baiser avec fougue à chacun des danseurs et musiciens.  Une adolescente, de blanc vêtue jusqu’au gants en dentelle, observe toute cette agitation autour d’elle, témoin innocente de ces joutes dansées entre cette meute de femmes et hommes.
Certaines scènes d’opposition entre les deux sexes rappellent celles de Kontakthof, la mythique pièce de Pina Bausch.


A un moment, les danseurs face public, s’assoient sur des chaises d’église à l’avant-scène pour nous prendre à témoin de leurs troubles intérieurs. Durant ces quatre-vingt dix minutes, le rythme de la musique et de la danse, loin des soi-disant traditionnelles danses irlandaises caricaturales inondant les grands plateaux du monde entier, fait naître un bel enthousiasme dans le public,

Depuis huit ans à la tête de la compagnie Teac Damsa-Maison de la danse” en gaélique-Michael Keegan-Dolan a été récompensé en 2017 par l’Irish Times Theatre Award pour Le Lac des cygnes / Loch na hEala et en 2018 par le National Dance Critic Award, au titre de : meilleure nouvelle production.. Le public a salué debout les artistes et nous avons hâte qu’ils reviennent.

Jean Couturier

Spectacle joué du 4 au 7 décembre,Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier).
T. : 01 42 74 22 77.

 

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

Abbaye de Noirlac

© Yannick Pirot

 Du cloître, aux dortoirs, du chauffoir, au réfectoire, la vieille abbaye bruit de toute part et ses pierres re- sonnent avec les musiques et paroles d’aujourd’hui, fruits de rencontres d’artistes avec ces lieux millénaires. Le Lac noir, qui donne son nom à cet ancien couvent cistercien, n’est plus qu’une légende. Reste l’édifice du XII ème siècle, l’un des ensembles monastiques les mieux conservés, au bord du Cher, dans le bocage berrichon vallonné, cher à George Sand, une voisine. Devenu Centre Culturel de Rencontre neuf siècle après sa fondation, au terme d’une histoire riche et souvent tourmentée.

Noirlac a choisi de se développer autour du : « fait sonore ». Pour Elisabeth Sanson qui a pris la direction de l’établissement en 2022, ce lieu dépouillé sans être austère est propice à l’écoute : « Bernard de Clairvaux, fondateur de l’ordre cistercien prônait un rigoureux ascétisme et aucune représentation visuelle. Pour lui, l‘ouïe est supérieure à la vue pour l’écoute de la parole sacrée. » Les moines étaient voués au silence : seuls leurs chants et leurs prières faisaient vibrer les murs de la clôture. Un parcours sonore, orchestré par Luc Martinez, nous invite à les écouter, chargés du passé et pleins d’une énergie artistique contemporaine.

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Miroir du ciel le jardin du cloitre © Abbayedenoirlac

 La visite nous ouvre les oreilles aux bruissements feutrés des frocs et du chuchotis des prières, dans le jardin du cloître, planté de buissons et de fleurs bleus en forme de nuages, œuvre du paysagiste Gilles Clément : Miroir du ciel. C’est la seul vue que les moines avaient de l’extérieur. Au seuil du réfectoire un glouglou rappelle la présence d’une fontaine disparue : le lavabo, dédié aux ablutions.

Recto tono, composé par Bernard Fort et Pierre-Marie Chemla (chant et basson) emplit la vaste salle à manger d’un chant monocorde auquel se mêlent les stridulations de la locustelle, des sermons en latin, Le Cantique des Cantiques en hébreux… Les parois réverbèrent ces lectures psalmodiées qui accompagnaient les repas des moines. On s’y croirait.

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l’abbatiale © Abbaye de Noirlac

Sous les hautes arcades de l’abbatiale, à la lumière filtrée par les vitraux opalescents cernés de noir de Jean-Pierre Raynaud (1975), s’insinuent de brefs solos de chanteurs et instrumentistes de haute volée, invités à jouer avec l’acoustique conçue pour la prière et les chants grégoriens. On entend ainsi diffusées les voix ou musiques d’artistes familier de ces lieux: Samuel Cattiau (haute-contre), Isabelle Courroy ( flûte Kaval), Anna-Maria Hefele (chant diphonique) Michel Godard (serpent), Akihito Obama (shakuhachi), Thomas Savy (clarinette basse ) Sonia Wieder-Atherton (violoncelle) et Luc Martinez (chœur virtuel).

