Festival Paris l’été Asylum, chorégraphie de Rami Be’er par la Kibbutz Contemporary Dance Company

Festival Paris l’été

Asylum, chorégraphie de Rami Be’er, par la Kibbutz Contemporary Dance Company

Asylum by Rami Be_er - Photo Credit - DSC_9987

© Udi Hilman

Fondée en 1970, cette compagnie israélienne dirigée depuis 1996 par Rami Be’er, un de ses anciens danseurs, revient à Paris avec ce ballet présenté au festival de la Danse, il y a quatre ans, et qui avait enthousiasmé le public.
Dix-huit interprètes se déploient avec une exceptionnelle énergie, guidés par un danseur au mégaphone qui pourrait être leur garde-chiourme. Et si l’on en croit son titre, cette pièce traite du sort des migrants. Un propos risqué aujourd’hui en Israël, quand le gouvernement veut expulser les milliers de demandeurs d’asile africains…

La narration, peu explicite, est relayée par une gestuelle nerveuse traduisant les violences subies, en les plaçant dans un contexte plus large. Comme le suggèrent les numéros de matricule égrenés sur la bande-son et les chants d’enfants en hébreu: «  On tourne, on tourne en rond toute la journée, debout assis, on marche en rond jusqu’à ce que nous trouvions notre place. » On pense à d’autres exils et déportations…

Apeurée, harassée, la troupe défile à l’unisson avec des mouvements mécaniques et répétitifs. Certains danseurs essayent parfois des échappées en solo ou duo, avant de se fondre de nouveau dans le cortège. Il y a des luttes au corps à corps qui mettent en valeur leurs qualités athlétiques. Sur les visages se lit la terreur, et les bouches ouvertes laissent échapper des cris muets.

Cette danse, très expressionniste, ne se veut pas mouvement esthétique mais répond à un engagement politique: «Mes chorégraphies, dit Rami Be’er, sont influencées par le fait que nous vivons au Nord d’Israël, à seulement huit kilomètres de la frontière libanaise. Cela fait partie de notre identité. »

Après Horse in the sky  (2018) dénonçant la souffrance des soldats à la guerre, Asylum renvoie à celle des exilés. Malgré un fil dramaturgique peu clair fait de déchaînements de violence, la puissance et la beauté plastique des corps, la parfaite cohésion et la précision des mouvements de ces excellents danseurs nous emportent plus loin que cette dénonciation. Et ici, nous est révélée une compagnie d’Israel, moins connue en France que d’autres….

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 15 juillet, au lycée Jacques Decour, 12 avenue Trudaine Paris (IX ème).


Festival Paris l’été, jusqu’au 30 juillet. T. 01 44 94 98 00.


Archives pour la catégorie critique

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin ) Les Josianes, Stek, À tiroirs ouverts, Voyage sur place

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin)

Les Josianes

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Les Josianes © M.D.

Chez Josiane, un café-restaurant avec une façade provençale, c’est gag à gogo. A l’étage, quatre filles courent d’une chambre à l’autre et se montrent aux fenêtres, tels des pantins surgis d’un castelet.
Elles dansent sur La Valse à mille temps de Jacques Brel et s’échappent de la maison en escaladant le mur en rappel…. Elles n’ont pas froid aux yeux et Nuit d’une demoiselle, une chanson coquine de Colette Renard devient leur credo face à l’oppression masculine qu’elles dénoncent comme les premières féministes: leur modèle. Elles nous font rire avec les déclarations machistes d’un avocat, tout en grimpant à la corde lisse, en se tenant en équilibre sur une main et en voltigeant.

Cette « création circo-dansée pour quatre artistes de confession féminine » se décline au pluriel. Dans leurs disciplines respectives, mais avec un brin de nostalgie pour les suffragettes historiques et un regard aigu sur les luttes d’aujourd’hui qu’exprime leur dernière chanson : Canción sin miedo (La chanson sans peur) de Vivir Quintana, une apologie des femmes qui se soulèvent au Mexique… Des filles de Sonora aux femmes armées du Chiapas, contre les viols et féminicides. « Soy Claudia, soy Esther y soy Teresa. Soy Ingrid, soy Fabiola y soy Valeria. Soy la niña que subiste por la fuerza. Soy la madre que ahora llora por sus muertas. Y soy esta que te hará pagar las cuentas. Justicia ! Justicia ! Justicia ! (…) NOS QUEREMOS VIVAS ! Que caiga con fuerza, el feminicida » (Moi, je suis Claudia, je suis Esther, et Thérésa. Je suis Ingrid, Fabiola, et Valeria. Je suis la jeune fille bat. Je suis la mère qui pleure ses mortes. Je suis celle qui te fera payer la facture. Justice ! Justice ! Justice ! Nous voulons vivre: A bas les féminicides.)
La compagnie Josianes est née en 2020, quand le cirque croisa le chemin de la danseuse Julia Spiesser. Elle réunit des artistes, venues chacune d’un pays différent et qui, intrépides, se battent pour leurs idées
en affirmant leur féminité.

Stek par le collectif Intrepidus

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Les clowns sont souvent tristes mais ceux-ci n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes tout droit surgis d’une grande poubelle, en beaux diables multicolores, ils n’ont pas peur de se cogner à la vie.
Et quand ils tombent, ils se relèvent illico pour mieux s’étaler ou se prendre dans la figure, le couvercle d’une poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors, à la recherche du stek.
Ce graal est  à griller sur un barbecue trouvé dans une décharge, décor de cette comédie foutraque qui finit par des glissades carnavalesques sur le plateau inondé par maladresse. Pantalons trop courts et vêtements trop longs en haillons ne les empêchent pas de se bagarrer  ou d’être complices quand il s’agit de partager la nourriture.
Analia Vincent, la seule fille du clan, n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario De Jesus Barragan et au clown Léo Morala. Intrépidus, ce nom de collectif va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs sortis de l’école du Lido à Toulouse. Rire garanti. Et petite émotion, quand ils enterrent leur costume de clown, comme une relique d’un autre âge….

Comedia Bonita de et par le duo Bonito

Un spectacle musical nous entraine dans l’intimité d’un couple où l’amour à la longue dérape en petits agacements mutuels. Lui s’énerve quand, avec son accent espagnol, elle déforme les mots.
Et elle est dépitée quand il refuse de répondre à ses câlins en public… Qui aura le dessus? Ces petits différends scellent une complicité inoxydable entre la dynamique Raquel Esteve Mora qui, après l’école Jacques Lecoq, a rejoint Les Nouveaux Nez et l’imperturbable Nicolas Bernard, un des fondateurs de cette compagnie de clowns. Avec des chansons écrites sur mesure aux paroles agiles à la Raymond Devos, un chien savant rigolo et patient tiraillé entre ses deux maîtres, le duo Bonito expert en gags physiques et verbaux, nous amuse et nous émeut. Du clown comme on aime.

 

A Tiroirs ouverts, de et avec Quentin Brevet, mise en scène de Johan Lescop

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A tiroirs ouverts © Patricia Lopez

Quelques planches, une table, des tabourets. L’artiste examine, dubitatif, ce décor de fortune planté sur une petite estrade. Un mobilier qu’il déplacera au gré de ses jongleries, pour infléchir les trajectoires et rebonds des balles capricieuses.

