Requin velours texte et mise en scène de Gaëlle Axelbrun

Requin velours , texte et mise en scène de Gaëlle Axelbrun

C’est dans l’air du temps-le procès de Mazan et l’onde de choc jamais vue qu’il a provoquée. La jeune dramaturge dit ici les ravages psychologiques causés par un viol, avec un récit-dialogue joué par trois actrices.« C’est l’histoire d’une quête de réparation dit l’autrice. Ce n’est pas tant du viol comme acte qu’il est question que des récits intimes et politiques autour de celui-ci : les récits procéduraux, judiciaires, ceux cathartiques, libérateurs et ceux qui cherchent à comprendre, à donner du sens. »
Cela se passe sur un ring de boxe au sol noir et autour, dans une scénographie tri-frontale. Ce vendredi soir-fait exceptionnel au théâtre-une centaine de jeunes, voire de très jeunes spectatrices et environ douze mâles de tout âge… regardaient ce Requin velours dans un silence remarquable. Cela fait du bien de voir une salle dont la moyenne d’âge n’est pas de la soixantaine… comme trop souvent ailleurs.
Roxane, la jeune femme, victime traumatisée par ce viol, choisira, dans un acte de colère
et de vengeance à la fois, de devenir pute, comme elle dit. Pas loin de Putain de l’autrice canadienne Nelly Arcan (2001) qui avait été adaptée à la scène, et de  King Kong Théorie. de Virginie Despentes (voir Le Théâtre du Blog
).

© Christophe . Raynaud de Lage

© Christophe . Raynaud de Lage

Racontant ses passes sans honte ni pudeur, elle précise qu’elle a besoin d’un acte qu’elle veut réparateur : ce travail sexuel, elle l’a choisi et ne lui jamais été imposé, sinon par elle-même… Heureuse sans doute pas! mais comme un peu libérée : faire payer cher ses clients a déjà valeur de thérapie pour ce viol qui la déchire encore. Elle a cette fois la certitude d’avoir le dessus avec son sexe…
Et, après avoir vu son avocat, elle fait un comptes délirant sur l’argent des passes, dans un monologue à l’humour assez noir qu’il faut citer : »350€ pour le premier rendez-vous, là je manque de m’étrangler et pourtant j’ai rien dans la bouche. (…) Je fais le calcul, vite fait : le prix de la consultation + le prix du train aller-retour pour me rendre à Paris équivalent à environ 500€, soit trois heures à faire la pute. Sachant que, toute nuance épargnée, avoir été violée et être devenue pute sont liés, la situation va vite devenir absurde : il faudrait que je fasse de la thune avec mon cul pour défendre mon droit à disposer de mon cul.
L’argent que me donneront les clients va finir chez monsieur René, qui lui- même va sûrement se payer une pute (o.k, c’est la donnée la moins scientifique de l’équation). Pour simplifier la chose, il faudrait que je dise à mes clients d’envoyer directement l’argent à René. Imaginons maintenant que cette pute qu’il se paierait soit moi (là je serais bien obligée de l’appeler Maître, s’il le demande). En me payant, il me rendrait l’argent que j’aurais gagné de mes clients. Il faudrait donc suggérer à ces derniers d’établir un contrat avec René, selon lequel ils s’enculeraient mutuellement, échange de bons procédés, histoire qu’ils me laissent en dehors de tout ça. Ajoutons une donnée : si je suis devenue pute, c’est indirectement à cause de V le violeur. (…)  Il suffirait, en toute logique, que M. René et V baisent ensemble et se paient mutuellement, moyennant quoi je toucherais un gros pourcentage à chaque fois, en tant que réparation symbolique. Mais V serait pas puni. C’est naze, du coup, comme plan.  Je la refais : il suffirait que V devienne pute et que l’avocat René le paie très cher, somme sur laquelle je toucherais un pourcentage équivalant à 100 %. Tout le monde y trouverait son compte, hormis V, mais on s’en fout, c’est un violeur. Quoique, j’ai une bonne âme de chrétienne et je crois à la rédemption. Je serais donc la maquerelle de V, que j’exploiterais sexuellement et, en subissant le mal qu’il a commis lui-même par le passé, il se trouverait lavé de ses péchés. »

Mais la réparation est-elle encore possible? Roxane aura au moins acquis la certitude que cela se fera par elle, et aussi grâce à ses deux amies, jamais par la Justice pénale.. Laquelle, cela dit, a pour mission de protéger les intérêts de la société et sanctionner les  coupables: ce n’est déjà pas si mal encore faut-il qu’il y ait poursuite… Et un procès aux assises ne peut tout faire mais aide aussi les victimes à se reconstruire. En France,  93 %  des auteurs majeurs de viol, ont été condamnés à une peine privative de liberté ferme et  pour 69 % d’entre eux, celle-ci est supérieure ou égale à dix ans.
Elle raconte aussi une histoire amoureuse avec une jeune femme de son âge, une des «loubardes»
Joy et Kenza, rencontrées dans une soirée juste après ce viol. Roxane leur dira ce qui lui est arrivé un soir, et grâce à leur solidarité, elle tiendra le coup. Puis toutes les trois s’amuseront à parodier le procès de ce violeur : il
y a du règlement de comptes dans l’air avec le patriarcat, la Justice, la police  et elles exigent une juste réparation pour ce qu’a subi le corps et l’esprit de leur amie. Le langage de ce récit et des dialogues écrits par Gaëlle Axelbrun, souvent cru et d’une rare violence, a une force  théâtrale indéniable.
Roxane, à trois moments, enfile des bas bleus et des cothurnes en plastique transparent, genre érotico-fétichiste, et entame une danse sur le sol noir brillant du ring mais aussi sur les cordes. Ses camarades étant elles plus souvent entre le ring et le public. Le texte a sans doute quelques longueurs et a u  peu de mal à décoller… et la fin, au micro, il n’est guère audible. Mais, entre les deux, quelle écriture! Le ring imposant imaginé par l’autrice elle-même qui est aussi scénographe, parasite un peu la vision de cette Roxane, attachante et superbement jouée, avec  une diction impeccable mais aussi feu et distance à la fois, par
Mécistée Rhea, «actrice non-binaire franco-espagnole», Cécile Mourier, «artiste gender queer» et Amandine Grousson, «artiste interprète indisciplinaire (sic) et boxeuse ».
Mais si vous le pouvez, allez voir ce spectacle étonnant qui se joue encore quelque fois, le texte et ses actrices le méritent vraiment.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 21 février, Théâtre Ouvert, avenue Gambetta, Paris (XX ème).

Théâtre du Point du Jour, Lyon (Rhône), du 25 au 27 mars et dans le cadre du festival WET, Théâtre Olympia-Centre Dramatique National de Tours (Indre-et Loire), les 29 et 30 mars.

