Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris `

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris

5 Breaking the waves

DR S. Brion

Bess aime Jan, un étranger, employé sur une plate-forme pétrolière, mais son comportement amoureux hors-normes ne sied pas aux austères paroissiens. Jusque là, fidèle à son Eglise, elle découvre le plaisir sexuel, anticipant la nuit de noces dans les toilettes du banquet de mariage… Un pacte charnel l’unit à Jan, comme le pacte de bonté instauré avec Dieu, avec qui elle dialogue en faisant les questions et les réponses.
Elle baigne dans la joie physique et mystique… Jusqu’au jour où un hélicoptère rapatrie son homme blessé et désormais infirme. Jan demande à Bess, qui avait ardemment prié Dieu pour son retour, de coucher avec des inconnus afin que, par procuration, lui et leur amour soient sauvés.
Bess, avec toute sa bonté d’âme, se plie à son désir et se sacrifie. En « brisant les vagues » elle agit à contre-courant. Exclue de sa communauté à cause de sa vie jugée scandaleuse, elle finira dans le ruisseau, poignardée. Mais Jan guérira et lui survivra, Lars von Trier a voulu faire de cette bonté, la « force dynamique » de son film. «On confond souvent le bien avec autre chose -quand on ne le méconnaît pas totalement- et parce que c’est une chose tellement rare, des tensions naissent, forcément .»

© S Brion

© S Brion

Royce Vavrek a écrit un livret qui est fidèle au scénario et il essaye d’’expliciter ces tensions. Les paroissiens, la mère de Bess, Dodo sa meilleure amie, le médecin, n’ont pas la même conception qu’elle, de la bonté. Ils ne peuvent la suivre sur le chemin épineux qu’elle emprunte au nom de l’amour suprême.
Ici, un chœur de paroissiens amplifie le conflit entre Bess et les villageois à la doxa puritaine, qui n’entendent rien au dévouement christique de la jeune femme. En contrepoint, un chœur fantomatique incarne le dialogue de l’héroïne avec son Seigneur.  « Cet opéra est une sorte de Passion, dit le metteur en scène, une tragédie aux enjeux opposés où l’entourage de Bess voit bien sa profonde compassion mais ne peut faire autrement que de participer à sa destruction. Au fond, c’est ce thème qui distingue l’opéra, du film. »

Le spectacle n’est pas le brûlot de Lars von Trier et ne cherche pas à imiter l’inimitable. Missy Mazzoli instille dans sa partition, une douceur à la rudesse de cette tragédie. La musique va au plus profond dans la psychologie de l’héroïne. Pour entrer dans la logique de Bess et décentrer le thème -très critiqué à l’époque où le film est sorti- de la salvation masculine à travers un sacrifice féminin, la compositrice donne voix à Bess sous forme de nombreuses arias: une version opératique des gros plans cinématographiques. Solos instrumentaux, moments chantés a cappella ou avec des motifs répétés, traduisent les moments de tendresse ou d’intimité : «J’ai essayé de donner à Bess la faculté de chanter sa propre histoire pour exister, dit Missy Mazzoli. Et, même après le dénouement tragique, la compassion de Bess reste présente dans la musique. »

Sous la baguette de Mathieu Romano, l’orchestre transmet toute la finesse d’une composition qui procède par couches et mêle différents styles, avec parfois des accents de musique populaire. Il y a ici quelque parenté avec Benjamin Britten dans l’ornementation quasi baroque et les lignes vocales et instrumentales. Mais aussi la douceur de Claude Debussy et la grammaire répétitive de John Adams. Les instruments se détachent clairement pour les solos et duos intimes : basson, batterie, guitare électrique mais les amples phrases des cordes soutiennent les scènes tragiques.

Soutra Gilmour a imaginé une scénographie sobre et intelligente avec des colonnades. Sous les lumières de Richard Howell, conjuguées avec les projections vidéo de Will Duke, ces piliers deviennent contreforts d’église, falaise,  plateforme pétrolière… Le décor tourne pour nous emmener au sein de l’église, parmi les ouvriers de la plateforme ou dans les lieux de perdition fréquentés par Bess au troisième acte. Cette mobilité permet une fluidité dans la mise en scène et une liberté de mouvement des artistes.

L’interprétation évite le pathos, mais la scène sanguinolente du meurtre sacrificiel de Bess n’est pas sans rappeler la Crucifixion. Un effet un peu facile contrebalancé par la dernière séquence où Jan fait ses adieux au corps de Bess, qu’il a volé pour le confier à l’océan. La musique reprend les vibrants motifs pour un chant d’amour final.

Sydney Mancasola incarne avec une grande sensualité Bess McNeill. La soprano américaine à la voix chaude a fait ses débuts à l’Opéra de Los Angeles, dans la reprise de Breaking the Waves et interprétera bientôt Eurydice dans Orphée aux Enfers au Komische Oper de Berlin. Ses duos, avec le baryton américain Jarrett Ott (Jan), dans les positions érotiques les plus osées sont d’un grand naturel. Une belle performance partagée avec la mezzo-soprano canadienne, Wallis Giunta, (la confidente, Dodo, qui l’accompagne de ses arias affectueux). Il faut aussi saluer la prestance vocale et physique du chœur avec l’Ensemble Aedes Orchestre de chambre de Paris et les chefs de chant: Nicolas Chesneau et Yoan Héreau. Cette intervention du chœur n’a rien d’ornemental ni d’anecdotique.

Nous sommes entrés lentement mais sûrement dans cette tragédie d’aujourd’hui. La musique coule et l’on en perçoit toutes les subtilités grâce au jeu direct et sans esbroufe des chanteurs, à un livret sobre et à une direction musicale très présente. La teneur théologique de cette œuvre parlera sans doute davantage aux spectateurs anglo-saxons ou américains, plus sensibles au puritanisme. Lars Von Trier, comme Ingmar Bergman ou Carl Theodor Dryer, est travaillé par un mysticisme douloureux, mais dans son film, il montre aussi la pression sociale exercée- encore aujourd’hui- par les ultra-religieux dans les pays protestants.

