La Stupéfaction, texte et mise en scène de Marie Provence

La Stupéfaction , texte et mise en scène de Marie Provence

Trois personnages dans un lieu qui restera indéterminé, peut-être un hôpital psychiatrique, essayent de survivre tant bien que mal  après un traumatisme qui a bouleversé leur vie. Peter (Florent Cheippe) qui travaille dans une entreprise de communication, n’a pas réussi à surmonter le stress permanent qu’on lui impose et a été foudroyé par un AVC. Il veut quand même essayer de s’en sortir.
Fred, très fragile enseignante (Leslie Granger) est en état d’épuisement moral et physique. Et  Mathilde (Cristelle Saez) a subi une rupture brutale après douze ans de mariage. Trois vies, trois histoires différentes avec quand même, un certain appétit de vivre, sans doute écrites d’après des expériences réelles. Sur ce grand plateau, juste un châssis pour figurer une cloison vitrée,  avec au fond, l’image projetée d’une forêt (scénographie de Claudine Bertomeu)

© Raphaël Arnaud

© Raphaël Arnaud

Peter, Fred et Mathilde nous font partager des bribes de récits de leur vies respectives. Il y a parfois  de longs silences.Cela tient d’une thérapie de groupe et d’un théâtre documentaire mais cette fable poétique sur la difficulté à renaître après une expérience personnelle douloureuse, a bien du mal à décoller et l’autrice et metteuse en scène n’arrive pas à créer un lien entre ces trois personnages et le public qui ne semble pas vraiment attentif.
«La Stupéfaction, dit Marie Provence, est une fable sur l’aptitude à faire face au chaos et à retrouver le goût du désir. Un temps suspendu dans un monde imaginaire où des personnages, ébranlés par un drame, tentent de se reconstruire. »

Pourquoi pas? Mais c’est une première pièce et l’autrice peine à donner vie à ses personnages et les courtes scènes se succèdent laborieusement. La mise en scène fait du surplace et les quatre-vingt dix minutes de  cette piécette qui se termine plutôt qu’elle ne finit, sont bien longues. La faute à un dialogue vraiment  trop léger, proche de mauvaises séries télé et à une direction d’acteurs approximative.
Marie Provence aurait pu aussi  nous épargner ces projecteurs aux lumières rouges et violettes poussés par les acteurs et qui ne font pas sens. Cette coproduction du Théâtre Joliette, Scène Conventionnée d’intérêt national Art et Création pour la diversité des écritures contemporaines et le Théâtre National de Marseille-La Criée ne nous a pas vraiment convaincu. Sur un petit plateau comme bientôt celui du Théâtre du Balcon à Avignon et avec un texte resserré, une direction d’acteurs améliorée, le spectacle pourrait davantage faire sens…  A suivre.

Philippe du Vignal

Spectacle joué du 4 au 8 novembre au Théâtre Joliette, 2 place Henri Verneuil, Marseille (II ème) en partenariat avec le Théâtre national de La Criée, Marseille.
Les 30, 31 janvier et 1er février, Théâtre du Balcon, dans le cadre de Fest’hiver, Avignon ( Vaucluse).

Archives pour la catégorie critique

Faire le beau, création théâtrale, textile et musicale de Nicolas Doutey, mise en scène de Bérangère Vantusso

Faire le beau, création théâtrale, textile et musicale de Nicolas Doutey, mise en scène de Bérangère Vantusso

Au Festival d’Avignon 2021, Bérangère Vantusso met en scène Bouger les lignes Histoires de cartes de Nicolas Doutey et  retrouve l’auteur pour cette création au Théâtre Olympia-Centre dramatique National de Tours, qu’elle dirige depuis janvier dernier. Elle nous convie à une rencontre historique et politico-sociale sur le rapport du corps avec le vêtement sous toutes ses coutures et avec beaucoup d’invention ! La mise en scène est magnifique comme le jeu des interprètes. À la fois chorégraphique sous la direction de Thomas Lebrun, elle est aussi d’une grande élégance visuelle. Dans une atmosphère calme, le spectacle qui réunit danse, musique et théâtre, s’ouvre dans un clair-obscur laissant apparaître au centre de la scène, une gigantesque cabine d’essayage. Cet élément imposant va se déployer et se transformer au fil des situations et au rythme du changement des tenues. En arrière-plan, un immense châssis de cordes  évoque une  harpe. Belle scénographie de Cerise Guyon qui, avec des pans de tissu crème,  métamorphose les habituels portants en une série de vagues et voiles de bateau repliées. Dans les plis et replis, sont rangés les costumes dont s’emparent les mannequins.

