Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier et Ariane Bacquet, mise en scène de Gérard Robert

Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier (en alternance ave Ariane Bacquet), mise en scène de Gérard Robert

 Les voici de retour après le succès d’ABCD’airs, avec Jean-Sébastien Bach dans leurs bagages. Piano, contrebasse, cor anglais, hautbois et voix pour toccatas, fugues et contrepoints qui n’ont pas de secret pour ces virtuoses, ni les nombreuses variations qu’a inspirées l’œuvre du compositeur. En jazz ( Contre, tout contre, Bach, de Jean-Philippe Viret), en classique ( La Bacchanale  extraite de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns) mais aussi dans les variétés et au cinéma. Le quatuor revisite un vaste répertoire et nous découvrons ce que de nombreux airs d’hier et d’aujourd’hui doivent à cette musique intemporelle.

© Alexis Rauber

© Alexis Rauber

Anne Baquet, formée au conservatoire de Saint-Petersbourg ( Russie), à l’aise en chant baroque et contemporain, nous donne une version émouvante de La Petite Fugue, un tube (1969) de Maxime et Catherine Le Forestier. Puis, son interprétation parodique à la Johnny Hallyday de Si javais un marteau de Hays Lee et Peter Seeger) ravit le public. Elle entraîne, de sa voix chaude et flexible, ses coéquipières et toutes les quatre entonnent a capella l’irrésistible D’abord ton Bach de Bernard Joyet qui, sur une musique du maître, joue sur les mots : « Passe ton Bach d’abord/ Fais un effort/ Tu veux faire table rase/ Avec le jazz / T’as pas les bases… » Rires garantis.

 La pianiste Claude Collet soliste, chambriste ou musicienne dans les orchestres de Radio-France, Suisse romande…  donne sa touche avec brio, à B-A-C-H (1964) d’Arvo Pärt, dont chaque lettre correspond à une note selon la gamme anglo-saxonne ( La Si Do Ré ), à Circus Waltz que Nino Rota a écrit pour Huit et demi de Federico Fellini ) et à la Toccatina op. 40/3 de Nikolaï Kapoustine.

Amandine Dehant à la contrebasse, se lance en solo dans le Menuet 2 de la troisième Suite pour violoncelle. Membre de l’orchestre de l’Opéra de Paris depuis 2005, elle n’hésite pas à monter sur le piano avec son instrument pour accompagner ses amies, toutes aussi mutines, gambadant, se contorsionnant… Ariane Bacquet et Anne Regnier (en alternance), se donnent à fond au hautbois et au cor anglais dont elles tirent des notes à souffle continu. La première joue régulièrement dans de grandes formations (orchestre de Bretagne, Opéra de Paris…) et avec les ensembles Liken et Art Sonic, les répertoires improvisés, amplifiés et contemporains. L’autre, soliste à l’Opéra de Paris depuis 1996, interprète le répertoire de musique de chambre avec l’ensemble Sur Mesure, et les œuvres actuelles avec Ars Nova.

 Ces grandes interprètes souvent primées, ne se prennent pas sérieux et, sous la houlette de Gérard Robert, investissent joyeusement la scène, avec le plaisir évident de faire la fête. Elles écornent Jean-Sébastien Bach patriarche, en s’amusant à compter les nombreux enfants qu’il fit à Anna-Magdalena, une grande musicienne qu’il mit en sourdine, et dont on entend Musette. Elles osent la fantaisie quand, à la manière de charmeuses de serpent, elles soufflent en chœur dans des mélodicas, ces claviers portatifs à anches libres et tuyau latéral. À huit mains, elles font sonner l’air le plus connu du compositeur allemand comme sur un orgue.
Un spectacle musical, à la fois savant et populaire, comme on en voudrait beaucoup et qui séduit petits et grands.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 mai , Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris, (VI ème) T. : 01 45 44 57 34.


Archives pour la catégorie critique

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Julie Delille a fondé sa compagnie, le Théâtre des trois Parques en 2015. Artiste associée à Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, elle y a créé ce spectacle en 2018.  Depuis l’an passé, elle dirige le Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) et intervient aussi actuellement auprès des jeunes acteurs de la Belle Troupe aux Amandiers-Nanterre.

Plusieurs minutes de noir et de silence avant qu’une voix fluette naisse de l’obscurité: « Nous, c’est le silence qui raconte, les hommes, il leur faut une voix. » Ici, c’est la bête qu’on entendra. Julie Delille, féline et souple, donne chair à Méline, une enfant sauvage qui a appris sur le tard le langage des humains.
Bébé abandonnée dans un placard, elle a été élevée par une chatte qui l’a nourrie et l’a enveloppée de sa chaleur, lui a appris la chasse, la pêche et l’impitoyable loi de la jungle où la raison du plus fort est toujours la meilleure.

© Florent Gouëlou

© Florent Gouëlou

Jusqu’à ses six ans, l’enfant quadrupède s’ébat dans les bois, glapit, miaule, rugit et fouit dans les terriers. Avant d’être capturée par un vieil apiculteur et forcée de s’adapter au monde civilisé. Dans une langue poétique et drue inventée par l’autrice, Julie Delille nous fait vivre la forêt, sa beauté et ses dangers… Dans un cache-cache permanent entre lumière et obscurité, d’une voix modulée, Méline raconte sa vie intérieure, ses plaisirs et ses douleurs, le goût du miel et aussi du sang: dans le règne animal, il faut tuer pour vivre. Pas de sentimentalisme: «Les bêtes n’ont pas de larmes, c’est une eau qui part dans leur salive. Les bêtes ne savent pas pleurer. Car il faut la parole pour nourrir un chagrin et le faire durer.»

