Anais Nin au miroir texte d’Agnès Desarthe, librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des Journaux d’Anaïs Nin, mise en scène d’Élise Vigier

Anais Nin au miroir, texte d’Agnès Desarthe, librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des Journaux d’Anaïs Nin, mise en scène d’Élise Vigier

Anais Nin au miroir texte d’Agnès Desarthe, librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des Journaux d’Anaïs Nin, mise en scène d’Élise Vigier dans actualites

© Christophe Raynaud de Lage

 L’autrice et la metteuse en scène convoquent Anaïs Nin et, bousculant les chronologies, la mettent en dialogue avec les acteurs qui vont interpréter son œuvre et son personnage. Nous naviguons avec fluidité par effet de diffraction dans de multiples points de vue. Une plongée de deux heures dans un labyrinthe spatio-temporel, à condition de s’y laisser glisser.

Sur le plateau encombré d’anciens éléments de décors, des châssis mobiles jouent sur la profondeur de scène. Une jeune femme en blanc, venue d’un autre temps, apparaît et disparaît entre eux et une femme de ménage balaye. Rencontre incongrue entre cette présence fantomatique aux propos énigmatiques et  un personnage d’aujourd’hui plein de bon sens populaire. Un film en noir et blanc de Nicolas Mesdom prolonge leur échange et elles voguent toutes les deux sur les eaux paisibles d’un large fleuve… Les images du cinéaste ponctueront la pièce, nous emportant vers l’enfance de l’écrivaine.

Bientôt des comédiens investissent les lieux, pour préparer une pièce où Anaïs Nin est mise en scène. Entre les séquences de répétition, s’intercalent des bribes de conversations où ils évoquent l’état du monde ou leurs préoccupations personnelles. «Nous avons cherché à tisser différents niveaux de paroles et de récits, dit Elise Vigier. » Agnès Desarthe a puisé dans les nouvelles : La Chanson dans le Jardin, Le Sentiment tzigane, Le russe qui ne croyait pas au miracle et pourquoi, Les Roses rouges, Un sol glissant … Et elle a aussi écrit les dialogues à partir d’improvisations des acteurs qui ont été libres de choisir des extraits de l’œuvre composite de l’autrice anglophone franco-cubaine.

Sur scène règne un joyeux capharnaüm : portants avec costumes, livres, accessoires de théâtre ou de magie. On  se cherche dans les coulisses, répète des morceaux de textes, en fonction de qui on a sous la main pour donner la réplique. Ici, Anaïs Nin est incarnée indifféremment par trois hommes et trois femmes d’âge- et d’origine divers. « L important pour moi, est de valoriser la diversité des corps sur le plateau, dit Elise Vigier. Ainsi les écrits de l’autrice se partagent entre Dea Liane, en fantôme élégant et des avatars plus charnels. Parmi eux, on reconnaît Ludmilla Dabo, qu’on entendra au final dans un blues tiré de Vénus erotica un livre né de sa rencontre avec Henri Miller. Une beau moment mis en musique par Manusound et le guitariste Marc Sens qui accompagne le spectacle. Mais Elise Vigier ne s’attarde pas sur la dimension sulfureuse d’Anaïs, même si la sensualité à fleur de peau infuse son écriture. Il est surtout question de faire résonner le regard qu’elle portait sur le monde, à travers la sensibilité de ses multiples interprètes.

Ceux qui cherchent ici une biographie d’Anaïs Nin seront déçus. Agnès Desarthe et Elise Vigier en proposent un portrait éclaté aux multiples facettes.  Et la metteuse en scène ne boude pas les effets spéciaux, comme ces tours de magie de Philippe Beau (Anaïs Nin, enfant, fut coupée en deux sur scène par un illusionniste). Ou un numéro de danse du ventre par Louise Hakim, qui fait aussi une démonstration de flamenco, si prisé par Anaïs Nin. Le charme de cette élégante mise en scène opère, même si on se perd quelquefois dans une recherche formelle un peu brouillonne.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 juillet, salle Benoit XII, rue des Teinturiers, Avignon.

Du 11 au 14 octobre, Comédie de Caen-Hérouville-Saint-Clair (Calvados); du 19 au 22 octobre,Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre Dramatique National (Côte-d’0r) .

Du 10 novembre au 11 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes.

Et les 7 et 8 mars, La Passerelle, Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor).

 


Archives pour la catégorie critique

TOD Théâtre décomposé ou L’Homme Poubelle de Matei Visniec mise en scène de Max Legoubé

Avignon 2022

TOD Théâtre décomposé ou L’Homme Poubelle de Matei Visniec mise en scène de Max Legoubé

 Avec La Fabrique, théâtre d’objets sensoriel et suggestif, nous avions découvert la compagnie Sans Soucis implantée à Caen. Un coup de cœur. Max Legoubé brode cette fois-ci à partir d’historiettes, un univers poussiéreux où trône un personnage sans âge, à l’image des textes de Matei Visniec.

Ce Théâtre Décomposé -un solo interprété par Stéphane Fauvel- met en scène un «homme poubelle» qui, tel un juke-box, nous offre à entendre des contes de notre choix: « J’ai des musiques à faire sonner et des histoires à raconter», dit-il, emmitouflé dans une manteau gris informe et sortant d’une apathie boudeuse. Mais pas plus de soixante minutes. » Le sort seul décidera des textes que nous entendrons aujourd’hui, puisés au fur et à mesure par les spectateurs, parmi une collection de vieux trente-trois tours. TOD est une pièce à géométrie variable: sur treize histoires du corpus du spectacle, nous en entendrons six.