© Ivan Boccara

© Ivan Boccara

La création-lumière de Florent Jacob apporte un relief aux éléments scéniques, intensifiant la parole dramatique, comme l’utilisation du matériau textile, donne une légèreté à l’ensemble de la scénographie. Des structures rectangulaires encadrent selon les scènes et souvent au début de chaque tableau, les silhouettes-personnages finissent par s’en échapper comme une réponse nette donnée aux vêtements parfois en trop vive possession de leur corps.
La pièce et ses personnages singuliers : cinq silhouettes ou mannequins est découpée en cinq blocs (ce qui revient à cinq actes du théâtre) : Bloc 1 : Ce n’est pas dramatique. Bloc 2 : Monologues des fonctions. Bloc 3: Les boutons. Bloc 4 Le vêtement qui ouvre des portes. Bloc 5 : Le vêtement qui en dit peu. Une composition  donne au public une vision riche du thème, à la fois claire et jubilatoire de par la variété thématique et l’interprétation de la jeune troupe en Région Centre-Val de Loire, du théâtre de l’Olympia : Félix Amard, d’une habileté et d’une justesse fascinante, Joséphine Callies, Claire Freyermuth, Camille Grillères et Luka Mavaetau. Tatiana Paris, musicienne et chanteuse, a composé une bande-son aux rythmes électro et joue des morceaux à la guitare. La mise en scène offre une place subtile à la musique avec une théâtralité poétique et originale. Comme dans cet émouvant moment, où dans une scène à la piscine, cela la gêne de dévoiler son corps en maillot de bain, Tatiana Paris interprète une chanson toute en délicatesse. Un instant d’une sensibilité à fleur de peau. 

Les costumes ( une centaine) créés par Sara Bartesaghi Gallo, tous très suggestifs, renforcent la théâtralité des histoires et  deviennent ici des personnages à part entière qui en disent long sur la nature humaine, les mœurs et régimes politiques. «Le rôle des habits ne se borne pas à nous tenir chaud, écrivait Virginia Woolf dans Orlando. Ils changent le monde à nos yeux et nous changent aux yeux du monde. (…) Ainsi, comme on le soutiendrait avec raison, ce sont peut-être les habits qui nous portent, et non pas nous qui les portons. »  Selon les situations vécues, l’apparence et le regard d’autrui, ils occupent une large place dans notre quotidien et notre comportement. Comme dans Le Garçon de café de Jean-Paul Sartre. De cette apparence si présente, la metteuse en scène fait une performance ! Incroyable est l’agilité avec laquelle Camille Grières, dans la saynète  Histoire du vêtement, passe à un rythme ultra-rapide, d’un vêtement d’une époque, à celui d’une autre !
Avec cet historique du costume féminin, du néolithique au XX ème siècle, nous apprenons, au sujet des femmes et de leur statut que « le code Napoléon inscrit l’infériorité des femmes dans la loi et les cantonne à la vie domestique. » Ou que « la loi française interdisait aux femmes de porter le pantalon, sauf si elles avaient à la main un cheval ou une bicyclette. La loi fut abolie en 2013. (…) Le pantalon provoqua une forte résistance du côté masculin, bien plus forte, on peut l’imaginer, que pour la mini-jupe. » Ce n’est qu’à partir des années soixante, que les femmes parviennent à conquérir le pantalon!  

Choisir et porter un vêtement n’a rien d’innocent ! Les cinq mannequins nous font vivre toutes les facettes de l’habit et ses conséquences une fois porté. Et Bérangère Vantussso nous le rappelle: «C’est terrible comme on classe les gens en un clin d’œil !»  Le spectacle met en jeu la question du goût, le regard de l’autre et montre comment la façon de s’habiller peut susciter la honte ou le mépris, et comment il est aussi un reflet de soi : « Ah! Mon jogging, mon vaste jogging où je flotte. (…)  Il me permet de passer incognito; c’est comme une cape d’invisibilité, il signifie une forme de retraite pour mon corps.» Ici, les habits se croisent avec humour, sérieux ou fantaisie, nous parlent et touchent à la fois l’intime et le collectif.
La chorégraphie, enjouée ou symbolique, va avec brio, du défilé militaire, à celui de manifestations politiques ou sociales, au défilé de mode, et à la fin, à une réjouissante danse carnavalesque. Et le public est sous le charme- les nombreux jeunes sont enthousiastes- de ce véritable ballet.  Ce dialogue inattendu entre pensée et gestuelle des corps, intimité et l’extériorité des êtres, s’instaure et retient notre attention, avec des fragments de La Distinction de Pierre Bourdieu, du Goût du moche d’Alice Pfeiffer, de Subvenir aux miracles de Victoire de Changy, et autres citations philosophiques ou littéraires.  Le texte de Nicolas Doutey a parfois tendance à freiner la vivacité du spectacle mais l’alliance du corps avec cette seconde peau, est portée avec éclat par la mise en scène de Bérangère Vantusso. 

Elisabeth Naud 

Jusqu’au 15 novembre au Théâtre Olympia-Centre Dramatique, 7 rue de Lucé, Tours (Indre-et-Loire) . T : 02 47 64 50 50.

Du 12 au 20 mars  au Théâtre Public de Montreuil-Centre Dramatique National  (Seine-Saint-Denis).

Du 8 au 10 avril, Comédie de Béthune-Centre Dramatique National Nord-Pas de Calais.  