Anne Sibran, comme son héroïne, réside entre la France où elle a commencé à écrire et l’Equateur. Elle a appris le quechua pour aller auprès des Indiens d’Amazonie, menacés par l’extraction pétrolière et la déforestation: «La langue peut dire : la bête est moins que l’homme. Et la bête se tait.» Ici, l’animal parle. Une langue puissante, crue et organique qui nous fait vivre l’expérience de Méline.La mise en scène est d’une grande beauté et, des savants clairs-obscurs d’Elsa Revol, naît un paysage vierge puissant et sauvage; l’environnement sonore d’Antoine Richard donne toute son intensité à ce conte dramatique. Seule sur le grand plateau nu, la comédienne, enfantine et animale, naïve et rusée, se glisse dans la pénombre brumeuse, rampe sous un sol arachnéen, semble disparaître dans un fourré, échappe à la blessure mortelle d’une fouine… Puis, quand elle rejoint le monde des humains, elle relate l’apprentissage laborieux du langage, les vêtements qui entravent, les murs qui encagent… Quand le jour bascule, dit-elle, alors j’ai besoin de viander. »

Survivra-t-elle parmi ses semblables-les plus cruelles de bêtes qui l’ont abandonnée- et résistera-t-elle à l’appel de la forêt? « Soudain, toutes les paupières s’écartent, en une fois, en même temps. Toutes les paupières des bêtes descendues jusque là, dévalé la montagne pour regarder les hommes en face. Leur ouvrir ces pupilles luisantes comme des miroirs tendus. » (…) « Ainsi, la forêt s’embrase d’une prodigieuse attention où ce qui se cachait depuis toujours, est plus présent que l’arbre. »
Ni femme ni bête, Méline incarne la part animale qui sommeille en chacun de nous, oubliée, et la nature dont l’homme contemporain s’est éloigné, jusqu’à la saccager…
Dans certaines scènes, l’actrice happée par son récit nous y entraîne. Il y a d’autres séquences, présentées avec plus de distance où Anne Sibran questionne notre humanité. Un texte admirable porté par une comédienne rare. On pourra voir prochainement ici, mise en scène par Julie Delille, La Jeune Parque, un long poème de Paul Valéry sous le titre Le Métier du Temps. Une artiste à suivre

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 4 avril Je suis la bête. Du 30 mars au 7 avril Le Métier du Temps au Théâtre Nanterre -Amandiers-Centre Dramatique National, 7 avenue Pablo Picasson Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70 00 RER A arrêt : Nanterre Préfecture. Attention, plus de navette pour venir: prendre le bus 259. Mais il y en a une pour le retour vers le RER.

 Le roman, Je suis la bête, a été a publié aux éditions Gallimard (2007).

 

La Terre,d’après le roman d’Émile Zola, adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard, mise en scène d’ Anne Barbot

La Terre, d’après le roman d’Émile Zola, adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard, mise en scène d’Anne Barbot

 Alors que la France  et l’Europe subissent une crise agricole de plus, l’adaptation de cette tragédie paysanne apporte un nouvel éclairage à ce roman (1887). À un siècle et demi d’intervalle, on trouve d’étranges similitudes avec l’actualité. Comme l’auteur, Anne Barbot a rencontré des agriculteurs: «Ma manière de les questionner sur leurs pratiques était de leur lire La Terre et tout résonnait… Un dialogue s’engageait entre hier et aujourd’hui, entre Émile Zola, eux et moi. C’était fascinant et effrayant.»

Les comédiens accueillent chaleureusement le public: nous sommes à Rognes, en Beauce, dans la ferme des Fouan: les femmes préparent la soupe, les hommes jouent aux cartes, tous discutent des affaires familiales. Le père Fouan, au bout du rouleau, annonce qu’il va prendre sa retraite et distribuer ses biens à ses trois enfants : à charge à eux de l’héberger, le nourrir et lui donner deux cents francs de rente chacun.
Le partage, par tirage au sort sème la zizanie entre Hyacinthe, la tête brûlée du clan, Fanny, mariée à Delhomme, un riche fermier et maire du village et Buteau, l’aîné, colérique et fier à bras, qui s’estime lésé. Il y a aussi les cousines : les sœurs Mouche. Buteau a fait un enfant à Lise, l’aînée qu’il épousera plus tard quand elle héritera de la ferme du tonton.
Buteau poursuit la cadette Françoise et la viole mais elle se marie avec Jean, un ouvrier agricole, venu de la ville…. Un mariage qui inquiète Buteau, redoutant de voir une partie de l’héritage passer dans les mains de cet étranger!

