En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski

En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski

 

Tout le monde, surtout ceux qui ont vécu « les trente glorieuses», connait la pièce et le théâtre de l’absurde qui n’eut d’absurde que renvoyer son image au monde tel qu’il est… Prenons donc Godot là où  il est : un grand classique du vingtième siècle.
Vladimir et Estragon attendent. Ils ont rendez-vous au pied de l’Arbre (un saule, qui aurait cessé de pleurer ?) avec un certain Godot, qu’ils ne connaissent pas. Estragon, dit affectueusement Gogo, lui, a mal aux pieds. Il a dormi dans un fossé et reçu des coups. Vladimir (Didi) plus à l’aise, le réconforte.

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Arrive le tyrannique et brutal Pozzo, tirant par une corde, son malheureux et méchant esclave -on n’a jamais dit (voir Primo Levi que le malheur rend bon). Pozzo donne au passage un coup de pied à un Gogo déjà souffrant et donc, par la suite, rancunier… Il exhibe les pauvres qualités artistiques du bien nommé Lucky, roi de l’antiphrase : la « danse du filet » (pieds pris dedans) et la « pensée » : tirade savante et désarticulée à l’image d’une Intelligence Artificielle déjà détraquée (loin d’être inventée en 1949, même par la science-fiction). Pour ces héros, une réplique récurrente arrive à chaque envie d’aller autre part ou d’entreprendre une action : « On ne peut pas, on attend Godot ». Un enfant vient confirmer : «Monsieur Godot viendra demain ». Donc, on attend. Le deuxième acte s’enchaîne sans interruption avec le premier et suit le même schéma, à quelques importantes différences près.

 Samuel Beckett a clairement indiqué que la pièce devait être jouée dans son intégrité et son intégralité, avec les didascalies exactes. Et (presque) toutes les mises en scène obéissent à cette loi. Pourtant, En attendant Godot sonne différemment à chaque fois : on y voit de nouvelles couleurs et émotions… Comédie métaphysique ? Jacques Osinski fait entendre très simplement la douleur physique, le mal aux pieds de Gogo et la bienveillance fraternelle de Didi. Il y a de l’amour dans l’air et même de la joie. Denis Lavant, fidèle complice du metteur en scène depuis La Faim de Knut Hamsun (1995) . Lui, fagile, écorché, avec sa puissance d’acrobate et Jacques Bonnaffé, posé, presque serein, forment un couple parfait .
Le spectateur se retrouve aussi dans l’autre couple : Pozzo et Lucky. Eux aussi sont : « nous », dans leur violence et leur aveuglement, au-delà du dominant/ dominé. Aurélien Recoing est le tyran à l’allure inquiétante des grands de ce monde et Jean-François Lapalus, la résistance muette du paysan soumis de toute éternité. Une distribution exemplaire.

 On ne voudrait pas faire d’En attendant Godot une pièce exagérément spinoziste, mais enfin, c’est bien de cela qu’il retourne : la joie de l’espoir est contrebalancée par la crainte que la chose espérée n’arrive jamais, et la tristesse, faite de joie attachée à la chose regrettée. On ne nous en voudra pas trop pour cet instant de « pensée », tel que Pozzo en ordonne à Lucky.
Jacques Osinski nous rend un Beckett -sixième rencontre-vivant, et même bon vivant, à travers la grille de l’écriture, et d’une étonnante actualité. On n’a pas oublié, entre autres, Cap au pire où la virtuosité de Denis Lavant s’exerçait, en ce même Théâtre des Halles, sur l’ espace réduit d’une table de bistrot. « Rater mieux », écrivait Beckett. Désolé, Jacques Osinski, vous n’avez pas du tout raté, pour notre joie…

 Christine Friedel

 Jusqu’au 26 juillet, Théâtre des Halles, Avignon. T. : 04 32 72 24 51.

Le 27 juillet, Festival de Figeac (Lot), le 29 juillet, festival Beckett, à Roussillon (Vaucluse).

xDu 25 mars au 3 mai, Théâtre de l’Atelier (Paris), puis , tournée en Rhône-Alpes, etc.

 

 

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Archives pour la catégorie critique

Les Brigands, musique de Jacques Offenbach, mise en scène de Barrie Kosky

Les Brigands, musique de Jacques Offenbach, mise en scène de Barrie Kosky

Créée en 2024, cette création a réveillé quelques grincheux partisans d’une version classique : «J’ai détesté : horrible, vulgaire, dans l’air du temps. » Un commentaire résumant bien les oppositions à ce spectacle. Mais, comme nous, la majorité du public a apprécié cette œuvre festive, jubilatoire et iconoclaste. «Raconte-moi une histoire de voleurs, dit un des personnages. L’autre répond : c’est un banquier qui devient Président ! Et alors ? dit le premier. « C’est tout, répond le second ! ».
Le ton est donné et l’œuvre de Jacques Offenbach s’adapte bien à cet état d’esprit frondeur. Et pour le metteur en scène: « La comédie nous renseigne autant sur la condition humaine que la tragédie. Cela, je pense qu’Offenbach l’a profondément compris.L’opéra-bouffe et l’opérette, en particulier celles d’Offenbach, sont parfois méprisés, accusés d’artificialité… alors que c’est l’un des buts visés. Comme le kabuki ou l’opéra chinois, l’opérette nous offre des vérités profondes. Les Grecs de l’Antiquité le savaient bien et la comédie, voire la farce, était un élément-clé de leur culture… et elles apportaient un contrepoint nécessaire à la tragédie. Nous avons toujours eu besoin de rire de nous-mêmes. »

