Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

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©x A La Belle de mai

Sixième édition de ce festival  hivernal  Archaos, Pôle National Cirque, implanté à Marseille depuis 2001, accompagne la création, la diffusion et la pratique des arts du cirque contemporain. Dirigé par Raquel Rache de Andrade, Guy et Simon Carrara, le Pôle national cirque Archaos a créé  il y a dix ans cette Biennale qui a lieu les années impaires en janvier et février, avec un programme réparti sur cinquante structures culturelles de la région Sud, Côte d’Azur et à Marseille.
Une belle initiative, avec une mutualisation des ressources pour mettre en lumière la création circassienne aux différentes expressions.  Cette année Archaos a  voulu privilégier les artistes femmes, connues ou moins connues. Le tout sous la houlette des élus, entre autres, Benoît Payan, maire de Marseille.

Un ensemble de spectacles  à l’organisation impressionnante mais aussi des Rencontres professionnelles réunissant des centaines d’artistes internationaux. Les chapiteaux abritent des spectacles, à la fois exigeants et populaires, notamment sur la grande plage du Prado à Marseille. Pour maintenir le lien avec le public et assurer une présence continue du cirque tout au long de l’année, le Pôle national Cirque Archaos a lancé en 2016 l’Entre 2 BIAC sur un mois entre janvier et février, les années paires, avec une version ciblée sur le seul territoire de Marseille-Métropole. Devenus événements essentiels, la BIAC et l’Entre 2 BIAC contribuent au rayonnement culturel de cette immense ville mais aussi de cette région très peuplée.

Présentation du riche programme  de la BIAC par la directrice Rachel Rache de Andrade dans le beau petit chapiteau  du Magic Miror,  en toile rouge et aux colonnes plaquées de longs miroirs. Sur le parquet, une colonne carrée en verre synthétique d’environ quatre mètres de hauteur et ouverte au sommet.

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Alice Rende,  une jeune acrobate brésilienne, va y entrer par une trappe en bas. Pendant les vingt minutes de Passages, nous allons la voir de près confinée dans cet espace étroit. Elle va réaliser ascension et descente des parois en se contorsionnant mains et pieds nus, sans aucun accessoire.
Montant jusqu’à une barre en haut puis se laissant couler jusqu’en bas, elle réalise  aussi des figures acrobatiques en pliant et dépliant son corps, comme le ferait un pantin. manipulé. Alice Rende arrive même à se maintenir à mi-hauteur, comme suspendue.  Puis elle chute, se rétablit gracieusement et rechute… Cet exploit physique étant bien entendu préparé avec le plus grand soin. Et cette-apparente-imperturbabilité a des  côtés philosophiques. « La suspension, écrivait Sextus  Empiricus ( II ème siècle après J.C.) est l’état de la pensée où nous ne nions ni n’affirmons rien. Quiétude, c’est la tranquillité et la sérénité de l’âme. »
Ici, aucun art de l’illusion: la performance d’Alice Rende, bien réelle, est à la fois physique mais aussi sonore: on entend, bien sûr amplifiées, le bruit des mains et de pieds contre le plexiglas. Les risques pris sont limités mais cette exercice anti-gravité et d’une rare beauté, a quelque chose de merveilleusement fascinant

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud dans actualites
Yongoyély, création collective du Baobab Circus, direction artistique de Kerfalla Camara, mise en cirque et scénographie de Yann Ecauvre

Ce spectacle  a été coproduit par le Centre culturel franco-guinéen, avec le soutien du Fond de développement des arts et de la Culture en Guinée. Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré. Soit six acrobates-danseuses et chanteuses, deux porteurs et un voltigeur, tous remarquables…

 

© Thomas O'Brien

© Thomas O’Brien

Après  Yé !  qui avait connu un triomphe exceptionnel à la Scala à Paris et en Europe, ce cirque revient avec ce nouveau spectacle où la virtuosité acrobatique est mise au service d’une œuvre qui se veut féministe. Yongoyély a pour thème l’indépendance de toutes les Africaines. 
Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture de Marseille, dit quelques mots de bienvenue. En même temps, on entend déjà les bruits incessants d’une ville africaine: motos, camions, voitures, mêlés à des brouhahas de conversations. Sans doute ceux de Conakry, la capitale. Et par moments, un texte en voix off qu’on entend mal, dit  tout  l’espoir d’une vie meilleure pour ces femmes courageuses et parfois encore soumises à l’excision dans ce pays de quelque treize millions d’habitants en pleine mutation.
Colonisé par la France depuis 1883, il fut un des premiers, grâce à Sékou Touré  à acquérir son indépendance  en 58 ! Alors nouveau Président de la République, De Gaulle, exaspéré, n’avait pas été spécialement élégant! «Mais laissez-le donc, bouffer ses bananes et ses cacahuètes. »  Sékou Touré, devenu président, échappera à plusieurs attentats destinés à le remplacer par un autre… choisi, lui, par De Gaulle! Sans doute fomentés par des barbouzes français sous la houlette du sinistre Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, de soixante à soixante-quatorze. Cet ancien résistant dévoué à De Gaulle utilisait sans aucun scrupule toutes les méthodes criminelles pour étouffer les oppositions. Le camerounais Félix-Roland Moumié avait été assassiné et les commandos de Foccart entraînèrent des opposants guinéens à développer un climat d’insécurité pour renverser Sékou Touré. Ils introduisirent aussi de gros paquets de faux billets pour déséquilibrer l’économie. Vive la France!

 

Mais Yongoyély n’a pas la puissance de de Baobab Circus. Cette bande de circassiens- femmes et  hommes-sont virtuoses: acrobatie, tours humaines, voltige, sauts périlleux au sol, ou absolument stupéfiants sur une longue perche tenue par deux hommes. Dans un sorte de chorégraphie, sont ici repris des numéros de barre russe, de chambrière (long fouet qui claque  utilisé par les dresseurs de chevaux non montés), mât chinois, portés acrobatiques, main à main, voltige, saut périlleux au-dessus de parpaings ou sur des perches. Brillantissime…Mais aussi des  chants a cappella par les six femmes et danses traditionnelles. Tous ces numéros d’une rare qualité enthousiasment le public qui les a chaleureusement applaudis.
La mise en scène signée Yann Ecauvre, bien conventionnelle, n’est pas du bois dont on fait les perches ni les flûtes: jets de fumigène sans raison comme souvent dans le théâtre actuel, nombreuses répétitions de numéros, chants souvent criés, murs de parpaings dangereux, manque de rythme, scène vide par moments, mélange texte/cirque mal assumé: cela fait quand même beaucoup d’erreurs… qui pourraient être corrigées. Restent ces magnifiques interprètes…


© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Soleil et mistral samedi après-midi à la Friche de la Belle de mai, ancienne manufacture de tabac, accueillaient gratuitement-ceci explique aussi cela-une foule de spectateurs dont de nombreuses familles avec enfants. A l’extérieur, on retrouve Chloé Moglia  qu’on a pu voir à Dijon (voir Le Théâtre du Blog) et entre autres, au festival Paris Quartier d’été. Cette danseuse, chorégraphe et acrobate dirige la compagnie Rhizome et a développé la suspension, un art, disons, d’acrobatie poétique, voire philosophique: elle évolue lentement pour évoquer la «conscience d’être mortel, mais la saveur d’être en vie aussi. »
« Ma pratique, dit-elle, plutôt que se fonder sur des figures spectaculaires dont je me cogne au demeurant, malgré un rapport indéniable au risque et au danger, englobe la pensée et la rêverie en portant une attention amoureuse au monde qui élève l’acuité. »