13 Breaking the waves

DR S. Brion

Il est intéressant de rencontrer une œuvre musicale actuelle qui, une fois n’est pas coutume, est signée d’une femme. A quarante-trois ans, Missy Mazzoli est un compositrice en vue aux Etats-Unis et qui se réjouit de l’essor de l’opéra dans son pays. Et les grandes maisons américaines passent beaucoup de commandes. Elle écrit actuellement pour le Metropolitan Opera de New York une adaptation du roman de George Saunders, Lincoln au bardo, où il y aura cent douze personnages. « Il y a, dit-elle, un grand appétit de musique et de récit, c’est un moment exaltant. »

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mai, Théâtre national de l’Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

 


Archives pour la catégorie musique

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et en sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling dans actualites

© Lysiane Louis

Au sein de La Muse en circuit, le duo Imaginarium : Hélène Breschand, harpiste et improvisatrice, et Wilfried Wendling, compositeur de musique électronique, ont imaginé une série d’explorations oniriques sonores et visuelles. Marc-Antoine Mathieu, travaille, lui, sur la matérialité même du livre : dans son fameux Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Cet album, avec une mise en abyme des images, devient lieu et cause des aventures vécues par le héros et ses compagnons .
Le point de fuite et la perspective disparaissent et arrive une troisième dimension avec des labyrinthes à la M. C. Escher. Dans Les Sous-sols du Révolu, un registre est transmis de main en main, dans Dieu en personne, Dieu est un auteur de best-seller, L’Ascension met en scène un moine bibliothécaire et l’intrigue de Mémoire morte se situe à la  très grande bibliothèque »…

 Le Rêveur rêvé ne déroge pas à ce principe: dans un monde noir, blanc et gris, erre le personnage à chapeau, emblématique de M.A.M. Cette œuvre inédite se présente comme un jeu de quarante cartes aux sous-titres poétiques, avec lesquelles on peut composer son propre itinéraire. Une œuvre ouverte à des combinaisons à l’infini, comme les 100. 000 milliards de poèmes de Raymond Queneau.
Hélène Breschand et Wilfried Wendling, accompagnés
 d’ élèves au Conservatoire du Vle arrondissement, tracent un paysage sonore: « Le nombre de cartes, de combinaisons et leur durée : autant de questionnements essentiels et musicaux prolongeant les réflexions de Marc-Antoine Mathieu sans jamais renoncer à l’exigence poétique. » 

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© Lysiane Louis

 En fond de scène, un mur composé de multiples têtes chapeautées, étranges, ahuries. Ecoulements sonores et gargouillis créent un environnement liquide. Quand les artistes entrent en piste, les têtes s’effacent et l’écran blanc va se découper en cases où seront projetées les images du Rêveur rêvé, dans l’ordre choisi par l’Imaginarium.
Et à partir du traditionnel cyclorama, des lambeaux d’écran sur le plateau reçoivent aussi des projections déformées. Les faisceaux vidéo sortent ainsi d’une exposition frontale dans une mise en abyme chère à Marc-Antoine Mathieu. En passant d’une carte à l’autre, la musique, contrairement à l’oeil, superpose l’ambiance sonore de plusieurs dessins. A côté des images, des personnages surgissent et se démultiplient sur plusieurs mini-écrans, des voix se fondent dans les accords de harpe, soutenus par le continuum électronique de Wilfried Wendling.

En épilogue de ce jeu de cartes onirique qui n’est pas sans rappeler le monde de Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay, la harpe devient le personnage principal. Prises dans un balayage de laser, la musicienne et son instrument tourbillonnent sur scène et se décomposent en ombres chinoises sur les écrans, parmi  d’autres ombres. Cette dernière séquence avec jeux de lumière et d’éblouissants éclairs blancs, nous a moins convaincus, que la partie ombreuse initiale. Mais l’ensemble reste d’une grande maîtrise et l’on sort comme d’un rêve éveillé de ce concert visuel et psychédélique, à la croisée des musiques hybrides, des arts numériques, du collage littéraire et de la performance filmique. Imaginarium travaille avec Marc-Antoine Mathieu à un futur spectacle autour de Franz Kafka.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 24 mai au Poc, Scène artistique d’Alfortville, 82 rue Joseph Franceschi, Alfortville (Val-de-Marne) .


Le 24 novembre, à la Muse en Circuit, Alfortville.

Pépé Chat ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, direction musicale de Pedro Berisa (en néerlandais surtitré)

Pépé Chat ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, direction musicale de Pedro Berisa (en néerlandais surtitré)

vake poes; of hoe god verdween, lisaboa houbrechts

© Kurt van der Elst

Comme l’indique ce titre à tiroir : une sombre histoire de violence familiale, sur plusieurs générations, transcendée par la pureté des chants et le regard lumineux d’une fillette sur les turpitudes du monde. Treize interprètes dont quatre solistes, et quatre enfants réunis pour cette saga entre théâtre et opéra.  Dans le clair obscur du plateau, s’avance, comme une proue de bateau,  un grand cube noir. En scène, une petite fille, de blanc vêtue, et son grand-père vont remonter le temps. Revit sous leurs yeux un petit garçon, poursuivi, avec une ribambelle de gamins, par des curés libidineux. À l’image: les soutanes noires des prêtres tourbillonnent derrière ces enfants qui s’enfuient dans une course-poursuite soutenue par des chants sacrés. Un étrange personnage, sorte de sorcier, danse à l’écart, portant une marionnette de papier, symbolisant l’enfant-martyre et le Christ crucifié…

«Je suis un garçon de dix ans, un enfant de chœur .», dit Pépé Chat enfant. Elève d’une école catholique, il vit la montée du nazisme. Pendant l’occupation allemande de la Belgique, les enseignants sont remplacés par des pro-nazis qui vont mettre un terme aux abus sexuels des curés. Il se marie et a un fils qui sera violé à son tour par un oncle revenu brisé de la guerre: une grenouille de bénitier, comme Mémé Chat, sa sœur. Le père et le fils s’arrachent au prêchi-prêcha de leur famille catholique et vont renier Dieu … Au grand dam de Mémé Chat qui les menace de l’Enfer…

 Lisaboa Houbrechts raconte ce voyage de la petite fille dans le temps, avec force images saisissantes. Filip Peeters a imaginé ce cube noir central qui s’ouvrira avec fracas sur les secrets d’un sanctuaire familial immaculé malgré les violences qu’il renferme. Ici tout est symbole: des journaux déchiquetés jonchent l’espace de jeu comme autant de déchirures intimes (ils rappellent aussi que la mère est femme de ménage dans une imprimerie.) La marionnette de papier sera aussi mise en lambeaux comme le Christ mis à mort par les victimes de la religion. La veste bleue de Papa Chat tranche avec le noir et blanc dominant des costumes d’Oumar Dicko : blanc pour la petite fille et sa grand-mère, noir ou gris pour les autres personnages.

