Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris `

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris

5 Breaking the waves

DR S. Brion

Bess aime Jan, un étranger, employé sur une plate-forme pétrolière, mais son comportement amoureux hors-normes ne sied pas aux austères paroissiens. Jusque là, fidèle à son Eglise, elle découvre le plaisir sexuel, anticipant la nuit de noces dans les toilettes du banquet de mariage… Un pacte charnel l’unit à Jan, comme le pacte de bonté instauré avec Dieu, avec qui elle dialogue en faisant les questions et les réponses.
Elle baigne dans la joie physique et mystique… Jusqu’au jour où un hélicoptère rapatrie son homme blessé et désormais infirme. Jan demande à Bess, qui avait ardemment prié Dieu pour son retour, de coucher avec des inconnus afin que, par procuration, lui et leur amour soient sauvés.
Bess, avec toute sa bonté d’âme, se plie à son désir et se sacrifie. En « brisant les vagues » elle agit à contre-courant. Exclue de sa communauté à cause de sa vie jugée scandaleuse, elle finira dans le ruisseau, poignardée. Mais Jan guérira et lui survivra, Lars von Trier a voulu faire de cette bonté, la « force dynamique » de son film. «On confond souvent le bien avec autre chose -quand on ne le méconnaît pas totalement- et parce que c’est une chose tellement rare, des tensions naissent, forcément .»

© S Brion

© S Brion

Royce Vavrek a écrit un livret qui est fidèle au scénario et il essaye d’’expliciter ces tensions. Les paroissiens, la mère de Bess, Dodo sa meilleure amie, le médecin, n’ont pas la même conception qu’elle, de la bonté. Ils ne peuvent la suivre sur le chemin épineux qu’elle emprunte au nom de l’amour suprême.
Ici, un chœur de paroissiens amplifie le conflit entre Bess et les villageois à la doxa puritaine, qui n’entendent rien au dévouement christique de la jeune femme. En contrepoint, un chœur fantomatique incarne le dialogue de l’héroïne avec son Seigneur.  « Cet opéra est une sorte de Passion, dit le metteur en scène, une tragédie aux enjeux opposés où l’entourage de Bess voit bien sa profonde compassion mais ne peut faire autrement que de participer à sa destruction. Au fond, c’est ce thème qui distingue l’opéra, du film. »

Le spectacle n’est pas le brûlot de Lars von Trier et ne cherche pas à imiter l’inimitable. Missy Mazzoli instille dans sa partition, une douceur à la rudesse de cette tragédie. La musique va au plus profond dans la psychologie de l’héroïne. Pour entrer dans la logique de Bess et décentrer le thème -très critiqué à l’époque où le film est sorti- de la salvation masculine à travers un sacrifice féminin, la compositrice donne voix à Bess sous forme de nombreuses arias: une version opératique des gros plans cinématographiques. Solos instrumentaux, moments chantés a cappella ou avec des motifs répétés, traduisent les moments de tendresse ou d’intimité : «J’ai essayé de donner à Bess la faculté de chanter sa propre histoire pour exister, dit Missy Mazzoli. Et, même après le dénouement tragique, la compassion de Bess reste présente dans la musique. »

Sous la baguette de Mathieu Romano, l’orchestre transmet toute la finesse d’une composition qui procède par couches et mêle différents styles, avec parfois des accents de musique populaire. Il y a ici quelque parenté avec Benjamin Britten dans l’ornementation quasi baroque et les lignes vocales et instrumentales. Mais aussi la douceur de Claude Debussy et la grammaire répétitive de John Adams. Les instruments se détachent clairement pour les solos et duos intimes : basson, batterie, guitare électrique mais les amples phrases des cordes soutiennent les scènes tragiques.

Soutra Gilmour a imaginé une scénographie sobre et intelligente avec des colonnades. Sous les lumières de Richard Howell, conjuguées avec les projections vidéo de Will Duke, ces piliers deviennent contreforts d’église, falaise,  plateforme pétrolière… Le décor tourne pour nous emmener au sein de l’église, parmi les ouvriers de la plateforme ou dans les lieux de perdition fréquentés par Bess au troisième acte. Cette mobilité permet une fluidité dans la mise en scène et une liberté de mouvement des artistes.

L’interprétation évite le pathos, mais la scène sanguinolente du meurtre sacrificiel de Bess n’est pas sans rappeler la Crucifixion. Un effet un peu facile contrebalancé par la dernière séquence où Jan fait ses adieux au corps de Bess, qu’il a volé pour le confier à l’océan. La musique reprend les vibrants motifs pour un chant d’amour final.

Sydney Mancasola incarne avec une grande sensualité Bess McNeill. La soprano américaine à la voix chaude a fait ses débuts à l’Opéra de Los Angeles, dans la reprise de Breaking the Waves et interprétera bientôt Eurydice dans Orphée aux Enfers au Komische Oper de Berlin. Ses duos, avec le baryton américain Jarrett Ott (Jan), dans les positions érotiques les plus osées sont d’un grand naturel. Une belle performance partagée avec la mezzo-soprano canadienne, Wallis Giunta, (la confidente, Dodo, qui l’accompagne de ses arias affectueux). Il faut aussi saluer la prestance vocale et physique du chœur avec l’Ensemble Aedes Orchestre de chambre de Paris et les chefs de chant: Nicolas Chesneau et Yoan Héreau. Cette intervention du chœur n’a rien d’ornemental ni d’anecdotique.