Féministe convaincue, elle n’apprend son art qu’à des femmes. Dans Rouge merveille qu’elle a créé cette année, Mélusine Lavinet-Drouet dans cette discipline circassienne maintenant reconnue. Cette artiste installe la structure mais fait semblant d’avoir du mal avec le mode d’emploi et  prie une spectatrice de l’aider…
Elle a juste un sac qu’elle accroche puis se suspendra aux branches d’une sorte d’arbre. Et elle se met ensuite des ailes d’ange en métal. De belles images même s’il est parfois difficile de tout voir de cette performance à cause d’un très nombreux public. La rançon du théâtre de rue…

© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Il y avait aussi Soka Tira Osoa, un court mais beau  spectacle avec une funambule sur une musique rock-jazz  dans une scénographie bi-frontale. « Si tout part du sol, pourquoi ne pas imaginer une traversée qui partirait d’ici avec vous ? Et si nous tirions ensemble cette corde pour voir jusqu’où cela nous mène ?  Soka Tira Osoa est un espace propice à la rencontre et à l’entraide. » Les artistes de la compagnie Basinga mettent tous les corps de métiers à cette même place d’artiste et cet exercice de  funambule est aussi fondé sur notre fragilité et sur notre possibilité à les surmonter. » La funambule tombera mais remonte sur le fil avec un autre balancier…
Dans un espace à l’intérieur, trois acrobates espagnols -deux femmes et un homme-jouaient avec et sur des chaises. Mais vu l’affluence de plusieurs centaines de spectateurs, on ne réussissait qu’à les apercevoir,  donc impossible de rien vous en dire…

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Et il y a eu aussi au Mucem, la présentation d’une formidable exposition sur le cirque En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques par Macha Makeieff et Vincent Giovannoni, conservateur en chef, responsable du pôle Arts du spectacle, commissaires  dont nous vous reparlerons.

Philippe du Vignal

 

Jusqu’au 9 février à Marseille et dans toute la Région Sud. T. : 04 91 55 61 64.


La Scala, Paris (X ème) du 12 février au 2 mars. Scène de Bayssan, Béziers, ( Hérault), le 8 mars. Dieppe Scène nationale (Seine-Maritime) ,le 22 mars. Centre Culturel Jacques Prévert, Villeparisis (Seine-et-Marne), le 25 mars. Théâtre Le Reflet, Vevey (Suisse),  le 30 mars.

Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse) les 2 et 3 avril. Points Communs-Scène nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), les 5 et 6 avril. L’Avant-Seine, Théâtre de Colombes ( Hauts-de Seine) le 8 avril. Théâtre de Rungis (Val-de-Marne) le 10 avril.

Festival des sept Collines, Saint-Étienne (Loire) le 28 juin.

 

 

 


Archives pour la catégorie critique

L’exposition Allez hop, au travail !

L’exposition Allez hop, au travail !

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Cela se passe à l’hôtel Gaillard place du Général Catroux (XVIIème arrondissement de Paris-toits élancés, tourelles et murs de briques-et qui a été conçu à la fin du XIXème siècle pour Émile Gaillard. Il en confia l’édification à l’architecte Jules Février et celle  de deux autres, aujourd’hui réunis. L’hôtel Gaillard répondait à trois besoins : loger une famille, recevoir avec faste, et mettre en valeur une collection exceptionnelle: faïences de Bernard Palissy, tapisseries des Flandres, statues et coffres Renaissance. Construit entre 1878 et 1884, ce chef d’œuvre de l’architecture néo-Renaissance, inspiré des châteaux de Blois et Gien… avait coûté onze millions de francs. Soit environ 41 millions d’euros!!!!

© Philippe du Vignal

© Philippe du Vignal

Les valeurs artistiques-émail peint, sculpture sur bois,  verre polychrome, carrelage raffiné- de la Renaissance correspondaient  à celles de la grande bourgeoisie d’affaires.  Puis de 1923 à 2006 l’hôtel Gaillard devient une succursale  de la Banque de France à un prix bradé: deux millions de francs. Le transformer en succursale bancaire nécessitera des travaux importants, de 1919 à 1923 confiés à Alphonse Defrasse et au décorateur Jean-Henri Jansen. L’architecte crée enter autres, un hall du public grâce à une structure en béton armé avec voûte en bois et verrières. Un ensemble monumental… Et il y introduit des motifs décoratifs empruntés à la façade : murs en briques polychromes, corbeaux en pierre sculptée (moulés sur les originaux)…. Mais cette succursale bancaire fermera ses portes en 2006.

Cette exposition, dont le commissaire est Albert David, professeur de management à l’Université Paris-Dauphine qui a cofondé le Dauphine Musée du Management, est conçue comme une véritable plongée au cœur du management moderne. Ici, on  a retracé à grandes lignes, comment le management a façonné le monde professionnel, surtout celui de l’industrie. Mais il est partout et on aurait bien aimé que soit aussi évoqué celui  du milieu de l’art et des musées. Lequel n’échappe pas aux dérives du management! Un régisseur du FRAC Champagne-Ardennes s’est suicidé en 2021. Et autrefois, un cadre important du Ministère de la Culture, avait viré sans ménagement (et sans jeux de mots) par André Malraux… Il ne l’avait pas supporté et succomba quelques heures plus tard.  Et, sans doute mal conseillé, en 68 André Malraux licencie Henri Langlois, immense fondateur et directeur de la Cinémathèque, avant de rétropédaler vite fait, devant la pétition signée de réalisateurs inconnus… entre autres  Federico Fellini, Charlie Chaplin, Stanley Kubrick, Orson Welles, Luis Buñuel, et, en France François Truffaut, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette….
Histoire de rappeler qu’un management bien conçu, est aussi fondé sur des enjeux philosophiques et moraux, et comme cette exposition le prouve, et lié l’organisation de la société d’un pays et à l’organisation optimale d’un travail en équipe, pour qu’il  soit efficace  sur le plan de la rentabilité mais aussi en termes de vie collective et personnelle dans une entreprise. Ce que l’on peut voir sur les panneaux richement illustrés et il
y a aussi sur une table, un jeu de rôles interactif où on peut incarner plusieurs rôles : chef d’entreprise, employé dans un restaurant, une start-up, ou une grande firme internationale…

Le management est fondé sur trois fonctions: organiser gérer et administrer. Après 1850 , les grandes entreprises prospèrent grâce aux progrès des techniques et au développement des transports donnant accès à des marchés plus importants. But : rationaliser les ressources, améliorer la coordination et redonner le contrôle à la Direction. Et être efficace avec des  règles de gestion rigoureuses Principaux artisans de ce mouvement sur lequel se fonde le management actuel: l’Américain Frederik Taylor, le Français Henry Fayol et l’Allemand Max Weber. Il leur faut créer et maintenir un juste équilibre entre contrôle direct, avec procédures et valeurs à respecter mais aussi sens des responsabilités. Contrôle de la qualité de production, du bon avancement des projets, et respect des normes éthiques..

Et ont été alors mises en œuvre, les méthodes et outils pour rationaliser la gestion des organisations publiques ou privée comme la recherche systématique de performance, avec au bout: profit, valeur actionnariale, bien-être des collaborateurs, effets sociaux et environnementaux. Pour Chester Barnard, chef d’entreprise américain, en 1938: « Manager, c’est cultiver la responsabilité chez les autres ». Être responsable, signifierait donc être dans la nécessité de répondre de ses actes pour être efficace…

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©x Lilian Gilbrecht

Comme ailleurs, les femmes sont les grande oubliées du management comme Lillian Gilbreth et Mary Parker Follett, figures incontournables du management. Elles ont pourtant joué un rôle fondamental dans les avancées théoriques, la conception et la mise en œuvre de méthodes pratiques.
Sont ici retracées trois séries d’expériences, celle du  célèbre Taylor, pionnier de l’organisation scientifique du travail, de Mayo à la Western Electric sur l’importance du facteur humain et Lewin sur les avantages d’un fonctionnement démocratique.Mais les dérives sont aussi au rendez-vous: domination et manipulation, violence physiques et/ou sexuelles du patronat et/ou de ses collaborateurs des subordonnés. Jusqu’à l’épuisement, l’ennui, et le mal-être  par suite de comportements déplacés et harcèlement moral. D’où la nécessité de structures et procédures pour prévenir  et…  réparer les fréquents abus  du management.