«Nous sommes tous frappés par les traumatismes liés à cette institution qu’est l’Eglise et qui ressortent aujourd’hui», dit la metteuse en scène qui vient d’une famille catholique du Nord de la Belgique et dont les parents sont choqués par l’athéisme des nouvelles générations. Le débat religieux des personnages sur la foi, le pardon, et le sacrifice, nous dépasse un peu, surtout à cause d’un surtitrage abondant. Mais on peut toujours se laisser porter par les images et la musique.

vakepoes; of hoe god verdween, lisaboa houbrechts

© Kurt van der Elst

Dans les moments les plus violents, la musique de La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach, intimement mêlée au récit, produit un effet cathartique. Les solos et les chœurs  sont interprétés par les chanteurs et les comédiens et un accordéon fait le lien entre la musique enregistrée de l’orchestre. Seul instrument sur scène, il accompagne aussi l’action d’une époque à l’autre, avec une partition en contrepoint de la musique enregistrée. Une belle performance de Philippe Thuriot, également ténor. « J’aime beaucoup cette œuvre où, dit Lisaboa Houbrechts, la passion du Christ engendre le deuil mais aussi la joie.  La beauté de cette musique infuse une spiritualité consolatrice à cette histoire sordide et permet de surmonter les traumatismes vécus par la petite fille. Un récit un peu surnaturel mais qui porte un message sur la possibilité de la beauté et de la grâce et en montre aussi l’horreur profonde. »

 Papa Chat ou comment Dieu a disparu a été créé à l’Opéra Ballet des Flandres à Gand. L’artiste belge a rejoint en 2017 La Toneelhuis à Anvers et a, depuis, réalisé des spectacles musicaux sur Brueghel et le génocide des Roms pendant la seconde guerre mondiale. Après cette belle et troublante pièce lyrique, elle mettra bientôt en scène Médée d’Euripide à la Comédie-Française.

 Mireille Davidovici

 Du 16 au 18 mars, MC 93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis).T. : 01 41 60 72 72.

Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, direction musicale de Florent Hubert, mise en scène de Richard Brunel

Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, direction musicale de Florent Hubert, mise en scène de Richard Brunel

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© JeanLouisFernandez

Dans cette adaptation, le destin tragique de l’héroïne est scellé: elle nous apparaît mourante sur un lit d’hôpital avec, à ses côtés, un médecin qui nous la présente comme l’une des femmes de Barbe-Bleue et contrairement aux autres, elle a réussi à s’échapper… Et nous allons découvrir comment elle en est arrivée là.

Dans cette blancheur morbide, Judith Chemla (Mélisande) brille d’un éclat singulier: avant même qu’elle ne chante, elle s’impose par sa voix presqu’enfantine et sa frayeur de biche aux abois quand,  fugitive, dans un tourbillon de feuilles mortes, elle rencontre Golaud, au bord de l’eau où elle a jeté sa couronne maudite. C’est aussi dans l’eau qu’ensuite, troublée par la présence de Pelléas, elle égarera la bague de mariage offerte par Golaud qui l’avait recueillie dans son austère château et épousée.

 L’action se focalise sur le triangle Mélisande-Golaud-Pelléas mais seuls les duos entre Pelléas (Benoît Rameau) et Mélisande seront chantés, Golaud étant, lui, incarné par un acteur Jean-Yves Ruf. Antoine Besson joue le Médecin, le Serviteur et d’autres rôles secondaires, autant de témoins du drame. Face à sa stature massive de Jean-Yves Ruf – un géant, dit le livret- Judith Chemla incarne une Mélisande délicate et fragile mais résolue à affronter son destin, dans un amour libératoire et fatal. Elle nous charme par son jeu subtil et intense qui trouve son point d’orgue dans les parties chantées, particulièrement réussies: le duo du balcon d’où s’évadent les cheveux de l’héroïne et l’ultime et déchirante scène d’amour interrompue par le surgissement fantomatique d’un Golaud devenu un ogre sanguinaire et aveuglé par la jalousie. «Elle chante quand elle voit Pelléas, dit Richard Brunel. Elle chante sa peine ou sa frayeur. »

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®JeanLouisFernandez

Nous retrouvons alors la magie de ce conte cruel, grâce aussi à l’orchestration et aux arrangements à la fois fidèles et transgressifs de Florent Hubert, saxophoniste et clarinettiste de jazz. Nous l’avions apprécié Orfeo-Je suis mort en Arcadie (2017), mise en scène de Jeanne Candel et Samuel Achache (voir Le Théâtre du blog). « L’accordéon, dit le directeur musical, est, comme un petit orgue, garant du mélodique et de l’harmonique. Les percussions accentuent les rythmes et se justifient par l’intérêt qu’avait Claude Debussy pour le gamelan indonésien. La harpe, instrument qui lui était cher, souligne la féérie. Le violoncelle apporte le lyrisme qu’on pourrait perdre en ne choisissant pas de vent. »  Cette formation réduite avec Yi-Ping Yang (percussions), Marion Sicouly (harpe), Sven Riondet (accordéon), Nicolas Seigle (violoncelle) et Benoit Rameau, (saxophone) respecte la sobriété voulue par Claude Debussy, même si la musique reste parfois trop en retrait.