 


Archives pour la catégorie critique

Le Voyage de M. Perrichon d’Eugène Labiche, mise en scène de Frédérique Lazzarini

Le Voyage de M. Perrichon d’Eugène Labiche, mise en scène de Frédérique Lazarini

La pièce avait été créée en 1860 mais est moins jouée que Le Chapeau de paille d’Italie ou La Cagnotte. Pourtant, elle a été souvent montée à la Comédie-Française et par Daniel Benoin à Saint-Etienne. Là aussi, il s’agit d’un voyage de  bourgeois mais cette fois parisiens… M. Perrichon, sa femme et leur fille vont prendre le train pour la première fois à la gare de Lyon, pour aller en vacances à Chamonix. Sont aussi là-le hasard fait bien les choses-Armand Desroches et Daniel Savary, des jeunes gens que la belle Henriette Perrichon avait rencontrés dans un bal… Chacun d’eux veut voyager avec cette famille pour gagner la confiance des parents et séduire la jeune fille. Ce qui se fera: ils sont des concurrents loyaux mais chez Eugène Labiche, les choses ne se passent jamais comme prévu et il y aura de nombreux rebondissements: «Cet animal (le bourgeois)  disait l’auteur, offre des ressources sans nombre à qui sait les voir, est inépuisable.»
Le bel Armand sauvera en effet monsieur Perrichon tombé dans un gouffre et en est chaleureusement félicité par la famille mais l’évocation de l’épisode semble gêner cet éventuel beau-père. Devoir quelque chose à quelqu’un n’est jamais valorisant pour un bourgeois! Et Eugène Labiche vise juste. Daniel Savary, lui, fait alors semblant de tomber dans une faille et cette fois, ce sera M. Perrichon qui viendra à son secours. Très satisfait de lui-même,  il sera auréolé de gloire dans un article du journal local… que le jeune homme a payé! Ce que, bien entendu, M. Perrichon ne sait pas. Et cerise sur le gâteau, il insulte,  sur le livre d’or de l’hôtel, un ancien officier qui a ironisé sur sa mauvaise  orthographe et qui le provoquera en duel. Daniel dira à son ami Arnaud, que le père de la belle Henriette est loin d’être un grand esprit. Lequel a entendu toute leur conversation et dépité  changera d’avis, quant au choix de son futur gendre… Mais  il y aura une heureuse fin, comme disent nos amis anglais…  Et Arnaud épousera Henriette.

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Et ce spectacle? Comment ne pas être partagé… Une remarquable scénographie signée François Cabanat : un sol rond et  blanc et deux écrans où seront projetées: la gare de Lyon, un compartiment où on voit défiler le paysage, un chalet en bois enneigé, le Mont Blanc, une route quand M. Perrichon est au volant. Comme son valet dans une rue du Paris actuel (pas tout jeune le procédé et beaucoup utilisé au cinéma et récemment au théâtre… mais efficace, économique et le public adore… alors pourquoi l’en priver? Mais aussi le grand appartement des Perrichon.  Tout cela donne au spectacle un côté déjanté bienvenu et  très appréciable…
Et dans un jardin, bien réelles, une grande statue de femme un peu dénudée et une petite remorque, chargée de rosiers
Lrouges en pot…. En vidéo, un merveilleux arbre, chargé d’énormes pommes rouges que le domestique ira cueillir:  un gag très drôle…

Et très bien vus, les formidables costumes imaginés par Dominique Bourde. Dans un tohu-bohu de siècles,  les trois Perrichon, sont parfaitement ridicules en longues doudounes blanches identiques. Puis revenus à Paris, père, mère et fille, en pantalon et manteau léger en tissu doré. Armand et Daniel, eux aussi grotesques, en costumes de ville à Chamonix. Et à Paris, en pantalon, chemise, cravate et veste blanche identiques… comme les frères Dupont!  » C’est d’ailleurs toujours par les substances (et non par les formes ou les couleurs), que l’on est finalement assuré de retrouver l’histoire la plus profonde, écrivait Roland Barthes dans Les Maladie du costume de théâtre en 1955. Un bon costumier doit savoir donner au public le sens tactile de ce qu’il voit pourtant de loin. Je n’attends pour ma part jamais rien de bon d’un artiste qui raffine sur les formes et les couleurs sans me proposer un choix vraiment réfléchi les matières employées : car c’est dans la pâte même des objets (et non dans leur représentation plane), que se trouve la véritable histoire des hommes. »  Ici, mission bien accomplie.

Côté mise en scène, il y a un bon rythme et cette heure et demi passe vite. Là où cela va moins bien: Cédric Colas (M. Perrichon) presque toujours en en scène s’impose vite mais le reste de la distribution est vraiment trop inégale. Quant à la direction d’acteurs, elle n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Pourquoi  Frédérique Lazzarini  les fait-elle crier aussi souvent? Pourquoi surjouent-ils à la moindre occasion? Eugène Labiche (1815-1888) mérite mieux que cela et ne s’indigne pas des   Comme le faisait Emile Augier, son exact contemporain (1824-1889), un auteur  bien oublié d’une trentaine de pièces, entre autresavec Jules Sandeau, le mari de George Sand de Les Fourchambault. Mais il a aussi surtout écrit Le Gendre de M. Poirier et L’Habit vert, avec cette fois, Alfred de Musset. Comme Eugène Labiche, il s’attaque à l’hypocrisie bourgeoise, à la convoitise du fric, aux Jésuites, au clergé catholique…. mais sans jamais pousser le bouchon trop loin. 
L’auteur du Voyage de Perrichon, plus subtilement, refuse, lui, de juger mais il manie la cruauté et l’absurde, avec une technique éprouvée: il a écrit plus de cent cinquante pièces! toutes excepté neuf, en collaboration. Ses personnages ne sont pas des pantins mais des gens, comme chez Georges Feydeau son successeur, placés dans une situation ingérable.  Comme cette famille et ces jeunes amoureux se retrouvant par hasard dans une gare.
Les hommes-toujours plus nombreux que les femmes chez Labiche -n’échappent pas au ridicule mais ce «vieil auteur démonétisé», comme il se surnommait onze ans avant sa mort a encore des choses à nous dire. C’est, non pas malgré cette mécanique admirable, dit Gilbert Sigaux, que dure son théâtre mais grâce à elle qu’il sait dire le vrai. » Et le riche M. Perrichon sera enfin conscient que l’argent ne rend pas heureux (on pense à cette phrase minable que Labiche n’aurait pas renié : «Si, à cinquante ans ans, tu n’as pas une Rolex, c’est que tu as raté ta vie ! avait dit le publicitaire Jacques Séguéla.» Eschyle, il y a plus de vingt-cinq siècles, avait lui,merveilleusement énoncé dans Les Perses, l’exact contraire: « Et vous, vieillards, jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse ne sert à rien chez les morts. »  Autrement dit, pas la peine de jouer à la Bourse, dépensez votre argent et faites-vous plaisir.- à vous et à vos proches.