 

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Mais les enfants se déchirent et ne tiennent pas leur promesse d’aider le patriarche qui a perdu de sa superbe et les affaires tournent mal. Hyacinthe, épicurien et révolté, boit son héritage au bistrot du village et finit sans le sou. Buteau, malgré son mariage avec Lise pour agrandir son domaine, n’arrive pas à joindre les deux bouts et vend une partie de ses terres à son beau-frère, Delhomme : lui a parié sur la mécanisation, les engrais chimiques et l’agriculture intensive pour plus de profits… Mais endetté, il a fait le mauvais choix en suivant la voie du «progrès » : suite à un traité de libre échange avec les Etats-Unis, le blé américain inonde le marché français et entraîne la chute des prix…

Anne Barbot a resserré l’action autour du noyau familial, avec des séquences dialoguées qui s’enchaînent avec fluidité en deux heures trente. Camille Duchemin a imaginé une scénographie épurée: le fond de scène, jonché de paille, laisse deviner l’écurie, la grange et les champs. La famille élargie aux cousines, d’abord réunie autour d’une grande table, s’éparpillera en plusieurs entités. Les huit interprètes construisent des personnages très typés et leur jeu, parfois un peu caricatural, flirte avec le naturalisme mais ils restent convaincants.

La mise en scène est d’une grande précision et le spectacle va à un bon rythme, de drame en drame. Comme Jean, arrivé dans ce monde impitoyable, nous assisterons à la déchéance du patriarche, la violence du fils ainé, l’avarice de la fille, l’appétit financier du gendre et les ravages de l’alcoolisme chez le cadet… Il y a chez la plupart, un attachement atavique à la terre. Un paysan qui emprunte,dit le père à ses enfants,  est un homme fichu. »
Des agriculteurs et/ou éleveurs ruinés, contraints de vendre terres, bétail, machines et ferme, on en voit malheureusement beaucoup aujourd’hui. Certains se battent pour trouver d’autres modèles, comme au Larzac : en témoigne le spectacle de Philippe Durand (voir Le Théâtre du Blog). D’autres abandonnent ou mettent fin à leurs jours. Mais qui les entend? Et s’ils faisaient grève, dit Jean, qui nourrirait Paris ? Ce spectacle est une vraie réussite.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 18 mars au Théâtre Gérard Philippe-Centre Dramatique National, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis, (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Le 5 avril, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne); le 8 avril, Le Nest, Thionville  (Moselle).

Le 3 mai, Théâtre de Châtillon-Clamart (Hauts-de-Seine).

 

Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner

Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner

 Le pape de l’Oulipo ne pouvait être mieux servi avec cette comédie musicale enlevée, fidèle à l’esprit du roman et à ses personnages fantasques. «Zazie dans le métro a accompagné de cinq à quinze ans, dit Zabou Breitman. Avant Zabou, pour Isabelle, j’ai eu Zazie.»Avec la même impertinence que l’héroïne, la metteuse en scène, auteure de la scénographie et des paroles des chansons, nous entraîne dans le Paris populaire de 1959 sur la musique de Reinhardt Wagner. Au grand dam de Zazie, le métro est en grève mais d’autres aventures parsèment son voyage initiatique au terme duquel elle pourra dire du haut de ses treize ans :  «J’ai vieilli ».

De petites fenêtres s’ouvrent dans le décor où s’agitent les silhouettes de films animés. À un rythme que l’orchestre présent sur scène et les acteurs tiendront sur toute la durée. Dès que la gamine apparaît sous les traits mutins d’Alexandra Datman, on retrouve avec plaisir sa gouaille communicative et le franc-parler qui imprègne toute l’œuvre. Jeanne, sa mère (Florence Pelly) vient de la confier à Tonton Gabriel, le temps d’un week-end: « J’ai deux jours pour m’envoyer en l’air.», chante-t-elle, avant de disparaître sur un tapis roulant pour retrouver son Jules….«Elle est mordue. » commente Zazie.
Voici oncle et nièce partis en taxi avec le cousin Charles, son conducteur, choqué par le vocabulaire de Zazie qui souligne chacune de ses phrases d’un : «mon cul ». Au café du coin, la Cave où officie l’accorte et rousse Mado P’tits-Pieds (Delphine Gardin), ils retrouvent Turandot, tenancier grognon et le fameux: «Tu causes ,tu causes, c’est tout c’que tu sais faire » lancé à tout-va par son perroquet Laverdure…

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Rien n’étonne Zazie qui explore la ville d’un pied léger, sans s’encombrer des remontrances ou bizarreries des grandes personnes mais toujours fuyant leurs « papouilles zosées » traumatisée par un père violeur, un épisode tragique qu’elle conte tout à trac au premier venu. La modeste tante Marceline (Jean Fürst), ménagère de son état, s’avère être un homme (il-elle chante ses secrets), comme Gabriel qui se révèlera en Gabriella, danseuse de charme au Mont de Piété où se terminera en beauté le périple de Zazie.
Avant, il y aura eu la foire aux puces et l’épisode du bloudjin , la visite de la tour Eiffel, la rencontre avec des touristes en route pour la Sainte-Chapelle, « joyau de l’art gothique », entonnant en chœur Kouavoir à Paris et l’obsession de Zazie à découvrir ce que veut dire: homosessuel, un mot qu’elle a entendu à propos de son oncle en écoutant aux portes..

Les chansons de Zabou Breitman s’inspirent de l’argot de Raymond Queneau et les styles musicaux de la partition leur donnent une petite touche désuète, avec songs à la Kurt Weill, en passant par jazz, java, cha cha cha et chansons réalistes, comme les costumes. Mais du rétro vu par le prisme de notre époque, Raymond Queneau, en visionnaire, dénonce le sort de la ménagère, le viol en famille… Et dans sa naïveté, son héroïne épingle la bourgeoisie, le patriarcat, l’Église, l’école, l’armée… Seul interdit : on ne touche pas à un enfant.