Le décor d’Anouk Dell’Aiera  traduit l’austérité des lieux et l’âpreté du récit : un grand lit surmonté de tubulures, un escalier métallique et une longue table banale occupent l’espace de jeu. Autant d’obstacles à franchir pour Mélisande, toujours en équilibre au bord du gouffre… Mais rien de féérique dans cette scénographie encombrante, ni dans les costumes peu stylés et les bassines en plastique blanc symbolisant l’eau, élément omniprésent chez Maeterlink: rivière, mer, fontaine…

Hybride et dépouillé, à l’inverse de son modèle romantique, le spectacle qui hésite entre théâtre et opéra, ne nous a pas entièrement convaincus. Reste le charme de Judith Chemla qui irradie la pièce de sa présence énigmatique. Musicienne, chanteuse et actrice, après un bref passage à la Comédie-Française (2007-2009) elle avait triomphé dans Célimène du Misanthrope, mis en scène par Lukas Hemleb. elle a repris sa liberté: «La sécurité me flatte mais m’engourdit, dit-elle. J’ai besoin de vide, de vertige, d’inconnu, pas de confort. Rien n’y surgit.» Comme Mélisande choisissant l’amour, plutôt que le confort conjugal, un rôle qu’elle avait déjà tenu dans Pelléas et Mélisande, réalisé par Benjamin Lazar. On la retrouvera sous sa direction pour une reprise de Traviata, vous méritez un avenir meilleur, au Théâtre des Bouffes du Nord, à l’automne prochain.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 19 mars, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème) T. : 01 46 07 34 50.

Sqürl, films de Man Ray, musique de Jim Jarmush et Carter Logan

Sqürl, films de Man Ray, musique de Jim Jarmush et Carter Logan

«Nous ne faisons qu’accompagner les films de Man Ray», dit Jim Jarmush, en introduction de ce ciné-concert. Le duo de rock alternatif new-yorkais Sqürl s’est reformé et, pendant une heure trente, Jim Jarmush à la guitare et Carter Logan à la batterie, illustrent, de leur musique vibratoire aux effets électro-acoustiques, les quatre premiers films de l’artiste surréaliste. Un coup de jeune pour ce cinéma d’avant-garde… s’il en était besoin.

En 1922, Man Ray découvre le photogramme qu’il obtient à partir de rayons X.  Il le nomme : rayogramme, en référence à son nom d’artiste (en français : l’homme rayon) : «C’est une photographie obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse. Ces images sont les oxydations de résidus, fixés par la lumière et la chimie, des organismes vivants.» Lui qui rêvait d’impulser du mouvement à ses photos, trouve dans ces impressions directes d’objets sur la pellicule, un équivalent de l’écriture automatique des surréalistes. Son premier film Le Retour à la maison (1923), réalisé par impression directe sur la pellicule d’épingles punaises, ressorts, éclats de verre… Des images que l’on retrouve insérées dans  Emak Bakia (1926), plus scénarisé. La musique de Sqürl offre une dimension formelle supplémentaire, dans la succession de droites et courbes, noirs et blancs. «Dans ces films, il y a des moments narratifs, d’autres avec seulement des images. Ceci nous invite à inventer une musique à partir de la texture des images. Et à y répondre en terme de texture, dit Carter Logan». «Ce qui m’excite avec Man Ray, ajoute Jim Jarmush  c’est qu’il traite la caméra comme un jouet, la braque derrière du verre dépoli ou la déplace vers une fenêtre. Il est toujours en mouvement. (…) Il aime les spirales et capte les volumes des objets qui tournent .»

© Sarah Driver

© Sarah Driver

Le concert débute par la rêverie amoureuse de L’Etoile de Mer (1928) : dix-sept minutes pour «voir » les poèmes de Robert Desnos qui joue le deuxième homme autour de Cybèle (Kiki de Montparnasse, la compagne de Man Ray), si belle… et volage. Flous, surimpressions, solarisations créent un sentiment d’irréel au gré des pérégrinations d’un trio amoureux où apparaît de façon récurrente, une étoile de mer conservée dans du formol. Robert Desnos l’aurait trouvée chez un brocanteur, rue des Rosiers à Paris et gardée, en souvenir de sa liaison avec une star de music-hall. Elle lui aurait inspiré Qu’elle est belleLa Placede l’étoile  et Le Secret de l’étoile, poèmes disséminés sur des cartons, au long du film.

Moins aléatoire, le scénario des Mystères du château du Dés (1929) est, à l’origine, un documentaire commandé par Charles de Noailles et qui a pour cadre, sa villa d’Hyères (Var). Man Ray met en parallèle l’architecture cubique de Robert Mallet-Stevens et le poème de Stéphane Mallarmé, Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard, fil conducteur du film. Mais les deux mystérieux personnages, masqués de bas de soie, en partance pour le Midi, iront de surprise en surprise, au hasard de lancers de dés: joyeuses échappées de baigneuses dans la piscine, étranges gymnastes, figures fantomatiques… Jusqu’à cette fin à résonance mythologique où le couple se fige en statue, à l’instar des sculptures peuplant la villa. Les musiciens suivent les mouvements de la caméra, tantôt subjective, tantôt objective, dans des pérégrinations aléatoires illustrant le credo de Fernand Léger : «L’erreur de la peinture, c’est le sujet, l’erreur du cinéma, c’est le scénario.»

Jim Jarmusch et Carter Logan s’appuient sur des boucles de synthétiseurs, nappes et réverbérations de la guitare. La batterie se contente parfois de simples bruitages et le plus souvent suit la dynamique du montage. La partition n’est ni illustrative ni anecdotique mais enveloppe les images d’un paysage crépusculaire. Pour Jim Jarmush, cinéma et musique ont toujours été indissociables, Dès Stranger than Paradise (1984), il fait la part belle à John Lurie, star de l’underground new yorkais. Il a beaucoup travaillé avec Tom Waits et a aussi composé avec Carter Logan, les musiques d’Only Lovers Left Alive (2014) et de son dernier film, The Dead Don’t Die (2019). Ceux qui ont aimé ses œuvres, découvrent ici une autre facette de son talent et certains seront frappés par la modernité de Man Ray, mis au goût du jour par Jim Jarmush et Carter Logan.  Dommage que ce ciné-concert n’ai été programmé que deux soirs en France !

Mireille Davidovici

Ciné-concert vu le 13 février, Centre Pompidou, Place Georges Pompidou (Paris lV ème). T. : 01 44 7812 33.