Graham 100, par la Martha Graham Dance Company et Aurélie Dupont

Graham 100, par la Martha Graham Dance Company et Aurélie Dupont

Nous avons suivi cette compagnie américaine historique fondée en 1926, et elle avait ouvert en 2018 la saison Danse à l’Opéra de Paris, à l’invitation d’Aurélie Dupont. Nous retrouvons aujourdhui comme danseuse, lancienne directrice de la danse dans le programme A qui célèbre les manifestations des 100 ans de cette troupe. Les cent ans de la compagnie seront célébrés à New York en avril prochain. Quatre pièces à découvrir: soit un voyage dans le passé pour les deux premières et, dans le présent pour les suivantes. Le tableau avec Aurélie Dupont a été chorégraphié par Virginie Mécène cette année, à partir d’une photographie en noir et blanc de Martha Graham en 1926.

© M Sherwood

© M Sherwood

Nous l’avions rencontrée quand elle avait collaboré à deux pièces pour célébrer les quatre-vingt-dix ans de cette compagnie à New York, puis à l’Opéra-Garnier pour la reprise du solo Ekstasis en 2018. Il y a quelques mois Janet Eiber, directrice artistique, avait invité Aurélie Dupont à venir danser à Paris pour Graham 100.
« Cela fait quatre ans, dit-elle, que je nai pas dansé. » Pendant trois mois elle a repris des cours de danse classique et de pilates. Connaissant Virginie Mécène, elle décide de créer avec elle Désir, un solo ».
Elles ont travaillé sur dix jours,
à raison de cinq heures. SelonAurélie Dupont, Virginie Mécène  a donné du mouvement a une image pour finir par faire naître un solo de cinq minutes ». Pendant les répétitions ,« Revenir devant un miroir pour la première fois était surprenant, puis jai retrouvé peu à peu mes sensations davant. »
Elles ont commandé une robe rouge un peu élastique et près du corps à Anne-Marie Legrand, cheffe d’atelier de couture à l’Opéra de Paris.« Parfois, dit-elle, me manquent le plateau et cette petite bulle artistique appartenant seulement à celles et ceux qui arrivent des coulisses. Un moment de no mans land, où l’on devient quelqu’un d’autre. »

Errand into the maze (1947) est inspiré du mythe du labyrinthe avec Ariane et le Minotaure. Isamu Noguchi a réalisé décors et costumes et la musique de Menotti est très cinématographique. Et le tout comme souvent chez Martha Graham, d’un expressionnisme théâtral

Dans Cave of the heart ( 1946), Médée utilise la magie pour semparer de la Toison dor pour l’offrir à son amant Jason. La musique de Samuel Barber accompagne ce moment dont lesthétique appartient à un autre temps. Il faut voir ces pièces comme un témoignage du passé mais très novateur pour l’époque. Pour Cave, Hofesh Shechter s’est inspiré de la danse et des musiques des « rave » parties nées dans les années quatre-vingt. En, anglais « rave » :délire.Il a monté cette pièce avec la compagnie après la pandémie. Un exemple récent et douloureux de rave partie surgit dans la réalité sombre actuelle, comme le massacre au festival Nova le 7 octobre 2023 ne peut s’effacer de cet instant scénique.
A son habitude, Hofesh Schechter a composé musique et lumières pour  une débauche d’énergie vitale salutaire. La troupe prend un réel plaisir à danser et, aux mouvements de groupe, succèdent quelques performances individuelles. Nous sommes conquis. A Paris, cette soirée contrastée lance parfaitement la célébration des cent ans de cette compagnie mythique.

Jean Couturier

Jusqu’au 14 novembre, Théâtre du Châtelet 1 place du Châtelet, Paris ( Ier). T. : 01 40 28 28 40.

Nous les héros, version avec le père, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène deClément Hervieu-Léger

Nous les héros, version avec le Père, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Clément Hervieu-Léger

 «Lorsqu’ils sortent de scène, dans les coulisses, les acteurs de la troupe commencent leur vie, recommencent leur vie, leur vraie vie disait le l’auteur. Ils sont à nouveau eux-mêmes, c’est ce qu’ils veulent croire. Mais nous fêtons un événement important, avec soirée particulière. La fille aînée des patrons de la troupe se fiancera, dans les coulisses, avec le jeune premier de la fin de l’acte I.
Elle l’épousera puis ils seront chefs du théâtre et joueront le répertoire de la compagnie, contre tous les aléas de l’existence, les hôtels mal chauffés, le petit personnel agressif des salles des fêtes en province et l’indifférence narquoise du public et des enfants imbéciles ».
Clément Hervieu-Léger réussit à capter  l’élan vital des artistes qui jouent ici avec un naturel désarmant. La vie d’une troupe, ils l’ont tous vécue, avec amours, conflits, galères, espoirs… Cette pièce chorale nous transporte dans l’envers du décor. Un plateau vu des coulisses fermé par un rideau gris-vert à cour. Quelques éléments mobiles, des chaises, des tables pliantes, des portants avec costumes témoignant de la vie d’une troupe ambulante (belle scénographie de Camille Duchemin).