Nous sommes entrés lentement mais sûrement dans cette tragédie d’aujourd’hui. La musique coule et l’on en perçoit toutes les subtilités grâce au jeu direct et sans esbroufe des chanteurs, à un livret sobre et à une direction musicale très présente. La teneur théologique de cette œuvre parlera sans doute davantage aux spectateurs anglo-saxons ou américains, plus sensibles au puritanisme. Lars Von Trier, comme Ingmar Bergman ou Carl Theodor Dryer, est travaillé par un mysticisme douloureux, mais dans son film, il montre aussi la pression sociale exercée- encore aujourd’hui- par les ultra-religieux dans les pays protestants.

13 Breaking the waves

DR S. Brion

Il est intéressant de rencontrer une œuvre musicale actuelle qui, une fois n’est pas coutume, est signée d’une femme. A quarante-trois ans, Missy Mazzoli est un compositrice en vue aux Etats-Unis et qui se réjouit de l’essor de l’opéra dans son pays. Et les grandes maisons américaines passent beaucoup de commandes. Elle écrit actuellement pour le Metropolitan Opera de New York une adaptation du roman de George Saunders, Lincoln au bardo, où il y aura cent douze personnages. « Il y a, dit-elle, un grand appétit de musique et de récit, c’est un moment exaltant. »

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mai, Théâtre national de l’Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

 


Archives pour la catégorie critique

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Fondée par des comédiens, cette école assure des formations de trois ans, avec « l’apprentissage des outils essentiels que sont le corps, la voix et l’imaginaire » et cours d’interprétation, diction, chant, danse, histoire du théâtre et dramaturgie. Il prépare aussi aux concours des écoles nationales. Sous la gouverne de Matthieu Marie, les onze élèves de dernière année interprètent cette pièce peu jouée: un travail déjà bien avancé :  en une dizaine de jours, le metteur en scène a réussi à garder la fluidité du texte, éclaté en brèves séquences bousculant la chronologie et l’unité de lieu.

En 1953, un procès défraya la chronique. Celui de Pauline Dubuisson, 26 ans,  jugée et condamnée pour le meurtre de son amant, tué à bout portant à son domicile.  Michel Vinaver, intéressé par l’affaire en collecte tous les comptes-rendus dans le journal Le Monde. A cette époque il a déjà  publié deux romans : Lataume et L’Objecteur, chez Gallimard sous l’impulsion d’Albert Camus mais ne tournera vers le Théâtre que plus tard, avec Les Coréens (1956). Ce n’est que trente ans plus tard qu’il écrira Portrait d’une femme.

 Avec le recul du temps, il reconstitue le procès de la criminelle devenue de l’énigmatique personnage de Sophie. Déclarations de l’accusée, témoignages et plaidoiries se mêlent de courtes scènes : reconstitution du crime, rencontre de son amant et Sophie à la Faculté de médecine, errances sentimentales de la jeune femme et différents avec ses parents… La pièce nous plonge dans la France de l’après-guerre et fouille l’adolescence de Sophie pendant cette période trouble, où elle a perdu ses deux frères et s’est liée avec des occupant allemands. «  Elle ne pouvait pas ne pas être coupable » dit son avocate, dans la pièce.

 

© Hervé Bellamy

© Hervé Bellamy

Rien n’arrête le flux des séquences qui passent rapidement d’un lieu à l’autre et enjambent les époques. Les mots sont précis, les prises de paroles brèves et ce groupe de jeunes comédiens interprète ce texte d’un rythme nerveux, sans décor,  avec quelques accessoires pour changer de personnage. Alexandre Bécourt, Arthur Boucheny, Lou Dubernat, Inès Fakhet, Grégory Gilles, Clémence Henry, Kessy Huebi-Martel, Matéo Nédellec, Julien Ottavi, Joana Rebelo, Emile Rigaud, Malou Vezon s’engagent à fond dans leurs rôles.

Matthieu Marie, un familier de l’œuvre de Michel Vinaver, a notamment mis en scène La Visite du chancelier autrichien, un plaidoyer contre l’extrême-droite où l’auteur dresse le portrait d’une Europe aux prises avec ses démons. Il veut poursuivre ce travail et le dramaturge, qui en avait vu une ébauche quelques jours avant sa disparition, l’avait encouragé.  Souhaitons qu’il y parvienne car nous avons eu  plaisir à découvrir une écriture brillante et la spontanéité des jeunes acteurs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème).  T. :  01 40 05 06 96.  info@alv-communication.com
Portrait d’une femme de Michel Vinaver est publié chez Actes Sud.,

Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts

Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts

De mémoire de spectateur  cette pièce aura rarement été autant bousculée que par cette mise en scène radicale: texte réduit au minimum dont il ne reste que l’intrigue et non la substance tragique. Et, par volonté d’ancrer Médée dans notre quotidien, la metteuse en scène fait glisser les rôles du masculin, au féminin et la condition racisée de Médée devient l’un des fils conducteurs.

Malgré l’élégance du décor et l’utilisation subtile de lumières et clairs-obscurs, nous ne retrouvons rien ici, des qualités de la belle et troublante pièce lyrique Papa Chat ou comment Dieu a disparu (voir Le Théâtre du Blog) de cette artiste belge associée depuis 2017 à la Toneelhuis d’Anvers. Elle y a réalisé des spectacles musicaux avec pour thème, Peter Brueghel ou le génocide des Roms pendant la seconde guerre mondiale.