Les objets ne lui obéissent pas toujours et le plateau regorge de chausse-trappes. Maladroit de nature, il trébuche mais se rattrape… En fond sonore, quelques notes qu’il joue sur une clarinette pas toujours obéissante, elle aussi. Mais pour finir, ce solo jonglé et burlesque nous réserve la surprise d’un équilibre précaire parfaitement réussi…

Quentin Brevet compose un personnage de rêveur éveillé poétique et séduisant, mais sous ses airs benêts d’une grande dextérité

 

Voyage sur place de et par Alain Reynaud, mise en scène d’Alain Simon

Dans ce « solo théâtral et autobiographique », l’acteur-clown quitte Félix Tampon, son personnage de scène, pour nous raconter ses souvenirs d’enfance à Bourg Saint-Andéol dont il est parti pour y revenir avec, «d’un côté, avec la casquette de directeur de la Cascade et de l’autre,  avec un chapeau de clown».

Ici, il se fait conteur et nous fait partage la saveur d’une enfance heureuse à l’ombre bienveillante de ses parents qui tiennent une menuiserie au quartier de Tourne et qui ont ouvert un cinéma pour meubler leurs loisirs. »
« C’était avant l’invention de la pédagogie, avant l’ère Dolto », dit-il, en évoquant la sévérité du père, la rigueur des instituteurs… Attiré depuis toujours par les flonflons de la fanfare et les paillettes des majorettes, il devient tambour dans l’harmonie municipale et éprouve son premier  « grand trac » avant de jouer « le roulement des morts », à la cérémonie du 11 novembre. Il se voit déjà en clown : « Je voulais être un personnage. » Et il le deviendra.
Sans effets de manche mais avec malice, Alain Reynaud nous emmène dans la France profonde des années soixante-dix, avec ses souvenirs où chacun trouvera une part d’enfance…

Mireille Davidovici

Comedia Bonita  le 30 juillet, Un dimanche en été, à Porcieu-Amblagnieu (Isère).

Festival d’Alba-la-Romaine, du 11 au 16 juillet.

La Cascade, Pôle national-Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46.

Festival Théâtre de verdure au jardin Shakespeare Hamlet de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène d’Audrey Bonnet

Festival Théâtre de verdure au jardin Shakespeare

 Hamlet de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène d’Audrey Bonnet

Au cœur du Bois de Boulogne à Paris, le jardin du Pré Catelan accueille un festival pluridisciplinaire et tout public. Ce lieu inauguré en 1856 et alors baptisé “Théâtre aux fleurs“,  devient à la fin du XIX ème siècle un haut lieu de la création théâtrale et musicale, où, entre autres, Claude Debussy se produisait régulièrement.
En 1952, Robert Joffet, conservateur en chef des jardins de Paris, le transforme en “Jardin Shakespeare“. En hommage au dramaturge anglais, il plante, à l’entrée, la forêt des Arden, clin d’œil à
Comme il vous plaira. À droite, des espèces d’arbres méditerranéennes pour rappeler de La Tempête et à gauche, la lande écossaise de Macbeth.
Derrière la scène, la forêt féérique du 
Songe d’une nuit d’été et, allusion à Hamlet, un saule pleureur en souvenir d’Ophélie et de la rivière où elle se noiera.

En 2021, Lisa Pajon et Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, avec leur compagnie Le Théâtre Irruptionnel, prennent la direction du festival et mettent en avant la création contemporaine. Cette année, le Théâtre de Verdure revient à ses sources shakespeariennes avec une mise en scène d’Hamlet par Audrey Bonnet, qui fourmille d’inventions.

 

@Mireille Davidovici

@Mireille Davidovici

Dans une vaste prairie entourée de bois, seule élément de décor,  une grande table qui servira d’accessoire aux nombreux tableaux de la pièce. Dans les buissons, passe un coureur en chaussettes orange fluo. «Il ressemble au roi.» dit un Garde. C’est le fameux fantôme du roi Hamlet !

Le souverain de Danemark est mort. On dit qu’un serpent l’a piqué. Mais son fils, Hamlet, rencontre le fantôme de son père qui lui apprend qu’il a été empoisonné par son propre frère, Claudius. Lequel est devenu roi à sa place…Cet oncle du prince, a, comble du crime, épousé Gertrud, sa belle-sœur et donc, la mère du jeune prince Hamlet.

Lui, insouciant et amoureux d’Ophélie, devient alors  un être ombrageux, hanté par un besoin de vengeance et une troupe d’acteurs l’aidera à accomplir sa tâche! Entre temps, Ophélie se sera noyée, au grand dam de Polonius, son père et premier ministre, et de Laertes, son frère, qui provoquera Hamlet en duel… Et tout finira dans un bain de sang.  

Les metteurs en scène opèrent depuis quelques temps l’inversion des rôles entre hommes et femmes, et on a vu récemment Anne Alvaro en Hamlet (voir Le Théâtre du blog).
Ici,
huit comédiens incarnent tous les personnages, indifféremment homme ou femme, et quatre jouent aussi celui d’Hamlet : « Et s’il y avait plusieurs Hamlet ? dit Audrey Bonnet. Si les actrices et les acteurs se passaient le témoin de cette figure sans contours? Des athlètes de la parole pris dans l’élan d’un relais, plusieurs énergies, plusieurs visages, plusieurs sensibilités pour se laisser traverser par des possibles. »

Le passage de rôle de l’un à l’autre se fait à vue, de manière ludique, et chaque interprète donne une couleur différente au prince ténébreux.  Tantôt simulant la folie, tantôt cynique, voire auteur et metteur en scène d’un spectacle où il cherche à dénoncer le crime de son oncle et de sa mère.

Les mots de Shakespeare, dans la prose cadencée d’Yves Bonnefoy, prennent ici toute leur ampleur et la metteuse en scène, sans trahir la pièce, apporte fantaisie et humour à ces personnages théâtraux devenus mythiques, avec d’amusants anachronismes.
Rosencrantz et Guildenstern, anciens condisciples d’Hamlet et hommes de main de Claudius, font un match de ping-pong avec le prince Hamlet. Notre héros dira sa fameuse tirade : « Être ou n’être pas, c’est la question» sans emphase et avec le plus grand naturel, tout en installant le décor du drame qu’il a imaginé avec la troupe d’acteurs ambulants.
Et les instructions qu’il leur donne s’adressent aussi à ceux qui jouent devant nous : « Ne soyez pas non plus trop longs et trop guindés, fiez-vous plutôt à votre jugement et réglez le geste sur le parole et la parole sur le geste. »

De bonnes indications auxquelles se tiennent Clara Pirali qui joue Gertrud avec sobriété et qui est un Horatio affectueux. Mathieu Genet est le fantôme sportif du roi mais aussi Guildenstern ; Lisa Pajon nous étonne en Laertes et donne une certaine rugosité à son Hamlet, Julie Pilod joue un des hommes de la garde et un Hamlet plus introspectif. Mélody Pini (Ophélie) chante avec grâce . Nicolas Senty passe d’Hamlet à Rosencrantz, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre est un Polonius loquace à souhait. Mais nous avons moins apprécié le jeu monocorde de Carles Roméro-Vidal (Claudius).