Le Cercle évoque un enfermement métaphorique, illustré par un long fil déroulé dans l’espace qui transforme le refuge espéré en isolement carcéral. Le Cafard, raconte comment ce petit insecte familier plutôt repoussant devient un compagnon de choix pour un pauvre bougre solitaire… Le narrateur s’empare de tous ces contes en manipulant un bric-à-brac de fortune : une valise en carton, un tourne-disque vétuste et autres objets de récupération. Un moment de grâce quand sa main se transforme en une petite marionnette, emportée dans une course sans fin : « Je suis une douleur qui court ».

L’univers absurde, métaphorique et décalé de l’auteur roumain fournit au metteur en scène matière à développer un théâtre d’acteur et d’objets. Malgré la belle connivence du comédien avec le public, il ne réussit pas à y puiser un souffle littéraire et onirique suffisant. Nous sommes restés sur notre faim….

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 juillet à 17 h, Présence Pasteur 13, rue du Pont-Trouca, Avignon. T. : 04 32 74 18 54.

 

Festival de Marseille 2022 (suite)

 

Festival de Marseille 2022  (suite)

 Le programme comporte un certain nombre d’événements en plein air. A noter : billets à dix euros pour tous les spectacles et une billetterie solidaire* cède des places à un euro, grâce une «Charte culture », mise en place via une centaine d’associations sociales, éducatives ou médicales. (Soit environ 30% des places vendues).  Il y a aussi des propositions gratuites comme un karaoké géant au MUCEM ou cette visite guidée ludique dans un Centre commercial…

 L’Age d’or, conception d’Igor Cardellini et Tomas Gonzalez

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© mireille Davidovici

Ces artistes suisses ont imaginé une déambulation théâtrale dans le Centre Bourse, situé au cœur de la ville. Une guide plus vraie que nature. Dominique Gilliot prend en charge les visiteurs, coiffés de casquettes rouges siglées Galeries Lafayette et munis d’écouteurs. En introduction, un bref historique des lieux construits dans les années soixante, à l’image du premier de ce type, le Southdale Center conçu par Victor Gruen sur le modèle d’une piazza viennoise et inauguré en 1956, à Edina ( Minnesota) Un «dôme de plaisir avec parking ». A Marseille, Jacques Henri-Labourdette, appartenant au mouvement dé-structuraliste, a imaginé un bâtiment en béton «d’expression brutaliste, viril et héroïque». Avec diagonales à quarante-cinq degrés, adoucies récemment par une nouvelle aile en arrondi.

La comédienne nous invite à décrypter l’architecture de ce supermarché, à la fois lieu de consommation et de loisirs. Puis elle nous explique les stratégies et circulations pour amener le client à entrer dans les espaces de vente, sans avoir la « phobie du seuil». Elle nous invite à une glissade sur le sol lisse, étudié pour faciliter la marche et pointe, au passage, la façon dont sont exposés les produits dans leurs vitrines. Selon une scénographie muséale  et sous des projecteurs.

 L’Âge d’or exhibe ce simulacre de la ville qu’est le « mall » américain, corne d’abondance où tout semble à portée de main, comme une promesse d’accession au bonheur. Avec humour et fantaisie, cette visite décalée nous offre les clefs de ces espaces ultra-codés, chefs-d’œuvre du marketing triomphant, construits à l’époque des Trente Glorieuses pour aiguiser nos appétits de consommateurs. Des espaces fonctionnels quasi invisibles dans les villes, qui échappent souvent à notre attention mais qui font pourtant partie des idéaux dominants actuels. Mais n’ont-ils pas fait long feu avec la vente en ligne?

 K7 Productions conçoit des formes performatives adaptées à différents lieux : banque, bureaux, etc. : « Dans chaque endroit, nous partons de l’architecture et de l’aménagement pour recomposer, puis déconstruire les univers sociaux que ces lieux accueillent, activent ou régulent. » Et la visite, en plus de tisser une narration critique, entraine le public à décoder ces espaces, tout en s’amusant…

 Sabena d’Ahamada Smis

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© Pierre-Gondard_

«Marseille, nous dit-on, est la cinquième ville de l’Archipel», remarque le chanteur d’origine comorienne. Il a réuni autour de lui quatre danseurs et un petit orchestre, pour raconter, en images, mouvements et musique, un massacre, encore inscrit dans la mémoire des Comoriens. Il eut lieu en 1976, à Majunga, à Madagascar et on a appelé les rescapés «Sabena » du nom de la compagnie aérienne qui les avait rapatriés dans leur île.
Ahamada Smis, auteur, compositeur et multi-instrumentiste, mêle le hip hop de sa ville d’adoption aux modulations lyriques et rythmiques de l’océan indien, dans un style « afro-ngoma» (l’afro-beat comorien). Jeff Kellner (guitare), Robin Vassy (percussions), Uli Wolters (saxophone, clarinette, flûte) donnent aux arrangements musicaux de riches couleurs sonores accompagnant avec sensibilité la voix chaude d’Ahamada Smis.

Sous la houlette du chorégraphe, Djo Djo Kazadi, Fakri Fahardine, Inssa Hassna, Mickael Jaume et Sinath Ouk s’insinuent dans la musique et essayent d’illustrer ce drame historique. Mais nous nous serions contentés d’une narration, sans que les danseurs miment la situation… Malgré la qualité des interprètes et la voix envoûtante d’Ahamada Smis, cette réalisation se perd dans un trop plein de signes et la création graphique pourtant cohérentede Mothi Limbu . Nous avons eu du mal à saisir le sens de ce généreux Sabena que le public marseillais venu nombreux sur la place d’Armes du fort Saint-Jean, a pourtant apprécié…

 100% Afro, chorégraphie de Qudus Onikeku

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© Mireille Davidovici

Ce chorégraphe et performeur nigérian a dirigé une cinquantaine de danseurs, repérés à Marseille et aux quatre coins du monde (en particulier sur Internet), pour créer un spectacle géant d’afro-danse. Sur la grande esplanade, à l’entrée de La Friche de la Belle de Mai, le public nombreux circule pour voir des propositions rythmées par un ensemble de musiciens (guitares, bâtons ou autres percussions). Les danseurs, professionnels et amateurs mêlés, nous livrent en une heure trente une suite de pièces, à différents endroits du site.
Qudus Onikeku a travaillé avec eux en ligne, avant qu’ils arrivent à Marseille. Une fois sur place, ces artistes ont eu un temps minimum pour mettre leurs propositions en cohérence.  Nous retiendrons pourtant quelques séquences comme le dernier tableau où, enduits de charbon puis de farine, ils se figent en une sculpture collective. Répétitions et spectacle qui ont été filmés, sont diffusés en ligne sur : afropolis.org. , un site créé pour l’occasion.