 

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©xJuliette Parisot

 

L’auteur situe l’histoire en Europe centrale au début du XX ème siècle, juste avant la première guerre mondiale mais le metteur en scène la transpose avant la chute du mur de Berlin. Avec des transitions jouées et chantées par les acteurs alternant musique classique et musique des années quatre-vingt. Il y a une certaine nostalgie chez les spectateurs de cette génération. C’est aussi l’histoire d’une famille de théâtre avec «pièces rapportées ». Un couple de comédiens : Mme Tschissik, une diva est chargée d’apporter plus de public à une tournée qui s’essouffle. Rôle interprété par l’exceptionnelle Elsa Lepoivre, toujours aussi juste. Mais tous sont engagés pleinement dans leurs rôles. Mention spéciale à Daniel San Pedro, chef de troupe autoritaire et plein de doutes: «C’est chez moi, c’est mon entreprise. Nous devons respecter les règles minimales dans une mise en scène cohérente. Je suis inquiet au sujet de la vie que nous menons… »
Autre personnage remarquable; Joséphine (Aymeline Alix), promise au jeune premier et malmenée par ses partenaires. La comédienne vient d’être engagée comme pensionnaire de la Comédie-Française. En deux heures vont se succéder confessions et rêves inaccessibles. Clément Hervieu-Léger porte un regard tendre sur ce concentré d’humanité fragile. Le public ne s’y trompe pas et, aux saluts, est en totale empathie avec artistes. Le metteur en scène va quitter la compagnie des Petits-Champs qu’il dirigeait avec Daniel San Pedro, pour se concentrer à sa fonction : administrateur de la Comédie-Française.

Jean Couturier

Spectacle vu au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T. :01 46 07 34 50.

Le 14 novembre au Théâtre de Rungis, Val-de-Marne). Le 18 novembre, Espace Jean Legendre, Compiègne (Oise).

Les 3 et 4 décembre, Théâtre de Caen ( Calvados).

FAUSTX, adaptation, mise en scène et conception de Brett Bailey

FAUSTX, adaptation, mise en scène et conception de Brett Bailey

 Deux Faust sud-africains joués à quelques semaines d’intervalle, celui, historique, de William Kentridge au Théâtre de la Ville ( voir Le Théâtre du Blog et celui de Brette Bailey à Nanterre. Tous les deux sont aussi artistes, et quels artistes ! En août dernier, à l’invitation du Kunstfest de Weimar où se trouvent la tombe de Goethe et celle de Schiller,  Brette Bailey a mis en scène son Faust, révélant, au-delà de l’évidente universalité du mythe, la force d’actualité du poème.
Il était une fois, donc, un savant lassé et déçu qui joue sa dernière carte : accepter l’aide de Méphistophélès, l’envoyé du Diable. La proposition : il accèdera à toutes les connaissances, de omni re scibilic(en plus de son propre capital-savoir), à toutes les jouissances, mais en échange de son âme, le jour où il se sentira satisfait et comblé. Ce qui n’arrive jamais, sinon, chez Goethe, par l’intercession de Marguerite (voir le premier Faust) que Bailey ne reprend pas dans sa mise en scène. « Toujours plus », désir sans fin, envie d’avoir envie propre à la chanson populaire et, au XIX ème siècle croissance exponentielle et accélération…
Cela commence par une image qu’on pourrait qualifier de « brechtienne » : les ouvriers du spectacle sont alignés face public, dans leurs vêtements de travail un peu à l’ancienne. Puis on découvre un Faust d’âge mûr, rêveur, accroupi au premier plan, au centre, comme dans une image pieuse. Il mettra un masque, que porte déjà son acolyte un peu facétieux, l’envoyé du diable, à son service le temps du « pacte ».
Tout le spectacle se déroule ainsi, comme un livre d’images pour enfants dont on tournerait les pages, en alternance avec des moments de cinéma. Du vrai cinéma, pellicules rayée et sauts d’images, mais vrai piège qui se dénonce lui-même avec l’affichage d’un « message d’erreur » envoyé par l’ordinateur présent sur le plateau. Une note d’humour en passant…

 

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Brett Bailey a tenu, semble-t-il, à rendre hommage à la germanité, en particulier avec les musiques de Franz Schubert, Gustave Mahler, Wolfgang Amedeus Mozart même s’il n’a pas composé de Faust…Mais aussi et surtout, à l’Afrique. Où il trouve la plus belle création de masques, coiffures, bijoux, tous « chargés » qui porteront le mythe. On n’oubliera pas une Hélène parée comme une déesse, à dix mille lieues géographiques et mythiques de l’Hélène européenne, ni les masques sur les pièces de monnaie, les profils de médaille des rois (l’Empereur, dans le texte original).
Tiens, la monnaie : parlons-en. Le duo infernal de l’homme « augmenté » et de son « coach », arrose les rois de  questions sur la fausse monnaie (allusion à l’invention du papier-monnaie et à la faillite de Law, au XVIII ème siècle), tandis que Faust s’évade pour faire un enfant à Hélène (accélérons le récit !).. C’est Euphorion auquel le metteur en scène donne le masque d’Elon Musk. Et bien sûr, cela fonctionne: le mythe de Faust a trouvé son incarnation contemporaine : l’homme qui veut tout inventer, tout maîtriser, agrandir le monde, étendre le capitalisme financier au système solaire, voire plus loin , offrir aux privilégiés une vie infiniment prolongée, et le Diable sait quoi….
Voilà un très beau spectacle qui en dit beaucoup avec peu de mots et peu d’effets mais puissants, grâce à l’art du masque, à la matière et à sa profonde mélancolie, même sur la tête du facétieux diablotin.