Et ce pauvre Perrichon, imbu de lui-même et assez égoïste, regardera de façon plus lucide, le genre humain, après avoir fait ce voyage moralement épuisant jusqu’à Chamonix, dont il aura si peu profité. Il deviendra plus sage et plus humain. «Quand je pense que j’ai été comme ça ! dira-t-il en aparté, devant une somme d’argent qu’on lui rend.» Il y a même quelque chose d’émouvant chez cet homme plus tout jeune, dont la fille va se marier. Il  a sans coute conscience qu’il endossera sans doute bientôt un nouveau rôle, celui de grand-père… Ce qu’on perçoit à la fin bien mieux traitée, avec plus de nuances, par Frédérique Lazarini. Mais on a le sentiment qu’elle aurait pu aller plus loin… Ici, malgré de belles idées, le spectacle reste un peu décevant et il n’y avait aucun jeune dans la salle! Pourtant, tout  le théâtre comique actuel n’a rien à envier à ces vaudevilles qui ont enchanté nos aïeux et qui mérite d’être redécouvert… A suivre?

Philippe du Vignal

Artistic Athévains, 45 rue Richard Lenoir, Paris (XI ème) . T. : 01 43 56 38 32.


Livres et revues Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

 

Livres et revues

Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

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Cette professeure à l’université Toulouse-Jean Jaurès dont les recherches portent sur le théâtre d’avant-garde aux Etats-Unis, est l’autrice, entre autres, de Susan Glaspell’s Poetics and Politics of Rebellion (2017), Avignon 1968 et le Living Theatre. Mémoires d’une révolution (2018) et Paradise Now en paradis : une histoire du Living Theatre à Avignon et après,1968-2018 (2022). Elle a aussi codirigé diverses revues et ouvrages collectifs sur des écrivaines comme la célèbre Gertrude Stein et Susan Glaspell, célèbre poète et dramaturge du XX ème siècle mais peu connue en France.  Et des compagnies le Living Theatre
Cette compagnie a été créée à New York en 1951 par Judith Malina et Julian Beck mort en France il y a déjà quarante ans, et elle, il y a dix ans. Leur pratique était fondé sur un mélange fiction et réalité, tout à fait nouveau pour l’époque et étaient influencés par les happenings, le yoga, les exercices de Joseph Chaikin qui, un temps, fut acteur au Living. Ils mettent en avant l’improvisation,  entre autres dans Connexion où les acteurs jouaient avec de vrais drogués ou dans
Misteries and smaller pieces où ils crachaient sur le public… ou plutôt faisaient semblant, un spectacle que nous avions vu à Paris. Ce qui soit-dit en passant, ne scandalisait personne, même pas Francis Blanche qui rigolait… Ils privilégient surtout  un théâtre fondé aussi sur l’expression gestuelle…
Face à la guerre du Viêt nam, le Living monte des spectacles comme The Brig sous l’influence du Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud  où il dénonce les violences dans les prisons. A réécouter les interviews que nous avions faites de Judith Malina et Julian Beck quand ils habitaient à Chatou (Yvelines), ils ont bien été d’avant-garde à New York dans les années cinquante. Ensuite, ils auront surtout pour but de créer un théâtre sans véritables dialogues aux messages révolutionnaires comme  ces remarquables Seven Meditations que nous avions vues au festival Sigma à Bordeaux. Mais on ne touche pas à un cheveu d’un citoyen américain jouant avec sa compagnie dans un pays étranger. Et quand Julian Beck sera mis en taule au Brésil, l’administration des Etats-Unis essayera de faire sortir non l’artiste mais le citoyen.
Tous les membres du Living adopteront un style de vie monacal communautaire et une vie sexuelle libérée. Cela dit, Julian Beck devait bien faire vivre ses acteurs et dirigeait sa troupe comme une entreprise: il acceptait les dons sans état d’âme et savait aussi bien vendre ses spectacles à des festivals  comme Sigam ou celui d’Avignon (encore jeune: vingt-deuxième édition) que dirigeait encore Jean Vilar mais le Living ne jouera finalement pas Paradise Now  à Avignon même mais gardera l’enveloppe des cachets dans un geste qui se voulait contestataire. Il pourra en tout cas se vanter d’avoir mis le feu aux poudres et ensuite Jean Vilar épuisé et sans doute écœuré, démissionnera…
L’ influence du Living qui fera subir une cure de jouvence au théâtre en France comme en Europe, avec surtout la mise en valeur du corps sur la scène et un nouveau regard du public. Avec une scénographie non frontale et souvent aussi ailleurs que dans les théâtres traditionnels… Bref ce que on voit partout maintenant. Il a beaucoup joué en France mais une seule fois à Paris et surtout au festival Sigma à Bordeaux dans les années soixante-dix. L’autrice rappelle  aussi l’importance du Wooster Group dirigé par l’universitaire Richard Schechner qu’il avait créé en 67 et qui utilisait la totalité de l’espace du lieu scénique et voulait faire sortir l’événement théâtral, hors des murs habituels, du côté de la performance et le Big Art Group d’Andrew Schneider.  mais aussi sur la présence du théâtre des Etats-Unis en France.
Cet essai fait la part belle avec intelligence et précision l’histoire du théâtre de cette époque, dit d’avant-garde à New York. Reste, comme dit l’autrice, à «dépasser le concept discriminant d’avant-garde historique et à aborder la création de pièces iconoclastes.» Selon elle, une première vague irait de 1910 à 1940, puis une deuxième jusqu’aux années soixante-dix et une troisième jusqu’à aujourd’hui, avec un théâtre, le plus souvent marginal, à New York. Ce livre peut être une bonne approche à la compréhension du théâtre américain, surtout new yorkais, de ces années-là.

L’analyse de ce pan essentiel de l’histoire du théâtre bien détaillée, ne se veut pas exhaustive.  Mais nous nous étonnons un peu que les projecteurs  soient dirigés sur quelques metteurs en scène et théoriciens, ce qui fausse la vision… Pour importants qu’il soient, d’autres ne l’étaient pas moins, comme ceux que nous avons bien connu: ainsi Richard Foreman, disparu le mois dernier comme John Vaccaro qui monta des spectacles musicaux avec chansons et dialogues très crus (mais non traduits!) comme dans Cockstrong, en slang, l’argot américain et qui influencèrent nombre de metteurs en scène européens, entre autres, Jérôme Savary. Ou encore Stuart Shermann avec ses minuscules spectacles sur des trottoirs de New York et qui avait réussi sur une table pliante et objets des plus banals qu’il appellait: « artefacts bons marché  ». Seul à les manipuler dans un silence absolu mais dans le bruit de la rue, il les associait et remplaçait les mots par des images, arrivant à créer ainsi un langage poétique…
Et, tous souvent accueillis en France comme bien sûr, le merveilleux Peter Schumann qui, avec de grandes marionnettes manipulées à vue dans les rues de New York pour protester contre la guerre menée par les Etats-Unis au Viet nam.   Lui aussi eut une influence considérable et n’en déplaise à Laurent Wauquiez, la France compte maintenant de très bonnes écoles consacrées à cet art. Ou encore, Robert Anton qui, avec de très petites marionnettes et devant une douzaine de spectateurs-un choix artistique clair et assumé créa de remarquables spectacles poétiques d’une cruauté exceptionnelle et étaient interdits aux enfants au festival de Nancy.  Et Meredith Monk, la seule encore vivante avec Peter Schumann et Richard Shechner. Chanteuse, compositrice, auteure et metteuse en scène de spectacles la nuit sur des places publiques mais aussi d’un opéra à l’Houston Grand Opera (Texas). Il y a, à la fin de ce livre, un bon glossaire-bienvenu, une bibliographie sérieuse et un index. Que demande le peuple?  Nous vivons une époque moderne, disait Philippe Meyer…

 Philippe du Vignal

Editions Deuxième époque. 25 €.