Porté par la musique originale de Nicolas Delbart, cet Hamlet a de jolis moments. Il y a une bonne direction d’acteurs  et Audrey Bonnet utilise au mieux ce décor naturel pour composer des images sur le vif. Nous profitons aussi de la liberté joyeuse des acteurs.
Mais, à la première, l’ensemble est décousu avec de nombreux temps morts et longueurs. Il faut espérer qu’au fil des représentations, le spectacle trouve enfin son rythme..

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 30 juin au Théâtre de Verdure. Jusqu’au 29 juillet, à 20 h 30.Bois de Boulogne, allée de la reine Marguerite, route de Suresnes, Paris (XVl ème). T. : 06 63 03 72 36.

Le Théâtre de Verdure fait son festival: jusqu’au 10 septembre avec des spectacles tout public, des lectures notamment par des acteurs de la Comédie-Française. Mais aussi  des concerts… Et Les Irruptionnantes (spectacle gratuit)

  https://letheatredeverdure.com/infos-pratiques-le-theatre-de-verdure/

Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

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Devant La Flagellation du  Caravage :  Les Fantômes de Naples©JeanLouisFernandez 


Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris

 Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Pour le première fois, le Louvre s’associe à deux institutions : le théâtre de la Ville à Paris et le Teatro della Pergola de Florence, pour un spectacle autour d’une exposition. «Un musée, dit Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre, est un lieu qui doit aussi parler de musique, théâtre, danse… Et cette maison est faite pour cette polyphonie. »
Luc Bouniol-Laffont a été nommé directeur de l’Auditorium et des spectacles, pour retrouver un public de proximité : «Cet été, le spectacle vivant sera partout présent avec  Les Étés du Louvre, sous la Pyramide, dans les cours, et dans le jardin des Tuileries.» Et en plus des événements autour de Naples à Paris, il y aura un vaste programme de cinéma, musique, etc.

Le Musée Capodimonte a été invité à exposer ses chefs-d’œuvre, aux côtés de ceux déjà présents dans les galeries italiennes du Louvre. Comme les portraits d’Il Parmigianino, La Flagellation du Caravage.

On pourra découvrir la surprenante composition géométrique d’Atalante et Hippomène de Guido Reni. Et aussi la férocité de cette Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi, une peintre admirée par les  féministes.Violée par son précepteur  et marquée par le procès qui s’ensuivit, elle dénonce dans ce tableau, comme dans nombre de ses œuvres, la violence masculine exercée sur les femmes.

Les Fantômes de Naples

Emmanuel Demarcy-Mota a imaginé une soirée en deux temps, avec d’abord une «déambulation poétique», où des comédiens italiens et français disent aux visiteurs de la Grande Galerie du Louvre de courts poèmes en lien avec les peintures… Ensuite un spectacle dans la cour Lefuel, autour d’Eduardo De Filippo (1900 1984)  dont il a récemment mis en scène La Grande Magie (voir Le Théâtre du Blog). Le « Molière italien », auteur, comédien et metteur en scène, a signé plus d’une trentaine de pièces, films et poèmes , la plupart en napolitain.

Cette cour du Louvre, exceptionnellement ouverte au public, est un décor prédestiné au spectacle et accueillera bientôt le Ballet de Lorraine avec Static Shot de Maud Le Pladec (voir Le Théâtre du Blog). Edifiée sous le Second Empire, elle s’appelait Cour des écuries et servait d’accès à la Salle du manège avec une double rampe majestueuse en fer à cheval et des sculptures en bronze d’un chien, d’un sanglier et deux loups.

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Les Fantôme de Naples  ©Jean- Louis Fernandez

Parfait écrin pour ces Nuits de Naples où des interprètes français et italiens, jouent des extraits de pièces d’Eduardo De Filippo, de La Tempête de William Shakespeare traduit par lui en napolitain. Mais aussi un extrait de Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello dont Eduardo De Filippo fut l’ami.

Filippo d’Allio, Arman Méliès et Aniello Palomba accompagnent à la guitare des airs napolitains chantés par Ernsto Lama et Lina Sastri et Francesca Maria Cordella, comédiennes qui travaillèrent toutes les deux avec Eduardo De Filippo. Francesco Cordella, en Pulcinella, fait une démonstration de commedia dell’arte. 

Parmi les acteurs du Théâtre de la Ville, Marie-France Alvarez, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Serge Maggiani …

En musique, avec les bruits de la mer et de la ville en fond sonore, cette invitation poétique au voyage, en français et en napolitain, bien qu’un peu laborieuse, ouvre les festivités autour de Naples à Paris, qui se poursuivront à l’automne avec théâtre, danse, cinéma et concerts…

 Mireille Davidovici

Les Fantômes de Naples, jusqu’au 3 juillet, Musée de Louvre, Paris ( Ier).

Static Shot 10 et 11 juillet 22 h Et 23 h 

Les Etés du Louvre,  jusqu‘au 20 juillet, Pyramide du Louvre. T. : 01 40 20 53 17.

Festival Montpellier Danse: Annonciation/ Torpeur/ Noces, chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Festival Montpellier Danse: Annonciation/Torpeur/ Noces, Chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Pour ouvrir ce festival, une création, Torpeur et les reprises d’Annonciation et Noces par cette compagnie avec aujourd’hui, trente danseurs permanents. Un parcours dans l’œuvre de l’artiste , auteur d’une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes, dans un style résolument contemporain, alternant fresques narratives et projets plus abstraits. Nous avons ici un belle sélection qui permet de voir la permanence et les évolutions de son style.

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Torpeur (création 2023) © JCCarbone

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Interprétée par deux danseuses, la visite de l’Ange Gabriel à Marie. Il n’est pas la créature éthérée, le Saint-Esprit qui ensemence la Vierge, mais un être à la gestuelle puissante. Comme un extra-terrestre qui arrive sur une musique vrombissante dans une trainée de lumière rouge, il vient troubler la quiétude de la jeune femme. Assise sur un banc, elle semble attendre dans des postures lentes et épurées, nimbée d’un halo de lumière froide: à l’image de l’iconographie traditionnelle représentant souvent cette scène fondatrice de la religion chrétienne dans un jardin clos, symbole de virginité.

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© JC Carbonne-

L’intrusion bruyante et mouvementée de l’Ange, incarné avec fougue par Clara Freschel (en alternance avec Mirea Delogu) s’apparente ici à une pénétration fécondatrice : d’abord, tout feu tout flamme, comme sorti des Enfers, la créature s’approche avec douceur de Marie (Florette Jager, en alternance avec Verity Jacobsen) , au physique plus frêle qu’elle. Celle-ci tente quelques esquives et pas de côté, mais sera submergée par la gestuelle impérieuse de ce visiteur, sans céder pleinement à son emprise.
Les corps s’effleurent avec pudeur, dégageant une sensualité sereine. Un baiser s’échange, léger comme un souffle… Puis l’Ange disparaît comme il est venu, laissant l’héroïne songeuse sur son banc. La musique limpide de Stéphane Roy (Crystal Music) alterne avec le Magnificat d’Antonio Vivaldi, mariant profane et sacré sous la lumière toujours précise chez Angelin Preljocaj de Jacques Chatelet.