 Christine Friedel

Jusqu’au 1er à novembre à 18 h et le 2 à 15 h,Théâtre de Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine). T. : 06 07 14 81 40 ou 06 07 14 47 83. 

Peu importe de Marius von Mayenburg, traduction et mise en scène de Robin Ormond

Peu importe de Marius von Mayenburg, traduction et mise en scène de Robin Ormon

Cet écrivain allemand (cinquante-trois ans) aussi traducteur, notamment de Sarah Kane, est dramaturge pour le théâtre de la Schaubühne à Berlin et ses pièces ont été créées,  entre autres, par Thomas Ostermeier. Depuis une vingtaine d’années, ses pièces sont maintenant bien connues en France,comme L’Enfant froid, créée par Christophe Perton (2005), Eldorado par Olivier Lopez (2008).  Mikaël Serre a mis en scène Parasites (2004) et deux ans plus tard L’Enfant froid, puis Cible mouvante. Visage de feu a été créée par Alain Françon en 2001… On avait pu aussi voir cette année Le Moche, mise en scène d’Aurélien Hamard-Padis ( voir Le Théâtre du Blog) Ou Plastiques.

 

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Cela se passe un dimanche soir chez Simone et Erik. Elle travaille dans le secteur automobile et lui, dans l’édition. Les enfants sont couchés, tout est paisible, ou apparemment… sinon, il n’y aurait pas de pièce. Simone revient d’un voyage professionnel avec un cadeau enveloppé dans du papier doré. Mais assez vite, le dialogue entres les époux révèle les non-dits..
Et les phrase d’abord banales, ont quelque chose d’ironique. Une guerre larvée va commencer… Et sans doute est-ce la fin d’une relation amoureuse dans ce couple, jusque là, uni et les reproches commencent à pleuvoir (classique!).
Lui admet mal qu’elle s’absente.


Simone admet tout aussi mal qu’il le lui reproche, alors qu’elle fait vivre la famille et qu’elle n’a en rien à se justifier. Mais où tout d’un coup cela s’inverse dans ce couple. Marius von Mayenburg sait y faire et brouille les cartes avec habileté… On sent qu’ il n’y a aucune issue possible… Sur la petite scène, de nombreux cadeaux enveloppés dans de beaux papiers. ( Mais il y en a trop et cela pollue la vision et ne facilite pas le jeu des acteurs.) Robin Ormon a su recréer cette situation tendue où lui s’occupe de la maison et elle gagne l’essentiel de l’argent pour faire vivre la famille.   Assane Timbo, excellent incarne avec une grande précision, ce mari toujours sous tension toujours sous tension et Maryline Fontaine est aussi juste dans son personnage mais elle boule trop souvent son texte et on la comprend mal surtout quand elle est dos au public.

Elle et lui sont comme à bout de souffle, usés par le temps qui les a changés… sans leur demander leur avis. A la toute fin, un téléphone sonne longuement mais personne ne décrochera et on ne saura jamais la suite. Pas de grand choix possible. Séparation du couple annoncée, ou accord de paix bancal -chacun faisant des concessions- qui aurait au moins le mérite d’exister, pour retrouver un quotidien supportable…  Comment arriver à continuer à vivre ensemble? Seule possibilité: gommer indifférence, rancœur, amertume, regrets, fermeture sur soi-même et l’auteur sait habilement nous renvoyer à nous-même… C’est le grand mérite de cette pièce et une bonne occasion d’aller retrouver ou découvrir cet auteur.  Dans la montagne de spectacles approximatifs, le plus souvent adaptés de romans, il y a  d’heureuses exceptions comme cet Peu importe avec la peinture d’un  couple actuel, faite avec lucidité et un certain humour..

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 4 janvier, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T : 01 40 03 44 30.

Les textes de Marius von Mayenburg sont publiées sont publiées par L’Arche Editeur.

Vendredi, texte, jeu et mise en scène de Nicolas Verdier, avec la complicité de Serge Bagdassarian de la Comédie-Française et Carole Allemand

Vendredi, texte, jeu et mise en scène de Nicolas Verdier, avec la complicité de Serge Bagdassarian, de la Comédie-Française et Carole Allemand

Un monologue inspiré du célèbre Robinson Crusoé de Daniel de Foé, naufragé sur une île déserte qui, après bien des années, a rencontré Vendredi et qui l’a éduqué. Mais Robinson est parti depuis longtemps et maintenant seul, Vendredi attend la venue d’autres naufragés avec qui il va essayer de tisser un lien : ici, le public qu’il retrouve sur une plage. Il cherche le contact et l’obtient vite quand il parle de ses croyances.