 

Mireille Davidovici

Festival de Marseille du 16 juin au 9 juillet 7 rue de la République, Marseille ( II ème) T. 04 91 99 00 20.

* Contact billetterie solidaire : rp4@festivaldemarseille.com T. : 04 91 99 02 53.

Prochaines performances de K7 Productions : Du 6 du 10 septembre,La Bâtie-Festival de Genève (Suisse) : du 6 au 8 octobre, Biennale Internationale des Arts Vivants, Toulouse (Haute-Garonne) ; du 17 au 19 novembre, NEXT Arts Festival, La Rose des Vents, Villeneuve-d’Ascq (Nord) ; du 24 au 26 novembre, NEXT Arts Festival, Kunstencentrum BUDA, Courtrai (Belgique).

En janvier, Les Subs, Lyon (Rhône). Les 18 et 19 mars, Le Maillon, et les 1 et 2 avril, Scène européenne, à Strasbourg (Bas-Rhin).

 

 

Festival de Marseille 2022 Depois do Silêncio ( Après le silence) mise en scène de Christiane Jatahy , images de Pedro Faersteinen (en portugais (Brésil) surtitré)

Festival de Marseille 2022

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© Christophe Raynaud De Lage

Depois do Silêncio ( Après le silence) mise en scène de Christiane Jatahy, images de Pedro Faersteinen (en portugais (Brésil) surtitré)

«Danse et corps en mouvement sont l’A.D.N. de ce festival créé en 1996 qui a déjà une longue histoire »,dit Marie Didier, sa nouvelle directrice.  Elle a conçu la programmation dans la foulée de son prédécesseur Jan Goossens (voir le Théâtre du blog), mêlant artistes locaux et internationaux, spectacles hors normes ou plus traditionnels, et présentés dans quatorze lieux partenaires. En avant-première d’une longue tournée, Dopois do Silêncio trouve naturellement sa place dans ce programme ouvert sur la diversité et les mouvements citoyens.

Sur scène, trois actrices et un musicien vont rompre le silence qui s’est abattu sur les assassinats des militants des luttes paysannes et nous replonger dans la vie à des agriculteurs brésiliens d’hier et d’aujourd’hui, autochtones ou anciens  esclaves: « Beaucoup de gens sont assassinés car ils défendent la terre. Des indigènes d’Amazonie d’aujourd’hui, aux activistes qui défendent les petits agriculteurs sur l’ensemble du territoire brésilien. Beaucoup de gens ont déjà sacrifié leur vie pour cette cause. »

Comme à son habitude, Christiane Jahaty mêle théâtre et cinéma, une forme adéquate pour ce documentaire-fiction, à partir d’un roman : Torto Arado (Sillon tordu) du géographe bahianais Itamar Vieira Junior qui raconte l’histoire des sœurs Bibiana et Belonísia dans une fazenda de l’arrière-pays de Bahia. Elles appartiennent à une communauté des Quilombolas, ces anciens esclaves devenus travailleurs ruraux sans terre et sans droits qui se battent pour leur survie. L’intrigue se passe à Água Negra, dans la Chapada Diamantina dans le nord-est du Brésil, où le romancier a longtemps travaillé et séjourné.

Cette fiction romanesque se conjugue avec l’action du film Cabra Marcado para Morrer (Un type désigné pour mourir), du célèbre documentariste brésilien Eduardo Coutinho. Il y est question de João Pedro Teixeira, leader paysan de la même région, assassiné en 1962. Le tournage, commencé en 1964, fut interrompu à cause du coup d’Etat militaire, et ne reprit que dix sept ans après, avec les témoignages des paysans qui avaient travaillé sur le premier film. Les images du documentaire sont projetées sur un triple écran en fond de scène, mêlées à celles tournées par l’équipe de Depois do Silênciotémoignent des habitants de l’arrière pays de Bahia et apparaissent les artistes qui sont en même temps présents sur scène, donnant à la fiction théâtrale un double effet de réel. En superposant des vies, des époques, des lieux et des histoires, la pièce met en tension toutes ces strates, et ramène des questions locales à des problématiques universelles. La lutte d’une communauté d’agriculteurs descendants d’esclaves pour sa terre, sa liberté et son identité n’est-elle pas notre cause commune ?