 

 

 

La Crèche texte et mise en scène de François Hien

La Crèche, texte et mise en scène de François Hien

Cet auteur et remarquable metteur en scène de La Peur, inspirée de l’affaire Barbarin sur la pédophilie dans l’Eglise ( voir Le Théâtre du Blog) s’est inspiré de l’affaire Baby-Loup à Chanteloup-les-Vignes, une ville nouvelle des Yvelines. On l’a un peu oubliée mais elle avait fait grand bruit en 2008, une année riche en événements: l’interdiction de fumer s’applique dans tous les lieux publics, la Société générale révèle la fraude de Jérôme Kerviel et la perte de 4,9 milliards d’€… Et il y a surtout le mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ! Silvio Berlusconi, lui,  allait diriger l’Italie pour la troisième fois! Mais le grand poète Aimé Césaire, l’acteur Farid Chopel, le couturier Yves Saint Laurent et le cinéaste Jean Delannoy s’en allaient voir les étoiles…

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Le spectacle créé au T.N.P. à Villeurbanne, il y a deux ans n’a rien perdu en intensité: la directrice de la crèche Bicarelle à Puits-Hamelin (Yvelines) où sont employées des habitantes du quartier et qui est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ce qui facilite la vie de nombreuses familles, Patricia, sa directrice va devoir licencier Yasmina, une salariée qui tient à porter le voile pendant ses heures de travail. Elle avait nommé Yasmina, sous-directrice et celle-ci, avant d’être en congé maternité et ensuite parental pendant cinq ans, avait eu entre temps, d’autres enfants. Quand elle revient, elle  exige de travailler en portant le voile, contrairement au règlement intérieur formel de la crèche… Les relations entre les deux femmes vont vite de se dégrader : Yasmina prétend avoir le droit de témoigner de sa religion et estime être victime de discrimination.
Patricia, elle, récuse avec force une accusation d’islamophobie… et veut s’en tenir au seul règlement et à la laïcité dans les espaces publics appliquée, selon la loi de 1905. Très vite, le quartier populaire comptant de nombreux musulmans, va s’embraser. Mais, selon Alain Finkielkrault que cite François Hien dans son essai
Retour à Baby -Loup, contribution à une désescalade : «S’il n’y a d’affaire du voile qu’en France, c’est bien que la France n’en a pas tout à fait fini avec la tradition galante.»Ni, pourrait-on ajouter, avec la guerre d’indépendance de l’Algérie que personne ici n’a connue mais qui laisse des traces réelles… La jeune femme veut obtenir une lourde indemnité de licenciement : 80.000 € ! Que le budget de la crèche de toute façon,ne permettrait absolument pas de lui accorder. Plusieurs procès se succèderont.

Yasmina aura-t-elle dû gagner aux Prudhommes puis en appel? La Cour de Cassation, elle, sera favorable à l’application pure de la neutralité confessionnelle,comme le prévoit la loi. Une affaire insoluble dans la mesure où il y avait trop d’enjeux à la fois et sociétaux sur fond de médiatisation. Et qui fait tache d’huile dans toute la France : ici  s’affrontent deux conceptions de la laïcité avec, en toile de fond, d’un côté un refus de voir la réalité et de l’autre, une mauvaise interprétation de la loi. Et où le rôle des parents n’est pas le même selon leur origine. Une situation inextricable… aussi dans la vraie vie. Et comme le souligne François Hien, « il y a une certaine immoralité dans le reproche fait aux habitants des quartiers populaires de n’avoir pas reçu ce qu’on a renoncé à leur donner. » On a aussi oublié les sanctions imposées aux petits élèves qui parlaient le breton dans la cour de récré, encore au milieu du siècle dernier : faire des des dizaines de lignes de :«Je ne parlerai plus breton. » Une histoire qui n’est pas encore finie: l’an passé, il y a eu dans un grand théâtre national, deux spectatrices n’ont pas apprécié pas que les serveuses du bar portent le voile et elles l’ont dit à une responsable de l’accueil qui a pris leur défense. Les spectatrice en question ont été vite entourées par le service d’ordre.. et ont dû quitter ce théâtre.

Il y aura des réunions houleuses avec le personnel de la crèche où, comme toujours dans ce cas-là, certains hésitent à témoigner d’autant que Yasmina demande carrément de faux témoignages quand à la date de son port de voile.  Le maire de la commune et ses adjoints ont hâte que cette affaire soit close et reprochent à Patricia, son intransigeance et son refus de négocier… Elle sent que le vent n’est pas en sa faveur et quittera à regret cette crèche exemplaire à qui elle avait beaucoup donné mais qui sera fermée, au grand dam des habitants. Une commune proche offrira alors à Patricia, d’accueillir cette crèche et d’en assurer la direction. Quant à Yasmina, elle deviendra puéricultrice à son domicile. Après une dernière entrevue où on sent comme le tout début d’un apaisement, elles reconnaissent chacune du bout des lèvres que cette affaire n’aurait jamais dû en arriver là…Pouvait-il y avoir une autre issue? Chacune y aura un peu perdu mais au moins, une solution minimale et une certaine sérénité auront été trouvées. Bien entendu, les protagonistes ne se reverront jamais…

François Hien a écrit de remarquables dialogues et conçu une mise en scène bi-frontale avec quelques accessoires et petits meubles (un peu trop souvent bougés). Et sa direction de neuf jeunes actrices-au jeu inégal-est impeccable. Mention spéciale à celles qui interprètent Patricia, Yasmina et les deux avocates. Très concentrées, comme leurs camarades de La Peur, elles donnent une vie indéniable à cette fresque sociale mais autant le texte de La Peur est serré, autant celui-ci est souvent bavard, et parfois répétitif.
Et après l’entracte, la seconde partie sauf est moins convaincante. L’ensemble gagnerait beaucoup à être resserré et joué sans pause. Fallait-il trois heures pour raconter cette histoire? La réponse est clairement : non. Et la dramaturgie, plus cinématographique avec de très courte scènes, que théâtrale, ne fonctionne pas bien. Malgré une excellente direction des actrices, un scénario solide  et une réelle approche de ce que peut produire une compréhension mutuelle dans un conflit social. Mais bien entendu, il ne s’agissait pas pour François Hien de refaire le film de cette aventure humaine exemplaire. Il réussit  au moins avec ce théâtre très accessible et qui ne tombe jamais dans la facilité, à donner matière à réfléchir sur les conséquences d’actes qui peuvent diminuer, voire casser le lien social.  » Ce devrait être l’impératif moral de tout intellectuel, dit l’auteur et metteur en scène, de laisser la fureur à ceux qui n’ont pas le luxe de s’en prémunir: s’efforcer, à l’abri du du danger, de travailler à la désescalade. »  Ce spectacle, à sa juste place, y réussit vraiment et ce n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain, public et encore moins privé.