 A l’avant-scène, un personnage déplore l’enchaînement implacable des événements qui a mené Médée au désespoir : « Médée,  humiliée, noyée dans le chagrin. Avec pour leitmotiv : « si seulement tout cela ne s’était pas produit. »
Bakary Sangaré ( on le comprend grâce au programme ! ) interprète la Nourrice. Il a plutôt le rôle d’un narrateur qui regarde, tapi dans l’ombre et qui ponctue dans sa barbe, les événements de ce « si seulement ».  Témoin des grandes scènes tragiques où les personnages se déchirent, il commente avec ironie : « C’est charmant ! » Il semble représenter  la part sorcière de Médée.

 Quand le rideau s’ouvre, un voile s’élève, solennel, au centre du plateau, vers les cintres, sur un cri atroce couvert par une musique tonitruante et laisse apparaître une imposante silhouette vêtue de noir, avec sur la poitrine, un gros cœur rouge feu. Séphora Pondi, puissante mais effondrée. A terre, littéralement, elle maudit Créon, le roi de Corinthe, qui veut l’expulser de son pays, Jason, son homme qui va épouser Créuse, la fille de ce roi et Aphrodite qui lui a planté l’amour dans le cœur afin que, par passion pour Jason, elle l’aide à conquérir la Toison d’or.
Pour lui, et elle le répétera à l’envie, elle a trahi son père, tué son frère, quitté son pays pour un exil douloureux… Loin de sa Colchide, la fille du Soleil, déchue, est une étrangère indésirable qu’on exile avec ses deux fils sans autre forme de procès: Créon lui laisse un seul un jour de délai pour partir.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Un temps suffisant pour étrangler mortellement Aphrodite (Léa Lopez), personnage ajouté à la pièce. Puis rencontrer et maudire le fragile Jason. Dans une dernier corps à corps, il essaye de la ramener à la raison et lui explique qu’il épouse la fille de Créon pour le bien de leurs enfants. Enfin, libérée d’Aphrodite, donc de tout affect autre que la soif de vengeance, elle va assassiner Créuse, la promise de Jason avec un voile empoisonné offert en cadeau de noces. Et, acte suprême annoncé depuis le début, elle poignardera ses enfants, réduits ici à de vulnérables baudruches et à quelques pleurs…

Les acteurs, contraints à entrer dans de belles images, sont souvent dans l’ombre  et nous aurions aimé mieux entendre et voir Bakary Sangaré avec ses précieux commentaires.

Séphora Pondi, malgré une gestuelle un peu guindée, réussit à exprimer vocalement la douleur sous toutes ses formes, du cri tétanisant, à la rage sourde, du tremblement, aux larmes de chagrin. « J’ai beaucoup travaillé le son, dit-elle, pour montrer plusieurs facettes du personnage. Les murmures, les cris les pleurs… Il s’agit de passer par plusieurs états et établir ainsi une variation autour de la douleur» Elle retrouve peu à peu ses mots et sa superbe pour trôner en majesté à Athènes où Egée l’a accueillie.

L’excellente Suliane Brahim nous révèle, avec un jeu nuancé, un Jason inhabituel : fragile et émouvant face à son imposante ex-épouse. Didier Sandre, en Créon,  peine, malgré son talent à faire le poids face à Médée: ses lamentations, à la mort de Créuse, nous parviennent difficilement. Engoncés dans des costumes stylisés, entre antique et futurisme, les chœurs de Colchide (Serge Bagdassarian) et d’Athènes (Marina Hands) accompagnés de trois actrices de l’Académie de la Comédie-Française, ont du mal à trouver leur place sur le plateau et n’échangent que quelques paroles…

Malgré un brillant emballage – sobre et élégante scénographie de Clémence Bezat- et de bons acteurs  ce Médée n’est pas  un cadeau! Il promet du moins d’être clivant.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 24 juillet en alternance, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette Paris (Ier). T . : 01 44 58 15 15.

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et en sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling dans actualites

© Lysiane Louis

Au sein de La Muse en circuit, le duo Imaginarium : Hélène Breschand, harpiste et improvisatrice, et Wilfried Wendling, compositeur de musique électronique, ont imaginé une série d’explorations oniriques sonores et visuelles. Marc-Antoine Mathieu, travaille, lui, sur la matérialité même du livre : dans son fameux Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Cet album, avec une mise en abyme des images, devient lieu et cause des aventures vécues par le héros et ses compagnons .
Le point de fuite et la perspective disparaissent et arrive une troisième dimension avec des labyrinthes à la M. C. Escher. Dans Les Sous-sols du Révolu, un registre est transmis de main en main, dans Dieu en personne, Dieu est un auteur de best-seller, L’Ascension met en scène un moine bibliothécaire et l’intrigue de Mémoire morte se situe à la  très grande bibliothèque »…

 Le Rêveur rêvé ne déroge pas à ce principe: dans un monde noir, blanc et gris, erre le personnage à chapeau, emblématique de M.A.M. Cette œuvre inédite se présente comme un jeu de quarante cartes aux sous-titres poétiques, avec lesquelles on peut composer son propre itinéraire. Une œuvre ouverte à des combinaisons à l’infini, comme les 100. 000 milliards de poèmes de Raymond Queneau.
Hélène Breschand et Wilfried Wendling, accompagnés
 d’ élèves au Conservatoire du Vle arrondissement, tracent un paysage sonore: « Le nombre de cartes, de combinaisons et leur durée : autant de questionnements essentiels et musicaux prolongeant les réflexions de Marc-Antoine Mathieu sans jamais renoncer à l’exigence poétique. » 