Dans cette mise en abyme vertigineuse, les actrices ont des rôles multiples : l’une incarne l’arrière-petite fille de João Pedro Teixeira. « Assassiné par des policiers. Assassiné par des exploitants agricoles. Des politiciens. Par l’État, par les propriétaires terriens. Et ces personnes demeurent impunies. » Et dans le film d’Eduardo Coutinho, apparaît Elisabeth, la veuve de João Pedro Teixeira. En parallèle, sur scène, une autre veuve prend la parole, celle de Severo dos Santos, lui aussi assassiné pour avoir défendu son peuple… Ces destins de femmes se croisent avec ceux des sœurs Bibiana et Belonisa du roman d’Itamar Vieira Junior où les humains coexistent avec les esprits : les Enchantés ( du brésilien encantados). Invisibles, ils s’emparent de certaines personnes et par un enchantement leur donnent des pouvoirs magiques. Ils sont invités chez les Quilombolas d’Água Negra lors de cérémonies, le jarê. Christiane Jahaty met en scène une transe qui, jouée en direct, sera aussi filmée…

Née à Rio de Janeiro, l’artiste connaît bien le Brésil profond et, à travers les luttes des plus démunis, nous fait pénétrer dans leurs croyances ancestrales importées d’Afrique, que la colonisation et la christianisation n’ont pas déracinés. Les actrices Gal Pereira, Juliana França et Lian Gaia s’approprient leurs rôles avec conviction, ajoutant à l’effet de réel. Mais elles savent aussi rester à distance par des adresses au public. Sur scène avec elles, Aduni Guedes, qui cosigne la musique avec Vitor Araujo, joue une partition riche en bruitages. Nous sommes happés par un tissage complexe d’éléments scéniques et textuels mais jamais perdus dans ce labyrinthe et parfaitement maîtrisé.Ce spectacle très abouti constitue le troisième volet de la Trilogie des Horreurs entamé en 2021 par Christiane Jatahy, avec Entre Chien et Loup, sur les mécanismes du fascisme à partir du film Dogville de Lars Von Trier et Before the Sky falls (Avant que le ciel tombe), d’après Macbeth , sur le machisme toxique. Cette fois-ci, elle nous livre une œuvre sensible qui touche au plus près à ses origines.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 1er juillet, au ZEF, Scène Nationale de Marseille, avenue Raimu, Marseille (XIV ème). Le Festival de Marseille se poursuit jusqu’au 9 juillet. T. : 04 91 99 00 20

Les 20 et 21 octobre De Singel, Anvers (Belgique) ; du 16 au 18 novembre, Théâtre National Wallonie, Bruxelles (Belgique) ; du 23 novembre au 14 décembre, Cent Quatre, Paris.

En 2023÷
Schauspielhaus, Zurich (Suisse), Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris;, Maison de la Culture, Grenoble (Isère) ; Madrid (Espagne); Piccolo Teatro,Milan (Italie),  Théâtre populaire roman de La Chaux-de-Fonds (Suisse), Besançon, Villeurbanne, C.D.N. Dijon Bourgogne Dijon (Côte d’Or) .

 

* Torto Arado est édité au Brésil chez Todavia

 

Romance de Catherine Benhamou, mise en scène de Laurent Maindon

Romance de Catherine Benhamou, mise en scène de Laurent Maindon

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© Ernest S Mandap

 L’histoire commence avec un questionnaire «débile » proposé aux collégiens sur le suicide des adolescents, deuxième cause de mortalité chez les jeunes… Chahut en règle dans la classe… Jasmine répond, par provocation que, selon elle, le meilleur moyen de se suicider, c’est « se faire exploser en plein vol ». Imène, sa meilleure amie, raconte, dans un monologue adressé -on le comprendra bientôt – à la mère de Jasmine.

A quoi rêvent les jeunes filles dans une cité pourrie de banlieue ? Jasmine veut que quelque chose bouge et l’emporte ailleurs. Pourquoi pas : faire « pencher la Tour Eiffel» ? Nous verrons, au fil du récit comment son «grand projet » la mènera à sa perte, par un inéluctable enchaînement de circonstances : «C’est sur un site gothique qu’ils se sont rencontrés, Jasmine et lui… Le grand amour sans prendre de risque.» dit Imène, qui a tout de suite su que « c’était une mauvaise pioche ». Elle nous rapporte les confidences de son amie qui troque bientôt sa tenue gothique stylée pour disparaître sous une informe robe noire… Nous devinons la suite mais Catherine Benhamou maintient le suspense jusqu’au bout et la pièce ne finit pas comme on l’aurait cru.

L’autrice connaît les adolescents, pour avoir mené de nombreux ateliers d’écriture avec eux et elle part de leur point de vue : leur logique n’est pas la nôtre. Sans forcer le trait ni adopter un « langage jeune » stéréotypé, elle donne à sa narratrice la distance et juste assez d’humour pour raconter sans pathos cette romance sordide. Ici pas de moralisme malvenu. Catherine Benhamou ne cherche pas à culpabiliser la mère qui n’a rien vu venir : « « Et tout ça s’est passé sous vos yeux ! ». Elle prête à Imène les mots et la lucidité que, Jasmine, grande gueule et insolente,  n’a pas, pour arriver à sortir d’une violence larvée imposée aux filles de son milieu.

La qualité de la pièce, la simplicité de la mise en scène et du jeu sont telles que les quelque éléments de décor nous ont paru superflus. Laurent Maindon, passionné des écritures contemporaines, fait confiance au texte et il y a dans ce monologue charnu, la clarté de l’adresse au public et les nécessaires moments de respiration. Lumineuse, Marion Solange-Malenfant entre sans affèterie dans la peau d’Imène. Elle a une diction parfaite et joue aussi bien qu’elle bouge dans les intermèdes musicaux. Cette romance d’aujourd’hui ne mène nulle part, comme dans la chanson de Michel Fugain mais la mièvrerie en moins. Un spectacle à découvrir à Paris ou en Avignon.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 2 juillet, Les Déchargeurs 3, rue des Déchargeurs, Paris (I er) T. : 01 42 36 00 50.

Du 7 au 26 juillet, Le Nouveau Grenier, 9 rue Notre-Dame des Sept douleurs, Avignon (Vaucluse) à 14 h 30.

La pièce, lauréate du Grand Prix de littérature dramatique 2020, est publiée aux Editions Koïné.