© Agathe Poupeney-

© Agathe Poupeney-

Cette mise en scène rappelle l’esthétique d’Hairspray, un film musical américain d’Adam Shankman (2007) et un film australien de Stephan Elliott (1994). Autour de l’exceptionnel Marcel Beekman interprétant  Falsacappa, chef des brigands, ici transformé en divine drag-queen et ses partenaires en parfaite adéquation. Dès l’ouverture du rideau, ils arrivent dans des costumes multicolores: travestissement de rigueur pour cette bande de brigands survoltés: à signaler la grande qualité du travail de Victoria Behr qui travaille depuis longtemps avec le metteur en scène, en particulier à l’Opéra-comique de Berlin.
Michele Spotti dirige, avec la fougue de la jeunesse, l’orchestre et les chœurs de l’Opéra national qui n’ont jamais porté de costumes aussi loufoques… comme prêts pour le carnaval de Rio. Les tableaux se succèdent à un rythme rapide, avec des personnages issus d’un tableau de Velasquez. Avec un brigadier-chef (Laurent Naouri)  à la tête de gendarmes  comme ceux que jouait Louis de Funès…

L’humoriste Sandrine Sarroche seule dans un fauteuil au milieu du plateau, joue un caissier et offre quelques amabilités à nos ministres de l’Economie et des Finances successifs. Une création à la joie irrévérencieuse sur plus de trois heures qui rappelle les grandes heures du merveilleux Grand Magic Circus de Jérôme Savary vers 1970 et, plus récemment ces mêmes Brigands mise en scène de Jérôme Deschamps à l’Opéra Bastille…

Jean Couturier

Jusqu’au 12 juillet, Opéra, Palais Garnier, Paris (VIII ème). T. : 08 92 89 90 90.

Festival d’AvignonLe Canard sauvage d’après Henrik Ibsen, adaptation de Maja Zade, mise en scène de Thomas Ostermeier


Festival d’Avignon

Le Canard sauvage, d’après Henrik Ibsen, adaptation de Maja Zade, mise en scène de Thomas Ostermeier

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Gregers, fils héritier potentiel des entreprises Werle renie sa famille et veut lutter contre l’hypocrisie du milieu qui l’a vu naître mais ne voit pas que cette hypocrisie n’est pas le seul fait des classes dominantes. Quand il revient dîner chez son père, Håkon Werle, ce riche industriel, il retrouve Hjalmar Ekdal, un ami d’enfance perdu de vue, devenu photographe…Et il va découvrir des secrets pas jolis-jolis. Son père avait eu un enfant de sa servante Gina puis l’avait « refilée » à Hjalmar qui devint son père officiel mais avait financé son éducation…  D’un autre côté, le père d’Hjalmar avait été mis en prison pour un crime commis par le père de Gregers….Bref, tout va bien dans un monde de mensonges!
Hajmar, photographe minable veut croire qu’il est un grand chercheur, son grand-père se rappelle de ses trophées de chasse et Hedvig a pour compagnon, un canard sauvage qui a été blessé par un chasseur… 
Håkon avouera à son fils qu’Hedvig est sa fille. Gregers quitte alors la maison de son père (sa mère a dû savoir et en est morte de chagrin!). il ira habiter chez son ancien ami Hjalmar Ekdal dont épouse et leur fille se méfient  et qui l’accueillent froidement.
Il d
ira tout ce qu’il sait à la lycéenne et ce n’est donc pas joli-joli… Les personnages sont ici admirablement joués par Marie BurchardMagdalena Lermer et Marcel Kohler et Stefan Stern, tous très concentrés et aussitôt crédibles. Mieux vaut, pense Gregers, mettre les choses à plat et repartir à zéro. Oui, mais ce grand idéaliste vit dans l’illusion mais tout ce qu’il révèle, fera plus de mal que de bien… Et Heinrick Ibsen sait y faire en matière de progression dramatique, même si le suicide d’Edwig est un peu téléphoné…Tsunami familial : Hajlmar quittera vite sa femme et la jeune fille se tuera. Vérité ou mensonge : quelle famille n’a pas un jour, été atteinte par un terrible choix? La Bible a aussi menti : la vie n’est pas un long fleuve tranquille et Relling, le médecin résume cynqiquement la situation : «Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur. »