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©x Mary Parker Follett

Il y a aussi des panneaux consacrés au futur. Sera-t-il une déclinaison ou y aura-t-il une rupture avec le management actuel, vu les enjeux écologiques? Probablement, un savant cocktail des deux. Comment gérera-t-on une entreprise en conciliant rationalité et responsabilité, en augmentant la valorisation des personnels qui la font vivre. L’exposition se conclut sur quatre métiers imaginés du futur qui traduiraient cette approche…

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On peut aussi aller faire un tour à l’exposition permanente où sont remarquablement montrés et expliqués sur des écrans par des experts-comme entre autres, Christine Lagarde-les grands enjeux économiques. Mais aussi la crise monétaire puis économique de 1929 avec un court extrait de  La Ruée ( 1932) un remarquable film de  Frank Capra où il montre une ruée vers les banques après le krach boursier américain… Une crise, issue de la guerre de 14-18 et expliquée par le célèbre économiste britannique John Maynard Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Il faut parfois s’accrocher et mieux vaut avoir déjà acquis les fondamentaux de l’économie mondiale… dont les experts se contredisent, tout en étant souvent d’accord… Allez-donc vous y retrouver…

Un bémol? Oui, ici  les prix d’entrée ne sont pas donnés! Et la Banque de France à qui appartient Citéco pourrait faire un sérieux effort, même s’il y a des tarifs réduits. Les gouvernements successifs n’ont jamais voulu que les Français aient vraiment le le droit d’apprendre au collège ou au lycée, les bases solides de l’économie… Et en cette période de vaches maigres et où même le Bayrou de service, agrégé des lettres mais pas grand expert financier, se mélange les pinceaux et confond dette et déficit national. Faciliter vraiment  l’accès pour tous à l’économie, ne serait pas un luxe. Qu’en pense le gouverneur de la Banque de France, laquelle appartient jusqu’à nouvel ordre à tous les citoyens de notre pays?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1er juin, Citéco, 1 Place du Général Catroux, Paris ( XVII ème).

 

C’était comment, quand j’étais dans ton ventre? texte et mise en scène de Lou Attias et Jeanne Kleinman

C’était comment, quand j’étais dans ton ventre? texte et mise en scène de Lou Attias et Jeanne Kleinman

A partir de témoignages recueillis et d’une écriture dite de plateau, une fiction sur l’adoption. Une procédure qui ne date pas d’hier… Du latin: ad optare (à choisir):  donner à quelqu’un un lien de filiation juridique. L’adopté, généralement un enfant mineur,orphelin, enfant de conjoint, ou  abandonné volontairement dans un orphelinat, ou retiré à ses parents par l’État (protection de l’enfance) ou illégalement, suite à un trafic d’enfants. Voire aussi un majeur…  L’adoptant est une personne seule ou un plus souvent un couple de sexe différent, ou de même sexe… Et plus simplement dans le pays d’origine, l’adoptant est le conjoint du parent de l’enfant. Les choses se sont devenues moins simples, quand la couleur de peau, les lois, coutumes et religion du pays (Afrique, Asie…) du futur enfant adopté toujours en quête de ses origines, et celui des adoptants, ne sont pas du tout les mêmes…

 

© Jérôme Laurent

© Jérôme Laurent

Ici, cinq jeunes gens : Maya, Barbara, Manatui, Kaïs et Faustine se retrouvent deux jeudis par mois chez Victoire… Ils parlent beaucoup, entre autres : adoption, avec tout ce que cela représente de batailles administratives et personnelles quand il faut prendre une décision engageant l’avenir des futurs parents, comme du futur enfant adopté, voire d’un ou plusieurs autres existant déjà. Lise et Antoine Castelli qui ne peuvent en avoir, se sont lancé dans les démarches pour obtenir un agrément en vue d’une adoption, accompagnés par Solange Oudain, l’assistante sociale chargée de leur dossier.


Mais revient en boucle la même obsession chez Lise et Antoine: »Est-ce que vous vous sentez capables d’élever un enfant très différent de vous ? Est-ce que vous vous sentez capables d’élever un enfant dans un monde qui va mal ? Est-ce que vous vous sentez capables de lui raconter son histoire le jour où il vous la demandera ?Est-ce que vous vous sentez capables de répondre aux questions de votre enfant? « Les courtes scènes qui se succèdent avec une belle fluidité, sont bien mises en scène. Et certaines sont vraiment poignantes. Comme celle où un jeune Tahitien est en quête de son identité ou celle où la jeune Malienne adoptée découvre dans son dossier qu’elle a une sœur de sang… Mais ses parents adoptifs lui en ont toujours soigneusement caché l’existence. Bien entendu, cette enfant devenue adulte va exiger des comptes…
Le spectacle est encore très brut de décoffrage… La diction est parfois faiblarde chez certains acteurs, le texte-très inégal-sent l’écriture de plateau à dix mètres. On ne comprend pas que leurs enseignants ne l’aient pas mis en garde contre  ce fléau actuel et la dramaturgie, du coup est mal construite. Malgré cela, on se laisse curieusement prendre à la vérité de ces personnages (surtout les Parents et leur Fille) solidement interprétés par Tom Almodar, Coline Barthélémy ou Brenda Broohm, Antoine Bourasset, Angelina Colombani, Yéri-Bérénice Ouédraogo et Néphélie Peingnez. Il faudra suivre cette jeune compagnie…

Philippe du Vignal

 

Jusqu’au 28 janvier, Théâtre de Belleville, 16 passage Piver,  Paris (XI ème).  T. : 01 48 06 72 34

 

 

Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIII èmes siècles

Pour une histoire des metteuses en scène n° 299 de La Revue d’Histoire du Théâtre, coordination d’Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl

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Il y eut le rapport de Reine Prat qui a eu l’effet d’une mini-bombe il y a presque vingt ans déjà, sur la place des femmes dans le spectacle; très bien documenté, il a marqué un tournant. « Avec une généralisation de la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d’analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres,  l’adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. »
Cela concernait aussi bien entend toutes les disciplines artistiques du spectacle et tous les types de structure, d’activités,  tous les niveaux de responsabilités. Et, en 2006, les chiffres étaient têtus: « Les hommes dirigent 92% des théâtres consacrés à la création dramatique et 59% des centres chorégraphiques nationaux,  97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes et ils dirigent  94% des orchestres. 85% des textes sont écrits par des hommes comme 78% des spectacles sont mis en scène et 57% chorégraphiés par un homme. «Depuis 1900, écrivait Marguerite Duras, on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar, au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. »
Depuis, on est arrivé à la quasi-parité pour les Centres Dramatiques . Oui, mais… il y a un bémol et de taill Les mieux lotis au niveau budgétaire sont tous dirigés par des hommes, et cinq les 5 moins bien lotis le sont par des femmes.  La programmation en terme de parité s’est  accentuée: les spectacles mis en scène par des femmes est passé à 53% en 2023/2024.. .Mais pour les Théâtres Nationaux, seule Caroline N’Guyen dirige un Théâtre National, celui de Strasbourg… depuis cette année. Là, c’est assez lamentable: le ministère de la Culture comme l’Elysée! n’ont jamais voulu qu’il en soit autrement.
Et la dernière nomination-à l’Odéon-a été celle de Thomas Jolly… Pourquoi? Les sociologues doivent avoir leur avis là-dessus. Par ailleurs, y-a-t-il peu de candidates? Qui a envie de gérer ce type de maison où le Ministère tire souvent les ficelles et impose les décisions… Et où bien des hommes se sont cassé les dents ou ont regretté après coup d’avoir accepté le poste…