 

June Events 2022 Corps exquis, chorégraphie de Joanne Leighton

June Events 2022`

CORPS EXQUIS (Joanne Leighton 2019)

© Patrick Berger

 Corps exquis, chorégraphie de Joanne Leighton

 Ce « solo à trois corps » insolite offre un panorama contrasté de la danse contemporaine. La pièce a vu le jour en 2019 mais la pandémie a mis à mal une tournée prometteuse. L’artiste belge d’origine australienne, installée désormais en Île-de-France a initié ce « cadavre exquis par cinquante-huit chorégraphes» et pour trois interprètes, à partir d’une séquence dansée d’une minute. Elle a proposé à cinquante-sept autres créateurs, confirmés ou émergents, de lui emboîter le pas et d’enchaîner, les uns après les autres, une minute de danse. Un défi collectif, inspiré des jeux surréalistes, pour une pièce de cinquante-huit minutes d’une grande diversité de style. Marion Carriau, Yannick Hugron et Lauren Bolze se lancent les uns après les autres dans ce puzzle vivant et puisent, selon les morceaux qu’ils interprètent, dans un tas d’oripeaux multicolores, amoncelés sur le plateau et devenus, par divers assemblages, masques, couvre- chefs, tuniques ou juste-au-corps. Un patchwork qui a aussi une traduction sonore : ces petites pièces qui se suivent l’une après l’autre après un bref signal, sont dansées sur une mosaïque musicale.

 Le temps d’une chanson, d’un air d’opéra, d’un extrait de concerto ou en silence, les trois danseurs se succèdent de numéro en numéro, solistes, duettistes ou triplettes de cette revue vitaminée. Le spectateur averti reconnaîtra la signature de tel ou tel chorégraphe, mais nul besoin de se livrer au jeu des devinettes pour se laisser porter par l’énergie des interprètes aussi à l’aise avec le néo-classique qu’avec le hip hop, le krump ou le pur contemporain. Toutes tendances confondues, ce melting-pot reflète la vitalité et l’inventivité de plusieurs générations de chorégraphes réunis ici telle une grande famille. « Dans la diversité de ce meta-geste chorégraphique, dit Joanne Leighton, la pièce nous dit que la danse est aussi un fourmillement dépassant les catégories esthétiques. »

 Pour ce cadavre exquis, les créateurs ont transmis leurs courts modules via différents supports : vidéos, photos, textes, ou ont répété comme Radhouane El Meddeb, directement en studio avec les danseurs. Ces divers moyens constituent d’intéressantes archives, exposées en parallèle de la représentation. Les trois interprètes et le compositeur Peter Crosbie ont participé à la création de ce matériau hétéroclite et Corine Petitpierre a réalisé d’étranges masques bigarrés.  Reste de ce chantier vivant, un carnet de notes : Traces exquises mode d’emploi de Corps exquis, où est posée la passionnante question de la transmission de la danse, depuis la notation Laban jusqu’aux images filmées. Marianne Gourfink, par exemple, a inventé un nouveau lexique de signes, Hermann Diephius a envoyé soixante photos de tableaux d’index pointés, et Daniel Larrieu, une vidéo assortie d’explications cabalistiques en hommage à Vaslav Nijinski et son célèbre ballet L’Après-midi d’un faune.   Stefan Dreher et Michëal Phellipeau, eux, mixent images fixes et notation Laban…

Joanne Leighton aime les défis, comme cette marche performative WALK #1 entre Belfort et Freiburg, une balade dansée de cent-vingt-sept kilomètres le long des cours d’eau, qu’elle a ensuite poursuivie un peu partout… Ici, elle fait montre une fois de plus de son originalité et d’une volonté pédagogique. « Mon gout, dit-elle n’est pas de rajouter de la matière à la matière qui déjà abonde, mais de m’engager dans la séquence spatio-temporelle de traitement de matières données …Cette plasticité laisse transparaître continuités et cassures ainsi que glissements entre unités simples et structures complexes. »

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 14 juin, au Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris (III ème).

June Events a eu lieu du 30 mai au 18 juin à l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson, 2 route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. T. : 01 47 74 17 07.

Les Forteresses, texte et mise en scène de Gurshad Shaheman

Les Forteresses, texte et mise en scène de Gurshad Shaheman

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Gurshad Shaheman et sa mère © Agnes Mellon

 Trois femmes nous invitent à prendre place dans un vaste salon de thé oriental: larges divans avec coussins et tapis persans, musique de leur pays… Ce sont la mère et les tantes du metteur en scène. Elles vont nous raconter, par la voix de trois actrices, leurs tribulations depuis leur enfance dans les années soixante à Mianeh, dans l’Azerbaïdjan iranien, jusqu’au jour où Gurshad Shaheman les a réunies, après des années de séparation.

Né en Iran en 1978 et arrivé en France à douze ans avec sa mère et sa sœur, l’auteur, acteur et metteur en scène écrit un théâtre fondé sur des expériences personnelles. Dans le sillage de sa trilogie autobiographique Pourama Pourama (voir Le Théâtre du Blog), il a écrit Les Forteresses à partir de récits de ces trois soeurs au parcours houleux dont les histoires s’entrelacent.

Chacune au douloureux destin, a subi le poids de la tradition familiale avec mariage arrangé, violences masculines, arrivée brutale de la révolution islamique avec son cortège de répressions et crimes. Ces femmes qui ont connu les révoltes de 1979 contre le Shah, l’espoir déçu d’une démocratie, la guerre avec l’Irak,  sont là, en chaire et en os, retrouvant devant nous les gestes et les costumes des époques et es épreuves traversées.

Leurs doubles: Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar prennent en charge avec conviction et pudeur leurs paroles croisées recueillies par leur fils et neveu, et organisées en trois temps ponctués par des chansons qu’elles interprètent avec Gurshad Shaheman, parfait en crooner persan. Le texte a obtenu le Prix de la Librairie théâtrale 2022.