Avec ses personnages ancrés dans le Paris populaire mais aux identités troubles qui changent de nom et de sexe sans crier gare, cette version de Zazie dans le métro est un régal d’humour. Dans une mise en scène très travaillée, Zabou Breitman fait entendre chaque mot et chaque tournure repris au bond par les comédiens-chanteurs. Franck Vincent, tonton bon enfant, devient l’incandescente Gabriella. Fabrice Pillet joue le cousin Charles et endosse toutes les identités de Trouscaillon, un homme qui change de nom et d’aspect comme de chemise. Florence Pelly fait un malheur en veuve Mouaque dans un twist endiablé, plébiscité par le public. Remarquables, les musiciens jouent aussi certains personnages.
Les costumes stylés d’Agnès Falque et les perruques élaborées de Cécile Kretschmar contribuent à donner tout son brillant à ce spectacle proche du music-hall… Il n’y a pas toujours de quoi rire dans cette histoire, comme une certaine nostalgie pour le transformiste tristounet mais les gros mots de Zazie, jamais vulgaires, et son insatiable énergie sont là pour nous dérider.  A voir.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 23 mars, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.

Les 27 et 28 mars, L’Azimut , Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 3 et 4 avril, Le Volcan, Le Havre (Seine-Maritime).

Du 10 au 13 avril, Théâtre de Liège (Belgique) ; du 16 au 18 avril, Anthéa, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes Maritimes) ; le 24 avril, Equilibre Nuithonie, Fribourg (Suisse).

Les 2 et 3 mai, Scène Nationale Sud-Aquitaine, Anglet (Pyrénées-Atlantiques); les 14 et 15 mai, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime)

Du 22 au 25 mai Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).

 Zazie dans le métro de Raymond Queneau est publié aux éditions Gallimard.

 

 

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

 « Gardarem lo Larzac !» Tout a commencé sur ce Causse des Cévennes en 1971, quand le gouvernement, par la voix du ministre de la Défense Michel Debré, voulut imposer l’extension d’un vaste camp militaire. Radicale, la colère se répand et les paysans, soutenus par la France entière, se mobilisent et signent un document : «Le Larzac restera/Notre terre servira à la vie/ Des moutons, pas de canons/ Jamais nous ne partirons./ Debré, de force, nous garderons Larzac!» La lutte dura jusqu’en 1981 quand, sur décision de François Mitterrand, élu président de la République, ce projet fut vite abandonné. Les paysans avaient vaincu et l’agriculture au Larzac maintenant se porte bien, comme en témoigne Philippe Durand. D’où le point d’exclamation de son titre…

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Après le succès de 1336 (Parole de Fralibs)*, un seul en scène construit à partir d’interviews des ouvriers de Fralib,  » Française d’alimentation et de boissons». Après plus de trois ans de lutte, ils remportèrent une victoire sans précédent sur cette multinationale anglo-néerlandaise d’Unilever qui voulait délocaliser la production…
Ici, l’acteur récidive et donne la parole aux paysans du Larzac. Avec lui, ce ne sont pas les anciens combattants des années soixante-dix qui s’expriment, comme dans le film Tous au Larzac de Christian Rouaud  (2011) mais leurs dignes héritiers. A la suite de leurs aînés, ils n’ont cessé d’inventer des solutions pour garder la main et vivre sur leur territoire. 

 En 1984, ils ont fondé en la Société Civile des Terres du Larzac pour exploiter les 6.300 hectares cédés par l’État, avec un bail emphytéotique jusqu’en 2085. Cette structure gérée collectivement met à disposition ferme et terre agricole à des nouveaux venus,  à condition de les quitter à l’âge de la retraite, pour les transmettre à la génération suivante. Le foncier devenant non comme un capital sur lequel spéculer, mais « un outil de travail à valeur d’usage ».

© Mas Razal

© Mas Razal

L’acteur s’empare des mots des Larzaciens, avec leur phrasé, leurs silences et, derrière, leurs manières de dire. Ce sont eux qui se trouvent devant nous, à nous raconter en personne l’expérience hors du commun de la S.C.T.L. : « On a construit avec les anciens, tu vois/ Donc, c’est vraiment construit avec la mémoire syndicale mais vivante /Pas une mémoire syndicale livresque, tu vois, ouais !/ On a fait des colloques/ On a fait des journées du foncier/ Avec des gens qui venaient de toute la France si tu veux (…) »

Assis à sa table de conférencier, l’acteur fait surgir devant nous une galerie de personnages, sans jamais forcer l’expression, composer ou caricaturer. Une parole brute pour nous dire leur vie sur le Causse, la beauté des paysages, la rudesse du climat et le bonheur d’être son propre maitre.Il est possible de travailler la terre autrement qu’en la possédant, disent-ils aussi: «Et on a obligé les gens à être imaginatif sur quoi produire sur ces fermes/ plutôt qu’d’se dire : «Plus j’ai d’hectares et plus je vais m’en sortir » /c’est ça le raisonnement autour hein !/Et autour/on voit bien que le pays se désertifie quoi /ça a permis/ Qu’on est le seul secteur en France/ où y a plus de paysans aujourd’hui qu’y en avait dans les années 80.»