 

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Habillé d’un pantalon et d’une chemise en toile qui ont plus que vécu, et de sandales usées, il a des cheveux très noirs hirsutes, un visage blanc et un nez pointu qui fait penser à celui de Pinocchio. Absolument insolite et en même temps crédible -pas si fréquent et qui appartient à l’art du clown…Il nous parle de sa vie et de ses croyances et de temps en temps, interprète (voix et musique off) une petite chanson en s’accompagnant… d’une calebasse-guitare avec quatre ficelles en guise de cordes. Il jouera aussi un air de clarinette.
Scénographie aussi intelligente que raffinée conçue par lui-même: voiles de bateau en loques et, au centre, une petite mais somptueuse cabane. Le texte est souvent léger mais Nicolas Verdier qui a travaillé avec Valérie Christian Hecq -présent ce soir-là- dans ces merveilleux que sont
Le Voyage de Gulliver et 20.000 Lieues sous les mers ( voir Le Théâtre du Blog) s’en sort bien grâce à une indéniable présence… Il réussit à faire rire le public avec une gestuelle étonnante et à imposer un personnage clownesque qui fait penser à celui qu’avait créé Slava, cet artiste russe qui, avec son théâtre Licedei, avait enchanté le public du monde entier dans les années quatre-vingt. Sans doute, Nicolas Verdier aurait-il intérêt à nuancer davantage le ton de sa voix -trop uniformément rauque, là, il y a encore un peu de travail- mais ce spectacle d’une heure qui passe très vite, est déjà prometteur et il faudra le suivre…

Philippe du Vignal

Uniquement les vendredis 31 octobre ; 7, 14 et 21 novembre.Et les 5 et 12 décembre à 19 h, Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris ( XI ème) . T. : 01 40 09 70 40.77 

Festival Exit à Lyon I’m Fine par le Théâtre KnAM,

Festival Exit à Lyon

I’m Fine par le Théâtre KnAM

Tatiana Frolova est calme, gaie et heureuse, pourtant à quelques heures de la première à Lyon de son nouveau spectacle avec sa compagnie. Mais peut-être justement parce que le titre, I’m Fine, correspond tout à fait à son état… Le KnAM, ce sigle est le nom de cette toute petite salle de vingt cinq places près de Vladivostok, à l’extrémité orientale de l’immense Russie, est un de ses premiers théâtres indépendants. Mais Tatiana Frolova en a fermé la porte dès les premiers jours de la S.V.O.  (Opération Spéciale) : cette guerre si absurde et si cruelle qui ne veut pas dire pas son nom. Et elle est partie, droit vers la France où on la connaissait, dénichée par Jean-Pierre Thibaudat, inlassable découvreur. Le KnAM avait été alors invité au festival Passages à Metz, au Conservatoire National à Paris, au festival Exit à Lyon  et a animé des stages…

Ses acteurs l’ont très vite rejointe dans son exil, la région lyonnaise où la troupe a été accueillie, soutenue en particulier par le Théâtre des Célestins.  Elle en est, depuis 2023, artiste associée. Parce que tous les spectacles du KnAM, de type documentaire, ne cessaient de dénoncer les crimes de Staline, les mensonges et la violence du régime irrespirable de Poutine, Tania Frolova n’a pas eu besoin de dire qu’elle était contre l’invasion de l’Ukraine. Son refus de la politique poutinienne, bien avant février 2022, était évident. Et parce que le KnAM présentait sur scène un univers très particulier, sans peur, à la fois délicat et puissant, fait d’artisanat et de technologies qui s’entendaient à merveille, ses spectacles ont trouvé un chemin direct vers le cœur de nombreux spectateurs.

Une guerre personnelle, Je suis, Je n’ai pas encore commencé à vivre…  Ses spectacles-documents sur la vie à Komsomolsk-sur-Amour, bâtie sur les os des prisonniers du goulag, étaient inventifs, réalisés avec très peu de moyens et avec des vidéos qui ouvraient l’espace du petit théâtre. Et puis en exil, ont été créés d’abord Nous ne sommes plus, et aujourd’hui : I ‘m Fine qui viendra en mars à la MC93 de Bobigny, poursuit cette veine à la fois très personnelle et très collective.
La première scène est une image d’une simplicité biblique et incarne cet état de solidarité qui devait être le nôtre dans nos sociétés de repliement identitaire. Sept acteurs sont alignés, les uns contre les autres, face à nous ; l’un vacille, va tomber, tous le retiennent, le rattrapent, le redressent, et se redressent. Une image fulgurante qui se répète -eux, nous : universel- indique sans un mot, la force et la cohésion de la troupe. 
Cette affirmation essentielle est rappelée en « coda » avec apparition sur le rideau de fond du nom de chaque membre, accompagné de sa date d’entrée au KnAM et du titre de son premier spectacle. I’m Fine prolonge l’esthétique de montage documentaire à laquelle cette troupe nous a habitués : chaque acteur ou actrice expose ses souvenirs, choisis sans narcissisme, et ses confidences présentées comme des témoignages.

© Julie Cherki

© Julie Cherki

La metteuse en scène trouve toujours une façon poétique de transmettre en langage théâtral les états des acteurs qui sont les personnages du spectacle. Le concret règne en maître : les sons, bruits et musiques, juste esquissés, provenant ou non de la table de travail bien visible d’où partent aussi des projections (archives , photos, film) ; des objets retenus  pour leur force évocatrice : les bottes qu’il faut acheter et chausser pour marcher, pour courir, pour fuir, pour vivre et se tenir droit sur un sol nouveau; les pommes de terre, base omniprésente de la nourriture russe. Et de longs gants verts de jardinage pour suggérer la floraison du théâtre qui, bien qu’il ait été arrosé pendant trente-sept ans, n’a pas fleuri en Russie, ou un voile translucide qui parfois enveloppe les comédiens les empaquette, dont ils arrivent pourtant à se débarrasser.