 Du chapitre 1 : « Le monde portée de la main » qui aborde leur foi en l’avenir, au chapitre 3 « Choisir sa prison », elles voient le monde se refermer sur elles mais elles ne baissent jamais sans les bras. Elles en ont fait du chemin les trois sœurs de Mianeh ! L’une exilée en France y a trouvé sa place, l’autre,  en Allemagne a vécu le chemin de croix imposé aux demandeurs d’asile, la troisième est restée en Iran malgré les troubles politiques et les difficultés financières.

Les Forteresses 3

© Agnes Mellon

Dignes, fières et fortes, elles disent leur lutte contre l’adversité et comment de leurs prisons respectives, elles ont choisi la vie. Elles disent aussi, avec humour et douceur, leur soif de liberté. Gurshad Shaheman a su trouver la clef pour ouvrir les forteresses qui les enserrent. Et il les écoute, discrètement assis au bord du plateau. Mathieu Lorry Dupuy conçu la scénographie nécessaire pour établir une convivialité entre public et interprètes. Nous partageons avec émotion, trois heures durant, les heurs et malheurs de ces mères-courage.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 11 juin, MC 93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis) T. :01 41 60 72 72.

Et du  2 au 4 janvier, Le Maillon, Strasbourg (Bas-Rhin).

Du 7 au 9 mars Théâtre de l’Union, Limoges  (Haute-Vienne ; le16 mars, La Faïencerie, Creil (Oise) ; le 18 mars, Théâtre de Chelles (Seine-et-Marne) ; Les Les 24 et 25 mars, Le Bateau-Feu, Dunkerque (Nord) ; le 31 mars, Thêâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine).

Le 4 avril, Théâtre d’Angoulême (Charente).

Les 24 et 25 mai, Comédie de Valence (Drôme) ; les 30 mai et 1 er juin, Théâtre du Nord  (avec la Rose-des-Vents) Lille (Nord) ..

La pièce est  publiée aux Solitaires Intempestifs.

 

 

Tous les Marins sont des chanteurs de François Morel, Gérard Mordillat et Antoine Sahler

Tous les Marins sont des chanteurs de François Morel, Gérard Mordillat et Antoine Sahler

Canular ou biographie véridique? Ici, la vie, l’œuvre d’Yves-Marie Le Guilvinec et ses chansons sont ressuscitées sous forme de conférence universitaire, entrecoupée de musiques du marin-poète. Cet illustre inconnu né en 1870 à Trigavou près de Saint-Malo, disparut en mer en 1900 comme ses frères et bien d’autres matelots, après avoir pêché la morue à Terre-Neuve et navigué de port en port…

«Dans un vide-grenier à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), dit Gérard Mordillat, François Morel, feuilletant de vieilles revues rongées par les embruns, découvrit une brochure de 1894 où douze chansons d’Yves-Marie Le Guilvinec étaient reproduites, illustrées par l’auteur. » Le cinéaste et romancier s’est joint à François Morel et Antoine Sahler pour restaurer les paroles et musiques disparues, dans le style marqué des goélantes et autres chansons à boire bretonnantes. Selon eux, on doit notamment à ce héros La Cancalaise dont Théodore Botrel se serait inspiré pour sa Pimpolaise… Cet air célèbre, vont-ils nous démontrer, étymologie à l’appui, n’est en réalité qu’une chanson paillarde déguisée !

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Dans l’esprit de l’Oulipo, ce cabaret chanté avec énergie par François Morel qui parodie Renaud, Alan Stivell ou Léo Ferré, nous apporte une bouffée de bonne humeur, même si parfois la charge est un peu lourde et les airs assez monotones. Antoine Sahler au piano, à la trompette et à l’accordéon, Muriel Gastebois aux percussions et Amos Mah à la guitare et au violoncelle, n’hésitent pas à interrompre le chanteur ou le conférencier (Romain Lemire, en alternance avec Gérard Mordillat), avec des commentaires vaseux, histoire de se mettre au diapason des fantaisistes…

 Un divertissement roboratif d’une heure trente avec, comme une bouteille à la mer, un message humanitaire en filigrane: «Quand un homme tombe à la mer/ Tu lui tends la main/Si tu es marin, simplement humain/Il faut s’employer à le repêcher/Faut pas lui d’mander s’il a des papiers… » Quant à savoir qui était vraiment cet Yves-Marie Le Guilvinec, la question reste ouverte. Comme disait Boris Vian: «Cette histoire est vraie, puisque je l’ai inventée. »

 Mireille DavidoviCi Jusqu’au 3 juillet, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème) T. : 01 44 95 98 00.

François Morel chante Yves-Marie Le Guilvinec (Tous les marins sont des chanteurs), un album édité par Little Big Music (2020).

Tous les marins sont des chanteurs est paru aux éditions Calmann-Lévy ( 2020).

 

 

Tout mon amour, de Laurent Mauvignier, mise en scène d’Arnaud Meunier

Tout mon amour de Laurent Mauvignier, mise en scène d’Arnaud Meunier

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© Pascale Cholette

On vient d’enterrer le grand-père. Son fils et sa belle-fille de retour dans la maison familiale, vont revivre un drame qui, dix ans auparavant, a ébranlé leur vie : leur petite fille dix ans avait disparue sans laisser de traces. Mais est-elle cette jeune fille hagarde qui vient maintenant frapper à leur porte? Sa mère, dans le déni et son père, qui est prêt à y croire, s’affrontent et mêlent leur fils à leur dilemme… Un fantôme erre dans la vieille demeure aux meubles des années soixante: le grand-père, venu reprocher à son fils sa faiblesse de caractère. De son temps, dit-il, on avait plus de trempe.