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© Lysiane Louis

 En fond de scène, un mur composé de multiples têtes chapeautées, étranges, ahuries. Ecoulements sonores et gargouillis créent un environnement liquide. Quand les artistes entrent en piste, les têtes s’effacent et l’écran blanc va se découper en cases où seront projetées les images du Rêveur rêvé, dans l’ordre choisi par l’Imaginarium.
Et à partir du traditionnel cyclorama, des lambeaux d’écran sur le plateau reçoivent aussi des projections déformées. Les faisceaux vidéo sortent ainsi d’une exposition frontale dans une mise en abyme chère à Marc-Antoine Mathieu. En passant d’une carte à l’autre, la musique, contrairement à l’oeil, superpose l’ambiance sonore de plusieurs dessins. A côté des images, des personnages surgissent et se démultiplient sur plusieurs mini-écrans, des voix se fondent dans les accords de harpe, soutenus par le continuum électronique de Wilfried Wendling.

En épilogue de ce jeu de cartes onirique qui n’est pas sans rappeler le monde de Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay, la harpe devient le personnage principal. Prises dans un balayage de laser, la musicienne et son instrument tourbillonnent sur scène et se décomposent en ombres chinoises sur les écrans, parmi  d’autres ombres. Cette dernière séquence avec jeux de lumière et d’éblouissants éclairs blancs, nous a moins convaincus, que la partie ombreuse initiale. Mais l’ensemble reste d’une grande maîtrise et l’on sort comme d’un rêve éveillé de ce concert visuel et psychédélique, à la croisée des musiques hybrides, des arts numériques, du collage littéraire et de la performance filmique. Imaginarium travaille avec Marc-Antoine Mathieu à un futur spectacle autour de Franz Kafka.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 24 mai au Poc, Scène artistique d’Alfortville, 82 rue Joseph Franceschi, Alfortville (Val-de-Marne) .


Le 24 novembre, à la Muse en Circuit, Alfortville.

Danse dans les nymphéas par le Ballet de Lorraine

 Danse dans les nymphéas par le Ballet de Lorraine

Le ballet lorrain a été  invité avec deux courtes pièces. Un  lundi par mois, le Musée de l’Orangerie à Paris programme des chorégraphies contemporaines (répertoire et création), devant Les Nymphéas de Claude Monet:  ces huit fresques aquatiques  trouvent ainsi dans le mouvement des corps un nouvel éclairage. Avec des artistes comme François Chaignaud, Carolyn Carlson, Noé Soulier, Fabian Barba, ou des compagnies  comme le Ballet de Lorraine, le  C.N.D.C. d’Angers ou la compagnie Trisha Brown. 

 Twelve Ton Rose, chorégraphie de Trisha Brown, musique d’Anton Webern

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Réalisée en 1996 à l’Arsenal de Metz, ce ballet a été recréé l’an passé par la Trisha Brown Dance Company avec le Centre Chorégraphique National- -Ballet de Lorraine. Second opus du « cycle musical » de la chorégraphe américaine,  il se réfère, par son titre, à « twelve ton rows  » (dodécaphonisme), une forme de composition musicale empruntée par Anton Webern à Arnold Schönberg.  expérimentales, dit Kathleen Fisher, répétitrice de la compagnie Trisha Brown. »

 Sur les Cinq mouvements pour quatuor à cordes, op. 5 et sur les Quatre pièces pour violon et piano, op. 7 et le Quatuor à cordes, op. 28, dans les sobres costumes noir et rouge de Burt Barr, six danseuses et six danseurs combinent une phrase unique conçue pour cette pièce, avec des mouvements puisés dans le vaste vocabulaire de Trisha Brown.
Les positions géométriques des bras et les jeux précis de pieds et doigts, contrastent avec les arabesques glissées, les cabrioles, la décontraction mesurée de ces improvisations structurées. Soit vingt-huit minutes denses, avec ensembles, duos et solos d’une belle fluidité.
Dans ce même esprit, la chorégraphie enjambe les phrases musicales du quatuor à cordes ou du duo piano/violon en un mouvement perpétuel. Elle est comme libérée de la partition mais en résonance avec elle. Les interprètes habitent avec talent cette danse abstraite et ludique à la fois et la proximité des corps permet de distinguer la personnalité de chaque interprète.

Access to pleasure, chorégraphie et interprétation: Petter Jacobsson et Thomas Caley

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© Ballet de Lorraine

  Sur Put the blame on Mame, la fameuse chanson de Rita Hayworth dans Gilda (1946), puis sur des airs de jazz et dans le style music-hall de l’époque, ces complices dansent, en miroir l’un avec l’autre. Une rencontre ironique entre la voix féminine d’un sexe-symbole d’hier, et les corps masculins d’aujourd’hui. Décalage : «Cette imitation d’un classique de la danse est une sorte de reprise, une version très personnelle où on peut interroger les notions de beauté, âge, et genre »,  disent les auteurs de ce duo vaudevillesque. Une performance de dix minutes en forme de clin d’œil au glamour et aux clichés genrés.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 20 mai au Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, Paris (Ier).
Danse dans les Nymphéas le 19 juin: Sept vies de Nach et Ruth Rosenthal.