 «J’ai retrouvé cette langue que j’avais considérée comme un trésor populaire dès mon premier projet Paroles de Stéphanois, dit Philippe Durand. Ils ont le verbe haut, coloré, l’esprit vif, joyeux, le sourire dans les yeux, la poésie sous la langue, la pensée fulgurante de bon sens. » Ce chaleureux spectacle nous transmet la relation de sympathie et confiance que l’artiste a établies avec une quarantaine de femmes et d’hommes, toutes générations confondues. Il est resté longtemps parmi eux, habitant dans une caravane au milieu des champs, pour partager une expérience unique.
Il voit en la S.C.T.L. un laboratoire foncier: «L’outil fait rêver. Il a pu m’apparaître parfois comme un eldorado démocratique. Mais l’aventure de la démocratie est un vrai travail. Elle ne va pas sans difficultés. » Philippe Durand tisse de multiples points de vue, sans nier la complexité de la vie collective. Une nouvelle paysannerie issue des luttes anciennes, n’est plus viscéralement attachée à la terre jusqu’à se faire posséder par elle comme dans La Terre d’Émile Zola.

Ce modèle attire beaucoup de néo-ruraux de toute origine qui n’ont pas à s’endetter à vie , soit une centaine de sociétaires, agriculteurs ou pas. Il y a même une troupe de théâtre. Le plus dur : tout laisser à la retraite mais le collectif envisage des solutions et beaucoup restent au pays. Un modèle social que ce spectacle contribuera à transmettre, à faire découvrir et connaître.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 mars au Théâtre des Sources, Festival des arts de la parole jusqu’au 5 avril, 8 avenue Jeanne et Maurice Dolivet, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). T. : 01 71 22 43 90.

 Du 20 au 24 mars, Théâtre Jean Lurçat, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse) ; du 26 mars au 7 avril,  MC2 Grenoble (Isère).

Du 9 au 11 avril, Mont-Saint-Aignan, Rouen (Seine-Maritime) ; les 19 et 20 avril, Théâtre Le Hangar, Toulouse (Haute-Garonne) ; du 25 au 27 avril, avec l’association Traverse, à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) .

Les 2 et 3 mai, dans les villages de la Communauté de communes de la Châtaigneraie (Cantal).

Du 29 juin 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

*Parole de Fralibs est publié aux éditions D’ores et Déjà.

 

 

 

Reporters de guerre, texte de Sébastien Foucault et Julie Remacle, mise en scène de Sébastien Foucault

Reporters de guerre, texte de Sébastien Foucault et Julie Remacle, mise en scène de Sébastien Foucault

Comment raconter la guerre à ceux qui ne l’ont pas vécue ? A quoi servent les journalistes qui prennent tous les risques pour nous informer? A ces questions, répondent des témoins : Françoise Wallemacq qui a couvert les événements pour la Radio-Télévision Belge Francophone, Vedra Bozinovic, reporter de guerre en Bosnie et Michel Villée, ancien attaché de presse de Médecins sans Frontières-Belgique, devenu marionnettiste. 

© Françoise Robert

© Françoise Robert

Sébastien Foucault avec sa compagnie Que faire? mène en Belgique une recherche approfondie sur la guerre en Bosnie (1992-1995). La pièce expose, dans une première partie, les conditions de travail de la presse et nous remet en mémoire cette guerre fratricide qui déchira l’ex Yougouslavie, après la mort du maréchal Tito.
Ici, pas question d’en explorer les raisons et mécanismes mais plutôt de montrer le rôle des médias qui luttent contre la propagande des États, en opposant la vérité du terrain en temps réel, aux déclarations des va-t’en-guerre. La Bosnie-Herzégovine, petit pays de trois millions d’habitants, a vu un tiers de sa population s’exiler pour fuir les bombardements et une épuration ethnique… sous le regard indifférent de l’Europe, et malgré la présence des Casques bleus de l’O. N. U. 

Les trois journalistes passent en revue leurs souvenirs et rediffusent des extraits de leurs reportages en direct, ou des enregistrements de l’époque. Dans un studio de radio rebâti, Vedra Bozinovic raconte dans sa langue, la fin du film Blade Runner, pour les auditeurs de Sarajevo, privés de cinéma : ambiance apocalyptique !
On entendra ensuite Françoise Wallemacq interviewer, dit-elle, des gens «pour que d’autres puissent s’identifier à eux. » (…) On croyait que ça servait à quelque chose, que les démocraties réagiraient. (…) Elle se considère comme « une passeuse », plus modeste que Paul Marchand. Plus Individualiste que provocateur, il bravait la mort sur le front de Sarajevo. Michel Villée était, lui à Srebrenica, quand ont été massacrés huit mille hommes et adolescents bosniaques… Médecins Sans Frontières était la seule source d’information. 

Nous revivons avec eux les événements à travers leurs regards vingt-cinq ans après. Passionnant et édifiant, alors qu’une nouvelle guerre sévit en Europe. 

Dans un deuxième temps Reporters de guerre évoque le bombardement, par l’armée serbe, de la ville de Tuzla, le jour d’une fête de la jeunesse ! Soixante et onze personnes tuées, deux cents blessées : la plupart avaient moins de vingt-cinq ans…. Les interprètes essayent de faire revivre physiquement cette tragédie et sollicitent les spectateurs pour les impliquer et désignent ceux qui seront touchés par un obus. Ils vont reconstituer la mort du petit Sandro, représenté par une marionnette, dans les bras de ses parents, à une terrasse de café, un 25 mai ensoleillé de 1995…
Mais cela peine à nous émouvoir et détonne avec la première heure du spectacle où les protagonistes exprimaient leurs doutes quant à l’influence de leur travail sur le cours des événements. La force évocatrice de leurs témoignages se dilue dans le pathos et la théâtralité minimaliste quasi-documentaire se perd ici dans une démonstration laborieuse.
Mais il faut applaudir Françoise Wallemacq, Vedra Bozinovic et Michel Villée, mémoires vivantes d’un conflit trop vite oublié et représentants de ces journalistes courageux, liens essentiels entre les populations victimes de la guerre, et celles qui vivent encore en paix. 