Philippe du Vignal

Spectacle vu  le 9 février, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00. 

Phèdre, de Jean Racine, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

Phèdre de Jean Racine, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

 Reine, roi, prince, princesse… et trois morts sans parler d’un monstre : on se croirait davantage chez Shakespeare, que chez Racine. Phèdre annonce sa mort, la réclame dès le premier acte et n’est sauvée, provisoirement, que par sa passion pour son beau-fils Hippolyte-cela réveille la vitalité, quoiqu’elle en dise-et par les soins de sa nourrice Oenone. Mais, dit-elle : «Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable.»
Hippolyte, lui, mourra, victime du zèle d’Oenone et du monstre suscité par Nepture, invoqué par Thésée qui, lui, ne mourra jamais : il a «vu les sombres bords » mais il leur a échappé et finira en père définitivement puissant. Ecoutez le dernier mot de la pièce, triomphe du patriarcat. Aricie, la fiancée secrète d’Hippolyte, seule à tenir contre Thésée, a l’étoffe d’une reine et aura (peut-être) l’occasion de le devenir. Oenone: « Va-t’en, monstre exécrable.» : Phèdre maudit celle qui l’a protégée et servie littéralement, à tout prix : « Ah, Dieux ! Pour la servir, j’ai tout fait tout quitté./Et j’en reçois ce prix ! Je l’ai bien mérité. » Cela vaut bien de se jeter à la mer.

© Jean;Pïerre Martiinez

© Jean-Claude Martinez

On est chez Racine: la passion y est-elle noble et élégante? Non point. La pièce grouille de mythes «formidables», c’est-à-dire effrayants, de malédictions fatales et rêveries hallucinées. «Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue/Se serait avec vous retrouvée ou perdue.» Si ces mots ne transpirent pas une terrible sensualité… C’est l’intuition pour le coup «formidable» d’Anne-Laure Liégeois : écouter tout ce que dit le texte, dans l’intégralité de sa violence. Et qu’on ne nous dise pas que l’alexandrin « polit » la langue française ! D’abord, on le trouve partout dans la langue courante (C.Q.F.D.) et tout masqué qu’il soit par la prose ordinaire / On l’entendra partout même sans l’écouter (et de trois). Non, sa cadence est là, on l’entend malgré soi (encore un ! Arrêtons ! Et revenons aux mots de Racine : erreur, horreur, terreur et la mort appelée constamment pour Phèdre et pour Hippolyte : fuite, départ, bannissement … Le lexique est lourd de sentiments et d’actions violents.


La beauté de cette mise en scène : les acteurs le jouent de toute leur force et de toute leur sincérité, engagés dans l’instant, bondissant sur le tremplin du vers, chacun dans la droite ligne de son rôle. Pas de mélodie, mais du souffle. Pas de personnage secondaire mais des vies plus ou moins entravées. Et un regard, celui de Panope (en grec ancien: celle qui voit tout, la messagère. Et pas de costumes majestueux mais habités par le mouvement, noir, puisqu’on est dans un monde noir. Le « sacré soleil» dont Phèdre est descendue est absent sur cette aire de jeu propice aux combats : trois canapés -trois palais ou “appartements“, dirait Racine- au lointain, à jardin, et à cour-gardons le vocabulaire du théâtre-reçoivent les comédiennes et comédiens entre deux rounds qui se joueront sur le plateau carré.

Au bord de la scène-de plain-pied, là où nous avons assisté au spectacle, le précipice, le vide qu’ose tenter Thésée sans y chuter. Transgression banale, pour ce héros hors-frontières.Thésée pourrait aussi tenir le rôle-titre, lui qui tarde à entrer sur scène, comme le Tartuffe de Molière. Il pourrait être le personnage tragique, victime de son ubris : traduit par démesure, une notion qui, dans la Grèce antique, renvoie à des attitudes excessives : passion, orgueil, outrage, crime, transgression ! Thésée a trop demandé à Neptune : « Inexorables Dieux, qui m’avez trop servi !» Mais l’ordre patriarcal règne : beaucoup de plaintes sur son honneur qu’il croit menacé, sur la perte par sa faute, de son héritier mâle (dont il découvre enfin les vertus) et pas un mot sur la mort de son épouse. Et il croit trouver en Aricie, une Antigone pour accompagner ses vieux jours…

On se demande si Racine, à l’aide de ses modèles antiques, n’a pas inventé le complexe de Thésée, ou plutôt l’incarnation même du Roi-père qui s’enrichit de tout, même du cadavre de son fils. Olivier Dutillois nous donne tout cela, révélant des facettes d’un Thésée qu’on n’avait jamais encore vues, avec une énergie infaillible et un humour souterrain jubilatoire qui lui sert de carburant. Mais Phèdre, haletant entre l’agonie et la fureur ? C’est bien elle, le rôle-titre. Anna Mouglalis la fait rugissante, épuisée sur son canapé, ou bondissant, le corps en feu. On entend son malheur sans pitié : la passion fait d’elle un monstre, elle le dit elle-même, que l’actrice ose rejoindre. C’en est presque gênant mais la moindre des choses…
Pour faire court, une mise en scène et une interprétation qui nous révèlent des pistes que nous n’avions jamais suivies dans cette pièce si souvent représentée. Cela vaut le voyage, sans aucun doute.

 Christine Friedel

Spectacle vu avant-première le 28 janvier au Méta-Centre Dramatique National de Poitiers (Vienne) et créé les 6 et 7 février au Cratère-Scène Nationale d’Alès ( Gard). Comédie de Saint-Étienne-Centre Dramatique National (Loire), du 11 au 14 février.

Théâtre du Crochetan, Monthey (Suisse), le 7 mars ; L’Azimut, Antony/Châtenay-Malabry (Hauts-de Seine), les 13 et 14 mars ; L’Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux (Indre), le 20 mars ; La Filature-Scène Nationale de Mulhouse ( Haut-Rhin), du 26 au 27 mars.
Le Moulin du Roc-Scène Nationale de Niort (Charente-Maritime), le 1er avril ; Maison Nevers (Nièvre), le 3 avril.