©x Caroline Giulia N'Guyen

©x Caroline N’Guyen

Comme le rappellent dans l’introduction à Pour une Histoire des metteuses en scène, Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, le moins qu’on puisse dire est que la situation actuelle est encore très déséquilibrée et que les metteuses en scène sont le plus souvent aussi directrices d’un lieu. Les autrices et les auteurs de ce gros ouvrage explorent ce qu’a pu être a été la mise en scène en France du XVII ème siècle au début du XXI ème siècle.
Dans la préface,
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, met d’emblée les choses au point… non sans quelque prétention! «Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne, se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt.  »
Elle fait remarquer qu’elle a « découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVII ème siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française. Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui. On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. » (….) »
Mais Julie Deliquet, grande apôtre du féminisme, ne fait pas dans la nuance! Oui, cela a toujours été un grave problème dans les écoles de théâtre. Antoine Vitez lui-même était pour un recrutement plus important de jeunes femmes qui, en effet dans les concours, ont toujours plusieurs points d’avance sur les garçons. Plus cultivées, plus motivées, plus justes aussi dans leurs choix esthétiques.
Nous avons aussi régulièrement appliqué ce principe à l’école de Jérôme Savary dans ce même Théâtre national de Chaillot, mais bon, il faut avoir aussi des garçons pour donner la réplique.  Une équation difficile à résoudre.  Mais  les jurys n’ont pas commis d’erreur et des jeunes femmes ont souvent eu des parcours tout à fait remarquables comme les metteuses en scène: Léna Bréban, ou Pauline Bayle et Lucie Berelowitsch, celles-ci actuellement directrices de Centres Dramatiques Nationaux. Par ailleurs, Jérôme Savary a employé beaucoup plus d’élève-actrices à l’Ecole (trois pour des rôles importants),
que de garçons…

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©xLéna Bréban


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©x Pauline Bayle

 

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©x Lucie Bérélowitsch

Suivent  dans ce livre une quinzaine de participations sur le thème des femmes de théâtre et de la mise en scène  depuis le  XVI ème siècle avec notamment La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu par Florence Filippi et Aurélien Poidevin et un bon article de Joël Huthwohl sur  Sarah Bernhardt, la première «metteuse en scène ».

©x Sarah Bernhardt

©x Sarah Bernhardt

Le terme était récent (1883) dit son auteur, et plutôt consacré aux chorégraphes. Mais la grande tragédienne fut reconnue par le critique Jean Lorrain comme metteuse en scène de génie quand elle monta La Samaritaine d’Edmond Rostand. Avec juste raison, Eugénie Martin rappelle l’itinéraire de Louise Lara, une artiste d’avant-garde (1876-1952)  qui fut sociétaire de la Comédie-Française ,avec son mari Edouard Autant, fonda en 1919 le laboratoire de théâtre Art et Action, «pour l’affirmation et la défense d’œuvres modernes. »

© Louise Lara

© Louise Lara

Il faut signaler, comme le fait Anne-Lise Depoil, qu’à l’époque du Cartel, il y a un siècle, le rôle que tint Simone Jollivet, la «femme-théâtre» de Charles Dullin, laquelle n’a pas été reconnue à sa juste valeur.  Et Ludmilla Pitoëff resta dans l’ombre de son mari Georges, grand metteur en scène. Dans Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf. Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France éclaire bien ce moment-charnière dans l’histoire du théâtre français quand des actrices se sont dit qu’elle pouvaient aussi être metteuses en scène comme entre autres, Catherine Monnot ou  Catherine Dasté dont le père était Jean Dasté, directeur du Centre Dramatique National de Saint-Etiennne et le grand-père, l’immense Jacques Copeau. Voir l’article Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible par Raphaëlle Jolivet-Pignon.

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©x Catherine Dasté

Catherine Dasté- qui a aujourd’hui quatre-vingt quinze ans- fut une formidable éclaireuse quand elle monta en 68 avec un grand succès, aidée par Ariane Mnouchkine qui lui « prêta » quelques acteurs, une pièce magnifique pour enfants: L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue. Avec l’appui de Françoise Dolto, elle créa ensuite le premier Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse, au théâtre de Sartrouville. On l’a souvent oublié: dans les années cinquante, les directeurs de théâtre privé à Paris étaient… des directrices!
Il y a aussi pour conclure, un bon entretien  de Joël Huthwohl et Agathe Sanjuan avec Ariane Mnouchkine. Comme à son habitude, la directrice du Théâtre du Soleil  ne mâche pas ses mots et attaque avec raison les institutions, notamment syndicales comme la C.G.T. où un homme à qui elle avait demandé conseil, lui avait dit sèchement :  » Si vous n’avez pas d’argent, il ne faut pas faire de théâtre. »

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©x Ariane Mnouchkine

Mais lucide, elle dit aussi n’avoir pas oublié toute la générosité de Gabriel Garran-celui qui fut longtemps le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers-qui l’a beaucoup encouragé à créer cette troupe emblématique d’une  autre façon de faire du théâtre. Et elle reconnait qu’il y avait de vieux restes patriarcaux, même au Théâtre du Soleil…
Cet ouvrage-trop touffu-de trois cent cinquante pages aurait mérité une mise en page plus aérée et les notes en gris sont dissuasives. Mais on y trouvera nombre d’analyses et d’informations sur un passé qui éclaire souvent le présent du théâtre actuel, à l’heure où de nombreuses femmes dirigent enfin des structures importantes. Et qui sera nommé à la tête de la Comédie-Française? L’Elysée- à qui appartient traditionnellement la décision finale- se risquerait-il à nommer une femme? Cela serait étonnant et de toute façon Emmanuel Macron-qui va rarement au théâtre- a d’autres chats à fouetter mais ce serait un bon signal… Rappelons qu’il y a eu une seule administratrice (Muriel Mayette). Mais juste une directrice au Théâtre National de Chaillot et jamais aucune au T.N.P.,  à l’Odéon ou à l’Opéra-Comique.  Côté théâtre de rue, aucune non plus aux festivals d’Aurillac ou Chalon. Et cela n’a jamais bouleversé les nombreux ministres de la Culture (hommes ou femmes !). Ainsi va la France au XXI ème siècle…

Philippe du Vignal

Société d’histoire du Théâtre BnF. 22 €

 

 

 

Le Soulier de satin de Paul Claudel mise en scène, version scénique d’Éric Ruf

Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène, version scénique d’Éric Ruf                                 

L’histoire du théâtre est marquée par des moments magiques qu’on ne peut prévoir. Entre autres souvenirs, la découverte des spectacles de Bob Wilson, Tadeusz Kantor, Pina Bausch et Antoine Vitez avec cette fameuse intégrale en onze heures du Soulier de Satin dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, au festival d’Avignon 87. Un spectateur attentif, Denis Lavant, était comme nous tous, fasciné par ce qui se déroulait dans ce lieu unique !
Mais il faut se laver de toute cette mémoire et penser aux spectateurs d’une époque encore plus lointaine, celle de la création à la Comédie-Française par Jean-Louis Barrault en 1943… Le texte avait été réduit à cinq heures de représentation, en accord avec l’auteur. Le metteur en scène jouait alors Don Rodrigue et Marie Bell, Doña Prouhèze. « Le sujet du Soulier de satin, écrivait Paul Claudel, c’est en somme celui de la légende chinoise, les deux amants stellaires qui chaque année après de longues pérégrinations arrivent à s’affronter, sans jamais pouvoir se rejoindre, d’un côté et de l’autre de la Voie lactée. »