 Dans ses romans, Laurent Mauvignier plonge dans le passé d’êtres traumatisés avec un grand talent. Nous avions  apprécié son art à sonder les âmes en peine dans le beau film que Lucas Delvaux a tiré de Des Hommes (2020). Ici, l’écrivain fait émerger les non-dits qui hantent la famille, du grand-père au petit-fils, avec de courtes scènes concises balisant ce drame

. Anne Brochet, en mère évanescente, retourne son chagrin et ses frustrations en agressivité contre son mari et son jeu pincé contraste avec la grande sensibilité  de Philippe Torreton. Ambre Febvre, la mystérieuse inconnue de seize ans qui prétend être leur fille, joue un personnage hébété, à l’aune des traumatismes qu’elle a subis. Un jeu très physique, à la limite de la caricature. Romain Fauroux, issu comme elle de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, est plus nuancé.

Le metteur en scène a vu dans cette pièce «un polar intimiste et métaphysique, dans la mesure où Laurent Mauvignier mêle subtilement une écriture presque naturaliste, à une atmosphère de film fantastique.» Certes, les murs se déplacent et se resserrent sur le drame pour traduire la sensation d’étouffement des personnages et une ambiance de cauchemar. Mais la direction d’acteurs «carrée » ne fait pas dans l’allusif et, malgré l’écriture ciselée de Laurent Mauvignier, alourdit le spectacle. Chapitres de la chute, ou Saga des Lehman Brothers, joués dans ce même théâtre qui l’accueille régulièrement (voir Le Théâtre du blog) conviennent mieux à la palette d’Arnaud Meunier…

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 4 juin, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).  T . : 01 44 95 98 00.

La pièce est publiée aux Editions de Minuit

 

 

 

 

Pas assez suédois par le Centre Chorégraphique National-Ballet de Lorraine

Pas assez suédois par le Centre Chorégraphique National-Ballet de Lorraine

 Petter Jacobsson et Thomas Caley,  directeurs du C.C.N., sont familiers des courants de la danse suédoise contemporaine: ils ont réalisé plusieurs pièces au Royal Swedish Ballet à Stockholm dont Petter Jacobsson assura la direction artistique de 1999 à 2004. Ils ont souhaité faire revivre les années folles des Ballets suédois. Fondés à Paris en 1920 par le richissime Rolf de Maré et par le danseur et chorégraphe Jean Börlin, ils défrayèrent la chronique au Théâtre des Champs Elysée, jusqu’en 1925. Après les Ballets Russes de  Serge de Diaghilev, ils attirèrent les créateur de l’avant-garde comme  Jean Cocteau, Blaise Cendrars, Paul Claudel, Ricciotto Canudo, Fernand Léger,  les compositeurs du Groupe des Six :Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre et aussi Eric Satie, Cole Porter… Les interprètes des Ballets suédois venaient en majorité de l’Opéra Royal de Stockholm et cette compagnie fera des tournées dans le monde entier.

Le titre du spectacle : Pas assez suédois indique combien les programmes étaient cosmopolites : mis à part Nuit de Saint-Jean où  transpose les sarabandes du folklore populaire de son pays, Jean Börlin chorégraphia et interpréta une vingtaine de pièces aux formes nouvelles, traversées par les tendances internationales…  Dont Offerlunden (1923), son plus grand succès et Within the Quota (1923), l’un des premiers ballets jazz. Et Relâche (1924), sa dernière création,  seul ballet dadaïste de l’histoire de la danse qui a été repris en 2014 par le C.C.N. -Ballet de Lorraine, chorégraphie de Petter Jacobsson et Thomas Caley. Nous restent seulement de la création de ce ballet burlesque, une photographie de Man Ray avec Marcel Duchamp nu et Bronia Perlmütter en Adam et Eve (reproduits ici en version unisexe masculin). Mais aussi la musique d’Erik Satie et le manuscrit de Francis Picabia où il ébauche le scénario d’un «film qui se jouerait sur scène ».

Petter Jacobsson et Thomas Caley ont invité trois chorégraphes à interroger avec eux cet ouragan artistique et à revisiter l’esprit débridé de l’entre-deux-guerres, à l’aune de leur personnalité et des archives des Ballets suédois conservées au Dansmuseet-Rolf de Mare’s Museum of Movement à Stockholm. Une soirée de deux heures, riche de propositions contrastées avec des interprètes d’exception.

 Fugitives Archives,chorégraphie de Latifa Laâbissi

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©Laurent Philippe

Huit danseuses en costume à damiers jouent avec leurs ombres et les réminiscences du Marchand d’oiseau, chorégraphié en 1923 par Jean Börlin sur un livret d’Hélène Perdriat et une musique de Germaine Tailleferre. En plongeant dans les archives, Latifa Laâbissi et sa scénographe et costumière Nadia Lauro ont été séduites par les ombres étranges découpées sur le décor et les petits personnages à la périphérie de l’argument du ballet : des écolières turbulentes en costume à carreaux. «C’est une rencontre entre une image d’archives et mon inconscient, dit la chorégraphe, l’idée est de se plonger dans ces années vingt: leur liberté, leur impertinence nous ont autorisées cette impertinence.»