« Qu’est censé ouvrir en nous cet événement ? De nombreux peintres ne cessent d’interroger ce catapultage de symboles antinomiques qu’est l’Annonciation mais ce thème à la problématique si proche du corps est quasi évacué de l’art chorégraphique», écrivait Angelin Preljocaj à la création à Châteauvallon en 1995.
Cette pièce narrative proposée en ouverture du festival et de la soirée, pose la question de la fécondation et induit habillement la métaphore de la création qui s’ensemence des influences et des frictions d’une œuvre à l’autre, et entre artistes.

Torpeur

« La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon », dit le chorégraphe de sa nouvelle création, dans l’air du temps en ce jour de canicule.

La pièce prolonge l’ambiance pensive d’Annonciation mais démarre en flèche: douze danseurs surgissent des coulisses  en costumes fluides blanc ivoire, flottant dans les contrejours (création lumière Éric Soyer). Sur la musique répétitive de 79Dils se croisent dans des alignements géométriques, des symétries quasi classiques, marchent en agitant bras et jambes, exécutent de petits sauts. Un chœur bourré d’énergie. Puis, cédant à la fatigue, ils suspendent leurs gestes, dans des postures lascives, avec des mouvements de bassin alanguis : la bande son s’assourdit en basses percussives. 

Bientôt ils quitteront les tenues évanescentes concoctées par Elenora Peronetti,  et s’étendent au sol dans une nudité relative (slip et soutien-gorge couleur chair), pour s’aligner les uns derrière les autres en un cercle mouvant. Ronde horizontale, où bras et jambes, alternativement levés dessinent une fresque ajourée à la manière de ces ribambelles découpées dans une bande de papier. Cette pièce léchée, élégante, d’une facture classique nous a laissés un peu à la porte. Un peu loin la sensualité recherchée par l’artiste : « Convoquer les corps, l’espace et le temps, pour donner une forme à l’indolence, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude ». Mais il faut parfois savoir ralentir, surtout avant le tsunami qui va suivre.

 Noces

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© JC carbone

Point d’orgue de la soirée, cette pièce de 1989 nous a sidéré. La musique d’Igor Stravinsky, écrite entre 1914 et 1917 puis finalisée en 1923 pour les Ballets russes à Paris, mise en scène par Nijinska, la sœur de Nijinski, est interprétée ici par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabediann. Elle est d’une mystérieuse beauté et d’une modernité étonnante. Percussions éruptives aux accents orientaux, voix chaudes des femmes et ténébreuses des hommes, venues des profondeurs des Balkans.

« Aussi loin que remonte ma mémoire, écrivait le chorégraphe à la création, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie (…) La mariée, s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, verserait les larmes en s’avançant vers un rapt consenti. » Dans la tradition slave, (Angelin Preljocaj est originaire d’Albanie) c’est une marchandise qu’on échange. Ici la mariée est déclinée en cinq exemplaires, avec jupe courte virevoltante, jambes galbées dans des bottines noires, face à cinq hommes en chemise blanche et cravate noire.
Comme offerte en sacrifice, l’une des danseuses est amenée,
yeux bandés sur le plateau, et… s’effondre, poupée de son ! Mais elle se relèvera et rejoindra ses compagnes pour une danse athlétique. Les hommes, eux, en rang d’oignon sur des bancs d’école, attendent leur heure. Les couples évoluent ensemble ou séparément, dans un cercle à géométrie variable délimité par les bancs déplacés au gré des séquences.
Ils se déchaînent en bonds, savants jeux de jambes, bras et bustes, glissades et tournoiements, emportés par la musique. Ensemble ou alternativement, hommes et femmes se cherchent, se trouvent, se fuient dans les savants contrejours et clairs- obscurs, lumières chaudes et froides.
Les danseuses  se dédoublent en cinq grandes poupées de chiffon blanc qu’elles manipulent, émouvantes figures de leur aliénation, puis, jetant ces tristes avatars au loin, elle plongent à plusieurs reprises du haut des bancs dans les bras de leur promis, sauts risqués d’une précision extrême, comme le reste de cette folle cérémonie, à la fois joyeuse et funèbre.

Noces restera longtemps imprimé dans nos mémoires, avec cette musique envoûtante qui soulève et anime les corps. Bravo, Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat- Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.Bravo aussi Caroline Anteski pour ses costumes et Jacques Chatelet pour ses éclairages. Aux saluts, le public s’est levé enthousiaste. Il ne faut pas manquer ce florilège qui bénéficie d’une grande tournée.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Corum, Montpellier ( Hérault).

Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. : 04 67 60 83 60.

 Du 11 au 14 septembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Du 18 au 20 octobre, Opéra de Rouen ( Seine-Maritime) ; du 7 au 10 octobre, Scène Nationale de Châteauvallon, Ollioules (Var).

Du 1er au 3 décembre, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 

 Les 22 et 23 mars, Scène 55, Mougins  ; 26 mars, Théâtre en Dracénie, Draguignan (Var); du 28 mars au 5 avril, Opéra Royal du château de Versailles ,

Le 7 avril, Théâtre de Thionville ; les 26 et 27 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine) .

Du 16 au 18 mai, Théâtre National de Nice ; le 24 mai, Auditorium, Dijon ( Côte d’Or) ; 20 juillet, Nuits de la Citadelle, Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).

Festival de Marseille 2023

 «Danse et corps en mouvement sont l’ADN de ce festival créé en 1996 », disait Marie Didier, qui en a pris les rênes l’an dernier à la suite de Jan Goossens (voir Le Théâtre du Blog). Elle y voyait «l’opportunité de mettre en place des projets plus ouverts sur la Méditerranée et des aventures liées à ce territoire phocéen pluriculturel, terre d’exil et d’asile ».

Le festival tient cette ligne cosmopolite, en proposant trente-deux événements d’artistes venus de vingt-et-un pays (Allemagne, Angleterre, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Congo, Écosse, Égypte, France, Grèce, Iran, Kazakhstan, Liban, Maroc, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Pologne, Pays-Bas, Sahara occidental, Venezuela). En trois semaines et quatre week-ends, et dans vingt lieux partenaires, on y voit : spectacles de danse, théâtre, concerts, films, expositions, ateliers… Dont Bless the Sound That Saved a Witch Like Me, le beau solo de Sati Veyrunes, chorégraphié par Benjamin Kahn vu récemment au festival d’Uzès danse (voir Le Théâtre du Blog). Et des propositions hors-norme et inattendues, comme ce soir-là.

Waka-Criée, conception et mise en scène d’Éric Minh Cuong Castaing

@Pierre Gondard

@Pierre Gondard

Nous avions été très émus par Phoenix, vu en 2018 à ce même festival : des drones filmaient simultanément trois danseurs sur scène et des artistes à Gaza. (voir le Le Théâtre du blog). Ici, même principe, mais avec un propos plus léger. La scène du théâtre de la Criée est reliée, via des caméras avec le studio d’enregistrement du groupe d’ados Waka Starz, en Ouganda, visible sur un grand écran. En temps réel, nous assistons à un double spectacle.
Devant nous, la chanteuse des Waka Starz, Racheal M. chante et danse avec une folle énergie, avec ses frères et soeurs, eux restés à Wakaliga, quartier défavorisé de Kampala. Ces artistes en herbe nous font visiter le studio familial de Wakaliwood où ils montent et diffusent leurs clips vidéo qu’on peut voir en surimpression, grâce à un savant mixage réalisé par Isaak Ramon. Entre comédie musicale, afro-futurisme, chorégraphie kung-fu et satire politique, ces clips atteignent des millions de vues sur YouTube et Tik Tok.