Le Ballet de Lorraine ouvrira le festival Paris l’été au Musée du Louvre, dans la cour Lefuel , le 10 et 11 juillet avec Static Shot de Maud Le Pladec, (voir Le Théâtre du blog). T. : 01 44 94 98 00.

Biennale internationale des Arts de la Marionnette La Simplicità ingannata , de et avec Marta Cuscunà (en italien surtitré)

Biennale internationale des Arts de la Marionnette 2023

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©Alessandro Sala Cesuralab

La Simplicità ingannata de Marta Cuscunà (en italien surtitré)

L’artiste italienne, invitée avec trois spectacles à la B.I.A.M., est seule en scène comme dans Sorry Boys, mais cette fois, elle nous réserve un amusant prélude avant de faire corps avec ses marionnettes: des têtes alignées comme des oiseaux sur une branche.

En robe de mariée, elle nous invite dans l’Italie du XV ème siècle et décrit la condition des jeunes filles qu’il faut marier à tout prix, moyennant une dot versée à l’époux et qui dépend de leur beauté, et surtout de leur soumission. Economiquement parlant, avoir une fille n’est pas une bonne affaire : marchandise périssable, elle se déprécie avec l’âge, et si aucune homme ne se porte acquéreur, ou si l’on ne peut la doter suffisamment, ce sera le couvent. Ainsi Angela qui boite, est placée à six ans chez les sœurs avec la promesse de félicité. Mais, au moment de renoncer au monde pour épouser le Christ, elle découvre avec horreur le cloître. Le titre : La Simplicité trahie renvoie à la tragédie de ces filles mariées au Christ contre leur gré.

Mais tout n’est pas perdu et, en deuxième partie, les marionnettes vont nous raconter la résistance des Clarisses d’Udine ( Frioul), à peu près à la même époque. Ces religieuses italiennes ont transformé leur couvent en espace de contestation libéré des dogmes religieux et de la culture machiste : une histoire d’émancipation collective impensable pour l’époque !

Marta Cuscunà construit ses spectacles à partir d’éléments historiques. Pour la première partie de cette pièce, elle se réfère à L’Inferno monacale, témoignage d’Arcangella Tarabotti (1604-1652). Cette écrivaine et religieuse vénitienne rapporte, à l’aune de son vécu, la tragédie des moniales cloîtrées de force.

Mais l’actrice en tire une charge amusante contre la société patriarcale. De même qu’elle met en boîte la misogynie de l’église catholique quand elle raconte l’histoire des insoumises d’Udine, telle qu’elle l’a lue dans Lo spazio del silenzio où l’historienne Giovanna Paolini publie les minutes du procès en hérésie intenté en 1590 par l’Inquisition contre ces Clarisses.

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©Alessandro Sala Cesuralab

Les têtes parlantes des six religieuses, animées avec maestria, sont confrontées au méchant Barbaro, inquisiteur à la figure patibulaire, à qui Marta Cuscunà prête aussi voix et expressions menaçantes. Les Clarisses se sont instruites malgré les interdits de l’Eglise, et sont capables de ruser et de jouer les bécasses, seront innocentées…. Courte victoire mais signe, pour Marta Cuscunà, qu’ensemble, les femmes sont capables de s’organiser et de vaincre :  » La simplicità ingannata n’est pas un documentaire mais un projet où le théâre donne aussi la possibilité de trahir le fait établi ou au moins de la considérer comme un point de départ permettant de rebondir sur une histoire qui a comme sujet principal la société, les femmes et les hommes qui la composent. « 

La scénographe Elisabetta Ferrandino a donné à ces nonnes, qui ne sont pas sans rappeler les figures aux yeux effarés de Tim Burton, une personnalité correspondant au caractère de chacune. Ces délicieuses poupées, serrées les unes contre les autres « comme des oiseaux piégés dans la glue », selon Marta Cuscunà, ont beaucoup à nous dire sur la sororité.

Dans tous ses spectacles, Marta Cuscunà a fait le choix d’être seule avec ses personnages: au début, dit-elle, pour des raisons budgétaires mais ensuite elle a pris goût à faire entendre une multitude de voix et, quand le corps n’est plus suffisant au besoin d’un chœur, elle se glisse comme ici , derrière ces têtes auto-portées pour aller à l’essentiel : l’expression des visages et des voix et elle passe ainsi  très vite de l’une à l’autre… `

Après avoir vu ces deux spectacles déjà anciens, nous avons hâte de découvrir d’autres pièces de cette artiste aux multiples visages.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 mai au Théâtre Mouffetard, Centre national de la marionnette 73 rue Mouffetard Paris (Vème). La B.I.A.M. se poursuit jusqu’au 4 juin. : T. 01 84 79 44 44.

Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff

Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff

Une pièce inspirée par un fait divers et créée l’an passé dans ce même studio Hébertot. Sur le plateau dans un air empesté de fumigènes dispensés à gogo que nous sommes priés de respirer, bien avant même que le rideau s’ouvre. (Merci M.
Tchobanoff pour ce cadeau et ras-le bol des fumigènes maintenant presque dans chaque spectacle! ), un escabeau  tel qu’il y en avait dans les années cinquante, des sacs de sable (mais très légers!) pour protéger les tranchées, un arrosoir et une bassine en zinc. Bref, une scénographie du bois dont on ne fait pas les flûtes…

Des fossoyeurs (les impeccables Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel) font un travail pas facile, souvent méprisé (les candidats ne se bousculent pas et dans les villages et souvent le maçon est de service) mais dont toute la société a besoin.