 

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Sami Frey et Geneviève Page reprirent ces rôles à l’Odéon-Théâtre de France en 63. Jean-Louis Barrault remontera la pièce en version intégrale en 80 au théâtre d’Orsay.  Pour Denis Podalydès : « Dans Le Soulier de satin-pectacle qui, lui, m’enchanta- Jean-Louis Barrault se promenait dans les couloirs du théâtre, deux minutes à peine avant le début de la représentation! Je n’en croyais pas mes yeux. Toujours en complet noir, et avec une chemise noire à petits pois blancs, et hop, il montait sur le plateau : “Fixez, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l’océan Atlantique, qui est à mi-chemin entre les deux mondes.” Et c’était parti. Cette liberté bonhomme, cette audace dénuée d’affectation, cette façon d’empoigner Claudel par le col me transportaient, me donnaient une gaieté toute fraîche. » 

Il faut venir ici avec un regard neuf dans cette salle Richelieu, pour assister à ce très long monument théâtral dont Sacha Guitry aurait dit en sortant de la première du Soulier de satin qui avait duré sept heures:«Heureusement qu’il n’y avait pas la paire!»  «Quand la chose semble impossible, dit Éric Ruf, on se sent plus libre quand elle est probable.» Il embarque ses dix-huit comédiens pour une longue traversée et e a signé la scénographie. Comme dans la mise en scène d’Antoine Vitez, il y a ici une double performance, celle des artistes et celle du public. «Parfois, dit aussi Éric Ruf, les spectateurs se demandent pourquoi ils sont venus et, à la fin, ils s’applaudissent autant que le spectacle lui-même. » Il y faut de la patience : huit heures trente! Avec deux entractes et une longue pause, pour aller au bout du voyage…Cette épopée se déroulant sur une trentaine d’années au temps des conquistadors et dans plusieurs parties du globe. 

Chacun des costumes de Christian Lacroix, d’une richesse exceptionnelle,est une œuvre d’art et travaillé comme ceux d’opéra. Sur un plateau nu, avec seulement quelques toiles peintes, le metteur en scène a suivi les indications de Paul Claudel dans sa préface: «Comme après tout, il n’y a pas impossibilité complète que la pièce soit jouée un jour ou l’autre, d’ici dix ou vingt ans, totalement ou en partie, autant commencer par ces quelques directions scéniques. Il est essentiel que les tableaux se suivent sans la moindre interruption. Dans le fond la toile la plus négligemment barbouillée, ou aucune, suffit. »

La lisibilité de cette histoire presque impossible à résumer, est peu facile pour les néophytes. La pièce nécessite un jeu d’acteurs convaincant et une belle cohésion de la troupe, ici parfaitement assurés. Il faut se laisser porter par l’intrigue initiale. Doña Prouhèze (exceptionnelle Marina Hands), aime Don Rodrigue (belle composition de Baptiste Chabauty). Mariée à Don Pélage, un vieux juge du roi d’Espagne (formidable Didier Sandre) qui la confie à Don Balthazar (cocasse et imprévisible Laurent Stocker). Il a pour mission de l’éloigner de Don Rodrigue, mais aussi de son machiavélique cousin Don Camille (talentueux Christophe Montenez).
Tous sont crédibles et s’engagent pleinement, tout en jouant plusieurs rôles. Les deux premières Journées sont montées avec bouffonnerie et distanciation, les deux autres, de façon plus profonde et dramatique.La part politique et théologique du texte est moins visible dans ce travail qui glorifie avant tout le théâtre. Cette dernière mise en scène d’Eric Ruf comme administrateur puisqu’il est arrivé au terme de son mandat, est une pure déclaration d’amour au théâtre et à tout ce que représente la Comédie-Française à ses yeux.  Et il en a aussi signé la scénographie.Tous les corps de métiers de cette institution ont participé à cette renaissance du Soulier de Satin.
Le plus émouvant est cette fête du théâtre auquel participent vraiment les spectateurs grâce au dispositif scénique: une passerelle traverse le parterre comme dans la mise en scène de Thomas Ostermeier pour La Nuit des rois de William Shakespeare. Les comédiens s’adressent parfois au public et le font participer aux cérémonies royales et l’invite à mettre des fraises en papier dessinées par Éric Ruf. Doña Musique (Edith Proust) arrive même à faire chanter les spectateurs… Vincent Leterme au piano, Merel Junge au violon et Ingrid Schoenlaub au violoncelle, du début à la fin, sont aussi de cette fête et accompagnent le chœur final de toute la troupe qui nous souhaite une bonne nuit après cette longue journée… Ainsi s’achève avec beaucoup d’émotion, la  représentation de la plus shakespearienne des pièces claudéliennes.

Jean Couturier                                                  

Jusqu’au 13 avril (en alternance), Comédie-Française, place Colette, Paris (Ier). T. : 01 44 58  15 15.

 

La Clepsydre de Wojciech Has

La Clepsydre de Wojciech Has

Très jeune, le cinéaste polonais (1925-2000) découvre la prose poétique de son compatriote Bruno Schulz (1892-1942) mais n’envisage d’en faire une adaptation, qu’une fois terminé son magnum opus, Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965). Après La Poupée (1968), il présente des scénarios qui sont refusés mais, en 71, Josef Tejchma, un ministre de la Culture plus libéral, voit avec un œil favorable le projet de Wojciech Has et lui donne le feu vert… Ce film obtiendra un budget important, jamais accordé dans le cinéma polonais. La réalisation à Cracovie des décors, très coûteuse, sera plus  longue que prévu. Tourné à partir de 1972, La Clepsydre avait nécessité une longue recherche documentaire à l’étranger pour recréer l’atmosphère des petites villes de Galicie, avec la ferveur hassidique et ses traditions de commerce et d’artisanat dont sont familiers, les lecteurs de Joseph Roth.

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Principe retenu pour le scénario : un parcours à travers les nouvelles de Bruno Schulz comme Sanatorium pod Klepsydre (1937) titre du recueil éponyme, traduit d’abord : Le Sanatorium sous le signe de la clepsydre, puis  Le Sanatorium au croque-morts. La nouvelle sert de cadre à des scènes tirées d’autres récits : en particulier, Le Printemps, très riche pour tout ce qui concerne l’enfance, Le Livre, ou La Dernière fuite de mon père. Avec des personnages pouvant avoir été rencontrés dans le cycle Les Boutiques de cannelle, paru trois ans plus tôt.
Le film commence dans un train. Un trentenaire, Josef, rend visite à son vieux père Jakob dans un sanatorium. L’étrange contrôleur aux yeux délavés, une figure de passeur, lui indique où descendre. Josef traverse un cimetière juif pour accéder au sanatorium. Un lieu-délabré, fascinant, où l’on se perd dans les couloirs et les recoins, encombré de plantes vertes couvertes de poussière, de tout un bric-à-brac digne d’un marché aux puces : oiseaux exotiques empaillés, guéridons, bustes de plâtre aux yeux de verre…

L’endroit est désert, jusqu’à ce que le protagoniste découvre une infirmière gironde, manifestement nue sous son uniforme. Elle le mènera plus tard chez le docteur Gotard (Gott ?), occupé à une opération. En attendant, elle veille à l’application du règlement : « Dormir, il n’y a rien d’autre à faire ici. » Son père, dont il doit partager le lit, est pitoyable comme celui du géniteur de Georg Bendemann, protagoniste du Verdict, une nouvelle de Franz Kafka, (1913). Mais Jakob, lui, reste serein et bienveillant à l’égard de son propre fils. 