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Hjalmar reprochera à Gina sa liaison avec Håkon. Une intendante vient annoncer que l’ industriel versera cents couronnes par mois au vieil Ekdal jusqu’à sa mort et ensuite à Hedvig. Hjalmar aimerait que tout redevienne comme avant mais sait-inconsciemment- la chose impossible. Coup de feu : Hedvig vient de se tuer d’un coup de revolver Un père, minable commerçant de photos de famille et d’identité, chercheur d’un projet mythique dont personne n’est dupe. Une épouse cachant soigneusement à leur adolescente que son père n’est pas son père, même si elle a toujours vécu avec lui. Un milieu d’industriels grands bourgeois, avec de sombres affaires de fric… Tout les éléments dans cette situation bancale, sont là pour faire naître la tragédie, avec en arrière-plan, l’ombre du féminisme actuel : Mi-Tout a encore frappé…
La pièce avait été créée par Antoine en France en 94  ( au XIX ème siècle!) et depuis Alain Françon et d’autres metteurs en scène l’ont monté…Thomas Ostermeier avait remarquablement mis en scène autrefois à Avignon
Ennemi du peuple et ensuite Maison de poupée (voir Le Théâtre du Blog). Mais ici, il n’a pas vraiment réussi son coup. D’abord il a éliminé les personnages secondaires-pourtant la Schaubühne a les moyens!- mais désolé, ils apportent à une pièce un climat, une couleur, non négligeables.. Et il a « adapté » la pièce ! Ce qu’on ne pourra le lui reprocher : indiqué dans le titre. Mais dans la version Ostermeier, le début n’est pas d’une grande clarté et mieux vaut connaître la pièce… Et
Le plateau tournant a toujours été un peu la marque de fabrique du grand metteur en scène mais pourquoi à un moment le faire tourner deux fois de suite pour revenir à l’appartement-studio d’
Hjalmar (hyperréaliste) avec un photomaton. Et chez Håkon, le papier peint aux losanges marron est absolument sinistre. Là, on frise le pléonasme…
Même si les acteurs encore une fois sont remarquables, nous n’avons pas bien compris
la direction de Thomas Ostermeier. Ils se parlent souvent à plusieurs mètres et il n’y a pas beaucoup de rythme. La première partie avance lentement sur presque deux heures  et n’a rien de fulgurant. Thomas Ostermeier a voulu faire contemporain avec quelques airs de musique pop ou métal… Mais on est loin de la force dramatique de Maison de poupée qu’il avait si bien mise en scène
Après l’entracte, il y a quand même plus de vie et on voit mieux la pièce d’Ibsen. Mais « moderniser » un texte  ne fonctionne pas à tous les coups et quand un personnage comme Aljar s’adresse au public en demandant qui est venu avec qui… là, on dit stop! à ce racolage inutile, genre animation pour club de vacances. L’ensemble est précis mais reste laborieux, pour ne pas dire: vieux théâtre-et indigne de ce grand metteur en scène. Vous êtes prévenus: ce
Canard sauvage est bien décevant et le spectacle tient grâce aux acteurs. Et les applaudissements furent bien frileux….

Philippe du Vignal 

Du 7 au 16 juillet, Opéra du Grand Avignon.
Du 12 au 21 septembre,  Schaubühne , Berlin.
Les 23 et 24 janvier, Teatro Argentina,  Rome.

 

 

L’Etrangère, adaptation librement inspirée de L’Étrangerd’Albert Camus, texte et mise en scène de Jean-Baptiste Barbuscia

Festival d’Avignon

L’Etrangère, adaptation librement inspirée de L’Étranger d’Albert Camus, texte et mise en scène de Jean-Baptiste Barbuscia

Premier roman publié de l’écrivain en 1942. Puis traduit en soixante-huit langues! et le troisième francophone le plus lu dans le monde, après Le Petit Prince de Saint-Exupéry et Vingt mille Lieues sous les mers de Jules Verne. Comme  le faux alexandrin- par lequel commence Du côté de chez Swann (1913) de  Marcel Proust: « Longtemps je me suis couché de bonne heure », les premières phrases de ce roman sont devenues culte:« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : “Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

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Le personnage principal: Meursault, la trentaine qui est ici également le narrateur, vit à Alger dans ce département encore français… Il reçoit un télégramme: « mère décédée à l’hospice de Marengo ». Il assistera à la mise en bière et aux obsèques sans jamais pleurer. Le lendemain, Meursault ira à la piscine du port. Il y rencontre Marie qui avait travaillé dans la même entreprise que lui.
Le soir, ils vont voir un film et passent la nuit ensemble. Le lendemain matin, son voisin, Raymond Sintès, un proxénète, demande à Meursault de l’aider à écrire une lettre pour dénigrer sa maîtresse arabe qu’il soupçonne de le tromper ! Il l’a frappée et a peur de représailles de son frère. La police convoquera Raymond et Meursault comme témoin de moralité.
Raymond invitera Marie et Meursault à déjeuner au bord de la mer dans un cabanon appartenant à Masson, un ami…

Marie demande à Meursault s’il veut se marier avec elle  et il acceptera. Meursault, Raymond et Masson se promènent sur la plage et croisent deux Arabes, dont le frère de la maîtresse de Raymond. Bagarre : Raymond blessé au visage d’un coup de couteau, retournera à la plage avec Meursault et rencontre à nouveau ces Arabes. Il emprunte à Raymond son revolver et seul, accablé de chaleur tuera l’un des Arabes qui avait pris un couteau et tirera quatre autres fois sur son corps affaissé.

Il est arrêté et son avocat aura bien du mal avec celui qui n’éprouve aucun regret et, aux Assises, on l’interroge plus sur son attitude aux obsèques de sa mère, que sur ce meurtre. Il dit l’avoir commis à cause du soleil et après un sévère réquisitoire du Procureur, il sera condamné à mort. Quant l’aumônier venu le voir avant l’exécution et lui dire qu’il priera pour lui, il se met alors en colère. On retrouve ici les scènes essentielles du roman et un thème central dans l’œuvre d’Albert Camus : le sentiment de l’absurde dans toute vie humaine et sa fin tragique.
Mais, éternelle question, comment et surtout pourquoi adapter un roman à la scène ? Ici, on pense à La Leçon d’Eugène Ionesco, a dit une spectatrice. Effectivement et  un enseignant va donner un cours sur L’Etranger.  Fabrice Lebert se sort au mieux de ce rôle pas facile et joue aussi les autres personnages masculins avec une grande subtilité. Arrive la jeune Marie, un carton à dessin sous le bras (excellente Marion Bajot) . Ses camarades ne sont pas venus à ce cours et elle va mettre un e à la fin du étranger inscrit au tableau. Effectivement, pas d’autre femme que Marie Cardoni, personnage essentiel de ce roman. 