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Ces hommes sans âge mais plus tout jeunes, parlent, épuisés de leur quotidien et de l’absurdité de leur vie. Sans illusion aucune : -Alors il faut reprendre les va-et-vient, des camions au bûcher et du bûcher à la forêt ? -Oui. -Avec le dos qui se voûte et les bras qui tirent ? -Oui. Nous sommes des chevaux de trait, de pauvres chevaux de trait, exsangues et stupides. » On pense, bien sûr, aux célèbres Vladimir et Estragon d’En attendant Godot… Mais peut-être encore plus désespérés quant au sort de l’humanité.
Mais tiens ici, il y a une femme
(Prisca Lona) apparemment morte dont ils tirent le corps sur une toile. Mais elle va se remettre debout un chandelier à la main. Cette sorte d’Ophélie incarne, si on a bien compris, une rescapée de l’enfer des guerres, bombardements de civils, exodes, charniers et autres joyeusetés un peu partout: Syrie, Afrique et maintenant Ukraine et dont notre époque, comme les autres, est si friande!) et aux images distillées en permanence par les journaux télévisés d’Europe.
« 
J’ai ramassé mes affaires, dit cette rescapée, et j’ai quitté la maison. Ma vie entière tenait en deux valises. Ma vie entière m’encombrait et m’obligeait à m’arrêter souvent pour reprendre mon souffle. J’ai marché le long des routes, avec mes valises, mes sacs et mes couvertures sur moi. J’ai marché Sans savoir où j’allais, Essayant de mettre le plus de terre entre elle et moi. J’étais à pied, Sur des routes de poussière. J’avais peur.»

Bref,un univers pas des plus réjouissants mais superbement mis en écriture par Laurent Gaudé. Une note d’espoir ? Peut-être à la fin, il y a ce beau monologue de la Rescapée: « Je vais dire la longue liste de ceux que j’ai touchés. Les hommes et les femmes viendront m’écouter. Chacun s’approchera pour savoir si, parmi ceux que je dis, il est un proche ou un ami d’autrefois. Oui. Je serai parmi eux Celle dont les mains ont gardé la trace des corps avalés par la guerre. Je vais rester là. Je ne bougerai plus. Je suis épuisée de fumée. Je ne sais plus rien de moi. Un jour, peut-être, quelqu’un, dans ce campement sans fin, me reconnaîtra. Il doit bien rester cela. Quelqu’un qui m’arrêtera, me dira qui je suis et d’où je viens. Il doit bien rester quelqu’un. Je serai patiente. J’attendrai qu’il vienne à moi. Il doit bien y avoir cela, Ici-bas. Quelqu’un pour se souvenir de moi. Et me raconter la vie d’autrefois. »

Mais ce texte à l’écriture ciselée aurait mérité une réalisation moins sèche, plus raffinée, avec une vraie scénographie et de meilleurs éclairages (aïe! cette pénombre permanente au début dans la fumée qui ne sert strictement à rien! et cette lumière rouge à un moment!). C’est con, comme dirait un de nos confrères du Masque et la Plume. Bref, ainsi mis en scène, cette courte pièce (une heure dix) de Laurent Gaudé a bien du mal à prendre son envol.  Même si les acteurs font -et très bien- leur travail, il manque une véritable émotion et nous n’avons pas été vraiment convaincus. Enfin, d’ici Avignon, il y a encore du temps pour revoir cette mise en scène. Donc, à suivre…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 avril au Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème).T. : 01 42 93 13 04.

Festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet, Théâtre des Carmes, 6 place des Carmes.

Invisibles ! montage et mise en scène de François Rancillac, chorégraphie de Valérie Glo, chef de chœur : Arnaud Guillou

Invisibles ! montage et mise en scène de François Rancillac, chorégraphie de Valérie Glo, chef de chœur : Arnaud Guillou

5e Saison - FB - Couv Evnt - 2

© François Rancillac

Trip, comme voyage, mais aussi un acronyme: T.R.I.P., Troupe Itinérante Pluridisciplinaire. Réuni sous l’égide de la Maison des Pratiques Artistiques Amateures (M.P.A.A.) (voir Le Théâtre du Blog), ce collectif d’une quarantaine de personnes tout au long de la saison théâtrale a assisté à des spectacles, rencontré les artistes et participé à des ateliers de jeu.  En juin, il présente une pièce inspirée de celles vues au Théâtre de la Colline, au Mouffetard, et autres théâtre partnaires.

Cette année, la M.P.A.A avait choisi comme thématique « les invisibles »: celles et ceux qui n’ont pas les mots pour dire les choses, ou que l’on ne sait pas écouter… Qui sont «différents» . Ou encore ceux qui, en première ligne et sous les projecteurs pendant le covid,  semblent être à nouveau  transparents…

Chacun a son mot à dire dans la succession de saynètes composée par François Rancillac et rythmée par des intermèdes chorégraphiées, vaste chœur dansant et chantant. Fil rouge de la pièce: Le Vilain petit canard de Hans Christian Andersen,  métaphore de celui qui, pas comme les autres, se trouve, à tort, laid et rejeté.

En deux heures, ces artistes amateurs s’engagent à fond pour défendre des textes qui nous parlent de maladie mentale, vie dans un E. P. H.A.D, homoparentalité, inversion des rôles dans un couple… Avec les mots d’Ahmed Ben Rahdi (A nos espoirs), des Filles de Simone (Derrière le hublo, se cache parfois le linge), de Joël Pommerat (Chambre froide), de Yann Verbrugh (La Nouvelle) Ronde), de Gaëtan Gatien de Clérambault (Etudes psychiatriques), des auteurs rencontrés par ce collectif dans les théâtres partenaires.