La Nature s’invite au fil des saisons au dortoir des frères convers, sous l’impressionnante charpente en berceau plein cintre, seul endroit où le son reste «droit». La sonothèque réalisée par l’audio-naturaliste Fernand Deroussen, grand arpenteur du bocage de Noirlac en toutes saisons, est recomposée avec un certain humour par Thierry Besche: coucous, pics, merles, corbeaux, grenouilles, vaches, insectes, bruissement de feuilles dans le vent… Les frères convers connaissaient bien ces sons de la nature: ils faisaient tous les travaux des champs, au bénéfice des moines qui, eux, restaient cloîtrés dans la prière et les écritures.

On en apprendra plus sur la vie de ces reclus en s’arrêtant, dans le chauffoir et scriptorum, sur les bancs qui diffusent en quadriphonie leurs paroles intérieures. Dans cette pièce, la seule avec cheminée, on pouvait se réchauffer et s’adonner à des travaux d’écriture. Quelquefois se parler mais la réverbération est telle sous ces basses voûtes qu’on ne peut le faire, qu’en chuchotant. L’autrice Lola Molina a composé Poème dramatique pour quatre voix masculines après une longue immersion à Noirlac. Elle a appris, du jardinier, les noms des arbres, des fleurs et des oiseaux, a compulsé les règlements du couvent et les préceptes de Bernard Clairvaux pour l’édification de l’abbaye… Puis elle a confié la mise en espace sonore de son texte à Lélio Plotton, appartenant comme elle à  la compagnie Lela 

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dortoir des convers ©Abbaye de Noirlac

Les voix contrastées d’Adama Diop, Jean-Quentin Chatelain, Philippe Girard et Laurent Sauvage nous font revivre les impressions de ces hommes de prière, leur goût pour les encres colorées, les règles strictes régissant leur existence et leurs échappées belles en contemplant les oiseaux…. « Il convient que tu chantes d’une voix virile. N’imite pas les chants lascifs des histrions par des sons aigus à la façon des femmes. (…) / Psalmodie, chante. Garde un ton modéré/ Chante avec gravité, crainte et tremblement. / Considère que tu es sous les regards. (…)/ Laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies. Sept fois le jour, adresser une prière.»

Ils guettent aussi l’arrivée du printemps dans leur vie monotone: « Oui. Un nid est là, proche du tronc et je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant. /Je ne pouvais pas le voir avec toutes ces fleurs et ces feuilles qui le cachaient et l’abritaient. Et maintenant, c’est ce nid qui semble tenir chaud à l’arbre. Et je peux le regarder chaque jour de l’hiver. Le printemps va venir. Bientôt. Bientôt. »

D’autres surprises nous attendent, à condition de rester tout ouïe. RésoNance ouvre une parenthèse dans notre vie quotidienne bruyante : les sons font naître images mentales et sensations. On en sort l’oreille aiguisée à écouter le silence, à lire les messages les plus infimes portés par les ondes… Cette installation sonore, appelée à rester quelque temps, donne un avant-goût des projets à venir.

À Noirlac, dans cette acoustique si particulière, de nombreuses résidences d’artistes, donnent naissance à des créations musicales in situ et des éditions sonores, grâce à de remarquables studios d’enregistrement. Mais Elisabeth Sanson qui a dirigé à Bordeaux, Chahut, un festival des arts de la parole, veut aussi faire entendre l’histoire de ces lieux voués à l’écoute, à travers des contes, poésies, récits… 

L’abbaye a accueilli des réfugiés pendant la guerre civile en Espagne et a aussi été témoin des terribles affrontements entre les Résistants et la Milice à l’été 1944, à Saint-Amand-Montrond, un paisible bourg, au centre géographique de la France… Un épisode peu connu, relaté par Tzvetan Todorov dans Une Tragédie française (Le Seuil). Le collecteur et «raconteur d’histoires» Fred Billy nous rafraîchira la mémoire sur ces événements: après une enquête auprès des habitants du bocage, il restituera leurs paroles avec Seconde Guerre mondiale en plein cœur de France, présenté au festival Les Nouvelles Traversées*.

À suivre.

 Mireille Davidovici

 Noirlac, Centre culturel de rencontre, Bruère-Allichamps (Cher). T. : 02 48 62 01 01.