Sibyl, conception et mise en scène de William Kentridge, musique de Nhlanhla Mahlangu et Kyle Shepherd

Sibyl, conception et mise en scène de William Kentridge, musique de Nhlanhla Mahlangu et Kyle Shepherd

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Waiting for the Sibyl © Stella Olivier

 Cet artiste sud-africain de soixante-sept ans né à Johannesburg, a toujours dénoncé le régime de l’apartheid dans ses peintures, sculptures, tapisseries, films d‘animation, pièces de théâtre. Un univers plastique en mouvement convoqué ici pour une soirée intense en deux volets, où visuel et musical se répondent:  un ciné-concert The Moment Has Gone et un opéra de chambre Waiting for the Sibyl. Ponctué de citations colorées et cinétiques venues de Work in Progress (1968), un opéra d’Alexander Calder. Dans Sibyl, à côté de l’optimisme du sculpteur américain, on retrouve le graphisme en noir et blanc de William Kentridge . Ce créateur presque inconnu en France est pourtant programmé dans les grands musées, opéras, et théâtres européens. Mais on a avait pu voir de lui Wozzeck d’Alban Berg à l’Opéra de Paris,  l’an passé.

Des pages arrachées à un livre de comptes, de vieilles enveloppes et lettres tapissent le rideau de scène fermé, images que l’on retrouve en fond dans les séquences de The Moment Has Gone avec de vertigineuses superpositions de plans. Sur scène, pour accompagner ce film muet, le compositeur Kyle Shepherd au piano et un chœur d’hommes sud-africains dirigé par Nhlanhla Mahlangu. Des voix prenantes de toute tessiture sur les variations en si bémol de plusieurs styles musicaux. Pour les paroles, les chanteurs, ont choisi des phrases et les ont traduites en hausa, zulu, tsawna ou venda… Une polyphonie mouvante, sur les ambiances de The Moment Has Gone où l’on voit William Kentridge à l’oeuvre, se filmant en train de filmer ce qu’il trace au fusain, estompe, efface…  « J’ai commencé à filmer mes dessins pour enregistrer leurs histoires, dit-il, le film retient chaque moment, me permet de suivre son avancée, ses transformations. » 

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The Moment Has Gone © Stella Olivier_

Il part d’un dessin unique qu’il modifie, contrairement à la technique traditionnelle d’animation image par image. «Si bien qu’il y a peut-être une vingtaine de dessins dans mes films: c’est plus du dessin que du cinéma, même si mon dessin est gris, décomposé, et raturé.»(…) «Filmer révèle l’histoire de ces changements et chaque gommage laisse comme une bavure d’escargot de ce qui a été. » On voit naître et disparaître paysages, personnages, tableaux dans un musée… Mis en abyme, ces mêmes paysages, personnages, tableaux s’animent et, un homme, pique à la main, taille la roche au fond d’une mine. Et, quand tout sera effacé, ne restera plus qu’une fosse dans un désert bouleversé, peuplé d’arbres secs où volètent des corbeaux…. Les feuilles mortes deviennent pages volantes où l’on peut lire des formules sibyllines récurrentes que l’on reverra dans Waiting for the Sibyl, réalisé en même temps que The Moment Has Gone.  Sur ces visions cafardeuses apparaissent des découpes de carton rouge, et de petits mobiles se mettent à tourner, comme les cercles et les objets, sur le plateau, dans la deuxième partie, hommage à Alexandre Calder. 

Waiting for the Sibyl, pièce pour neuf chanteurs et danseurs, comporte six courtes scènes et cinq intermèdes avec projection de dessins animés sur le rideau de scène: et toujours cet impressionnant graphisme, en noir et blanc, naissant et évanescent, Chaque scène de l’opéra est un tableau vivant où se répètent, en musique, les gestuelles mécaniques des interprètes. Figures tournantes ou immobiles sur des objets giratoires, ils scandent de leurs chants, la danse fluide de Thandazile Sonia Radebe. Dans les décors style industriel de Sabine Theunissen, objets et artistes projettent leurs ombres sur une toile de fond peinte où s’insèrent les courtes sentences de la Sibylle, fil rouge du spectacle.

Pour  William Kentridge : «On allait voir la Sibylle avec une question écrite que l’on déposait à l’entrée de sa grotte. Elle répondait par écrit, mais le vent faisait tourbillonner les feuilles, si bien que vous ne saviez jamais si la feuille que vous aviez récoltée, était la vôtre ou celle d’un autre… Dante à la fin de Paradis imagine que toutes ces feuilles sont rassemblées dans un livre unique. » Les mots et phrases apparaissent, s’amoncellent et s’effacent : proverbes africains, fragments de poèmes, injonctions, prédictions… « L’hiver viendra à onze heures du matin », « Je suis un arbre sous l’ombre d’un arbre », « Le cul parle une langue étrangère », « La machine ne danse par le charleston » «À quelle fin ?»…

Ces sentences éparses constituent le livret de cet opéra cinétique, comme un immense collage, où l’humanité, comme l’arbre, pleure ses feuilles (et ses feuillets  de papier noircis) …dans un monde qui vacille.

« J’ai suivi, dit William Kentridge, toute ma scolarité dans une société anormale où il se passait des choses monstrueuses. » Son œuvre est imprégnée de cette expérience mais, comme le mineur de la première partie, il continue, obstiné, à creuser son filon: dénoncer l’injustice encore et toujours. L’art, ici, est un efficace moteur poétique et politique. Fascinés par les images, corps et voix, plus que par la partition musicale, les spectateurs ont réservé aux artistes un chaleureux accueil. Vivement d’autres œuvres de cet étonnant créateur…

Mireille Davidovici

Spectacle joué, dans le cadre des saisons du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de la Ville hors-les- murs.du 11 au 15 février, au Théâtre du Châtelet, Paris (I er). T. : 01 40 28 28 28.  

 

Dafné , composition de Wofgang Mitterer, direction musicale de Geoffroy Jourdain, mise en scène d’Aurélien Bory

Dafné , composition de Wofgang Mitterer, direction musicale de Geoffroy Jourdain, mise en scène d’Aurélien Bory

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© Aglaé Bory

 Les Métamorphoses d’Ovide ont fait la renommée de la nymphe Daphné, changée en laurier pour échapper à Apollon qu’une flèche de Cupidon a rendu fou d’amour. Ce mythe a inspiré bien des artistes dont, en 1627, Heinrich Schütz, initiateur en Allemagne du théâtre musical. De son Dafné, reste le livret du poète élégiaque Martin Opitz (1597-1639) mais la partition de cette pastorale a brûlé dans l’incendie de la bibliothèque de Dresde.