L’élève et son professeur vont décortiquer ce roman pour essayer d’en faire jaillir la substantifique moelle.
Jean-Baptiste Barbuscia fait preuve d’habileté et il a une bonne maîtrise de l’espace et du temps. Aux meilleurs moments,  on ressent toute l’importance que peut avoir l’influence capitale d’un enseignant sur la construction intélectuelle d’un élève. Ainsi pour nous, au lycée Condorcet en classe de philo puis en Etudes théâtrales à la Sorbonne, le philosophe Olivier Revault d’Allonnes et toujours lui en Etudes Théâtrales: rarisssime!!! Et  Bernard Dort, spécialiste de Bertolt Brecht : « J’ai trop de boulot avc les thèses pour continuer à vous faire cours, nous avait dit Jacques Scherer, professeur, mais je vous ai trouvé quelqu’un de bien. Cet énarque travaille encore à l’Assistance publique mais je suis certain qu’il vous apportera beaucoup… Arrivèrent des cours d’analyse de textes et de mise en scène  d’une rare efficacité et frappés au coin d’une grande intelligence théâtrale. Au passage, merci, Bernard Dort. Il fut, hélas, vite emporté par le sida.

Jean- Baptiste Barbuscia opère ici un très habile tricotage et on entend bien la langue d’Albert Camus et en particulier la belle lettre qu’il avait écrite à son ancien instituteur, après avoir su qu’il allait avoir le Prix Nobel de littérature : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez  tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. »

Le metteur en scène aurait pu nous épargner des lieux communs actuels, comme ces arrivées par la salle, une musique sur fond de batterie électronique, des nappes de fumigènes  qui ne servent strictement à rien… Mais ce spectacle, très honnête et sans prétention, remarquablement bien dirigé et bien joué,  a été longuement applaudi et donne envie de lire ou relire L’Etranger qui a a bercé la jeunesse de nombre d’entre nous. Que demande le peuple ?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 juillet, Théâtre du Balcon, 38  rue Guillaume Puy, Avignon. T. : 04 90 85 00 80.


La seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon

La seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon

 Heureux les citadins qui n’ont pas fui Paris et sa canicule intermittente, la fraîcheur du vaste théâtre de la Porte Saint-Martin les attend, et surtout celle (on ose dire « immarcessible » : l’inaltérable chez Marivaux. De quoi s’agit-il ? D’amour. Du mot amour, de le prononcer. Mais quand ? Après beaucoup d’angoisses, interrogations, revirements qui font le charme de ce théâtre. « Quand on aime, encore faut-il le dire », selon la Comtesse du Legs du même écrivain qui est assez difficile pour tisser toute la chaîne, la trame et les même les broderies d’une comédie. Disons comédie, parce que la pièce se termine sur un dénouement heureux, convenu: le mariage des amants (ceux qui jouissent d’un amour mutuel par opposition aux amoureux qui soupirent en vain).

 

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Mais « revenons », comme le disent souvent les personnages de Marivaux. Le hasard du voisinage met en présence le Chevalier et la Marquise. Nul besoin de prénoms, pas plus pour le Comte: c’est le statut social qui compte. Un chevalier, cadet d’une famille noble, n’a pas de fortune mais une riche veuve doit pouvoir lui assurer un bel avenir. Elle est belle, de surcroît, comme l’héroïne des Fausses confidences, jouées récemment par la même troupe, sous la baguette du chef d’orchestre Alain Françon. Un premier empêchement : les deux (futurs) amants, qui se sont reconnus comme tels au premier regard, relèvent d’un deuil récent, ce qui devrait les écarter de toute surprise  amoureuse. Ils sont d’accord là-dessus, et c’est précisément cette entente qui les fera glisser, de façon vertigineuse, vers cet interdit. Le deuxième empêchement sera leur amour-propre et leurs doutes. Les obstacles extérieurs, comme le Comte venu lui aussi faire sa cour en voisin, ami d’autrefois du défunt, sont des tremplins pour amener les sentiments à se déclarer. Valet et Suivante  (le statut d’une Lisette est bien plus élevé que celui d’une femme de chambre) jouent les accélérateurs, dans leur propre intérêt, leur désir d’abord, vif et cru, et la nécessité de se marier eux-mêmes, s’assurant ainsi une place solide auprès de bons maîtres. Il faudra bien, à ces tourments et joies, une victime. Nous en aurons deux : le Comte, et Monsieur Hortensius, « pédant », philosophe privé embauché par la Marquise pour la désennuyer en lui faisant la lecture. Sénèque, entre autres, devrait éloigner les passions  mais ce « pédant » est prié sans ménagements d’aller porter son érudition ailleurs. « N’est-ce pas une chose étrange, qu’un homme comme moi n’ait point de fortune ! Posséder le grec et le latin, et ne pas posséder dix pistoles ? (…) Est-ce que l’amour m’expulserait d’ici ? » dit-il à l’acte III. Le pauvre homme avait essayé ses « arguments »  sur la personne de Lisette, accordons lui une pensée…

 On sourit beaucoup, on rit souvent, non sans cruauté –les personnages ne s’en privent pas non plus-des malheurs, gaffes, timidités, bonnes manières qui bloquent la communication et écartent deux êtres que lie tout de suite un amour qui ne veut pas dire son nom. Entre pièges–une fausse confidence du Comte-litotes, et jeux de langage, on voit se dérouler, encore une fois avec délices, la chaîne classique du marivaudage. Ce n’est surtout pas coquetterie superficielle, on le sait maintenant, mais dissection, anatomie de l’amour dans le corps et le cœur de deux êtres.
Même équipe que pour Les Fausses confidences Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne de Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby et Georgia Scalliet. Alain Françon, avec une précision chirurgicale, une économie parfaite et la beauté d’un travail à l’aiguille, nous donne un Marivaux à l’état pur.

 Christine Friedel

 Jusqu’au 13 juillet, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris ( Xème). T. : 01 42 08 00 32.

