En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski
En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski
Tout le monde, surtout ceux qui ont vécu « les trente glorieuses», connait la pièce et le théâtre de l’absurde qui n’eut d’absurde que renvoyer son image au monde tel qu’il est… Prenons donc Godot là où il est : un grand classique du vingtième siècle.
Vladimir et Estragon attendent. Ils ont rendez-vous au pied de l’Arbre (un saule, qui aurait cessé de pleurer ?) avec un certain Godot, qu’ils ne connaissent pas. Estragon, dit affectueusement Gogo, lui, a mal aux pieds. Il a dormi dans un fossé et reçu des coups. Vladimir (Didi) plus à l’aise, le réconforte.
Arrive le tyrannique et brutal Pozzo, tirant par une corde, son malheureux et méchant esclave -on n’a jamais dit (voir Primo Levi que le malheur rend bon). Pozzo donne au passage un coup de pied à un Gogo déjà souffrant et donc, par la suite, rancunier… Il exhibe les pauvres qualités artistiques du bien nommé Lucky, roi de l’antiphrase : la « danse du filet » (pieds pris dedans) et la « pensée » : tirade savante et désarticulée à l’image d’une Intelligence Artificielle déjà détraquée (loin d’être inventée en 1949, même par la science-fiction). Pour ces héros, une réplique récurrente arrive à chaque envie d’aller autre part ou d’entreprendre une action : « On ne peut pas, on attend Godot ». Un enfant vient confirmer : «Monsieur Godot viendra demain ». Donc, on attend. Le deuxième acte s’enchaîne sans interruption avec le premier et suit le même schéma, à quelques importantes différences près.
Samuel Beckett a clairement indiqué que la pièce devait être jouée dans son intégrité et son intégralité, avec les didascalies exactes. Et (presque) toutes les mises en scène obéissent à cette loi. Pourtant, En attendant Godot sonne différemment à chaque fois : on y voit de nouvelles couleurs et émotions… Comédie métaphysique ? Jacques Osinski fait entendre très simplement la douleur physique, le mal aux pieds de Gogo et la bienveillance fraternelle de Didi. Il y a de l’amour dans l’air et même de la joie. Denis Lavant, fidèle complice du metteur en scène depuis La Faim de Knut Hamsun (1995) . Lui, fagile, écorché, avec sa puissance d’acrobate et Jacques Bonnaffé, posé, presque serein, forment un couple parfait .
Le spectateur se retrouve aussi dans l’autre couple : Pozzo et Lucky. Eux aussi sont : « nous », dans leur violence et leur aveuglement, au-delà du dominant/ dominé. Aurélien Recoing est le tyran à l’allure inquiétante des grands de ce monde et Jean-François Lapalus, la résistance muette du paysan soumis de toute éternité. Une distribution exemplaire.
On ne voudrait pas faire d’En attendant Godot une pièce exagérément spinoziste, mais enfin, c’est bien de cela qu’il retourne : la joie de l’espoir est contrebalancée par la crainte que la chose espérée n’arrive jamais, et la tristesse, faite de joie attachée à la chose regrettée. On ne nous en voudra pas trop pour cet instant de « pensée », tel que Pozzo en ordonne à Lucky.
Jacques Osinski nous rend un Beckett -sixième rencontre-vivant, et même bon vivant, à travers la grille de l’écriture, et d’une étonnante actualité. On n’a pas oublié, entre autres, Cap au pire où la virtuosité de Denis Lavant s’exerçait, en ce même Théâtre des Halles, sur l’ espace réduit d’une table de bistrot. « Rater mieux », écrivait Beckett. Désolé, Jacques Osinski, vous n’avez pas du tout raté, pour notre joie…
Christine Friedel
Jusqu’au 26 juillet, Théâtre des Halles, Avignon. T. : 04 32 72 24 51.
Le 27 juillet, Festival de Figeac (Lot), le 29 juillet, festival Beckett, à Roussillon (Vaucluse).
xDu 25 mars au 3 mai, Théâtre de l’Atelier (Paris), puis , tournée en Rhône-Alpes, etc.
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