Les Waka Starz ont un répertoire engagé et leurs musiques croisent les influences reggaeton, afro-beat et pop anglo-saxonne, et des textes en anglais ou en lunganda, langue parlée en Ouganda, s’insurgent contre les violences faites aux enfants et prônent la liberté des femmes. Ils nous font partager le « wag » ( rythme) de leur pays. Abonnés au système D. , ils nous racontent la réalité de leur quartier, leur soif de réussite et nous font entendre avec talent et invention, leur foi en l’avenir. Lève toi et danse, le dernier titre appelle les spectateurs à se lever pour partager leur fougue.

Éric Minh Cuong Castaing, issu des arts visuels, s’est très tôt intéressé aux écritures chorégraphiques en temps réel. Avec sa compagnie Shonen, basée à Marseille, il explore les relations entre danse et nouvelles technologies. Il échange avec les Waka Starz depuis 2019 et nous donne ici une belle leçon d’optimisme !

 Love You, Drink Waterconcert d’Awir Leon, chorégraphie dAmala Dianor, création vidéo de Grégoire Korganow

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© Pierre Gondard

Ce trio est réuni autour du nouvel album d’Awir Leon Love You, Drink Water, prétexte à un show dansé avec projections d’images mêlant captation en direct et film d’art. Le musicien accompagne depuis longtemps les spectacles d’Amala Dianor avec des compositions originales.
Ici, les rôles s’inversent et le danseur chorégraphie son concert. Homme-orchestre, il déplace les instruments de musique, montre des mouvements au chanteur, guide le cadreur autour de lui pour ses prises de vue. Mais il virevolte parfois librement sur la scène dans son style particulier, glissant avec virtuositédu hip-hop aux danses européenne et africaine contemporaines, comme on l’a vu dans son solo Wo-Man (voir Le Théâtre du Blog).

Ce concert dansé trouve son point d’orgue dans une séquence qui rassemble les trois artistes : la caméra bouge et filme, partenaire du chanteur et du danseur. Ceux qui attendent plus de danse seront peut-être déçus : l’essentiel du spectacle met en scène l’opus de François Przybylski, alias Awir Leon. Auteur, chanteur, compositeur, il s’inscrit dans la mouvance indietronic. Un style électro-pop-rock, adouci par une ambiance paisible, avec des fréquences sonores beaucoup moins élevées. La rythmique soutenue apportée par les samples percussifs et mélodiques ne vient pas heurter l’oreille et permet des développements plus poétiques.
« Awir » : ciel, en gallois : la voix rocailleuse de l’interprète évoque des univers rugueux, mais amène aussi des envolées lyriques, avec des paroles dont le sens échappera à ceux qui ne maîtrisent pas bien l’anglais.
Le photographe et réalisateur Grégoire Korganow nous montre des images de forêts brumeuses et d’étendues aquatiques où des corps se noient mais que la danse sublime. Pour cet habitué des plateaux de danse, ces corps
représentent une sorte de paysage intérieur qu’il transcrit, comme ici.
Ses ondins et ondines romantiques, au milieu de zombies sinistres, rappellent-ils que la Méditerranée qui borde Marseille, est un tombeau pour des hommes, femmes et enfants…

Haircuts by children, conception de Darren O’Donnell

Chez Kenze Coiffure, des élèves de CM1 formés en une semaine par des professionnels, tiennent pendant un week-end, un salon de coiffure au centre ville et offrent coupe et coloration gratuites. Ils ont appris, pendant leurs heures de classe, à gérer les rendez-vous, accueillir les clients volontaires avec une citronnade, balayer les cheveux épars.
A l’aise, bienveillants et sérieux : «C’est comme à l’école mais en plus amusant », dit une petite fille qui s’applique à manier peigne et ciseaux, bombes colorantes, avec l’accord des grandes personnes, une fois n’est pas coutume.

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© Estelle Laurentin

Cette action saugrenue est proposée par un collectif canadien avec la perspective de responsabiliser les enfants et d’amener les adultes à leur faire confiance. C’est charmant et, sans doute une expérience enrichissante pour les petits et les grands. Quant au résultat esthétique, ce n’est pas ce qui compte. La coiffure est un métier qui s’apprend et requiert un talent de visagiste.
La démarche vise à ce que « les jeunes changent de statut et deviennent des acteur·rice·s à part entière de la société, les adultes renoncent au contrôle et se fient à leur créativité, leur dextérité et leur sens des responsabilités. » Darren O’Donnell se fait fort de « créer des situations sociales inédites et d’en faire jaillir du sens ». Chacun en tirera les conclusions. Pour autant, ce projet, plus pédagogique qu’artistique, est un exemple des actions culturelles et de sensibilisation des publics menées en marge des œuvres programmées au festival.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 23 juin, au Théâtre de la Criée, 30 Quai de rive neuve, Marseille. T. : 04 91 54 70 54.

Le 24 juin, Chez Kenze Coiffure, 7 rue de la République, Marseille (II ème). T. : 04 91 91 39 79.

Festival de Marseille jusqu’au 9 juillet, 7 rue de la République, Marseille (II ème). T.:  04 91 99 00 20. Entrée parfois gratuite ou à 10 €; billetterie solidaire de 2.000 places à 1 €. Contact : rp4@festivaldemarseille.com T. : 04 91 99 02 53.

Montpellier Danse :quarante-troisième édition Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré

Montpellier Danse : quarante-troisième édition

Comme les précédentes, cette manifestation conjugue passé et présent avec, souvent, la recréation d’œuvres de Dominique Bagouet, chorégraphe, fondateur du C.C .N. de Montpellier et du festival, mort en 1992  et celle d’autres artistes qui sont invités à revenir sur des pièces anciennes :  Angelin Preljocaj, Kader Attou, Boris Charmatz et pour, la première fois à Montpellier Danse, Jean-Claude Gallotta, avec Ulysse Grand large (1981). Mais comme d’habitude, le directeur Jean-Paul Montanari, dénicheur de talent, nous fait aussi découvrir et suivre de jeunes créateurs. En ces premiers jours, une programmation très contrastée et majoritairement féminine, qui ne laissera personne indifférent, comme ce festival avec, en deux semaines, deux à trois spectacles par soir…

 Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré

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©Werner Strouven

Nous sommes invités sur une musique électro et un DJ exubérant, à partager la vie intense d’un salon de coiffure…qui décoiffe. Sur le plateau, jonché de mèches de cheveux et tresses, s’alignent des chaises en plastique blanc et pendent des étoffes pailletées scintillant dans les lumières… Le maître de cérémonie chauffe la salle, bientôt électrisée et encourage les interprètes dans leurs déhanchements et galipettes acrobatiques : postures mêlant twerk, breakdance, coupé-décalé et voguing… En costumes extravagants, mi-hommes, mi-femmes, sept artistes non binaires ou transgenre nous font pénétrer dans leur univers décalé, leurs rêves et revendications pour le droit à la différence.