 

On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie d’Éric Feldman, mise en scène d’Olivier Veillon

 

 On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie d’Éric Feldman, mise en scène d’Olivier Veillon

 Ce récit intime auto-fictionnel évoque avec singularité, l’horreur de l’holocauste et ses conséquences dans la grande Histoire et dans la propre existence de l’auteur et interprète, Éric Feldman. Célibataire et sans descendance, il fait le bilan de sa vie et explore avec humour et gravité les traumatismes des «enfants cachés »,  survivants de la Shoah : ses parents, ses oncles et tantes, son grand-père Moshé.

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Le spectacle s’ouvre avec légèreté et décalage sur le thème de la relaxation. Un début surprenant et plein d’humour, pour une pièce sur la Shoah… Le narrateur-personnage a de quoi s’occuper : carnet de notes, tasse, théière, téléphone portable.Dans la salle encore éclairée, il s’adresse à nous : « Je disais la détente… La détente, c’est pas évident. Être détendu, c’est pas évident, mine de rien. » Eric Feldman nous fascine, passant d’une humeur enjouée à un état dépressif, avec ironie et drôlerie personnelles, très communicatives. Le rythme de sa voix, tout en nuances, ses regards, et un sourire complice, tendre ou malicieux, la rareté des déplacements font de ce spectacle une véritable performance d’acteur et un devoir de mémoire, à la profonde efficacité.
Recourir à l’humour pour nous rappeler l’atrocité et l’innommable des camps nazis, est un tour de force. Peut-on s’amuser de tout? Oui, dans cette pièce plus proche d’un récit-témoignage, que d’un solo, aucun pathos, aucune morale mais des paroles qui nous touchent et nous surprennent… Éric Feldman passe d’un registre grave, à ceux de la vie ordinaire : la psychanalyse, le yoga… La langue expressive, riche de théâtralité et l’humour juif, parviennent à nous fait rire et simultanément à penser toujours et encore : « Plus jamais ça.  » C’est aussi notre destin à chacun ici posé, face aux tragédies de l’Histoire qui s’abattent sur la vie des hommes. Une grande émotion s’empare du public, face à l’injustice sans limite ! Les souvenirs d’Éric Feldman comme ceux de ses ancêtres, semblent surgir en sa mémoire au fil des mots et créent une temporalité de l’instant-même, donnent un remarquable  sentiment de véracité au récit et à ce moment tragique de l’Histoire.
 Le spectacle original, sobre et vif comme une alerte, ravive en ce XXI ème siècle, notre conscience, et éclaire, espérons-le, celle des jeunes générations : ne jamais oublier malgré le temps qui passe. Surprise, à la fin de la représentation et face à l’atrocité, un souffle nous traverse l’esprit : le miracle d’être vivant !

 Elisabeth Naud

 Spectacle vu le 29 juin, au Théâtre du Rond-Point, Paris ( VIII ème).


A partir du 6 septembre, Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, Paris ( Xème). T. : 01 42 08 00 32

La Souricière d’Agatha Christie, mise en scène de Lilo Baur, traduction de Serge Bagdassarian et Lilo Baur

La Souricière d’Agatha Christie, mise en scène de Lilo Baur, traduction de Serge Bagdassarian et Lilo Baur

Lilo Baur aime le ski de fond et la neige… Comme pour La Puce à l’oreille de Georges Feydau à la Comédie-Française, elle situe l’intrigue dans une auberge prise dans une tempête de neige qu’on voit s’accumuler peu à peu derrière les vitres. La scénographie de Bruno Lavenère est d’une grande beauté, avec au fond, encadrant les fenêtres, l’arche du Vieux Colombier imaginée par Jacques Copeau au début du XX ème siècle mais qui fut ensuite détruite…
Nous avons vraiment l’impression d’être dans un endroit isolé par les intempéries. Les costumes d’Agnès Falque comme les maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar très réussis, ajoute au réalisme de cette intrigue policière.Seule, la température nous rappelle à la réalité de cet été… Agatha Christie, disparue en 1976 à quatre-vingt cinq ans, continue d’être très lue et plus de 100. 000 exemplaires de ses romans étaient vendus dans le monde il y a deux ans et cette pièce est jouée sans interruption à Londres depuis… 1952. Comme souvent chez cette écrivaine, tous les personnages peuvent être coupables!

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Leurs camarades vont jouer à la Scala d’Avignon Les Serges et dans la Cour d’Honneur, Le Soulier de Satin. Ici, Clotilde de Bayser (Madame Boyle) Christian Gonon (M. Paravicini), Serge Bagdassarian (Major Metcalf), Anna Cervinka (Mademoiselle Casewell), Claire de La Rüe du Can (Mollie Ralston), Yoann Gasiorowski ( 14 au 17 juin) Jean Chevalier (4 au 13 juin), Adrien Simion (18 juin au  13 juillet) Inspecteur Trotter, Sefa Yeboah Christopher Wren, Jordan Rezgui (Giles Ralston) jouent jusqu’à mi-juillet avec une énergie communicatrice, cette Souricière qui avait d’abord écrite pour la radio par cette écrivaine anglaise qui fut anoblie.
«La circulation dans l’auberge, dit Lilo Baur, avec entrées et sorties permanentes dans le salon central, me fait beaucoup penser à Georges Feydeau. Les personnages n’ont pas d’intimité et peuvent à tout moment être surpris par quelqu’un. » Mise en scène donc très rythmée-le public, lui aussi, ne cesse d’être surpris-et très cinématographique ! La musique originale de Mich Ochowiak participe à un climat proche des films d’Alfred Hitchcock.Le spectacle affiche complet mais n’hésitez à aller voir cette création : il y a une liste d’attente et sans doute une reprise.