Tout un monde commun où la nostalgie est un luxe, mais où rien ne peut empêcher les souvenirs des grand-mères de sourdre, ou le présent de la Russie de jaillir avec les photos des visages des prisonniers politiques, comme ce Pavel Kouchnir, un pianiste de trente neuf ans mort au Birobidjan. Ou Alexeï Navalny, le chevalier sans peur … I’m Fine, c’est comme la fin d’un cycle. Un constat sur la vie en l’exil. Qu’est-ce qu’un asile ? Qu’est-ce qu’être réfugié ? Qu’est-ce qu’une langue ? Qu’est-ce qu’un corps ? Les réponses sont données, vibrantes à travers les expériences vécues, l’apprentissage du français, les techniques si habiles de traduction scénique, qu’une Française, à la fois actrice et traductrice, assume totalement, en fluidifiant tous les échanges et en faisant entendre la beauté des deux langues, ce que le surtitrage (qui est aussi utilisé) ne peut pas faire.

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« Les corps sont nos maisons, ils ne connaissent pas l’exil, et nos racines sont dans la langue, non dans la terre » égrènent les acteurs du KnAM. La gratitude envers le pays d’accueil est présente dans un délicieux moment où une actrice qui a fait pousser une belle orchidée, en fait ensuite cadeau au spectateur qui a bien voulu monter sur scène pour observer le processus. Délicatesse et profondeur, aucun didactisme, rien d’appuyé, un montage rapide où s’infiltrent les mythes russes ou bien des paroles de Verkhovenski (en russe, « le Meneur, «le Supérieur ») dans Les Démons, prononcées par une incarnation du Mal, tout de blanc vêtue. Il faut suivre avec attention ce flux concis: tout peut mettre le spectateur au bord des larmes ; au bord seulement, car jamais, il n’y a de  sentimental dans les petites choses avec lesquelles, solidement botté, on reconstruit un nouveau quotidien.

Fin d’un cycle, avons-nous dit? Mais dans ce spectacle émouvant et universel où nous pouvons tous nous retrouver, il y a aussi la promesse d’un nouvel acte de naissance. I’m Fine : il est possible et il est temps maintenant pour le KnAM de respirer plus grand, d’investir de plus grands plateaux pour déployer son imaginaire et sa vision personnelle de l’Histoire en train de se jouer. Le KnAM habite en France mais est aussi citoyen du Pays du théâtre. Et ce n’est pas donné à nombre de spectacles russes en exil qui ne font pas cette démarche difficile, lucide et politique.

Béatrice Picon-Vallin

Spectacle vu le 20 octobre au Théâtre des Célestins, Lyon (Rhône).

Les 6 et 7 novembre, Maison de la Culture, Bourges (Cher). Les 14 et 15 novembre, Théâtre populaire romand, La Chaux-de-Fonds (Suisse).

Du 26 au 28 novembre, Comédie de Valence-Centre Dramatique National Drôme-Ardèche (Drôme).

Les 20 et 21 mars, L’Usine à gaz,  Nyon  (Suisse); du 25 au 28 mars, MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Les 5 et 6 mai, MC2: Maison de la Culture de Grenoble (Isère).

Le BonheurNous ne sommes plusI’m Fine (les trois derniers spectacles du KnAM), traduction de Bleue Isambart, éditions Koiné (2025).

 

Une autre histoire du théâtre

Une autre histoire du théâtre, conception de Fanny de Chaillé

Un spectacle joué entre autres à Montreuil, au Théâtre national de Chaillot Danse  et au dernier festival d’Avignon et parfaitement rodé, avec de jeunes interprètes: Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala et Valentine Vittoz. Sur le plateau, une table, deux chaises: c’est tout et en une heure et quelque vont être abordés aussi des thèmes classique déjà soulevés par Denis Diderot. Un acteur doit-il vraiment incarner un personnage ou le jouer mais en n’étant pas dupe qu’il le joue seulement? Pourquoi  n’y-a-t-il eu longtemps pas d’actrices sur les scènes  ? Qui dirige les répétitions d’un texte? Quel est le rôle exact du metteur en scène ? Cela commence plutôt bien et il y a une unité de jeu entre ces jeunes acteurs qui visiblement se connaissent bien.  Ils  s’interrogent sur la question de faire et pourquoi du théâtre avec des extraits de scènes-cultes comme celle d’Elvire avec Dom Juan chez Molière, Clindor dans L’Illusion comique de Corneille ou  du Roi dans Richard II de  Shakespeare. Et il y a de bons moments  comme ce jeu avec avec une lampe de poche dans le noir du plateau pour créer l’angoisse, ou ce monologue de Richard. Mais aussi des allusions orales ou visuelles, moins claires, à des monuments du théâtre contemporains comme Tadeusz Kantor, Pina Bausch… Il y a aussi une extrait d’une interview de Jeanne Moreau ( dont on se demande ce qu’elle vient faire là)