 *Les Nouvelles Traversées, à Noirlac, du 20 juin au 7 juillet.

 Pour aller à Noirlac: en train, gare de Saint-Amand-Montrond, puis à pied ou à vélo par une voie nouvellement ouverte de cinq kilomètres. En voiture : D 2144, à quarante minutes au sud de Bourges et cinquante minutes au nord de Montluçon. Autoroute A71, sortie n° 8 : Saint-Amand-Montrond-Orval, à dix minutes. de l’abbaye, direction : Bourges.

Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier et Ariane Bacquet, mise en scène de Gérard Robert

Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier (en alternance ave Ariane Bacquet), mise en scène de Gérard Robert

 Les voici de retour après le succès d’ABCD’airs, avec Jean-Sébastien Bach dans leurs bagages. Piano, contrebasse, cor anglais, hautbois et voix pour toccatas, fugues et contrepoints qui n’ont pas de secret pour ces virtuoses, ni les nombreuses variations qu’a inspirées l’œuvre du compositeur. En jazz ( Contre, tout contre, Bach, de Jean-Philippe Viret), en classique ( La Bacchanale  extraite de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns) mais aussi dans les variétés et au cinéma. Le quatuor revisite un vaste répertoire et nous découvrons ce que de nombreux airs d’hier et d’aujourd’hui doivent à cette musique intemporelle.

© Alexis Rauber

© Alexis Rauber

Anne Baquet, formée au conservatoire de Saint-Petersbourg ( Russie), à l’aise en chant baroque et contemporain, nous donne une version émouvante de La Petite Fugue, un tube (1969) de Maxime et Catherine Le Forestier. Puis, son interprétation parodique à la Johnny Hallyday de Si javais un marteau de Hays Lee et Peter Seeger) ravit le public. Elle entraîne, de sa voix chaude et flexible, ses coéquipières et toutes les quatre entonnent a capella l’irrésistible D’abord ton Bach de Bernard Joyet qui, sur une musique du maître, joue sur les mots : « Passe ton Bach d’abord/ Fais un effort/ Tu veux faire table rase/ Avec le jazz / T’as pas les bases… » Rires garantis.

 La pianiste Claude Collet soliste, chambriste ou musicienne dans les orchestres de Radio-France, Suisse romande…  donne sa touche avec brio, à B-A-C-H (1964) d’Arvo Pärt, dont chaque lettre correspond à une note selon la gamme anglo-saxonne ( La Si Do Ré ), à Circus Waltz que Nino Rota a écrit pour Huit et demi de Federico Fellini ) et à la Toccatina op. 40/3 de Nikolaï Kapoustine.

Amandine Dehant à la contrebasse, se lance en solo dans le Menuet 2 de la troisième Suite pour violoncelle. Membre de l’orchestre de l’Opéra de Paris depuis 2005, elle n’hésite pas à monter sur le piano avec son instrument pour accompagner ses amies, toutes aussi mutines, gambadant, se contorsionnant… Ariane Bacquet et Anne Regnier (en alternance), se donnent à fond au hautbois et au cor anglais dont elles tirent des notes à souffle continu. La première joue régulièrement dans de grandes formations (orchestre de Bretagne, Opéra de Paris…) et avec les ensembles Liken et Art Sonic, les répertoires improvisés, amplifiés et contemporains. L’autre, soliste à l’Opéra de Paris depuis 1996, interprète le répertoire de musique de chambre avec l’ensemble Sur Mesure, et les œuvres actuelles avec Ars Nova.

 Ces grandes interprètes souvent primées, ne se prennent pas sérieux et, sous la houlette de Gérard Robert, investissent joyeusement la scène, avec le plaisir évident de faire la fête. Elles écornent Jean-Sébastien Bach patriarche, en s’amusant à compter les nombreux enfants qu’il fit à Anna-Magdalena, une grande musicienne qu’il mit en sourdine, et dont on entend Musette. Elles osent la fantaisie quand, à la manière de charmeuses de serpent, elles soufflent en chœur dans des mélodicas, ces claviers portatifs à anches libres et tuyau latéral. À huit mains, elles font sonner l’air le plus connu du compositeur allemand comme sur un orgue.
Un spectacle musical, à la fois savant et populaire, comme on en voudrait beaucoup et qui séduit petits et grands.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 mai , Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris, (VI ème) T. : 01 45 44 57 34.

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