Une réalisation rondement menée et sans autre prétention que de témoigner, avec humour, bonne humeur et générosité, du parcours de la T.R.I.P. La mise en scène a été bouclée en deux week-ends et quatre jours de répétition mais chacun peut affirmer sa présence et les séquences chorales dansées et chantées sont tout à fait cohérentes. Un résultat probant et joyeux et l’expérience sera renouvelée l’an prochain. Les candidats sont invités à se présenter à la M.P.A.A. .

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 mai, à l’Auditorium Saint-Germain, 4, rue Félibien, Paris (VI ème). .

Festival Les Remontantes, Scènes de mai jusqu’au 3 juin dans les M.P.A.A. de Paris: La Canopée, T. : 01 85 53 02 10 ; Saint Germain,T. :01 46 34 68 58 ; Bréguet, T. : 01 85 53 03 50 ; Broussais, T. :01 79 97 86 00  et Saint-Blaise, T. : 01 46 34 94 90.

Biennale des Arts de la Marionnette Move on over Or we’ll move on over you(L’Atelier des Black Panthers), texte et mise en scène de Stéphanie Farison

Vanguard of the revolution © Jeanne Bodelet


Biennale des Arts de la Marionnette 2023

Move on over or we’ll move on over you (L’Atelier des Black Panthers), texte et mise en scène de Stéphanie Farison

Le collectif F 71 interroge une fois de plus l’histoire d’hier pour éclairer les luttes d’aujourd’hui et l’«exaspération de notre sensibilité de tous les jours».  Avec un spectacle ayant pour titre un slogan des Black Panthers et un chant révolutionnaire (en français: « Passez à autre chose, ou nous passerons à autre chose », la metteuse en scène, nous emmène dans l’imprimerie imaginaire de ce mouvement d’autodéfense (Party for Self Defense) né à Oakland (Californie) en 1966.

Ici, trois militants vont fabriquer une affiche, tout en évoquant les actions menées contre le racisme et la répression, pour la dignité de la communauté noire américaine. Suspendues à des fils, de grandes et belles images  couvertes de slogans sèchent. Joris Avodo, Maxence Bod et Camille Léon-Fucien élaborent la prochaine sérigraphie et discutent idéologie et ligne politique, en dialoguant aussi avec le public. La mise en scène s’appuie autant sur le texte, que sur l’iconographie et la fabrication d’une affiche : composition, insolation à la lumière, tirages… 

L’image, support concret des débats militants, traduit les positions politiques et la présence d’armes sur les affiches pose question : provocation ou signe d’autodéfense ? Dans leur matériel de propagande et leurs slogans, les Black Panthers revendiquent le droit à porter des armes comme tout citoyen des Etats-Unis, selon le deuxième article de la Constitution.
A mesure que le mouvement s’enracine dans tous les Etats avec « contre-patrouilles» armées et comités d’entraide populaire, le F.B.I. lui, multiplie attaques et arrestations… Comment revendiquer son identité noire, comment trouver des espaces de protestation, quand toutes les formes d’expression vous sont successivement ôtées, et interdites ? Comment rêver et écrire « un poème noir dans un monde noir » ?
Faut-il répondre à la violence des «pigs» par la violence? Autant de thèmes que les acteurs abordent et renvoient aux spectateurs, quelquefois de façon un peu trop pédagogique.

Le texte et les argumentations parfois traînent en longueur surtout vers la fin mais, les problématiques exposées, nous découvrons sous un autre jour la genèse et l’histoire de ce mouvement étouffé par la répression. Et nous ne nous lassons pas de voir ce ballet de châssis, la manipulation des encres et des instruments, l’accrochage des affiches fraîchement imprimées, la beauté et l’invention des images.  L’espace scénographique proposé par  Lucie Auclair donne libre cours à ce déploiement visuel. La création sonore d’Eric Recordier et les airs chantés par Camille Léon-Fucien, les slogans repris en choeur, accompagnent discrètement la narration.
Au croisement du théâtre documentaire et du théâtre d’objets, ce spectacle nous replace dans une époque d’effervescence socio-politique et de création collective qui éclaire aussi la nôtre. Il devrait, au fil des représentations et avec quelques coupes, trouver son allure de croisière.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 11 mai, Théâtre au fil de l’eau, 20 rue Delizy, Pantin( Seine-Saint-Denis)

 Du 5 au 7 décembre, Théâtre de la Manufacture, Nancy ( Meurthe et Moselle).