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre Populaire de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, Montreuil (Seine-Saint Denis). T. : 01 48 70 48 90.

 

Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

 Récit choral d’un drame familial sur fond de rénovation urbaine. Trois actrices s’emparent d’un monologue, issu des rencontres de l’auteure avec des habitants du bassin minier du Pas-de-Calais, lors d’une résidence à la Scène Nationale-Culture Commune à Loos-en-Gohelle.
Dans une maison vouée à la démolition – les bulldozers se déchainent alentour (bande-son de Cédric Colin)- , une petite fille vit des jours et des nuits d’angoisse : sa mère est partie et son père s’entête à rester là où il est né. Piètre résistance face à un pouvoir sans visage, venu d’en haut.
Lichen s’inspire d’une situation vécue. «Un jour, dit Magali Mougel, je me suis retrouvée dans une concertation citoyenne pour la réhabilitation d’un quartier en face du Louvre-Lens. Un homme, seul avec ses enfants, découvrait que sa maison allait être rasée. Je ne lui ai pas parlé mais la crispation sur son visage, l’angoisse dans ses yeux de ne pas savoir de quoi demain serait fait, ne m’ont pas quittée.»

@RomainKosellek

@Romain Kosellek

Cette tragédie du quotidien nous est relatée sans pathos, transmuée par une écriture où l’autrice avec le sens du détail, crée des effets de réel. Le récit, à la deuxième personne du singulier, nous fait entrer de plain-pied dans l’histoire mais avec un peu de distance. Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno, Viktoria Kozlova, émouvantes et drôles, se partagent le rôle chacune à sa manière, soutenues par la musique d’Ayana Fuentes-Uno qu’elle joue sur le plateau. Des chansons entonnées en chœur ménagent, à la façon des «songs» brechtiens, des respirations dans cette matière textuelle à haute densité. Le trio joue aussi, toujours à hauteur d’enfant, le Père, la Mère, l’Institutrice, des hommes du chantier, en les imitant avec quelques gimmicks.

Magali Mougel dit que son texte part d’une interrogation : « Comment lutter quand a priori, il n’y a plus rien ?» Avec Lichen, elle raconte cette lutte et nous transmet la résistance qui unit une petite fille à son père. L’autrice donne voix au combat de tous ces invisibles. En une heure et demi, un oratorio théâtral réussi.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mars,Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XIème)T. : 01 48 06 72 34 16.

Le texte est édité aux éditions Espaces 34

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L’Art de la joie, d’après le roman de Goliarda Sapienza, adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

L’Art de la joie, d’après le  roman de Goliarda Sapienza, traduction de Nathalie Castagné. adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

Il fallait une certaine flamme pour réaliser à partir d’une œuvre aussi touffue, que passionnante, ce spectacle au long cours. Ambre Kahane nous fait  partager son enthousiasme pour ce roman-culte dont elle met en scène les deux premières parties. Une solide équipe d’acteurs nous embarque pour la Sicile. Nous suivons avec délices les aventures de Modesta (Noémie Gantier). Cinq heures en scène, l’actrice est cette héroïne, de l’enfance, à l’âge mûr. Une fresque avec douze comédiens et deux musiciens qui embrasse le début du XXème siècle où le sort des personnages croise l’histoire mouvementée de l’Italie.

 Farouche et insoumise, l’héroïne de L’Art de la joie, née le 1er janvier 1900 dans une famille miséreuse s’affranchit au fil du temps des préjugés sociaux et religieux dans une Sicile encore féodale. Ce texte de six cents pages ne fut édité qu’après la disparition de Goliarda Sapienza (1924-1996), grâce à l’acharnement  d’Angelo Maria Pellegrino, son dernier compagnon.

Ambre Kahan, est comédienne, notamment d’Anatoli Vassiliev, Thomas Jolly, Éric Lacascade ou encore Simon Delétang  mais n’a  réalisé à ce jour qu’une création, Ivres d’Ivan Viripaev, spectacle mort-né à cause du covid, s’attaque à ce chef-d’œuvre avec appétit,  sans jamais nous rassasier. « Modesta effectue des allers-retours entre ce qu’elle vit et ce qu’elle nomme. Il s’agit d’un livre de souvenirs et non d’un journal, dit la metteuse en scène. Pour rester dans l’excès si caractéristique de l’écriture, pour garder le tumulte, le désordre et le débordement je n’ai dans cette adaptation, opéré aucun resserrement, aucune simplification et elle se situera comme  le roman, du côté du bruit et de la fureur.»

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©Matthieu Sandjivy.