Rencontrés à Abidjan, Beyoncé, Canel, Jhaya Caupenne, Taylor Dear, Kevin Kero ont inspiré cette étrange pièce queer : «Des personnes drôles, émouvantes et talentueuses, dit la chorégraphe. Le voguing, leur vocabulaire venu du coupé-décalé, la façon dont elles marchent, dansent, parlent, c’est toute une culture puissante et singulière .» Se sont jointes à elles Jhaya Caupenne, Belge d’origine ivoirienne et la travestie brésilienne Acauã El Bandide Shereya, la plus exubérante et sans doute la plus expérimentée (elles ne sont pas toutes professionnelles). « La plupart jonglent avec une double vie, précise Nadia Beugré. La journée, esthéticiennes, coiffeuses sur les marchés, elles essayent la nuit de trouver des endroits à elles pour se retrouver, rêver, et délirer. »

La chorégraphe a capté cette énergie, laissant libre cours au style de chacune, quitte à être un peu débordée par leurs propositions, souvent provocatrices à l’extrême. Quand retentir Le Boléro de Maurice Ravel, elles se lancent dans un concert de chiens et elles, aboient ou se lancent dans des bagarres canines…  Suivront une série de performances où les corps se déchainent et où elles montrent leur plastique séduisante: dos musculeux, jambes gainées de résille, fesses rebondies frémissantes, strings moulant les sexes,  interrompues par adresses au public et jeux de scène.

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©Werner Strouven

Le salon de coiffure est le lieu où l’on se maquille, on se travestit, on se perruque, et où le ballet se développe autour de la métaphore capillaire. Une des artistes se revêt d’une carapace de cheveux emmêlés que ses partenaires tressent en lock dreads… Solos dansés, distribution de bonbons au public, exhibitions corporelles, concours à-qui-fera-la-plus-belle-bulle-de-chewing-gum: ces «folles » (sic), nous entraînent dans une ronde endiablée puis, au final, égrainent une comptine enfantine en rupture avec l’insolence et la trivialité de certains moments. 

Jean-Christophe Lanquetin a donné une touche de chic à cet univers précaire: tissus chamarrés, fils tendus derrière les chaises de jardin, puis croisés dans la lumière d’Anthony Merlaud ouvrent une échappée poétique dans ce monde où la misère se dit avec humour. Celle de la vie marginalisées de personnes non binaires et transgenres, en butte à l’homophobie et à la transphobie, voire menacées de mort. Elles nous le racontent ici, mais l’excès risque de masquer leurs revendications.

Le public est baladé entre séquences performatives impressionnantes et vulgarité caricaturale. La provocation plait à certains, mais en révulse d’autres qui n’en ressentent pas la dimension parodique. Bref, quelque chose ne passe pas… Et, dans l’ensemble, cette création est encore décousue : le rythme du début se relâche dans les séquences où la parole de cette curieuse tribu prend le pas sur la danse. Une parole qui émerge aujourd’hui sur de nombreuses scènes de théâtre et de danse avec plus ou moins de bonheur…

 Prophétique (on est déjà né.es) est l’aboutissement d’un long travail poursuivi par Nadia Beugré entre Montpellier où elle a installé sa compagnie depuis 2015 et Abidjan, sa ville natale.. Elle y a commencé la danse avec Béatrice Kombé, avant de rejoindre l’École des Sables de Germaine Acogny au Sénégal. Après cette première un peu «chaude» sans doute la pièce évoluera-t-elle vers plus de rigueur, comme le rythme et le climat qui nous embarquent au début.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Théâtre de la Vignette, rue du Val de Montferrand, Montpellier.

Les 11 et 12 août, Tanz im August, Berlin.

Du 18 au 20 octobre, Théâtre Garonne, La Place de la Danse, C.D.C.N. Toulouse Occitanie, Toulouse; les 14 et 15 novembre, Points communs, Cergy ; du 29 novembre au 2 décembre, Festival d’Automne, Centre Pompidou, Paris.

Montpellier Danse jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. :04 67 60 83 60 .

Extinction, d’après Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin

Extinction d’après Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal, adaptation et mise en scène de JulienGosselin

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© Simon Gosselin

Une entrée en matière fracassante! : un concert électro sur le grand plateau du théâtre Jean-Claude Carrière au Domaine d’Ô. À l’avant-scène, les D.J. Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde à la maneouvre sur leurs platines. À jardin, un bar offre de la bière aux spectateurs venus nombreux sur la piste de danse et qui seront les figurants de cette première partie. Deux V.J. (vidéo jockeys) captent en direct corps et visages des danseurs pour les projeter, au rythme de la musique, sur l’écran géant en fond de scène. De la salle, difficile de participer, on se sent exclu ou, pire : assourdi, malgré les bouchons d’oreille distribués à l’entrée, on sort en attendant la deuxième partie du spectacle. Ceux qui sont restés dans leur fauteuil ont pu voir, dans la mêlée, une femme qui danse en robe blanche : l’actrice Rosa Lembeck. Appelée au téléphone, on la voit  quitter la piste, filmée en gros plan. Fin de cinquante minutes qui auront électrisé les uns, pris les autres à rebrousse-poil. Question de génération ? 

Nous retrouverons la comédienne dans la troisième partie, seule en scène et narratrice d’Extinction de Thomas Bernhard, texte-matrice du spectacle, récit d’un universitaire travaillant à Rome en 1983 où Julien Gosselin situe ce set électro qui introduit le monologue final, extrait du dernier roman de l’auteur. « M’emparer de ce texte est devenu une évidence, dit-il. Issu d’une famille bourgeoise de Wolfsegg, un village autrichien, le narrateur apprend la mort de son père, de sa mère et de son frère. Avant d’aller aux funérailles, il va en cinq cents pages, dézinguer tout ce qui a trait à l’Autriche, aux mensonges liés au nazisme, à la bourgeoisie culturelle, à la fausse littérature et à la violence sociale. Il dit qu’il va « tout éteindre » « .

Entre la première et la dernière partie, après un entracte d’une heure, climat orageux… Dans une maison style baroque viennois, se joue un étrange théâtre: nerveux, des personnages se croisent et nous suivons leurs allers et venues et leurs dialogues projetés en gros plan : un film en noir et blanc, format carré à l’ancienne, nous livre ce qui se passe derrière les murs des salons et que nous devinons à peine, à part quelques sorties des personnages sur le perron ou dans les pièces restées visibles à l’œil nu : la chambre à coucher et  la salle de bain.  Dans ces espaces intimes,  nous les voyons se vêtir et se dévêtir, faire l’amour, se disputer, se droguer, vomir, déféquer… Pour le reste, deux cameramen (Jérémie Bernaert, Pierre Martin Oriol) s’affairent autour des comédiens et nous transmettent des bribes de scènes, empruntées à Hugo von Hofmannsthal ((1874-1929) et plus larement à Arthur Schnitzler (1862-1931, mort l’année où naissait Thomas Bernhard, décédé, lui, il y a quelque trente ans déjà… Il n’est  donc pas leur contemporain est  comme eux, hanté par cette Autriche à double face.

 Julien Gosselin entrelace ces écritures pour y lire les signes avant-coureurs d’un effondrement. Il nous projette dans la Vienne de la Belle époque, celle d’une effervescence culturelle, d’une émancipation sexuelle, d’une joie de vivre débordantes, mais en arrière-plan, les excellents acteurs allemands et français, portent en eux l’angoisse des protagonistes, à peine sortis de la première guerre mondiale et comme pressentant la catastrophe prochaine.