Jean Couturier

Jusqu’au 13 juillet, Comédie-Française,Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.

Clap de fin du Théâtre de l’Unité (suite) La dernière Nuit unique, une proposition du Théâtre de l’Unité, création de Jacques Livchine, Hervée de Lafond

Clap de fin du Théâtre de l’Unité (suite)

La dernière Nuit unique, une proposition du Théâtre de l’Unité, création de Jacques Livchine et  Hervée de Lafond

© Jean Couturier

© Jean Couturier Jacques Livchine

Ici, nous avons tous plein de souvenirs et d’émotions avec le Théâtre de l’Unité, vu son ancienneté et son originalité et que Jacques Livchine et Hervée de Lafond ont fondé en 72 avec Claude Acquart, scénographe.
Premier contact avec cette compagnie hors-normes : un article élogieux de Jean-Pierre Thibaudat dans Libération en juillet 80 sur La Femme Chapiteau et La 2 CV-Théâtre au festival in d’Avignon. Toujours au in de 92, nous découvrons L’Avion devant le musée du Petit Palais, un choc visuel comme l’avait été ici La Véritable Histoire de France par le Royal de Luxe. Encore en études théâtrales sous la direction de Robert Abirached à Paris X-Nanterre, nous avions choisi de faire un D.E.A. sur cette troupe iconoclaste: Hervée de Lafond et Jacques Livchine venaient d’être nommés directeurs de la Scène Nationale de Montbéliard, rebaptisée par eux: Centre d’Art et de Plaisanterie. Une aventure de neuf ans qui nous permettra de participer aux créations de Dom Juan et Terezin.

Ici, le Théâtre de l’Unité invite le public à vivre un ultime voyage avec cette Nuit unique de 23 h à 6 h du matin. Créée il y a huit ans, elle est interprétée par Julie Cazalas, Ludo Estebeteguy, Fantazio, Catherine Fornal, Mélanie Collin-Cremonesi, Hervée de Lafond, , Charlotte Mainge, Léonor Stirman et Marie Leïla Sekri, et Jacques Livchine avec sa chienne Titania.  A une spectatrice qui lui dit : «C’est original. » il lui répond : «Non, ce n’est pas original, mais originel: en Extrême-Orient et au Moyen-Orient, il existe en effet des spectacles nocturnes de sept heures ou plus, voire onze heures. Et, en France, les mystères du moyen-âge duraient parfois quelques semaines. Il s’est passé quelque chose quand on a parfois réduit les spectacles à quatre-vingt minutes, comme chez Jerzy Grotowski… Quand vous fatiguez un comédien, il devient meilleur. Mais vers cinq heures du matin, vous verrez dans quel état, il sera! Pas prouvé qu’il soit meilleur !
Ici, un préalable : «On va essayer de vous endormir ». C’est le point de départ de ce voyage… Inutile de résister. «Mourir, dormir : dormir, rêver peut-être! Ah, voilà le mal ! Dans ce sommeil de la mort, quels rêves aura-t-on, dépouillé cette enveloppe mortelle ? » disait Hamlet Les spectateurs sur des transats ou tapis de sol, avec couette et oreiller qu’ils ont apportés, vont dormir, écouter, regarder, rêver… Chaque heure, le même motif musical va rythmer cette nuit, suivie d’une parole de chaque artiste. Sur des thèmes comme l’amour, la mort, le rêve, le cauchemar… Avec, entre autres,  des textes de Marcel Proust, Blaise Cendrars, Henri Michaux, Arthur Rimbaud….

© Jean Couturier

© Jean Couturier

Mais un fil rouge lie le récit émouvant du voyage d’Hervée de Lafond au Vietnam où elle a vécu enfant et des scènes-hommages à ces mythes du théâtre, ici reconnaissables: Pina Bausch, Tadeusz Kantor… Une hôtesse de bord nous dit avec cet humour caustique cher au Théâtre de l’Unité: «Nous sommes au regret de ne pouvoir vous communiquer notre destination car elle est secrète, ni le pilote ni moi-même ne la connaissons. Nous voyageons sans boussole, grâce au pilote automatique. Combien de temps durera notre vol ? Quelques heures, des semaines, des mois, des années ? A l’arrière de l’appareil, nous disposons d’une petite entreprise de pompes funèbres avec un four crématoire. Chaque passager trouvera au dos du fauteuil devant lui, une encyclopédie destinée à tuer le temps, une enveloppe contenant une liste de fausses identités et un manuel de suicide amusant. Nous vous souhaitons une excellente tempête et beaucoup d’agréables secousses. »
Nous ne pouvons citer chaque moment de cette nuit et notre papier est empreint d’une douloureuse nostalgie. Dans un de ses récents billets (voir Le Théâtre du Blog), Jacques Livchine a écrit : «Hervée et moi, maintenant à de plus de quatre-vingt ans, métastasés et cabossés, nous sommes sur le point de transmettre notre outil à un trio chargé de poursuivre l’œuvre entreprise. Ce sera l’Unité 2 .»  L’Unité 1 va disparaître et nous avons assisté, comme l’a dit Hervée de Lafond «au dernier spectacle et aux derniers instants d’un troupe.  »
En ce petit matin d’été à l’Avant-Seine de Colombes, nous vient à l’esprit le titre de films: Salut l’artiste d’Yves Robert (1973) avec Marcello Mastroianni et Françoise Fabian. Et Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola, sorti l’année suivante. Salut, les artistes…

Jean Couturier

Cette ultime Nuit unique a eu lieu du 28 au 29 juin, à l’Avant-Seine Théâtre, 88 rue Saint-Denis, Colombes (Hauts-de Seine). T. : 01 56 05 00 76. 