En arrière-plan, un rideau de papier blanc plissé sur lequel se découpent la silhouette noire d’une sorcière griffue et des branches dénudées. Les danseuses, masques blancs et robes à damiers déployées en larges corolles, évoluent dans des postures incongrues, courbées ou tordues. Elles s’agglutinent tel un nid d’insectes, s’éloignent en petits piétinements sonores, reviennent au pas de l’oie ou s’installent dans des positions indécentes, avec force grimaces. La construction aléatoire de Fugitives Archives où dominent le noir et blanc et quelques carrés rouges, est ponctuée par des bribes musicales élaborées par Manuel Coursin.
Une pièce-mémoire de vingt-cinq minutes d’une beauté formelle dans la lignée de Pourvu qu’on ait l’ivresse (2016) la dernière création de Latifa Laâbissi, avec des paysages imaginaires où se côtoient le beau et le grotesque. On retrouve aussi le dépouillement du butô japonais avec des mouvements de mains et bras d’une extrême précision. Une performance des interprètes…

Mesdames et Messieurs, chorégraphie de Petter Jacobsson et Thomas Calay

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©Laurent Philippe

 En vingt minutes, treize danseurs se lancent en groupes ou en solos dans une série de numéros clownesques, inspirés de l’univers du cinéma muet. La joyeuse bande émerge d’un amas de plaques en plexiglass, rappelant les pellicules d’antan. Les chorégraphes convoquent des personnages d’époque en costumes hétéroclites, comme sortis des malles de cabarets ou cafés-concerts, pour un grand carnaval grotesque multicolore dans l’esprit du Cinésketch de Francis Picabia (1924).

Pour la nouvelle année, l’artiste avait présenté une série de sktech inspirés des films comiques de Charlie Chaplin, Buster Keaton. Il y a le comique troupier, le travelo, la danseuse à frou- frou et d’autres figures fantasques dansant sur des chansons en vogue. «  Le shimmy, je veux danser le shimmy », clame Mistinguett, au son aigrelet d’un phonographe hors-d’âge. « Nous avons travaillé sur une “ playlist “ d’airs populaires de l’époque », dit Petter Jacobsson.  Et cette revue festive se construit sur ces morceaux ressurgis du passé. Sur un rythme accéléré rappelant les vingt-quatre images par seconde des films muets, les danseurs masculins, transcendent les genres, dans les costumes extravagants de Birgit Neppl et sur un fond vert pour incrustations d’un studio de cinéma ou télévision. Un clin d’oeil à notre modernité…

Danses crues, chorégraphie de Dominique Brun

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©Laurent Philippe

Historienne de la danse, la chorégraphe réinvente des pièces anciennes et se tourne ici vers La Nuit de la Saint Jean, figurant au premier programme des Ballets suédois (1920). « On peut encore voir des extraits de ces danses dans un film de Marcel L’Herbier, dit-elle : les rondes et les danses se voudraient « premières » et « crues », alors qu’en réalité, elles ont été transformées par Börlin.» Et contrairement à cet artiste dont elle trouve la chorégraphie trop caricaturale, Dominique Brun s’appuie sur des danses folkloriques encore pratiquées aujourd’hui, notamment en Macédoine.

Elle joue avec des images de ces rondes et farandoles en surimpression. Projetées sur un écran translucide en avant-scène, elles se superposent aux danseurs et danseuses qui, ombres blanches, presque immatérielles, tournent et se déploient sur la musique subtile de David Christoffel dont les nappes sonores enveloppent et rythment le mouvement des corps. En off, la voix de Marguerite Duras dit Les Mains négatives, un texte évoquant les paumes imprimées sur les parois des grottes magdaléniennes : « En souvenir de la pandémie où il était interdit de se toucher, dit Dominique Blanc, et en hommage aux corps des danseurs qui gardent la mémoire de nos gestes. » Cette pièce dépouillée et d’une grande élégance se pare d’une riche iconographie: films, peintures dont Le Saint-Jean-Baptiste du Caravage et des scènes champêtres… montrent des mains qui se prennent ou se tendent. Les interprètes, figures évanescentes derrière l’écran, semblent être les fantômes d’une danse éternelle.

Érosion, chorégraphie de Volmir Cordeiro 

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©Laurent Philippe

 L’artiste brésilien s’est attaché à détourner le rêve de forêt vierge de Paul Claudel dans le livret L’Homme et son désirécrit à Rio de Janeiro : « Claudel semble activer l’imaginaire d’une Amazonie qui va de pair aujourd’hui avec l’invisibilisation des populations autochtones mises en danger par une politique d’extrême-droite. » A l’époque, Darius Milhaud avait composé la musique de ce ballet en forme de drame plastique où la nature sauvage effraye autant qu’elle attire un homme en proie au désir d’une morte.

Rien de tel dans Érosion : une horde sauvage bottée frappant le sol bruyamment, se déchaîne et met à nu des personnages aux chevelures de liane, fragiles peuples «premiers» interprétés par des danseuses… Ces militaires, sur-mâles érotisés et narcissiques, vont détruire le cadre qui ceint la scène, déportant notre regard sur les créatures de ces bois luttant pour leur survie. Une belle énergie émane de cette pièce tonique qui se termine sur l’image de bottes alignées, désertées, symbole d’un pouvoir au pied d’argile. Eros en érosion?

 La musique originale de Darius Milhaud est jouée intégralement en dix-sept minutes mais, pour marquer la présence de ces oubliés de l’argument claudélien, fait ressortir les inserts de folk brésilien que le compositeur avait mis en arrière-plan. Et les pas martelés sur le parquet soulignent la violence de ces prédateurs brutaux. Les costumes de Volmir Cordero mettent en valeur les corps des interprètes et contribuent à créer une esthétique troublante, imaginée par le chorégraphe pour faire «débander l’éros viri », en l’opposant à la plasticité des corps féminins. L’Eros, même dérisoire, a ici la vie dure et cela ne déplait pas en clôture de cette belle soirée.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 18 mai à l’Opéra National de Lorraine, 1 rue Sainte-Catherine, Nancy. Meurthe-et-Moselle).

C.C.N.-Ballet de Lorraine, 3 rue Henri Bazin, Nancy.

Reprise de Danses crues, chorégraphie de Dominique Brun le  27 juin 2022 à 19h et 20h30 · salle des Nymphéas Musée d’Orsay · Paris 

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