Maison de la Culture-Scène Nationale d’Amiens (Somme), les 4 et 5 novembre ; Le Bateau feu-Scène Nationale de Dunkerque (Nord), les 13 et 14 novembre ; Le Manège-Scène Nationale de Maubeuge (Hauts-de-France), le 18 novembre; Le Méta-Centre Dramatique National de Poitiers (Vienne), les 25 et 26 novembre.

 

C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, écriture et mise en scène de Johana Giacardi

C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, écriture et mise en scène de Johana Giacardi

Le titre vous chatouille la mémoire, pour peu que vous ayez vécu au siècle dernier. C’est une phrase due à Michel Audiard, le roi (plutôt anarchiste) du dialogue dans les grands films populaires à la française.  reprise pour le titre de celui de Jacques Besnard sorti en 1975, avec, entre autres, Christian Clavier, Gérard Jugnot et Thierry Lhermitte à leur période café-théâtre. Ce qui ne nous rajeunit pas…
Mais ce n’est pas le propos de Johana Giacardi. Elle s’intéresse à une autre idole du temps passé et non du cinéma mais de la radio: Macha Béranger. Allo, Macha ? La nuit, c’était l’heure des confidences et des émotions dans le noir. Elle écoutait et répondait avec sa voix grave, brisée et tendre. L’idée : il faudrait écouter les gens ordinaires, «normaux» ou non, et pas seulement les « experts » détachés par contrat, de toute affectivité et de tout mal-être ou besoin de consolation.

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© Fanny de Chaillé

 

Cela donne un spectacle assez éloigné de la radio, dans un jeu astucieux de tricotage entre improvisation, construction, récits et mots lancés comme des balles, d’un côté à l’autre de la piste circulaire, image de possible table ronde. Entre vérité et fiction- qui n’est pas mensonge mais déguisement-on voit se révéler des Super-Z-héros dans leur costume rituel, on assiste à l’éclosion de confidences joliment mises en scène, sur fond de culture commune (le clown, Roméo et Juliette)… Avec cinq jeunes comédiennes vives, drôles, pleines d’énergie et même, par instants, émouvantes. D’autant qu’elle payent de leur personne en donnant la matière des récits. Les spectateurs, sollicités à participer, acceptent joyeusement de devenir « confidents ».
Au passage, la matrice café-théâtre des années soixante refait surface, quoique la meneuse de jeu la refuse (ou fasse semblant ?). Casser en douceur le mur qui sépare le théâtre, du café, le spectateur passif, des acteurs actifs (pléonasme) et enfin, la scène, de la salle…  Du déjà vu mais Johana Giacardi le sait, qui déjoue à l’avance la critique, dans une savoureuse parenthèse.

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©Fanny de Chaillé

Et sans le faire exprès (mais, va savoir, avec tout ce jeu de vrai-faux et de chausses-trappes…), elle pose l’un des paradoxes du théâtre. Pourquoi la « participation» ne marche pas ? Parce qu’on n’en a pas besoin. Elle est déjà là dans le théâtre « sage »  et traditionnel. Rire, écouter dans un silence intense, c’est participer. Huer, lancer des tomates (pratique heureusement désuète), surtout quand elles visent les « méchants », c’est participer. Mais essayer quand même de faire sauter la frontière entre les groupes de spectateurs et acteurs (ou l’inverse) permet avec bonheur au spectacle vivant de rencontrer un public tout aussi vivant.  Un bon point pour la compagnie les Estivants et pour sa meneuse Johana Giacardi. Tout cela pour un spectacle modeste, très travaillé et têtu même s’il se donne des apparences bohèmes avec un brin d’insolence,  et qui fait plaisir.

Merci donc au Théâtre Public de Montreuil qui a invité cette «belle et rebelle » (Ha! Ha !) bande de filles dans un cadre qui n’en est pas un, puisque les spectacles sont hors-cadre avec T.P.Mob, autrement-dit mobile, dans plusieurs quartiers et auprès des collectivités avec des ateliers proposés par les artistes, ils donnent corps au rêve de la Décentralisation : du théâtre partout et pour tous, sans intimidation… Un peu de corps, c’est déjà beaucoup. Il faut bien s’y mettre, surtout au temps de : «Debout pour la Culture»…

 Christine Friedel

Spectacle vu à La Parole errante, Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Et du 11 au 15 février au Théâtre Public de Montreuil, salle Maria Casarès, 63 rue Victor Hugo, Montreuil. T. : 01 48 70 48 90.

Pour les représentations hors-les-murs, billetterie responsable : 20, 15, 10, 5 ou zéro €, selon vos moyens, En sachant qu’une place pour un modeste spectacle (mais comptant de nombreuses heures de travail) revient à 87 €. Heureusement, il existe encore des subventions !

 

 

 

 

L’Intruse et Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Tommy Milliot

L’Intruse et Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Tommy Milliot

Le directeur du Nouveau Théâtre de Besançon a surtout monté des textes d’auteurs contemporains: Winterreise du Suédois Fredrik Brattberg Massacre de l’Espagnole Lluïsa Cunillé, L’Arbre à sang de l’Ausralien’Angus Cerini… mais aussi Médée de Sénèque.  Il met en scène aujourd’hui deux des trois pièces -avec Les Sept Princesses- de La Petite Trilogie de la mort du jeune Maurice Maeterlinck. Ses pièces comme La Princesse Malouène, une  autre pour enfants L’Oiseau bleu (1908) sont peu jouées. Tadeuz Kantor avait peiné à monter La Mort de Tintagiles et Claude Régy avait mis en scène Intérieur  (2014) et plus récemment Daniel Jeanneteau, Les Aveugles  (voir Le Théâtre du Blog).
Le grand dramaturge a transformé la conception du drame et de 1889 à 1894, il publie huit pièces aux thèmes symbolistes où les personnages sont le plus souvent immobiles et passifs; l’un d’eux représente  le destin. La plupart de ces œuvres ont inspiré de nombreux opéras et actuellement Wouajdi Mouawad crée à l’Opéra-Bastille, Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste, mis en musique dix ans plus tard par Claude Debussy. Et curieusement, il y a un siècle, Antonin Artaud admirait Maeterlink: « Ici, le destin déchaîne ses caprices ; le rythme est raréfié, spirituel, nous sommes à la source même de la tempête, aux cercles immobiles comme la vie. Il a introduit le premier dans la littérature la richesse multiple de la subconscience. » Et plus curieusement encore Henry Miller trouvait que « dans œuvres, on est amené  à méditer sur les grandes figures du passé. »

 