 Geoffroy Jourdain, directeur des Cris de Paris, passionné par les polyphonies de la Renaissance, en ressuscite la musique à partir de ce livret, avec une partition de Wolfgang Mitterer. Un compositeur aux registres variés, du contrepoint baroque, au jazz fusion et la l’électro-acoustique. Cette Dafné, né d’une étroite collaboration entre le compositeur et le metteur en scène, est un madrigal choral contemporain, où avec de nombreuses citations musicales, plane le fantôme d’Heinrich Schütz.

Les chanteurs sont à la fois narrateurs et protagonistes de cette histoire ;de leurs voix plurielles, se détachent parfois des solos ou duos. La musique et le chant sont distribués dans un dispositif acoustique multicanaux qui brouille la frontière entre sons directs et enregistrés…

 Au prologue, Ovide, revenu des Enfers, se vante: « C’est grâce à moi, que l’on aime comme il sied, et c’est à moi aussi, que l’on doit de ne pas aimer. ». Comme le montrera l’histoire de Daphné. Sur un très grand plateau tournant noir, figurant une cible géante, douze chanteurs-instrumentistes en costume sombre forment un chœur. Tantôt mixte, tantôt en deux clans : hommes et femmes. La mise en scène suit la dynamique d’une partition aux harmonies baroques, écrite pour voix, instruments à vent et percussions, traversée par des dissonances et prolongée par des échos électroniques.

 La symbolique de l’arc et de la flèche court tout au long du spectacle. Des flèches qui s’abattent comme une grêle divine depuis les cintres, quand Apollon et ses multiples viennent délivrer les bergers d’un monstrueux dragon,  au carquois de Cupidon, fils de Vénus. Ici incarné par un petit garçon. «Que fais-tu, enfant délicat, avec ces armes puissantes ? », se moque Apollon, malgré les mises en garde de Vénus. Cupidon frappera le prétentieux de son dard et le rendra follement amoureux de Daphné : « Vous verrez les larmes et les soupirs provoqués par le mal d’amour. » Aucune médecine ne pourra le guérir et la nymphe le fuit, représentée ici par une troupe de jeunes femmes chassant un cerf…`

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 Dans sa scénographie dépouillée, Aurélien Bory, joue de la géométrie circulaire du plateau et des couleurs. Le courbes et le cercles qui prévalent dans la décor de Pierre Dequivre, contrastent avec la verticalité des flèches. Du noir ambiant, se détachent le rouge de l’amour: la robe de Vénus et le costume de son fils, et les rayons blancs autour des têtes d’Apollon multiple.

Les chanteurs se rassemblent en lignes ou par petits groupes, toujours en mouvement sur des anneaux concentriques tournant indépendamment les uns des autres dans le même sens, ou non… Courses rapides et arrêts brusques alternent dans un ballet incessant où voix et corps s’enchevêtrent, sans effets anecdotiques pour accompagner la chasse au dragon d’Apollon, sa course derrière Daphné ou la métamorphose finale en végétal de la nymphe.

Figée à jamais dans sa carapace d’écorce, ultime refuge contre l’irrépressible désir masculin, cette vierge rebelle symboliserait le combat des femmes d’aujourd’hui. Cette création, inventive et épurée, portée par l’ensemble musical de Geoffroy Jourdain et la compagnie d’Aurélien Bory, a été chaudement applaudie et mériterait d’être reprise au-delà des quelques dates programmées.

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 29 septembre au 7 octobre, Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris (IX ème) T. 01 53 05 19 19.

Les 20 et 21 janvier, Opéra de Reims (Marne) et le 27 janvier ,Atelier lyrique de Tourcoing (Nord).

Le 1er février, Opéra de Dijon (Côte-d’Or) ; les 15 et 17 février, Théâtre Garonne, Toulouse (Haute-Garonne).

 

 

 

 

Les enjeux locaux dans une culture globalisée à l’Abbaye d’Ambronay

Les enjeux locaux dans une culture globalisée au Centre culturel de Rencontre de l’Abbaye d’Ambronay

Une réunion de ces Centres culturels de rencontre s’est récemment tenue à Ambronay autour du thème: « Jeunes créateur.trice.s et insertion professionnelle: entre mobilité européenne et circuits courts ». Les C.C.R. ont été imaginés par Jacques Rigaud, Jean Salusse et Jacques Duhamel en 1972, sur le modèle des Maisons de la Culture créés par André Malraux quand il était ministre des Affaires Culturelles. Le but: donner une vie culturelle, artistique à des monuments historiques qui n’ont plus leur fonction première. Ces centres  -six à l’origine-  sont à vocation patrimoniale et culturelle et forment aujourd’hui un réseau hexagonal, européen et mondial de trente-huit membres, animé par l’Association des Centres Culturels de Rencontre .Les derniers nés : à Ouidah (Bénin) et à Pioggiola, (Haute-Corse) avec le projet de l’A.R.I.A. :Théâtre et Nature.

© ccr Ambronay

©ccr ambronay

L’abbaye bénédictine d’Ambronay (Ain), fondée au Xl ème siècle, a été désacralisée à la Révolution, puis classée monument historique. Enfin, connue pour avec son festival de musique baroque. en 2003, elle a été labellisée: C.C.R.  Isabelle Battioni, nommée il y a peu directrice, nous invite à partager les préoccupations qui traversent actuellement le monde artistique à l’heure des méfaits climatiques et économiques dus à la globalisation.  Elle souhaite créer des passerelles avec d’autres disciplines artistiques et des lieux culturels voisins : «Le C.C.R. d’Ambronay sera un lieu d’hospitalité pour les ensembles de musiciens, les enseignants de la région Auvergne Rhône-Alpes et des espaces limitrophes, et pour les ensembles amateurs, en particulier ceux du département. Je compte développer les partenariats en Région et sur les bassins de vie.»