À Josef, inquiet de savoir si son père est mort ou vivant, le docteur Gotard, expose ses méthodes :  »Nous retardons le temps d’une certaine durée impossible à déterminer. Cela se ramène à une simple question de relativité ».La science manipule le temps. Josef a, de son côté, un rapport érotique et poétique, au temps. Quasiment, celui d’un voyeur, une énigme explicitée dans le récit où Josef confie, sans détour, avoir commandé un objet chez son fournisseur de pornographie et avoir reçu, à sa surprise, une clepsydre : un télescope qui se transforme en chenille. À travers la lentille, il vise le sanatorium et l’infirmière, de dos, qui se dandine. Elle se retourne et lui sourit.

 

Dans ce film, l’espace est aussi instable que le temps. Josef a-t-il des souvenirs d’enfance, quand ses parents tenaient un commerce? Ou bien le vieux Jakob, son énergie retrouvée, quitte-t-il le sanatorium en catimini pour vaquer à ses affaires? Il explique à son fils qu’il a acheté une boutique au village.  On le voit fringant, vendant des tissus mités et il y a une foule de chalands. Soudain, l’échoppe se transforme en synagogue où de vieux juifs hassidiques chantent et dansent. Apparaissent des personnages féminins comme Adèle, une serveuse et prostituée occasionnelle, volontiers dévêtue, très entreprenante avec Josef. Dans la digression mexicaine, (justifiée par la malheureuse entreprise de l’archiduc Maximilien, jeté dans un piège par son frère aîné l’Empereur d’Autriche), on aperçoit, on ne sait pourquoi, un éléphant.
La mère de Josef survient fréquemment  toujours dans son cadre habituel et  se plaint des absences de son mari et reproche à son fils de ne pas « surveiller les commis qui nous volent ».

Josef regarde à plusieurs reprises par la vitre brisée d’une fenêtre du sanatorium. Il voit deux chiens noirs, pas très rassurants et Rodolphe, un de ses camarades de classe en costume marin. Celui-là même qui lui a transmis, avec sa collection de timbres, la passion des lointains au point d’en faire le prétexte à une incantation magique: Guatemala, Nicaragua, Abracadabra… Comme dans le rêve, le souvenir d’enfance est déplacé: Bianca, la sage petite fille en robe immaculée que Josef apercevait au parc, flanquée de sa gouvernante, telle la Gilberte de Proust, est devenue une jeune femme joyeuse que Rodolphe, toujours garçonnet, accompagne désormais. 

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L’épisode des mannequins de cire, motif essentiel chez Bruno Schulz qui puise aux mêmes sources qu’Hoffmann et Nicolas Gogol et auquel dans Les Boutiques de cannelle, il consacre quatre nouvelles (ou «traités »). Dans Le Printempsun cirque présente une spectaculaire galerie de figures de cire. Wojciech Has, lui, filme au sanatorium même, à côté d’horloges, lampes, miroirs, on voit, exposés comme s’ils étaient vivants, les puissants de l’Europe du XIX ème siècle et les personnages emblématiques de la double monarchie, l’assassin de Sissi, François-Josef qui perd un œil, ridicule automate dont les saccades reproduisent sans relâche le salut militaire.
Nous assistons à une double décadence, à une double décrépitude: celle de la monarchie austro-hongroise et la fin annoncée du monde hassidique. Commence alors l’émigration, Adèle, la plus hardie et la plus entreprenante, s’embarque pour les Etats-Unis. Mais on vient d’apprendre que son bateau a fait naufrage avec tous les passagers.

A propos de ce film, critiques et commentateurs ont usé et abusé du mot: surréaliste. Est-ce justifié, cinquante ans après sa sortie? Avec son aspect polyphonique, dramatique, populaire et teinté de nostalgie-accompagné d’un bon poids d’absurde et d’érotisme-l’œuvre participe du carnavalesque, ce qui la situe bel et bien dans le monde slave.
E on peut l’analyser grâce à la psychanalyse : le fantastique y dépasse celui de Bruno Schulz, où les épisodes du texte sont à la fois reliés et indépendants. Chez  Wojciech Has, une logique a-logique triomphe. Le spectateur, médusé, évolue dans 
La Clepsydre comme dans un rêve ou un cauchemar, le metteur en scène utilisant les mécanismes du rêve selon Sigmund Freud: condensation du matériau, déplacement et remaniement au sens d’un traitement visuel…  Un film à voir  dès que possible.

Nicole Gabriel

La Clepsydre ressort le 8 janvier au Reflet Médicis, 3 rue Champollion, Paris (V ème).

 

 

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Artus, One man show, d’Artus et Frédéric Hazan, mise en scène d’Artus

Artus One man show d’Artus et Frédéric Hazan, mise en scène d’Artus

Depuis l’ouverture de la billetterie, le spectacle affiche complet partout en France. Le premier film d’Artus, Un petit truc en plus, sorti en mai 2024, a dépassé toutes les espérances de fréquentation avec onze millions d’entrées ! Un phénomène inattendu, quand on sait qu’il traite du handicap… avec un humour caustique. Les acteurs ont eu les honneurs du tapis rouge au festival de Cannes mais tout n’avait pas été prévu pour les accueillir  et le metteur en scène a dû prendre dans ses bras Sofiane, l’un d’eux, pour lui faire monter les marches.

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Paradoxe de notre société qui se glorifie de l’organisation des Jeux paralympiques 2024! Mais le Gouvernement oublie de nommer un ministre au handicap! Et le livre-souvenir officiel de Paris 2024 n’intègre pas les Jeux paralympiques! En digne héritier de Coluche et de Pierre Desproges, Artus pratique un humour violent et salutaire où personne n’est épargné. Ce solo est réduit à «un sommet de vulgarité» par la même presse qui estimait Coluche vulgaire…

Sans doute un gage de qualité ! En quelques mois, devenu un porte-parole du handicap, il dérange une société bien-pensante qui n’apprécie pas la démesure, même pour une noble cause. Il évoque la sexualité et le handicap, problème ignoré par les institutions de l’hexagone. Alors qu’aux Pays-Bas, l’assistance sexuelle par des prostituées, de personnes handicapées, est reconnue comme soin et remboursée par les assurances sociales des collectivités.
Pour aider son ami Sofiane à réaliser son rêve, avant que sa maladie ne l’emporte, Artus a donc été obligé de l’emmener à Amsterdam… Mais chez nous, certains condamnés à perpétuité pour meurtre, sont autorisés à avoir des relations sexuelles en prison et peuvent ainsi devenir père. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France !

Transmettre un message de tolérance sur la différence est le credo d’Artus, il utilise tous les moyens dignes de «l’humour Charlie Hebdo»: prendre un accent étranger, ce qui semble offensant aujourd’hui, faire des jeux de mots parfois mal perçus par certains, évoquer des images bouleversantes de la Shoah avec, pour en adoucir la perception, un accent brésilien mélodieux. Artus évoque une de ses passions : le rugby et son langage peu poétique. Il se moque aussi de son surpoids, ce qui l’amène avec sa femme à faire en Allemagne un jeûne sévère. Et le mot clystère cher à Molière, et ses conséquences, est ici longuement évoqué…
Dans un final délirant, il incarne un Président de la République handicapé, en costume à paillettes bleu-blanc-rouge, prenant des décisions absurdes, comme souvent aujourd’hui, nos politiques de tout bord ! Il finit en paraphrasant à nouveau Pierre Desproges: «On peut rire de tout, et en rire avec tout le monde.”Un solo bien utile dans une période vérolée par les hypocrisies.

Jean Couturier 

Jusqu’au 31 décembre,Théâtre Edouard VII, 10 place Edouard VlI, Paris (IX ème). T. : 01 47 42 59 92.  Puis en tournée dans toute la France.