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage Les Aveugles

Deux pièces en un acte écrites par un auteur de vingt-neuf ans en 1890 qui veut rompre avec le conformisme théâtral de son époque. Pas d’intrigue compliquée et une grande simplicité d’action dramatique. « Elle disparaît comme une conséquence logique de l’absence de protagoniste actif. dit Jean Paul Duffet, et s’efface en raison de l’apparition d’actants humains abouliques. (…) Attendre quelqu’un justifie la passivité de ceux qui attendent et qui ne font rien d’autre qu’attendre. Ces figures vivent pour le seul moment où l’absent devrait (ré)apparaître. Il y a une solidarité sémantique et structurelle entre l’aboulie et l’attente, qui est, par excellence, une situation de non-action. »
Et ces œuvres en général jouées ensemble, sont courtes :quarante minutes pour L’Intruse  et soixante pour Les Aveugles. La  première a lieu à l’intérieur, et l’autre, en plein air et des personnages qui doivent attendre, préfigurant ceux du célèbre En attendant Godot de Samuel Beckett.  Dans la première pièce, un grand-père, aveugle ou presque, vit dans un château où sa fille vient d’accoucher dans une chambre proche. Autour d’un table ovale, ce grand-père, le  père de la jeune femme, son oncle et trois filles dans l’œuvre originale mais ici une seule. Une pièce mal éclairée par une lampe qui a des sautes d’humeur.  On entend le balancier d’une horloge et on comprend vite que cette jeune mère n’est pas en bon état mais personne, mis à part le grand-père ne semble inquiet. Lui, le non-voyant comme on dit maintenant, a un pressentiment: il n’entend plus le bruit du vent ni le chant des rossignols. Il croit avoir quelqu’un près de lui…  Un thème souvent traité en littérature comme au cinéma: dans le récent Présence de Steven Sodeberg,  une jeune fille sent près d’elle une présence invisible. Bref, ici, la mort n’est pas loin…
Dans Les Aveugles, une dizaine d’hommes en manteau et quelques femmes et deux êtres encapuchonnés (des mannequins) assis, absolument immobiles sur quatre gradins: dans le texte de Maurice Maeterlink, une «très ancienne forêt septentrionale ».  Ils sont loin, très loin même de l’hospice où il sont hébergés, mais ces aveugles perdus espèrent encore sentir venir leur guide. En parlant-c’est tout ce qui leur reste- ils vont se connaître…Mais la peur, de l’autre de l’inconnu,  la crainte du lendemain, la solitude mal assumée,… Autant de thèmes qui nous parlent encore
Tommy Milliot a conçu deux remarquables scénographies-réalisées par  l’Atelier du Nouveau Théâtre Besançon-Centre Dramatique National. La salle du château de L’Intruse est toute en bois avec juste une table quatre chaises. Et pour figurer la très ancienne forêt septentrionale des Aveugles. un simple gradin avec, dans le fond, trois colonnes au diamètre différent, sous un beau clair-obscur imaginé par Nicolas Marie et Vanessa Cour a fait un travail sonore exemplaire: seuls de légers bruits parcourent la scène…

 

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La direction d’acteurs est très précise et dans la première pièce, Bakary Sangaré se tire au mieux du rôle principal mais pas facile de l’Aïeul. Et dans la seconde, Gilles David, Alexandre Pavloff, Claïna Clavaron, Dominique Parent, Blanche Sottou, Aristeo Tordesillas, avec Charlotte Clamens, exemplaire, ont la diction irréprochable et absolument nécessaire quand il faut dire la langue ciselée de Maurice Maeterlink.
Thierry Godard, engagé l’an passé à la Comédie-Française et sans doute plus habitué aux micros de cinéma, devrait faire un effort… Esse, le border collie, vieux compagnon des bergers, est étonnant de vérité. Mais pourquoi cet immobilisme imposé aux acteurs sauf, à la fin où tous les aveugles assis face public, vont doucement se lever…
A voir? A condition de vraiment aimer la prose poétique de l’écrivain belge, sinon, on risque d’être déçu…

 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 2 mars, Comédie-Française-Théâtre du Vieux-Colombier,  21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.

 

Gigenis, The generation of the earth, direction artistique d’Akram Khan

Gigenis, The generation of the earth, direction artistique d’Akram Khan

Akram Khan renoue avec la danse traditionnelle indienne avec, ici, un épisode du Mahabharata. Cette longue épopée évoque l’avidité, la perte, la joie et la peur dans une famille et avait été mise en scène par Peter Brook en 85 au festival d’Avignon. Le chorégraphe, alors âgé de treize ans, participait à cette grande aventure restée dans les mémoires.
Il revendique l’influence de Peter Brook, Pina Bausch et Ariane Mnouchkine sur son travail. Des créateurs qui ont foi en l’humanité comme lui : “Dans la pensée moderne, dit-il, on nous enseigne souvent qu’il faut voir pour croire. Mais autrefois, mes grands-parents estimaient qu’il fallait avoir la foi pour  bien voir  et cette dernière approche m’a toujours guidé dans mes projets. Je retourne aujourd’hui à mes racines, à ma tradition et à mon passé qui a toujours nourri mon présent.”

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Le vaste espace de jeu est délimité à cour et à jardin, par les musiciens. Cette chorégraphie s’adresse plus au sens qu’à la raison: il ne faut pas chercher ici une narration précise qui risquerait de parasiter l’émotion. Dans ce spectacle total, toutes les formes d’expression se mêlent et pour la première fois, Akram Khan s’entoure d’artistes développant les traditions classiques indiennes mais venant d’univers différents avec deux  percussionnistes, une artiste anglaise au chant et à la contrebasse, un Indonésien au chant et au violon, une chanteuse britannique d’origine bangladaise, une chanteuse venant de Singapour, un chanteur d’origine américaine et indienne.
Tous exceptionnels, ils forment avec les danseuses et danseurs dont Akram Khan, un ensemble d’une grande harmonie et selon lui, sont les véritables auteurs de la pièce. Il s’adresse avant tout à notre spiritualité: “L’amour est universel, il transcende les murs et l’émotion qui se crée sur scène est aussi universelle et n’a pas besoin d’explication.”
Nous découvrons plusieurs styles de danse traditionnelle indienne dont celle de Kapila Venu, spécialiste du Kutiyattam, une tradition théâtrale du Kerala qui a plus de 2.000 ans et qui se joue en général dans un petit espace éclairé par une lampe à huile. Cette danse est fondée sur une gestuelle complexe des mains à laquelle s’associent l’œil et le regard qui, selon Kapila Venu est: “La partie la plus expressive de notre corps”. Le chorégraphe nous invite donc à une expérience esthétique et philosophique hors-norme: « Je cherche la poésie qui ouvre à une réflexion, je suis contre la vision binaire des choses, je suis pour un entre-deux plus complexe. »

Jean Couturier

Le spectacle a été joué du 11 au 14 janvier, au Théâtre des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris (VIII ème). T: 01 49 52 50 50.