 

Je n’ai pas lu Foucault, texte de Céline Caussimon, mise en scène de Sophie Gubri

Je n’ai pas lu Foucault, texte de Céline Caussimon, mise en scène de Sophie Gubri

Un titre un peu ironique…En milieu carcéral, ce n’est jamais facile d’animer un atelier-théâtre ou danse.  Toujours sans grands moyens ni beaucoup de temps ni d’espace. Olivier Py, quand il était directeur du festival d’Avignon, avait quand même réussi à faire sortir quelques prisonniers pour aller jouer à l’extérieur… Quand on veut parler d’œuvres d’art, classiques, modernes voire contemporaines,  au moins, un projecteur et un ordinateur pouvant stocker en bonne définition des œuvres, cela suffit.  Mais comment ? Là, les choses se compliquent singulièrement et l’idée de cette actrice-chanteuse expérimentée: faire parler et écrire des taulards sur des toiles connues ou moins, se révèle d’une belle acuité et elle a fait cette expérience, de nombreuses fois dans les prisons pour  hommes et pour femmes en région parisienne.

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Mais comment faire se rencontrer taulards et La Ronde  de nuit de Rembrandt,  Le Joueur de cartes de Georges de la Tour, La Chambre de Vincent van Gogh mais aussi plus près de nous, une œuvre d’Edward Hopper, ou non figurative de Jean-Michel Basquiat.
Peuvent-ils entrer dans l’univers d’un artiste et s’y « promener », comme ceux qui sont libres d’aller à un vernissage ou dans un musée? La réponse est oui et certains prisonniers font des rapprochements très justes.  L’un est fasciné par une poule noire, au centre d’une cour de ferme peinte par le jeune Gauguin…  Un autre-ce qui est plus étonnant, se dit proche d’une toile de Jean-Michel Basquiat, comme lui, d’origine africaine: « Le noir, c’est ma couleur preferer… Par ce que c’est mon coter sombre ». Bien entendu, il ne connaissait même pas son nom.
Regard précis, sensibilité,  associations…  Cela sonne juste: M : – « Ça, c’est africain ! » B : – « Africain ? Ah oui ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »M : – « Les couleurs …. »B : – « Les couleurs, c’est africain ? »- « C’est les couleurs d’un boubou… »- « Où tu vois un boubou ? »- « Non, c’est vrai, il n’y a pas de boubou. Il y a le chapeau… « - « Le chapeau ? C’est un boubou, le chapeau ? « - « Euh non, c’est plutôt mexicain… »- « Laissez-le dire, Madame, pour lui, l’Amérique latine et l’Afrique, c’est le même continent…  » –  » Non, j’ai pas dit que c’est le même continent. »- « Alors pourquoi tu dis que c’est africain ? »M. ne répond rien. Il part. Il est vexé. J’éteins Basquiat. M. a vu juste. Basquiat par ses origines et par sa peinture, réunit l’Afrique et l’Amérique latine. C’est le même continent. Oui.

Ici, le mot pédagogie a encore un sens: Céline Caussimon  commente et analyse avec humilité mais brillamment les œuvres, en allant à l’essentiel  et sans jamais s’attarder. Aucun bavardage inutile, aucun commentaire pédant et elle sait dialoguer avec ses jeunes interlocuteurs. - »Vous connaissez Cézanne, Madame ? » Il n’a pas dit Picasso, il n’a pas dit Van Gogh, non, Cézanne. Il n’y a aucun Cézanne dans les œuvres que je leur propose. Est-ce que je connais Cézanne ? Oui… Non. Je suis pas spécialiste !
Apparition du Tricheur de Georges de la TourComment ça a commencé ? Tout est parti de lui. Dans l’aile Sully, Musée du Louvre, je tombe sur lui. Je m’arrête. On est les yeux dans les yeux… Il a la grâce d’un danseur mais c’est un méchant, un tricheur. Je regarde la ligne des mains … Je suis les directions des regards. Cette zone blanche qui éblouit au centre. Lui, dans sa pose suspendue. Silence, que va-t-il se passer ?Je ne bouge pas… Je voudrais savoir la suite de l’histoire. Je suis au Louvre exceptionnellement. J’accompagne des personnes dites « éloignées de la culture ». Je suis comme le groupe que j’accompagne : je découvre.Économie du trait, cadrage resserré, l’ombre et la lumière pour raconter une intrigue. C’est une séquence de cinéma. Peinte par Georges de la Tour. En 1635. C’est simple de regarder la peinture. On peut tous le faire.

Mais Céline Caussimon est prudente:  « Nicolas Poussin, c’est un joli nom… (apparition du  Jugement de Salomon. ) Jugement de Salomon ! Trop de références. Vidéo Rembrandt : trop complexe. (disparition Jugement de Salomon et apparition de Saskia) On n’y entre pas aussi facilement que dans une partie de cartes avec tricheur. Est-ce la limite ?Est-ce qu’on peut être touché si on ne connait pas. Rembrandt ?… Comment regarde-t-on un Rembrandt, si on ne sait pas que c’est un Rembrandt ?  »

Nous sommes à Réau, quartier des femmes. Patricia, quarante ans, tout sourire :- « C’est fou, Madame, on s’aperçoit qu’on prend jamais le temps de regarder… Je vois des gens qui sont en convivialité. Je vois ces mêmes gens qui sont unis dans la même cause. Je vois une lumière qui éclaire au milieu d’eux. Je vois un homme qui joue du tambour. Je vois un homme qui est habillé en rouge avec un fusil. Je vois un chien. Je vois une femme qui essaie de se cacher. Je vois la vie. »L’enfermement non choisi peut-il favoriser une telle perspicacité? De quoi être troublé. Et c’est cela que nous transmet aussi avec intelligence Céline Caussimon. « J’ai voulu témoigner, dit-elle, de ces personnes en marge ( 86.000 aujourd’hui). Pour ne pas oublier qu’ils sont là, invisibles et juste à côté de nous. » Ce seul en scène est aussi l’occasion d’une réflexion sur l’art et la prison… 