 

Un Personnage sans histoire, écriture, marionnettes et mise en scène de Gilles Debenat (à partir de huit ans)

Un Personnage sans histoire, écriture, marionnettes et mise en scène de Gilles Debenat (à partir de huit ans)

Gilles Debenat a suivi le cursus des Beaux-Arts d’Angoulême puis a été élève de l’École supérieure nationale des arts de la marionnette à Charleville-Mézières. Avec la compagnie Drolatic Industry, qu’il a fondée avec Maud Gérard et qui est installée à Redon (Ille-et-Vilaine), il travaille aussi avec d’autres compagnies comme interprète, metteur en scène ou facteur de marionnettes.

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Dans Un Personnage sans histoire (2024), il s’agit d’une « marionnette désespérée qui cherche le rôle de sa vie». Le visage pas du tout avenant voire même inquiétant, cette créature va rencontrer le metteur en scène Gilles Debenat présent sur scène, pour obtenir un rôle dans sa prochaine création, c’est à dire se mettre réellement à exister.
Soit une variation marionnettique sur le théâtre dans le théâtre, un thème dont les plus grands auteurs (Corneille, Molière, Shakespeare, Marivaux, Tchekhov, Pirandello…) se sont emparé.
Et les metteurs en scène encore au XXI ème siècle, continuent à exploiter le filon, ou du moins ce qu’il en reste. Gilles Debenat a su créer des marionnettes à la fois fantastiques et crédibles…Mais il semble moins à l’aise, quand il lui faut écrire des dialogues qui tiendraient la route sur une petite heure.

Une fois, la situation mise en place, les choses patinent et les enfants n’étaient pas très attentifs, même si Gilles Debenat dans son rôle de créateur, sait faire monter la pression entre lui et cette créature qui voudrait absolument faire partie du spectacle.
La faute à quoi? Sans doute, en partie à cause d’un manque de véritable fil rouge qui unirait vraiment cette série de petites scènes morcelées. La mise en abyme ne fonctionne pas et n’est sûrement pas évidente pour des enfants du primaire.
Gilles Debenat sait concevoir des marionnettes et, avec Antoine Malfettes son partenaire, leur donner vie avec, à la fois une technique remarquable, humour et tendresse… Mais nous n’y avons pas trouvé notre compte. Allez, pour se consoler, la dernière phrase extraite de la Leçon inaugurale au Collège de France en  2010 de Jacques Nichet, le grand metteur en scène disparu qui aimait tant les marionnettes japonaises bunraku: « Permettez-moi d’arrêter mon vagabondage en vous racontant une dernière histoire-vous l’avez compris, c’est mon métier et mon plaisir. Un jour, un homme vint trouver le directeur d’un cirque et lui demanda si par hasard, il n’avait pas besoin d’un imitateur d’oiseau. « Non », répondit le directeur du cirque. Alors l’homme s’envola à tire d’aile par la fenêtre. »

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 18 décembre au Mouffetard-Centre National de la Marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème).

Le Canal Théâtre, du 7 au 9 janvier, Redon (Ile-et-Vilaine).

Festival avec ou sans fil: en option, les 3 et 9 février, Rochecorbon (Indre-et-Loire). Centre culturel Juliette Drouet, du 24 au 26 février, Fougères (Ile-et-Vilaine).

Festival Méliscènes, du 8 au 23 mars, Auray (Morbihan).

Maison de la Culture, du 22 au 25 avril, Bourges (Cher).

L’Avant-scène, le 15 mai, Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine).

Château en Suède de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel


Château en Suède
 de Françoise Sagan, mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel

Bonjour Tristesse, le premier roman de cette autrice, paraît en 1954, il y donc soixante-dix ans! Tout de suite, un grand succès de librairie. Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais la pilule n’existait pas encore en France et le livre qui sentait le souffre, fit vite scandale dans les familles bourgeoises, le clergé et les écrivains catholiques dont François Mauriac! Enfer et damnation… Imaginez un peu, Cécile le personnage principal, osait faire l’amour avec son copain, avant le mariage! 
Bonjour Tristesse obtiendra pourtant, non le Goncourt mais le prix des Critiques avec entre autres, excusez du peu: Jean PaulhanGeorges BatailleRoger CailloisGabriel MarcelMaurice BlanchotDominique Aury…La jeune autrice, née Quoirez, avait seulement dix-huit ans! Sagan, ce pseudo lui avait été inspiré par le nom, chez Marcel Proust, de la princesse de Sagan. Et le titre d’un poème de Paul Eluard lui avait fourni celui de son livre. Il y a de moins bonnes fréquentations… 

Château en Suède sera mis en scène par André Barsacq au Théâtre de l’Atelier, avec, entre autres, Philippe Noiret, alors débutant. Là aussi, un bon succès public. Et la pièce sera même reprise plusieurs fois et adaptée par Françoise Sagan elle-même, au cinéma. On y retrouve certains thèmes de ses romans : vie sans aucun problème financier dans des lieux merveilleux et clos, cocktail de cynisme, voitures de luxe-elle aura un très grave accident qui la marquera à vie-horreur de la solitude, besoin absolu d’opium, oisiveté permanente et jeux amoureux menés avec désinvolture… Ses personnages ressemblent à cette écrivaine ouvertement bisexuelle. Personnage du monde parisien, souvent flinguée par la critique, elle bénéficiait pourtant d’une rente de situation, comme l’avait méchamment écrit Angelo Rinaldi.
Grâce à la vente de ses romans-trop vite pondus- mais qui furent pourtant des succès commerciaux en France et à l’étranger, elle était riche. Abonnée à l’alcool et aux drogues, elle claquait son fric et était généreuse avec ses amis. Mais elle fut impliquée dans une affaire politico-financière: le fisc ne lui pardonnera pas et elle mourra ruinée… Elle avait écrit avec un certain humour, son épitaphe six ans avant: «Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale, que pour elle-même.»
Les jeunes générations ignorent jusqu’à son nom et quant à son œuvre, restent peut-être ce roman dont le parfum érotico-sulfureux s’est depuis longtemps évaporé et ce Château en Suède… dont se sont emparé curieusement ces jeunes metteurs en scène. C’était la première pièce (les autres sont déjà depuis longtemps oubliées!) de Françoise Sagan qui s’amuse visiblement à jouer avec les codes du théâtre de boulevard et qui, en grande lectrice cultivée, s’inspire des meilleurs dramaturges et romanciers…

© Studio Vanssay-

© Studio Vanssay

La recette? Deux grandes louches de Marivaux, une autre d’Anton Tchekhov, encore une autre, de Laclos, un cuiller à café de Labiche et une pincée de Proust qu’elle admirait beaucoup, ajouter un soupçon de Shakespeare, de Sade et  d’écrivains contemporains Georges Bataille et de la sulfureuse Histoire d’O de Pauline Réage (alias Dominique Aury) un roman publié comme Bonjour Tristesse en 54… Mélanger avec soin l’appareil, comme on dit en cuisine, en tirer de courtes scènes aux dialogues faciles mais parfois réussis. Ensuite faire cuire à feu doux pendant une heure et demi. Attendre : le début, assez cafouilleux, sent la première pièce à trente mètres! Cela se passe donc dans un grand château en Suède. Venu de Stockholm où il habite pour y séjourner chez  ses cousins au début de l’hiver, le jeune Frédéric (Gaspard Cuillé) est ébloui par la belle et séduisante Eléonore (Odile Blanchet), épouse de Sébastien (Benjamin Romieux). Il veut la séduire, y arrive mais ne sait pas si le mari est complice de cette situation ou pas (la ficelle est un peu grosse). Et Elénore lui dit qu’elle reste attachée à son mari et qu’elle ne partira pas avec lui. De toute façon, le château est loin de tout et les chemins qui y vont couverts par une neige abondante.  Il y a aussi dans ce huis-clos, de nombreux secrets. Et qui est au juste, cette Ophélie errant dans les couloirs?