 Noémie Gantier entre en scène et entame modestement la lecture du roman, livre en main, nous présentant son personnage, avant de nous entrainer dans son enfance sulfureuse : « Me voici à quatre, cinq ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux… ». Et l’actrice-narratrice  devient cette fillette par le miracle du théâtre. Elle sera Modesta, à tous les âges de sa vie. Animée par l’appétit de liberté, dans la première partie elle est cette gamine sauvage et curieuse du sexe, entre une mère miséreuse, une sœur handicapée. Malgré un viol, des années au couvent, guidée par son instinct de survie, elle apprend vite tandis que ses sens s’éveillent. Le hasard la propulse dans les hautes sphères de la noblesse sicilienne décadente. Une ascension sociale inattendue qu’elle saisit au bond. A la fin de cette première partie haletante et très rythmée la petite plébéienne aura découvert vécu une grossesse et les affres de l’accouchement, les plaisirs du sexe, tendres avec les femmes, rudes avec les hommes et acquis sa place au soleil…Le spectacle comprend deux actes, séparés par l’entracte et les différents épisodes, enchevêtrent habilement récit et scènes dialoguées. Des intermèdes facétieux adressés au public allègent l’écriture dense et prolixe, portée par la comédienne

Le temps passant, dans le deuxième acte, Modesta, devenue une maîtresse-femme, rencontre la politique, le communisme et sera confrontée à la montée inéluctable du fascisme. Dans un monde dominé par les hommes, cette jeune sauvageonne raffinée, trouve une voie de liberté, sans jamais renoncer à ses désirs.  Noémie Gantier qu’on a vue chez Julien Gosselin, Tiphaine Raffier, et récemment dansTogether de Dennis Kelly, évolue avec une gracile aisance bien en habit, que nue. Mais elle n’est jamais vulgaire, même dans les scènes érotiques les plus torrides.

Dates et lieux s’inscrivent sur des arcades que les interprètes déplacent facilement. Accessoires et lumières animent cette scénographie mouvante, signée Anne-Sophie Grac, où des escaliers en fond de scène mènent à des espaces intimes. Une troupe bigarrée gravite autour de Noémie Gantier et se partage une vingtaine de rôles : un vieil amant viril qui initie Modesta à l’amour charnel (Serge Nicolaï), un jeune médecin idéaliste (émouvant Laurent Favier), une nonne aux appétits coupables et une princesse sicilienne tyrannique (Aymeline Alix), des servantes, et Béatrice, une jeune châtelaine (pulpeuse Élise Martin)…
Complètent la distribution Aloïs Belbachir (Tuzzu, Mattia, José, Günter), Vanessa Koutseff (Mademoiselle Inès, Carmela), Léonard Prego (Tina, Ippolito), Louise Rieger (Vif Argent, l’historienne Maria G.) , Richard Sammut (Le père de Modesta, Sœur Constanza, Pasquale, un prêtre, Soeur Clara, professeur Bernardo, Rosario), Romain Tamisier (Le Capitaine, une soeur, Licata, Vicenzo) et Sélim Zahrani (La mère de Modesta, Pietro).

Leur jeu, souvent décalé, apporte un contrepoint à l’histoire de Modesta et désamorce ce qu’il pourrait y avoir de pathos dans L’Art de la joie. Les musiciens Amandine Robillard et Romain Thorel, infusent, discrètement présents, un climat particulier à chaque scène… Ambre Kahane dirige avec bonheur cette équipe qui s’en donne à cœur-joie et qui nous offre quelques attractions pendant l’entracte… Ce spectacle créé à la Comédie de Valence, est une réussite. Nous attendons avec impatience la suite des aventures de la belle et rebelle Modesta : « La joie, écrit Gilles Deleuze, ça n’est pas être content de soi, la joie, c’est la conquête, la conquête de soi-même ou, pour un peintre, la conquête de la couleur (…) La joie est puissance de vie.»

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 10 mars à la MC93 (en partenariat avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers), 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 42 60 72 72.

 Les 16 et 17 mars, L’Azimut Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 29 et 30 mars, Théâtre André Malraux, Chambéry (Savoie).

Les 11 et 12 octobre, Châteauvallon-Théâtre Liberté, Ollioules (Var).

 L’Art de la joie est publié aux éditions Le Tripode

 

Painkiller, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

Painkiller, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

Une voix de robot accueille les spectateurs placés dans le noir et selon un dispositif bi-frontal. Comme générée par une intelligence artificielle, elle dérape quelquefois et nous précipite dans un univers insolite…
Que fait ce jeune homme dans la baignoire vide d’un businessman sur le retour ? Painkiller, un humoriste talentueux qui porte le nom de son dernier spectacle, a été, sans savoir comment, kindappé par Sadking, un magnat de l’industrie pharmaceutique et président d’un gros club de foot. Le vieil homme veut en faire son bouffon et se cache, assiégé par la presse en raison de ses magouilles. Quel salut attend-il de son otage qui a renoncé à être acteur.  Celui-ci le guérira-t-il, de la mélancolie ?

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Pauline Haudepin revendique ce huis-clos comme un«drame de salle de bains»: « Il n’est pas anodin de placer la crise d’identité de mes personnages dans ce lieu d’hygiène ritualisé où on est réduit à être un corps vulnérable.» En voix off, ils prennent alternativement la parole. «  Sadking: -C’est l’histoire d’une transaction./ Painkiller : -C’est l’histoire d’un homme qui achète un jeune homme pour le divertir et qui se rend compte que la marchandise est pourrie, que la marchandise est aussi dépressive que lui, mais c’est trop tard. »

 C’est l’histoire d’une rencontre entre deux solitudes… Painkiller et Sadking,littéralement « tue-douleur » et «roi triste» rejouent, à l’aune des angoisses contemporaines, le duo mythique du roi et de son fou, que sous-tend ici un conflit générationnel.  Pauline Haudepin tisse une fable où l’absurde côtoie l’onirisme. Son écriture acérée s’égare parfois dans un humour potache, désamorçant la tension entre cet homme mûr, à la fois répugnant et touchant (John Arnold avec le métier qu’on lui sait) et un amuseur public, désinvolte mais fragile (campé avec grâce par Mathias Bentahar).