 Quelques spectateurs reconnaîtront Lettre de Lord Chandos d’Hugo von Hofmannsthal et des œuvres d’Arthur Schnitzler : La Nouvelle rêvée, un roman avec Albertine et Fridolin,  La Comédie des séductions avec Aurélie et Falkenir et de larges extraits de la nouvelle Mademoiselle Else.  On y parle musique, psychanalyse, sexe;  on se soûle, défèque, vomit, pleure: décadence sous les lustres de cristal, les corps s’effondrent dans les beuveries, les fêtes confinent au délire! Un univers en lambeaux, avec un final d’apocalypse.

 

Extinction_photo de répétition_5_©Simon Gosselin

Extinction_photo de répétition_5_©Simon Gosselin

Les acteurs français et allemands : ces derniers venus de la Volksbühne de Berlin où Julien Gosselin est artiste associé, se partagent le plateau. Un habile tissage des deux langues et de parfaits sur-titrages nous permettent d’apprécier leur jeu précis, plus expressionniste outre-Rhin, plus intime en deçà. Malgré la distance que met l’écran entre eux et nous, le théâtre n’est pas loin, ils l’habitent en fantômes du passé. Même si tout est trop long, trop cinématographique, voire fastidieux, le public s’il arrive à s’accrocher, adhérera sans réserve à ce morceau de bravoure visuel de deux heures trente.

Dans la troisième partie de ce spectacle -qui dure au total  cinq heures et demi avec deux entractes-,  nous avons enfin le plaisir de retrouver le théâtre. Seule sur une estrade, Rosa Lembeck nous restitue, en v.o., le début d’Extinction. Quelques spectateurs ont pu s’installer devant elle sur le plateau et les autres suivront son monologue en live et aussi relayé en gros plan sur écran: gestes précis et diction musicale.

Dans ce texte, l’auteur veut éradiquer ce qui fit et qui fait l’Autriche, depuis sa propre famille, jusqu’à la classe politique, pas encore sorties du nazisme… La langue de Thomas Bernard dite avec douceur, apparaît non comme une logorrhée haineuse, mais comme un beau moment littéraire d’une grande force vitale, et comme un chagrin que Julien Gosselin aurait exorcisé: « Je veux, dit-il, travailler sur deux façons d’approcher la négativité, ce que l’on pourrait appeler le nihilisme des auteurs avec qui j’ai grandi, comme Michel Houellebecq observant que tout est fini et qui regarde la fin du monde avec résignation. L’autre manière d’aborder cette négativité, c’est quelque chose comme une négativité de combat. Il y a un non, une violence du non, un refus, une façon de tout détruire ou de tout brûler qui en fait est un pouvoir de vie. J’avais envie que le spectacle, en passant par Thomas Bernhard et d’autres auteurs, traite de cette question là. »

Julien Gosselin aura fait passer ce message avec talent à ceux qui auront résisté jusqu’au bout… Ce spectacle rigoureux doit beaucoup à la scénographie de Lisetta Buccellato, à l’habileté de l’équipe technique franco-allemande et au jeu sans faille de Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde, Max Von Mechow.

Après avoir porté à la scène Michel Houellebecq, Roberto Bolaño, Don DeLillo, Leonid Andreïev, Julien Gosselin a entamé un cycle sur la littérature allemande à la Volksbühne, avec Sturm und Drang un spectacle qui  explore le romantisme d’outre-Rhin,  dont Johann Wolfgang von Goethe fut une des figures emblématiques. Deuxième volet de cette aventure: Extinction. Cet opus radical et clivant résonne étrangement avec notre présent : une guerre si proche, et la montée de l’extrême-droite partout en Europe. À voir? Chacun en jugera…

Mireille Davidovici

Le spectacle a été créé du 2 au 4 juin, au Printemps des comédiens au Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault.

 Du 7 au 12 juillet, festival d’Avignon, cour du Lycée Saint-Joseph.

 Les 7, 9, 10, 14 septembre ; les 7, 8, 20, 21 octobre et les 5 et 6 janvier, Volksbühne am Rosa-Luxemburg Platz, Berlin.

Les 10 et 11 novembre, De Singel, Anvers (Belgique) ; le 18 novembre, Le Phénix, Festival Next, Valenciennes (Nord).

Du 29 novembre au 6 décembre, Théâtre de la Ville, Paris.

Et les 23 et 24 mars, Théâtres de la Ville de Luxembourg ( Luxembourg).

Kap O Monde, texte d’Alice Carré et Carlo Handy Charles, mis en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

Kap O Monde, texte d’Alice Carré et Carlo Handy Charles, mis en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

Sur le petit plateau, quelques cubes de bois blanc et au fond, un châssis avec la fameuse devise en lettres lumineuses : Liberté Egalité Fraternité. Incarnés en alternance par Roberto Jean ou Sophie Richelieu, et Charles Zevaco ou Simon Bellouard, deux étudiants se rencontrent à Paris. Lui ou Elle a réussi à venir d’Haïti y faire des études tout en gagnant sa vie. Une ascension sociale dont rêvent ses parents qui, est-il précisé, ne sont pas des prolétaires.

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Lui ou elle, a été déçu par la politique menée par les dirigeants de son pays. Discipliné et volontaire, il mettra toutes les chances de son côté pour un jour essayer de le faire progresser. Il ne sera pas admis à Sciences-Po comme son ami Matthieu mais fera de brillantes études à Dauphine et pourra entrer dans un organisme international. La roue aura tourné…
Matthieu, lui, habite en banlieue parisienne. Ce fils de professeur d’histoire a envie de sortir au plus vite de ce milieu où il se sent au bord de l’asphyxie. Il abandonnera ses études pour aller faire de l’action humanitaire…justement, cela tombe bien, à Haïti. Mais il comprendra vite qu’il a vécu coupé de la population et que son travail n’aura pas finalement  servi à grand-chose.
«Si les livres d’histoire, les chansons populaires, la culture vaudou, disent Alice Carré et Carlo Handy Charle, parlent sans cesse de la révolution française et haïtienne, si le culte de l’indépendance est au cœur du récit national haïtien, la France délivre de son côté une image très hexagonale de sa révolution et n’y mentionne aucunement ses colonies. »

Exact, ou à peu près. Qui de nous se souvient en avoir eu même un écho au lycée? Avec cette petite forme, bien mise en scène sur le thème des relations que peut avoir ou non, la France avec son ancienne colonie appelée autrefois Saint-Domingue, nous pouvons au besoin en apprendre davantage sur cette île qui subit un fort séisme tous les cinquante ans. Malgré tout, ses habitants les premiers révolutionnaires, réussirent à acquérir leur indépendance… en 1794 et votèrent l’abolition de l’esclavage. Mais Napoléon envoie en 1801, quelque 30.000 hommes, avec pour mission de démettre Toussaint Louverture et de rétablir l’esclavage.
Et cette pauvre île sera ensuite colonisée de 1918 à 1934 par les Etats-Unis, ce qu’on oublie trop souvent! Avec à la clé, des milliers de Haïtiens morts en combattant cette domination. Quant à la France, il faudra attendre 2010 ! pour qu’un Président de la République y vienne. Nicolas Sarkozy y passera quelques heures et ensuite François Hollande viendra quelques jours. Mais jamais Macron!