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Mais assez vite, il y a comme une petite tromperie sur la marchandise… On se demande parfois si  Fanny de Chaillé n’avait pas voulu poursuivre une quête personnelle et si nous ne sommes pas dans un Théâtre pour les nuls.. Mais de fil rouge, on ne voit pas très bien sinon l’amour du théâtre. La conceptrice, puis conceptrice il y a, (il n’est pas bizarrement indiqué de nom pour la mise en scène?), dirige ses actrices et acteurs avec une incontestable maîtrise mais, cela dit, nous avons souvent eu l’impression d’assister à un travail de troisième année d’école, plutôt qu’à un vrai spectacle. En effet, le texte -très léger et pas non plus revendiqué – sent les improvisations à dix mètres. Et côté mise en scène, Fanny de Chaillé aurait pu nous épargner les poncifs actuels: jeu dans la salle, fumigènes ( légers), lumière stroboscopiques rouges…
La « conceptrice » n’a pas voulu faire d’histoire de théâtre -et c’est son droit- comme l’avaient fait brillamment,  au siècle dernier (cela fait toujours drôle d’employer la même expression que nos profs au lycée qui, eux, parlaient du XIX ème !) Alfredo Arias avec sa compagnie le TSE ou ensuite le Théâtre de l’Unité dans la mise en scène d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine avec 2.5000 à l’heure. Mais, malgré l’énergie et le savoir-faire des acteurs, Une autre Histoire du Théâtre « a gardé l’essence des répétitions » comme Fanny de Chaillé le dit elle-même, et nous sommes resté sur notre faim…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 octobre, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

Le Misanthrope de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger

Le Misanthrope de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger

Cette pièce, une référence historique en soi, a été créée le 4 juin 1666 par la troupe de Molière au théâtre du Palais-Royal, avec l’auteur dans le rôle d’Alceste et avec Armande Béjart dans celui de Célimène. Nous avons tous en mémoire les tirades fameuses et les mises en scène d’Antoine Vitez en 1978, au destival d’Avignon, puis au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Et, en 88, dans une grande galerie, signée Yannis Kokkos, avec Patrice Kerbrat dans le rôle-titre qui saluait d’un geste symbolique avec, à la fin du spectacle,  un:  » au revoir », d’une grande théâtralité, .

© Christophe Raynaud de Lage collection Comédie- Française

© Christophe Raynaud de Lage collection Comédie- Française

Cette réalisation (2014), scénographie d’Éric Ruf, reste d’une grande beauté:  une demeure bourgeoise avec de hauts murs, un lustre imposant, trois escaliers, un piano droit et de multiples chaises, banquettes, fauteuils. Dans ce même espace Clément Hervieu-Léger créera L’Ecole de danse de Carlo Goldoni en novembre. C’est pour Alceste, parfaitement incarné par Loïc Corbery, un espace de solitude malgré tous les personnages qu’il y côtoie. Quand le public arrive, il est là voûté, la tête dans les mains, comme s’il cherchait à se cacher. On pense à Platonov, dans pièce éponyme d’Anton Tchekhov et au solitaire de Premier Amour, une nouvelle de Samuel Beckett.

Mais la misanthropie, dit le metteur en scène, n’est pas le seul trait de caractère d’Alceste. Le sous-titre: L’Atrabilaire amoureux -disparu à l’impression du texte en décembre 1666- renvoie à la théorie des humeurs, popularisée par les disciples d’Hippocrate. Atrabile (du grec ancien, atra : noir). Ce qu’on appelait autrefois: mélancolie et aujourd’hui : état dépressif ou «fatigue d’être soi», pour reprendre l’expression d’Alain Ehrenberg. Pour un clinicien, Alceste, dans les trois premiers actes, est un vrai dépressif et se refuse « à tout compromis avec le genre humain », surtout avec la vie mondaine de son époque.

Au premier acte, il réplique à Philinte (excellent Eric Génovèse). « Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net/L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.» Puis il interpelle Célimène assez durement et il la poursuit, à la limite du harcèlement sexuel, dans une phase d’euphorie proche de l’état qu’on peut rencontrer chez des personnes bipolaires. Il l’aime (et Adeline d’Hermy en fait un personnage très convaincant) mais n’apprécie pas son goût pour la vie mondaine, ni ses multiples amoureux. Ce misanthrope qui ne tient pas en place, occupe chaque espace de jeu, devant le piano, au pied ou en haut des escaliers, assis par terre, sur une chaise ou un fauteuil…
Cette mobilité constante, véritable chorégraphie avec tous les personnages, a été remarquablement conçue par le metteur en scène et les interprètes sont tous de haut niveau. Dans le hall du Vieux-Colombier (la deuxième salle de la Comédie-Française), un texte avec de nombreuses photos : «Molière eut le privilège d’avoir le danseur le plus illustre de l’époque: Louis XIV, pour accompagner son invention de la comédie-ballet! La danse occupe une place particulière à la Comédie-Française depuis ses origines. Elle outrepasse le privilège accordé à l’Académie royale de musique, créée des postes de maître de danse pour les comédiens qui, de surcroît, passent du théâtre, à l’Opéra, et inversement. »Depuis sa création, le spectacle (trois heures avec entracte) a été joué plus de deux cent fois avec un succès amplement justifié.

Jean Couturier

Jusqu’au 3 janvier, Comédie Française, 1 place Colette, Paris (Ier). T. : 01 44 58 15 15.

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