Le temps du spectacle (une heure) comme l’espace (une petite salle) doivent être à peu près similaires à ceux utilisés dans une prison. Et avec ce solo bien mis en scène par Sophie Gubri, l’actrice donne la parole à ces taulards dont nous ne saurons jamais rien mais aussi à des gardiens.  Un échange rare entre ce qu’on n’ose appeler une leçon d’histoire de l’art et ces exclus qui ont souvent une vision plus juste de l’art pictural, que bien des visiteurs encombrant les grandes expositions… Une pensée pour Jean-Roger Caussimon (1918-1985) excellent acteur et chanteur que nous avions vu autrefois au théâtre. Le papa de Céline aurait sans doute bien aimé ce spectacle que vous ne regretterez pas d’avoir vu.  

Philippe du Vignal 

Spectacle vu en avant-première à la S.A.C.D. , 43 rue Ballu, Paris (VIIIème).

Du 5 au 26 juillet à 10 h, La Factory,  45 rue des Teinturiers,  Avignon. T. : 09 74 74 64 90.

 

Écrits sur le théâtre de Vsevolod Meyerhold ( tome 1: (1891-1917)

Livres et revues

Écrits sur le théâtre de Vsevolod Meyerhold, tome I (1891-1917)

Béatrice Picon Vallin, directrice de recherches émérite au C.N.R.S., a traduit cette somme en quatre volumes. Soit plus plus de 1.500 page; la plus vaste édition en Europe à part la Russie. Parus à l’Âge d’homme et maintenant épuisés, ils sont essentiels pour analyser, donc mieux saisir les origines du théâtre moderne et contemporain,  de la mise en scène ou du jeu de l’acteur, de la création artistique mais aussi de la pédagogie. Cette nouvelle édition, revue et augmentée, est aussi plus riche en remarquables illustrations.

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Cet immense créateur (1874-1940) sans qui le théâtre russe puis européen ne serait pas ce qu’il est actuellement, a tout réinventé: le jeu avec d’importants mouvements,; à une époque où, avant Jacques Copeau, les acteurs  jouaient le plus souvent face public, la scénographie très étudiée pour être un outil au service de l’acteur avec de nombreux praticables, l’introduction de vraies machines sur le plateau, un autre temps que celui indiqué par l’auteur, le recours au mime et à l’improvisation sur des thèmes empruntés à des pièces existantes, l’importance de la musique et des arts plastiques sur le plateau, notamment ce qui concerne  le grotesque, le « balagan », théâtre de foire comme source d’inspiration, l’usage du masque, la participation du public au spectacle. En 1918, il est aussi le premier à avoir organisé un enseignement de la mise en scène…  Encore une fois tout ce qui a été le théâtre du XX ème siècle avait déjà été pensé par Meyerhold, ce qui rend ces textes aussi étonnamment d’actualité.

Ce livre est le premier de la réédition en quatre volumes. Dans une longue préface qui est plutôt un livre en soi documenté, Béatrice Picon-Vallin, spécialiste reconnue de Meyerhold,  montre avec l’intelligence des arts de la scène et la grande rigueur qu’on lui connait, le parcours du metteur en scène de 1891 à 1917 qui a toujours mis la recherche au centre de ses préoccupations. Et il y a de très nombreuses et émouvantes photos de ses spectacles, en particulier de La Mouette au Théâtre d’Art ( 1898), avec lui-même dans le rôle de Treplev.
Quant aux textes réunis, ils sont de valeur inégale mais tous intéressants:  entre autres, un récit de son voyage à Paris que lui fait découvrir Guillaume Apollinaire: l’architecture ancienne, le cirque Médrano… mais il n’aime guère les cabarets devenue selon lui « le domaine de tous les bourgeois »sauf un : espagnol. 
On ne peut tout citer mais il y a aussi des extraits de son Journal de 1907 à 1912. La Baraque de foire (1914) où Meyerhold réfléchit sur ce que peut être le travail de l’acteur nouveau. On le sent déjà obsédé par l’envie de mettre en place un jeu physique-la fameuse bio-mécanique- « sans réalisme, ni psychologisme » et  d’une scénographie qui doit beaucoup au constructivisme…
Il y a un ensemble de courts textes tout à fait passionnants sur la préparation avec Golovine du Bal masqué de Lermontov qu’il voit comme  un des piliers du théâtre russe avec Nicolas Gogol. Il y a enfin des analyses  très fines sur le cinéma où le metteur en scène étudie le jeu de l’acteur, différent de celui sur un plateau. On oublie souvent qu’Eisenstein fut son élève et son assistant-metteur en scène…
Ce livre est complété par un ensemble de notes où Béatrice Picon-Vallin a regroupé des informations très utiles sur les mises en scène de celui qui fut l’ami de Tchekhov et bien sûr, un index.
Que ces presque six cent pages ne vous fassent pas peur: interlignage des textes soigné et mise en page très bien réalisée… Ce livre est tout à fait passionnant pour ceux de nos lecteurs qui connaissent ou pas bien le travail de Meyerhold ou ceux, notamment les élèves comédiens et/ou metteurs en scène qui veulent le découvrir. Et d’un prix tout à fait abordable.

Philippe du Vignal

Le livre vient de paraître aux éditions Deuxième Epoque. 30,00 €. 

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