 

Suis-je bête ?!, conception et mise en scène de Guillaume Clayssen

Suis-je bête ?!, conception et mise en scène de Guillaume Clayssen

 Bonne question et beau sujet, à forger et à développer dans les lycées et collèges, avant de l’exposer au théâtre: qu’est-ce qu’être bête ? En général, on s’exclame: suis-je bête! au moment précis où on ne l’est plus (on a trouvé la solution cherchée, on s’aperçoit de son erreur ou de son aveuglement…). Mais l’adjectif bête sert plutôt à « traiter“ les autres. Il peut rester anodin, tendre, même, mais a toujours un petit effet humiliant. Le concepteur du spectacle, ex-professeur de philosophie et actuel comédien et metteur en scène, a choisi d’attaquer par l’autre face : l’intelligence. Ça y est, on le sait, mais on a encore besoin de l’apprendre : le Q.I. (quotient intellectuel) mesure l’intelligence sociale, l’intelligence de classe. Autrement dit, il s’appuie sur le capital culturel. On n’a donc pas fini de l’explorer, d’autant que l’intelligence artificielle vient s’en mêler, I.A., de son petit nom.

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Celle-ci nous vaudra un moment savoureux du spectacle : les machines ont-elles une âme ? Une faculté de calcul quasi infinie, certes, mais une âme ! L’irritation de l’humain contre l’impassibilité (intarrissable !) de la machine prouve soit qu’elle n’en a pas, soit qu’elle est particulièrement perverse. Le tout jetant une pierre dans le jardin de Descartes.

On aurait voulu aimer toute la pièce, mais un obstacle nous en empêche : celui que le comédien s’oppose à lui-même. Est-ce prendre une saine distance que de s’installer dans la dérision, si légère soit-elle ? Le refus de s’engager, d’y aller, fait que le spectateur de bonne foi lâche l’affaire au bout d’un moment. Mais, car il existe des mais positifs, Guillaume Clayssen a l’intelligence de n’entrer pas seul sur scène. Il a invité la danseuse et acrobate Louise Hardouin, avec qui il avait déjà travaillé. Et ce n’est pas bête : elle n’illustre pas simplement les propos sur l »intelligence du corps », elle crée de la beauté, du mystère, bref de la poésie. Et se révèle très bonne comédienne quand elle joue l’ado désossée par l’ennui au collège, la prof de math exaspérée par son élève décidément trop, trop bête… Voilà, avec des “mais“ et des “oui, mais“…

 Christine Friedel

Jusqu’au 25 février, Théâtre de Belleville, 1 passage Piver, donnant sur le  94 rue du Faubourg du Temple, Paris (XIème). T. : 01 48 06 72 34.

Le 13 février, Neumünster (Luxembourg).

En 2026 : Scènes Vosges à Epinal (Vosges), du 19 au 21 janvier; Le PALC-Festival les 400 coups à Châlons-en-Champagne (Marne) .
Saison Culturelle de Bischeim (Bas-Rhin), le 9 avril.
13e Sens à Obernai (Bas-Rhin) en mai.

 

 

 

 

Exploits de Rasmus Lindberg, traduction du du suédois de Marianne Ségol-Samoy, chansons de Bernard Cavanna, mise en scène de François Rancillac

Exploits de Rasmus Lindberg, traduction du suédois, de Marianne Ségol-Samoy, chansons de Bernard Cavanna, mise en scène de François Rancillac

Cet auteur et metteur en scène suédois de quarante-quatre ans a écrit Dan Då Dan Dog (Le Mardi où Morty est mort, une pièce publiée aux éditions Espaces 34 et créée en 2013 au Fracas-C.D.N. de Montluçon par François Rancillac. Publiée aussi aux éditions Espaces 34, Plus vite que la lumière, a été sélectionnée pour la Mousson d’été 2011. Depuis 2008, cet auteur et metteur en scènen associé au Norrbottensteater à Luleå, est aussi professeur de mise en scène au Conservatoire national supérieur de cette ville suédoise.
Dans cette courte pièce, on assiste au repas d’anniversaire- cinquante ans-de la maman de la jeune Josefine. Mais elle  lui dit ses quatre vérité et va quitter le restaurant grec. Enfin libre, prête à vivre sa vie mais toute à sa joie, imprudente, elle se  fera écraser par une voiture! Deux actrices, témoins de l’accident, incarnent  Josefine, adolescente attardée, Jonny, son frère ectoplasmique et sa copine Katja, Maman au bord de la crise de nerfs, Papa désabusé et May-Lott, la vieille tante sous prozac. Elles passent d’un personnage à l’autre et l’auteur voudrait nous faire  revivre cette folle soirée! Mais il faut arriver à suivre…

 

© Isabelle Girard

© Isabelle Girard

C’est du moins le scénario imaginé par l’auteur mais les dialogues sont inconsistants  et la dramaturgie sous des aspects contemporains, assez pauvrette… Et nous ne sommes pas arrivés à entrer dans cette piècette.  Les cinquante minutes arrivent à passer grâce à Léna Bokobza-Brunet et Christine Guênon, excellentes actrices, remarquablement dirigées par François Rancillac. Grâce aussi à la très intelligente et poétique scénographie de Raymond Sarti qui a imaginé ce restaurant grec en en dessinant à grands coups de feutre noir, ses meubles et accessoires accrochés aux murs.  C’est drôle et fou comme un bon dessin humoristique.
On ne se lasse pas d’en admirer les détails, entre autres, cette porte à axe central, ou les quatre gyrophares bleus sortant soudain des murs ou encore cette table dessinée avec ses assiettes et verres apparaissant du sol carrelé, prestement relevée par les actrices. Cerise sur le gâteau d’anniversaire, le décor a été construit par le lycée professionnel Jules Verne à Sartrouville (Yvelines). La conception du son la régie étant assurées sur le petit plateau par  Florian d’Arbaud.  Que demande le peuple?

Philippe du Vignal

Collège Henri Barbusse, Bagneux (Hauts-de-Seine), les 3 février à 14 h 30. Et le 4 février à 14 h 30,  lycée Maurice Genevoix, Montrouge (Hauts-de Seine). Le 18 février à 10 h et 14 h 30, lycée Simone Weill; le 19 février à 10 h et 20 h , M.J.C. Montchapet et le 20 février à 14 h 30 et 20 h, au Crédit Agricole, Dijon (Côte-d’Or).

Le 8 avril à 14 h 30 et 20 h 30, Théâtre du Casino d’Evian et le 19 avril à 20 h,  salle du stage de Perrignier; le 10 avril à 14 h 30 et 20 h, M.J.C. de Douvaine (Haute-Savoie).
Du 14 au 18 avril, en itinérance, avec le Théâtre de l’Union-C.D.N. de Limoges (Haute-Vienne).

Du 20 au 22 mai, collège Marie Curie, avec le Théâtre du Garde-Chasse, Les Lilas (Seine-Saint-Denis).

 

 

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