Livres et revues
Livres et revues
Frictions n° 39
Ce beau et nouveau numéro commence avec un éditorial de Jean-Pierre Han, le directeur de cette publication si précieuse : Une bataille politique sur le plan esthétique ? Mais de quelle esthétique, parlons-nous ? où il analyse en profondeur les problématiques idéologiques-genre roman national portées par le Puy du Fou les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques pilotées par Thomas Jolly ou par le projet au château de Chambord de Patrick Boucheron et Mohamed El Kahtib. Celui-ci, rappelle-t-il, avait conçu Stadium avec cinquante-trois supporters du Racing Club Lens. Jean-Pierre Han rappelle aussi, avec juste raison, que Le Royal de Luxe avait créé un merveilleux spectacle de « théâtre de rue », La Véritable Histoire de France. Et qu’il y a une tendance à «nous imposer un modèle de «festivalisation » du monde théâtral, un phénomène pointé du doigt et décrit par Jean Jourdheuil » Autrement dit, attention aux dérives et à bon entendeur salut.
Suivent plusieurs textes dont un de Jérôme Hankins sur Massacre des innocents : un nouveau paradoxe du comédien selon Edward Bond : des notes prises au cours des stages qu’il dirigea en France : un article tout à fait intéressant. Comme celui où Thierry Besche sur la voix à une époque où les metteurs en scène crient trop souvent que les micros H.F. Font des miracles…
Il y a aussi des textes, l’un de Noëlle Renaude sur Valère Novarina et sur Théâtre et peinture et une belle lettre de Gilles Aufray à cette «romancière poétique» qu’était Hélène Bessette (1918-2000). Voilà des lectures intelligentes mais aussi de belles photos, pour vous occuper sur les trajets mouvementés Clermont-Ferrand/Paris ou Brive-Paris ( à l’aller comme au retour) que vous offre généreusement la S.N.C.F…
Le Théâtre du Soleil Les soixante premières années de Béatrice Picon-Vallin
Avec cette édition revue, l’autrice a complété son précédent opus sur l’histoire des dix dernières années de cette compagnie fondé en 64 par Ariane Mnouchkine et quelques camarades de fac de Sorbonne. Le premier spectacle que nous en avions vu, était Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki dans l’ancienne petite salle du théâtre à Sartrouville. Souvenirs, souvenirs…
Le Théâtre du Soleil est la seule troupe avec la Comédie-Française, surtout à ses débuts et contre vents et marées, à avoir eu une une telle longévité et à être reconnue un peu partout dans le monde. Avec un fonctionnement collégial, même si Ariane Mnouchkine en est toujours restée la directrice et à quelques exceptions près, l’unique metteuse en scène.
Le Théâtre du Soleil s’est vite distingué par une approche radicalement différente du texte sous l’influence de Vsevolod Meyerhold mais aussi d’Antonin Artaud pour qui il ne s’agissait pas « de supprimer la parole au théâtre mais de lui faire changer sa destination, et surtout de réduire sa place, de la considérer comme autre chose qu’un moyen de conduire des caractères humains à leurs fins extérieures(…) Or, changer la destination de la parole au théâtre c’est s’en servir dans un sens concret et spatial, et pour autant qu’elle se combine avec tout ce que le théâtre contient de spatial et de signification dans le domaine concret.
Et le Théâtre du Soleil à ses tout débuts, a toujours joué, par choix et aussi par nécessité, dans des espaces a-théâtraux comme, entre autres, une salle de boxe pour La Cuisine d’Arnold Wesker, le cirque Médrano proche-il a, aujourd’hui, laissé place à un supermarché!-pour Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare…
Avant d’arriver dans les grands ateliers d’une ancienne Cartoucherie à Vincennes devenu depuis LE lieu mythique du théâtre français contemporain. Mais à l’époque encore à l’état de friche et dont la salle était très peu chauffée. Ce fut la création en 70, juste après Milan, de son célèbre 1789, suivi par 1793. Avec une restructuration totale de l’espace public/scènes comme l’avait fait quelques années avant Luca Ronconi avec son très célèbre Orlando Furioso dans les anciennes halles de Paris: deux architectures du XIX ème siècle A la même époque, le Round House à Londres construit en 1847 par la London and North Western Railway pour abriter une plaque tournante pour locomotives; classé monument historique, il devint en 64 , un lieu de spectacle quand lle dramaturge Arnold Wesker y fonda la compagnie Centre 42.
A la Cartoucherie Robert Moscoso puis Guy-Claude François surent admirablement tirer parti de ce bâtiment industriel aux remarquables fermes Polonceau du nom de cet ingénieur qui imagina ces charpentes en fer et V inversé, capables de résister au vent. Et d’accueillir un très grand espace scénique frontal à l’éclairage zénithal (mais en réalité électrique) qui accueilli, entre autres, les cycle de tragédies grecques et shakespeariennes. On ne dira jamais assez combien le travail de Guy-Claude François-hélas disparu-qui dirigea la section Scénographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts déco à Paris- fut exemplaire et partie intégrante de chaque spectacle créé par Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil: « Chaque chose au théâtre, disait-il, n’a de valeur que dans la mesure où l’on a besoin de l’autre pour s’exprimer. »
C’est tout ce parcours sur soixante ans ! de cette compagnie où ont travaillé des centaines d’acteurs, régisseurs, techniciens, administratifs… que retrace avec une grande précision ce livre de plus de quatre cent pages, très richement illustré de belles photos et complété par toutes les distributions. Un outil précieux pour les chercheurs et les étudiants.
Le Théâtre du Soleil, «l’honneur du théâtre français.» écrivait le grand metteur en scène Jacques Lassalle à Arian Mncouhkine.
Au chapitre des réserves: manquent, sauf erreur de notre part, un spectacle tonique Offenbach monté par des comédiens du Soleil-Ariane Mnouchkine étant malade- et joué dans une pauvre salle à Montparnasse, sans décors mais avec de somptueux costumes. Et un très court spectacle d’agit-prop Je suis le Juge et je fais régner l’ordre conçu et joué par cinq acteurs du Soleil en février 72 devant les usines Renault à Boulogne-Billancourt. Et dommage! le fameux Cortège funèbre pour la liberté d’expression du 13 mars 73 contre les phrases imbéciles de Maurice Druon, alors ministre de la Culture, organisé par le Soleil, L’Aquarium, La Tempête, la compagnie Vincent-Jourdheuil… soit juste évoqué par l’affiche en réduction et il n’y a même pas de photo…
Et on se demande bien pourquoi le texte et pis encore les notes en bas de page sont imprimés en gris; malgré un bon interlignage, une erreur évidente et cela rend la lecture fatigante. Malgré cela, et à un prix: 46 €, dépassant la barrière fatidique des quarante euros, ce livre pourra aussi intéresser les fervents du Théâtre du Soleil mais il leur y faudra de la ténacité…
Philippe du Vignal
Coédition Actes Sud / Théâtre du Soleil (2025). 46 €