Le 9 février 2024, Centre Culturel Jean Houdremont, La Courneuve (Seine-Saint-Denis)
Le 10 mars 2024 dans le cadre du festival MARTO , Théâtre Firmin Gémier, Antony (Hauts-de Seine)
La B.I.A.M.  se poursuit jusqu’au 4 juin, Théâtre Mouffetard, Centre national de la marionnette. T. : 01 44 64 82 33

 

Festival à vif 2023 à Vire: Métamorphoses

Festival à vif  2023, à Vire: Métamorphoses 

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Lancement du festival à vif © M. Davidovici

 Lancé en 2009 par Pauline Sales et Vincent Garanger, alors à la tête du Centre dramatique national de Vire Normandie, ce festival ADO devenu Festival à vif sous la houlette de la nouvelle directrice,  Lucie Berelowitsch, se veut «une fête théâtrale autour de l’adolescence ».
Métamorphoses, thème proposé à quelque soixante-dix élèves de première:spécialité théâtre, de Caen, Alençon, Le Havre et Vire. Ils assurent l’ouverture de cette manifestation sur le parvis du Préau, un bâtiment impressionnant p
our cette petite ville du Calvados, avec une salle de cinq cent quatre vingt places. Garçons et filles  ont improvisé en une après-midi des séquences collectives sur ces questions de mutations et de transformations, propres à leur âge, avec plus ou moins de bonheur mais ils ont impulsé une joyeuse dynamique à cette entrée en matière festive  et conclu leurs interventions scéniques par un bouillant défilé costumé en musique….

Spectacles, ateliers et rencontres essaiment au Préau et hors les murs, dans les salles de fête de villages ou préaux de lycées. Cette année, surtout mis en scène par des femmes «le hasard d’une programmation pro-active», selon la directrice. Et l’année prochaine, dit-elle, les lycées de Rouen et d’Evreux seront aussi de la partie

Pénélopes, mise en scène de Céleste Germe, collectif Das Plateau

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©Flavie_Trichet-Lespagnol_Pénélopes_

Qui sont les Pénélopes d’aujourd’hui ? Qu’en est-il du mythe de l’épouse d’Ulysse fidèle à ce mari volage et qui ruse pour ne pas tomber dans les rets des Prétendants. Réalisée à partir d’entretiens avec des femmes et interprétée par Maëlys Ricordeau, Pénélopes parle de la manière dont elles vivent une double injonction: accès à la liberté mais interdiction de l’exercer… Depuis deux ans, Céleste Germe et l’actrice se sont mises à l’écoute de femmes de plusieurs régions et, à partir de conversations enregistrées au téléphone, ont réalisé un montage sonore de courtes séquences, diffusées à l’oreille de la comédienne.

Ici, les habitantes de toutes générations, à Vire et aux environs, se sont confiées aux artistes, une heure et demi durant, pour dire le poids de la maternité, l’ombre des pères et des frères, la place de la mère, le désir contradictoire d’attachement et d’émancipation…

Chacune de ces femmes s’exprime pendant sept à dix minutes: des paroles que l’actrice reproduit ici avec tics de langage et débit d’élocution.  Elles prennent vie sous nos yeux : la première évoque sa grand-mère à qui elle doit sa soif d’émancipation et non à sa mère restée soumise. Une adolescente intimidée, dit comment, malgré la sévérité d’un père sicilien, elle a «cassé ses fiançailles». Et elle ne veut plus s’attacher à quiconque.
Une femme mûre raconte comment, issue d’une « relation adultérine», elle a vu sa mère galérer et «devenir guimauve» devant son père, un amant volage. Elle est fidèle à son mari mais dit à sa fille : « Ne dépends pas d’un homme. »
Il y a aussi celle qui se demande comment elle a pu entrer «dans le schéma mariage-enfants » et trouve enfin des «poches de solitude », après un divorce et la garde partagée des enfants. Et une autre a peur de son père et du regard des hommes: «J’ai été violée, j’en ai jamais parlé.» Moment poignant que cet aveu jamais confié à personne, dit Maëlys Ricordeau.

Il  suffit à l’actrice d’une veste, une coiffure, un maquillage  et d’une attitude dictée par le timbre, la scansion d’une voix, et une femme est là devant nous: un léger fond sonore accompagne les images : des rues et places de Vire projetées sur le mur du fond, dans le gymnase du lycée agricole en rase campagne. Un joli moment de théâtre documentaire pour révéler les violences subies et le besoin de liberté de ces Pénélopes d’ici ou ailleurs.

Chaque Pénélopes  a été créé in situ : Avant ce tout nouveau  Pénélopes Vire,  il y a eu Pénélopes, à Tarbes, Ulis, Nanterre, Vitry, Lyon et Pénélopes Brétigny verra bientôt le jour. Une forme aujourd’hui rodée avec une semaine d’entretiens, quatre jours de montage et une semaine de répétitions: seul change le texte. «Les femmes, dit Maëlys Ricordeau, quand on leur donne la parole, elles parlent.»

Dans ta peau, texte et mise en scène de Julie Ménard

Moins réussie, cette création de Julie Ménard auquel un public nombreux de jeunes et moins  jeunes assistait dans la grande salle du Préau, L’autrice et metteuse en scène s’est associée au compositeur et interprète Romain Tiriakian pour réaliser ce «conte musical fantastique ». Sybille, chanteuse timide et effacée, inconsolable après la mystérieuse disparition de son amoureux musicien, s´invente un double à son image, change de peau et renaît en vedette androgyne, sous le masque de cet alter ego fantomatique. Léopoldine Hummel incarne avec justesse et énergie cette Sybille hantés par la figure mythique de son amant.

Malgré la qualité de la musique, le talent des interprètes, aussi bons chanteurs que comédiens, une scénographie, des costumes et éclairages réussis, cette fable confuse et à l’écriture laborieuse ne nous a pas convaincu! Dommage car le thème collait parfaitement à celui de la manifestation qui se poursuit encore une semaine

 

 Mireille Davidovici

Jusqu’ au 17 mai  dans le Bocage et au Préau, Centre Dramatique National de Normandie-Vire, 1 place Castel, Vire (Calvados).

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