Pour souligner cette volonté d’explorer le patrimoine local, lors de la première journée, une partie des invités s’est rendue au Musée des Soieries Bonnet de Jujurieux. Un parcours en vélo, parmi les champs de blé et d’orge. Dans cette vallée du Bugey, que se disputèrent longtemps le Dauphiné et la Savoie avant qu’elle ne soit rattachée à la France au XVIl ème siècle, cette fabrique a été fondée en 1810 par un soyeux lyonnais. Et elle fut la première usine-pensionnat de textile installée à la campagne.

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©_Bertrand_PICHENE-CCR_Ambronay

Une exposition présente le travail des treize mille jeunes filles qui ont séjourné dans ce couvent industriel jusqu’en 1940, sous la gouverne des sœurs de Saint-Joseph. L’usine malgré la crise du textile a, de père en petits-fils, maintenu ses activités en les diversifiant, jusqu’en 2011. Devenue un monument historique, elle accueille des artistes, des metteurs en scène de théâtre et des musiciens. Souvent en complicité avec l’Abbaye d’Ambronay qui enregistre les disques de son label dans la chapelle qui possède une acoustique exceptionnelle. Un bel exemple de coopération…

La visite guidée des locaux par le directrice Nathalie Foron-Dauphin a été suivie d’un concert par deux jeunes flûtistes. Issues du Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon, elles ont entrepris une tournée en vélo, soucieuses, comme de nombreux artistes, de diffuser leurs créations sans asphyxier la Planète. Répondant à la préoccupation des nouvelles générations et parmi les soieries et brocarts, les métiers à tisser dont certains fonctionnent encore, le philosophe néerlandais Errol Boon nous livra ses réflexions sur l’opposition, pour lui contestable, entre global et local.

Pour sortir de cette dialectique binaire, il avance la notion de trans-local, prenant pour exemple… les soieries Bonnet dont la qualité leur assura un rayonnement international. Mais selon lui, l’internationalisation comme promesse de coopération entre « citoyens du monde » n’a pas répondu aux espoirs d’un village global où tous vivraient heureux. Au contraire, la globalisation a repoussé à la périphérie la majorité des humains et tend à une reproduction généralisée des structures de pouvoir. La fin des frontières est un leurre, car aujourd’hui protectionnisme  nationalismes se trouvent renforcés. 

Errol Boon :  » Dans le monde culturel, il y a en réaction deux tendances: les artistes qui veulent tirer profit de la globalisation et d’autres qui veulent revenir au local, comme ceux que nous avons rencontrés. Ils cherchent plutôt une synthèse entre leurs ambitions internationales et leurs activités locales. Avec cette notion de trans-local, nous nous référons à des activités artistiques qui s’orientent vers l’ailleurs tout en s’ancrant dans le territoire (…) Le trans-local transcende les limites du local sans entrer dans le monde global. On repense ce local dans son rayonnement, en créant des œuvres accessibles aussi bien ici qu’ailleurs. La question reste ouverte : comment dépasser les limites de son territoire sans perdre son ancrage? Comment utiliser la richesse de l’histoire locale comme source d’inspiration ? Comment mettre en place des échanges internationaux, sans reproduire les rapports de domination et en protégeant le climat et la Planète ? »`

 Le lieu patrimonial est, dit-on, le lieu culturel le plus partagé sur un territoire et permet de rééquilibrer localement l’action culturelle. On le pense passéiste et pétrifié mais les C.C.R. sont, pour la plupart, des laboratoires qui se donnent pour mission de relier l’histoire séculaire, au présent.

 Mireille Davidovici

 Le 20 mai, abbaye Notre-Dame d’Ambronay, Place de l’abbaye, Ambronay (Ain). T. 04 74 38 74 00.

 Du 10 septembre au 3 octobre, Festival du musique baroque d’Ambronay

Prochaines Rencontres de l’A.C.C.R. sur le thème:  les droits culturels, les communautés patrimoniales et l’hospitalité
Château de Goutelas (Loire) , du 12 au 14 décembre

Salvador et Monsieur Henri, d’après les chansons d’Henri Salvador, conception d’Anne Cadilhac, mise en scène d’Yann de Monterno

Salvador et Monsieur Henri, d’après les chansons d’Henri Salvador, conception d’Anne Cadilhac, mise en scène d’Yann de Monterno

 La célébrité des chanteurs fantaisistes s’appuie souvent sur des airs rigolos qui dissimulent un univers poétique ignoré. Et un chanteur comique inspire en général un jugement négatif… Il faut alors gratter pour retrouver un talent comme celui d’Henri Salvador (1917-2008). Ici, nous reconnaissons immédiatement ses succès comme Zorro est arrivé, Faut rigoler, Minnie Petite Souris, Le Lion est mort ce soir, Le Blouse du dentiste, etc. Mais ils laissent au second plan des chansons qui ont aussi fait le tour des ondes : Une Chanson douce, Syracuse, Maladie d’amour… Monsieur Henri est l’auteur de deux-cent soixante dix-neuf textes !

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Pour révéler ce patrimoine, Anne Cadilhac a choisi d’offrir un hommage où nous retrouvons des paroliers mythiques comme Boris Vian Bernard Dimey ou de compositeurs-arrangeurs célébrissimes: Michel Legrand, Quincy Jones, Sidney Bechet mais aussi Gabriel Yared et Laurent Voulzy…. Cette remarquable pianiste, mais aussi chanteuse et comédienne, amoureuse de la chanson française et du jazz a déjà réalisé un hommage aux Frères Jacques, à Nino Ferrer, au répertoire des Années Folles et aux chants révolutionnaires d’Amérique du Sud.

 Dérision et humour pour ce récital en forme de cabaret avec une joyeuse anthologie salvadorienne. Anne Cadilhac à son petit piano à queue, mêle sa voix de contralto à celle de la soprano Caroline Montier, tout aussi inventive (en alternance avec Juliette Pradelle). Du rock endiablé, aux mélodies nostalgiques ou à des pastiches, chaque chanson -un sketch illustré par quelques accessoires- chatouille notre mémoire. Yann de Monterno alterne traitement cocasse et pure émotion. Nous sommes sortis à la fois émus et ravis de ce Salavador et Monsieur Henri. A voir, si vous allez au festival d’Avignon.