En une heure et sans aucune prétention, Olivier Coulon-Jablonka réussit à imposer un dialogue philosophico-politique très crédible entre ces jeunes gens qui s’opposent à peu près sur tout, mais avec une vraie complicité, voire une amitié qui restera intacte. Cela tient un peu d’un débat simple et efficace comme on en voit rarement. Pas loin à la fois d’un dialogue platonicien et d’un théâtre de tréteaux, avec parfois juste ce qu’il faut d’humour pour que cette leçon d’histoire de la colonisation française ne soit pas trop didactique.
Un bon spectacle, court, souvent passionnant et très bien joué : ce n’est pas si fréquent et il faut s’en réjouir! Olivier Coulon-Jablonka, en une heure, réussit à donner un autre éclairage sur cet île si loin de nous mais où on parle français. Et où un écrivain comme Dany Laferrière est entré à l’Académie Française…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 juin, Théâtre de Belleville, 94, rue du Faubourg du Temple, Paris (XI ème) . T. : 01 48 06 72 34.
Du 12 au 19 janvier 2024, Théâtre de Brétigny-sur-Orge (Essonne).

Le Printemps des comédiens La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été, mise en scène de Marie Lamarchère

Le Printemps des comédiens à Montpellier (suite)

La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Marie Lamachère

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La tempête © Marie Clauzade

Dans La Tempête, Prospéro, duc de Milan, évincé par son frère, se retrouve après un naufrage sur une île déserte, avec sa fille Miranda. Ses livres lui confèrent des pouvoirs magiques qui lui permettent de maîtriser les éléments grâce à Ariel et Caliban, ses serviteurs. Il provoque ainsi une tempête qui va bouleverser l’ordre des choses et, à l’issue de péripéties qu’il contrôle à distance, il assure sa revanche. Le Songe d’une nuit d’été met en scène, dans une Athènes de convention, les chassés-croisés de deux couples d’amoureux orchestrés par les maléfices d’Obéron le roi des fées et de Puck, son serviteur. La même nuit, des acteurs-amateurs, des artisans, s’apprêtent à jouer une pantomime. Sous une bannière commune: Such stuff as dreams (L’Etoffe des rêves), Marie Lamachère réunit ces pièces où elle décèle l’omniprésence de la magie et elle finalise ici un projet au long cours depuis 2019 avec La Bulle bleue.

Cette compagnie de théâtre professionnelle de Montpellier est constituée de personnes en situation de handicap, regroupées en ESAT (Établissement et Services d’Aide par le Travail). Ses interprètes ont été formés au travail créatif lors de stages, en lien avec les sections inclusives au Conservatoire de la ville ou avec des artistes invités. Au croisement de l’art et du soin cette « fabrique artistique » induit un nécessaire déplacement de l’écriture théâtrale, et du regard des spectateurs.

Après  Jacques Allaire, Evelyne Didi, Bruno Geslin, Marie Lamachère, artiste associée depuis 2019, a déjà réalisé Betty devenue Boop ou les Anordinaires, actuellement en tournée. Elle mêle ici aux onze interprètes de cette troupe avec  dix de ses acteurs et du Jeune Théâtre National ( organisme en charge de l’insertion professionnelle). Soit une distribution homogène mais des spectacles marqués par une démarche particulière.

 «Cette année, ils fêtent leurs dix ans de troupe et j’ai pensé qu’ils étaient à un moment propice pour travailler des rôles de pièce dites classiques, où ils se projettent dans les personnages, dit la metteuse en scène. J’ai choisi ces pièces en fonction des acteurs et de leurs particularités. Il y a en effet quelque chose de très étrange, dans le rapport de certains acteurs avec le langage. J’ai choisi de mettre en valeur cette étrangeté qui correspondent à celles de la pièce de Shakespeare et je creuse, grâce à La Bulle bleue, le psychisme des textes, là où il y a des torsions.»

Dans une traduction inédite, Joris Lacoste et Julie Etienne ont privilégié la dimension ludique, les jeux et les écarts d’un langage parlé, plutôt que la versification. Traitées de façon onirique avec un montage de séquences, les scènes révèlent la singularité de ces interprètes, dans un entre-deux qu’il faut décrypter.

 La Tempête est construit en partant du constat que, chez certains des acteurs, le rapport au langage ne va pas de soi. Marie Lamarchère a confié le rôle de Prospéro à un homme qui, suite à un accident de la vie, a dû entièrement réapprendre à marcher et parler. La mise en scène s’appuie sur ses difficultés d’élocution et fait intervenir les voix de Caliban et Ariel en écho, comme si ces génies, l’un bon et l’autre mauvais, mais les deux fort bavards, émanaient de l’esprit du magicien. Le texte lui-même se diffracte en une série de lettres projetées sur le décor. Et la matière sonore est très présente, avec bruitages insolites, chansons en français et en anglais, mises en musique par Sarah Métais-Chastanier.

Un film montre les naufragés sur la plage avec d’une part les seigneurs italiens fomantant leurs intrigues, d’autre part  des matelots enivrés en sarabande avec Caliban.  Hors-champ de l’action principale qui a lieu au plateau: la rencontre amoureuse entre Ferdinand, fils du roi de Naples et Miranda, la fille de Prospéro ; ce dernier ne voit pas d’un bon œil cet hymen mais il finira par les marier. Puis il libérera Ariel et Caliban et renoncera à la magie pour retrouver son duché…`
Avec un montage baroque, la metteuse en scène voudrait nous entraîner dans un monde bizarre mais n’y réussit pas tourjours : «Je ne vais pas, dit-elle,  chercher un monde magique par projection, en misant sur la singularité de ces interprètes.  » Reste que  le jeu de ces acteurs et actrices pas hors norme n’a rien à envier à ceux du J.T.N. 

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Le songe d’une nuit d’été © Marie Clauzade

 Le Songe d’une nuit d’été  nous mène plus facilement dans un univers onirique et sans les séquences de la pièce où apparaissent les dignitaires d’Athènes, cette féérie se prête mieux à une traversée de l’étrange. Nous glissons naturellement du monde des artisans, à celui des elfes et fées et des amoureux : Lysandre, Hermia, Démétrius et Héléna. Au fronton d’un décor  sylvestre( scénographie de Delphine Brouard) est inscrite la devise : «Les choses semblent si ténues».

Cette mise en scène met en valeur la structure feuilletée et le génie dramaturgique de William Shakespeare. Avec une belle énergie, l’acteur qui joue le tisserand Bottom, entraîne ses compères : le menuisier, le tailleur, le chaudronnier… dans une version farcesque de «la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé». L’univers des fées est aussi bien rendu, avec les chamailleries entre  Obéron et Titania et les maladresses du lutin Puck qui sème la confusion chez les amoureux aux relations déjà compliquées.

Nous tombons sous le charme de ces scènes bien écrites et dirigées, où Lysandre et Hermia s’enfuient dans la forêt, poursuivis par Démétrius, lui-même poursuivi par Héléna… Marie Lamachère, avec une bonne maîtrise des codes théâtraux, réalise avec ce Songe  un tissage cohérent, et à la hauteur de ses ambitions et aux engagements des comédiens de la Bulle bleue et des autres.

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre de 13 vents, Montpellier (Hérault).

Jusqu’ au 21 juin, se poursuit Le Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô. : T. 04 67 63 66 67.
Places de 6 à 38 €.
Printempsdescomediens.com

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