Entre baignoire et cuvette des wc, ils se livrent à de petits numéros comiques, inversant les rôles et scellant ainsi leur connivence. Les deux compères, partis ensemble à la pêche trouveront au bout de leur ligne, une sirène rageuse et sexy (Pauline Haudepin) venue des égouts par les tuyaux de la salle de bains. Elle couvre d’invectives ce Sadking représentant la génération qui empoisonne la planète: selon elle, le monde de l’industriel pue davantage, que les bas-fonds où elle habite.

La mise en scène de Sabine Haudepin est très maîtrisée et le texte flirte avec l’absurde et le surréalisme, tout en étant ancré dans la post-modernité. Et truffé de références contemporaines:  le mot: painkiller désigne aussi les antalgiques et renvoie à une série de Netflix sur le scandale de l’usage non médical des opioïdes aux Etats-Unis. Puis, dans une chansonnette en forme de comptine, un chat pète: «Chatgpt » pour les initiés… Un jeu de rôles, bien servi par les acteurs mais l’autrice n’évite pas les facilités d’écriture ni les clichés qui collent aux personnages, opposant riche et saltimbanque, pourri et pur,  roi et bouffon, père et fille….

Pauline Haudepin nous entraîne dans un univers théâtral singulier, entre comique et mélancolie. Dans la scénographie de Constant Chiassai-Polin les lumières froides de Laurence Magnée sont de plus bel effet sur les faïences de la salle de bain et la bande son aux voix artificielles de Sarah Munro diffuse une ambiance futuriste.  Un exercice réussi mais ce Painkiller puise à trop de sources, au risque de s’égarer…
Cette jeune créatrice a du talent. Repérée dès son premier spectacle: Les Terrains Vagues (2017), un conte noir d’après Raiponce des frères Grimm, elle a été saluée par la critique pour Chère chambre en 2021 au Théâtre National de Strasbourg où elle était autrice associée. Depuis l’an dernier, elle est en résidence au Théâtre de la Cité Internationale à Paris. Une artiste à suivre.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 30 mars, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.

 

 

Festival Odyssées en Yvelines (suite) Cette note qui commence au fond de ma gorge, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

Festival Odyssées en Yvelines (suite)

Cette note qui commence au fond de ma gorge, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

Un couple s’affronte: en jeu, leur histoire d’amour. Sur ce ring, avec autour le public, qui l’emportera, Bahia ou Aref? La jeune femme lutte comme une diablesse pour retenir le musicien afghan qu’elle aime. Mais Aref ne l’aime plus et lui dit avec le peu de mots qu’il maîtrise en français. Il veut partir rejoindre ses compatriotes musiciens exilés aux quatre coins de l’Europe mais Bahia lui dit : non, nous n’avons pas fini de nous aimer…

 

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Fabrice Melquiot a écrit une joute verbale et musicale dans une langue drue, en alexandrins et décasyllabes: «Je ne voulais pas que les personnages s’expriment comme on parle,, dit-il, je cherchais une langue avec son lexique, comme la boxe a le sien, une langue technique, comme la boxe peut l’être, une langue métrée et qui sonne, comme l’éventail des coups et esquives: uppercut, crochet, side step, clinch, balayage, direct, jab, cross, hook, etc. »

Les mots sonnent fort et juste dans cette pièce écrite sur mesure pour le musicien hazara, originaire d’Afghanistan, Esmatullah Ali Zada, et la jeune actrice Angèle Garnier, tout juste sortie du Conservatoire national de P.aris. Elle attaque, le verbe haut et lui esquive, en lui opposant ses regards, son chant calme en parsi et les notes vibrantes du dambura (luth traditionnel), de l’harmonium et des tablas. La parole et la force de conviction n’ont pas prise sur le silence obstiné d’Aref. Bahia lui donne son amour mais il n’est pas prêt à le vivre, il a trop perdu et doit se retrouver. Elle enrage, attaque, supplie, et de guerre lasse, lui laisse le choix: partir, rester, ou toute autre alternative.

Le niveau de langue offre une dignité aux personnages, l’inventivité lexicale et la métrique implacable apportent un coup de jeune à la langue française. Chez la jeune actrice, rien d’empesé dans sa diction musclée, la métrique des vers lui semble naturelle. La tension du texte et la vibration de la musique embrasent cette tragédie intime. Le politique, l’inégalité sociale se glisse insidieusement entre les mots: il y a ici un fossé culturel entre les amants.

Personne ne sortira vainqueur de cette lutte à coups de vers et chants: l’exil et la perte de l’amour sont sans remède.

Écrivain et metteur en scène, Fabrice Melquiot a publié soixante pièces, des romans graphiques et recueils de poésie. Une fois encore, il place haut la barre et nous offre ici un spectacle en forme de consolation : «J’ai écrit l’histoire de ces cœurs déchiquetés, que seules des mains enfantines peuvent rafistoler.»

Jeunes et adultes ont été saisis par ce corps-à-corps verbal.

Mireille Davidovici

Odyssées en Yvelines, du 23 janvier au 23 mars, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, place Jacques Brel, Sartrouville. T. : 01 30 86 77 79

 

 

 

 

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