 Jean-Louis Verdier

 Spectacle vu le 9 juin à l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème).T. : 01 73 54 79 79.

 Du 7 au 30 juillet, Théâtre des Trois Soleils, 4 rue Buffon, Avignon (Vaucluse). T. 04 90 88 27 33.

 

 

Coronis de Sebastián Durón, direction musicale de Vincent Dumestre, mise en scène d’Omar Porras

Coronis de Sebastián Durón, direction musicale de Vincent Dumestre, mise en scène d’Omar Porras

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© Stefan Brion

 La zarzuela est un genre théâtral lyrique espagnol né au XVll ème  siècle qui associe partition orchestrale, chants et dialogues parlés. Proche de l’opéra comique et du singspiel allemand. Ecrit en deux journées (ou actes), le livret ténu de Coronis est tiré des Métamorphoses d’Ovide Un argument simple mais avec retournements de situations. La nymphe Coronis, une prêtresse de Diane, chasse dans les bois, quand elle est capturée par le monstre marin Triton. Cet amoureux brutal et maladroit sera expulsé par les villageois. Mais une guerre éclate entre Apollon et Neptune pour gagner le cœur de l’héroïne, au grand dam du peuple, représenté par le mage Protée, il ne sait plus à quel dieu se vouer : « Est-ce à Neptune ou à Apollon, qu’on doit adresser nos prières?» Qui choisir comme souverain quand le dieu Soleil embrase le pays et quand celui des mers l’inonde ? Après des péripéties amoureuses et guerrières, Apollon tuera Triton et sauvera Coronis. Et Jupiter les sacrera roi et reine…

Créée à Madrid en 1705 devant le roi Philippe V, cette pastorale mythologique baroque reflète la situation politique du moment  : la flotte anglaise menaçait Barcelone, en pleine guerre de succession d’Espagne (1701-1713). Coronis ne représente-t-elle pas cette couronne espagnole âprement disputée par les puissances européennes ? Message clair : Sebastián Durón prédit la victoire des Bourbons : le soleil d’Apollon est l’emblème de Louis XIV, roi de France et grand-père de Philippe V…

 Sebastián Durón commence sa carrière à trente-cinq ans à la Cour de Madrid en 1695 et la termine en exil, en France où il meurt en 1716. Nous redécouvrons ce compositeur tombé dans l’oubli depuis trois siècles avec ce spectacle co-produit en 2019 par le théâtre de Caen et l’Opéra-Comique. Vincent Dumestre, grand défricheur du répertoire baroque à la tête de l’ensemble Le Poème Harmonique dirige Coronis une pièce dont le mélange original d’instruments paraît aujourd’hui curieux.L’orchestre est dominé par les cordes : une harpe (la basse continue dans la musique espagnole), un orgue et un clavecin. Mais les vents : flûtes, basson et hautbois, pour les passages belliqueux, sont en nombre limité. Quant aux arias,dit Vincent Dumestre, « La partition témoigne d’une variété d’influences, avec lamenti poignants à la mode italienne et tonadas, chansons populaires espagnoles. » Guitare, tambourin et castagnettes apportent à certains morceaux un peu d’exotisme et le rythme emporte le public …

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© Stefan Brion

 Etonnante aussi la distribution où les rôles principaux sont confiés à sept femmes, pour la plupart mezzo sopranos, à l’exception du rôle titre : Marie Perbost à la voix et au corps agiles (révélation des Victoires de la musique 2020)  et Iris l’envoyée de Zeus (Eugénie Lefebvre), toutes deux sopranos. Un seul ténor joue Protée (le puissant Cyril Auvity). Dans les théâtres espagnols, seules, les femmes chantaient et, à l’exception des rôles de barbons, jouaient les dieux virils ou les bergères accortes. Les hommes étaient, eux, attachés exclusivement au culte catholique. Le chœur, ici très réduit, comprend deux sopranos, une alto et un ténor. Parmi les autres personnages, se détache le couple populaire Ménandre le bègue (Anthea Pichanick, contralto) et Sirène l’acariâtre (Victoire Bunel, mezzo-soprano) dans une scène de ménage hilarante. 

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© Stefan Brion 

Le chœur des villageois intervient en ouverture pour situer l’action dans un environnement rustique de bois et prairies: «A la montagne! A la forêt! au champ! A la falaise!» Toujours présent, il participe aux aventures de la nymphe vertueuse et commente les assauts de Triton : excellente Isabelle Druet dans un beau duo où son timbre chaud de mezzo se superpose à celui, plus clair de Marie Perbost.

 Sixième mise en scène d’opéra pour Omar Porras qui renoue ici avec sa langue natale. Laissant libre cours à son goût pour le baroque, il ancre la pièce parmi des saltimbanques venus raconter une histoire : danseurs, acrobates, contorsionnistes accompagnent ainsi les comédiens-chanteurs de leurs facéties et ce traitement burlesque contamine jusqu’aux moments les plus dramatiques. Et dans des joutes carnavalesques, Marielou Jacquard et Caroline Meng donnent à Apollon et Neptune, guerriers empesés dans leur superbe, un caractère décalé. Amélie Kiritzé-Topor a imaginé une grotte romantique, antre du vieux Protée dont le chaudron s’enflamme pour appuyer ses prédictions. Pas de machinerie compliquée mais des rideaux pour faire apparaître et escamoter les personnages, ou parfois laisser deviner des scènes en ombres chinoises. Triton rampe hors de la fosse d’orchestre et, dans un feu d’artifice, Apollon surgit d’un vieux coffre d’accessoires tel un diable doré… Ou il traverse l’avant-scène en majesté, juché sur les épaules d’un porteur dissimulé sous une longue traîne. Les costumes rutilants des Dieux contrastent avec la nudité de la nymphe chasseresse, comme avec les habits en toile écrue des villageois. Cette réalisation pétillante et fluide, d’une belle qualité visuelle et musicale, donne une large place au rire. Jusqu’au titre, qui, aujourd’hui, peut paraître ironique… En effet, selon Ovide, Coronis vécut avec Apollon et enfanta Esculape, dieu de la médecine…

 Mireille Davidovici

Du 14 au 17 février, Opéra-Comique, place Boieldieu, Paris (IIème). T. : 01 70 23 01 31.

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