Comme chaque hiver-cela arrange bien François Sagan- cette neige fermera au monde extérieur, la demeure où ces jeunes grands-bourgeois auront tout loisir de la voir tomber. Ils pourront aussi se livrer à des amours parfois aussi féroces, que savoureux. Mais la situation est sur le point de tourner au tragique, quand Sébastien arrive avec son fusil. Et la fin, bien conventionnelle que nous ne vous dévoilerons pas, n’est guère meilleure que le début. Françoise Sagan, la scandaleuse, est quand même embourbée dans son milieu grand-bourgeois et  n’a pas osé clore de façon dramatique, ce vaudeville… d’après guerre.
Les six jeunes acteurs, pour la plupart anciens élèves de Jean-Laurent Cochet, ce très bon enseignant disparu il y a quatre ans, sont ici dirigés avec unité et avec la rigueur nécessaire sur cette petite scène. Bonne diction et belle présence: tous crédibles (mention spéciale à Odile Blanchet). Même si, au début, ils ont tendance à réciter et à bouler leur texte. Les metteurs en scène ont bien du mérite et s’en tirent mais ils auraient pu nous épargner quelques moments de criaillerie, les maladroites incursions dans la salle-un procédé usé jusqu’à la corde-et auraient dû laisser en coulisses cette vieille grand-mère silencieuse-un mannequin-en fauteuil roulant.
Et la scénographie, faite de bric et de broc, avec rideau de fils en fond de scène, n’est pas très réussie, sauf la maquette d’un petit château du Moyen-Age revu dix-neuvième siècle ,avec ses nombreuses tours. Une actrice  y fera tomber à vue quelques flocons de neige, histoire de nous mettre dans le climat suédois. Comme dans la Russie imaginée par le Théâtre du Soleil pour Ici sont les Dragons (voir Le Théâtre du Blog)… Décidément, la neige dans le région parisienne, ne tombe plus que sur les scènes!

A cela près, ce Château en Suède se laisse voir, à une condition: n’être pas exigeant! Le texte ne vole pas bien haut et les petites scènes se succèdent laborieusement. Les élèves des écoles de théâtre auront une occasion pour dix euros d’avoir une idée du théâtre que leurs grands-parents allaient voir mis à part les pièces au T.N.P.  Ils se demanderont sans doute bien pourquoi André Barsacq avait monté ce Château en Suède. A l’époque, le seul nom de Sagan attirait… Mais ce genre de théâtre, même correctement monté, reste bien léger… Et nous ne voyons aucune raison majeure de vous conseiller ce  faux bijou  qui n’a rien de passionnant. Enfin, vous pouvez y emmener votre vieille tata pour Noël. Mieux vaut aller savourer dans l’impeccable mise en scène d’Alain Françon, Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux, une comédie plus jeune et plus juste, malgré son grand âge.

Philippe du Vignal 


Jusqu’au 9 février, Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris ( VI ème) . T. : 01 45 44 50 21.

Festival d’Automne Haribo Kimchi, de et par Jaha Koo

 Festival d’Automne

Haribo Kimchi, de et par Jaha Koo

Ce compositeur, performeur et metteur en scène de quarante ans,  a étudié le théâtre à l’Université des arts en Corée du Nord, puis à DasArts à Amsterdam.  Ses spectacles maintenant connus en France (voir Le Théâtre du Blog), associent musique, vidéos, texte, installation et performance, le tout  en lien  avec la politique, l’Histoire et sa vie d’artiste. Dans Trilogie Hamartia (2016), il voulait déjà montrer la manière dont le passé agit sur le présent de notre vie. Il explore le paysage politique, l’histoire coloniale et l’identité culturelle de son pays et a aussi écrit une autre trilogie Lolling and Rolling, dont le dernier volet, The History of Korean western theater, a été créé au Théâtre de la Bastille en  2020.  Selon Jaha Koo, une recette de cuisine peut incarner et transformer l’héritage d’une famille, les mythes d’une région, l’identité d’un pays. Depuis vingt ans, la Corée exporte sa culture à l’international, notamment sa cuisine, simplifiée et plus adaptée aux goûts occidentaux et donc affadie mais imposé aux Coréens eux-mêmes. Au centre de la scène, une pojangmacha, une de ces nombreuses petites tentes-boutiques nocturnes dans les rues de Séoul. Depuis longtemps, je réfléchis à la nourriture comme moyen d’expression artistique. Avec la vidéo, je sollicite le regard, et avec la musique, l’ouïe.  Je voulais aussi m’adresser à l’odorat et au goût.
Dans Cuckoo, avec un cuiseur à riz, le temps de la représentation était celui de la cuisson. Mais je n’avais pas encore trouvé une façon de construire toute une dramaturgie autour de la nourriture, en permettant au public d’expérimenter collectivement les dimensions esthétiques et politiques de la cuisine. Haribo
Kimchi s’est concrétisé quand j’ai eu l’idée de la scénographie, inspirée de ces pojangmachas. Je suis arrivé en Europe il y a treize ans  et, depuis , ma vie et mon sentiment d’appartenance culturelle ont changé. J’ai en partie adopté votre mode de vie et la nourriture est un medium puissant pour parler de l’entre-deux identitaire entre cultures. Mais ici, je voulais avec Haribo Kimchi laisser une plus grande place à la fiction, créer davantage de distance entre la représentation et mon histoire.

 

© Bea Rogers

© Bea Rogers

Jaha Koo invite un jeune couple de spectateurs et leur cuisine quelques plats, en nous parlant de sa vie à Berlin puis à Amsterdam. Au programme, amour d’une cuisine simple mais raffinée autour du kimschi, traditionnel coréen à base de piments et légumes lacto-fermentés et que préparait sa grand-mère,  nostalgie de son pays avec  nombreuses images de rues et de campagne, vie personnelle et découverte des métropoles européennes avec leurs diasporas: il a vu que le visage de ses compatriotes était différent, qu’ils ne parlaient plus coréen et avaient  un nouveau mode de vie mais que la nourriture traditionnelle, notamment le kimchi, servait de lien familial et social… Et il aime introduire sur le plateau des robots: dans Cuckoo, il y avait déjà un cuiseur à riz qui chantait et dans The History of Korean Western Theatre, une grenouille origami. Ici, une anguille lumineuse parcourt la scène au moment où sur les écrans de jeunes anguilles grouillent par centaines dans des élevages. « J’ai voulu, dit-il que l’anguille- robot soit à moitié transparente, dans un entre-deux, à l’image de ma propre identité diasporique. »
Tous selon lui peuvent ressentir un tel état, en allant vivre dans une autre ville, en vieillissant ou en subissant des évènements personnels.  Cet artiste sait faire les choses et jongle avec ses instruments de cuisine en s’adressant à la fois à des deux invités assis devant lui et au public.


De la belle ouvrage, vraiment, avec qu’il faut en matériels vidéo et informatique mais pourquoi ce maudit micro H.F, inutile dans cette petite salle et on aurait bien aimé sentir le parfum de ces plats mijotés avec amour. Pour se consoler, il y a, souvent projetées, des images vidéo  des rues de Séoul et de campagne verdoyante sur deux grands écrans, à gauche et à droite de la petite boutique. Mais ce court spectacle sympathique nous a laissé sur notre faim (sans jeu de mots). Enfin, en ces temps froids parisiens, un peu d’exotisme, cela ne peut pas faire de mal…

Philippe  du Vignal

Spectacle joué du 12 au 15 décembre au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème).   Puis aux Pays-Bas, au Portugal, en Belgique, Pologne et Espagne.

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