Strip, au risque d’aimer ça, texte, mise en scène de Julie Benegmos et Marion Coutarel

Strip, au risque d’aimer ça, texte, mise en scène de Julie Benegmos et Marion Coutarel

Ces jeunes actrices restituent parole et points de vues de celles qui ont été un temps strip-teaseuses. Julie en ayant fait l’expérience personnelle au Théâtre Chochotte. «Une façon, dit-elle, de faire découvrir une réalité sous un angle de vue qu’il est impossible de vivre dans la réalité de nos vies quotidiennes. (…) Un club de striptease est un lieu qui génère de nombreux fantasmes. Mais on ne se doute pas que c’est en premier lieu, un monde où hommes et femmes se découvrent et se rencontrent.»

Déjà à la fin du XIXème siècle, aux Folies-Bergère, les danseuses ôtaient doucement leur costume pour créer un certain érotisme et dans la revue Pourvu qu’on rigole  en 1890, au cabaret Divan Japonais dirigé par l’auteur et critique de théâtre Edouard-Fournier, a sans doute eu lieu le premier strip-tease…
Encore très en vogue à Paris dans les années cinquante, malgré les foudres de l’église catholique, il reste à l’état de survivance et ne fait plus tellement recette à l’heure où n’importe qui peut voir des images porno sur son smartphone. Restent quelques clubs où le strip-tease est le plus souvent associé à de petites chorégraphies érotiques sur un pôle-danse où une jeune femme en « body » s’enroule autour d’une
barre verticale en faisant de remarquables acrobaties. Un exercice très physique qui, au XIIème siècle, était déjà pratiqué… par des moines en Inde.

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Nous sommes invités à descendre sur la scène par un escalier de service où il y a des petites lampes dans les angles diffusant une lumière douce, de légers tulles de couleur un peu partout, un tableau ancien représentant une femme nue. En bas, un beau piano à queue sans pianiste diffuse une musique douce…
Julie Benegmos et Marion Coutarel nous invitent à nous asseoir sur les banquettes  de la salle, ou sur quelques rangées de chaises disposées côté jardin sur le plateau que semblent préférer les plus jeunes des spectateurs. Côté cour, quelques chaises devant des «miroirs» encadré d’ampoules comme dans les loges d’acteurs, qui feront office d’écran, et un mât de pôle-danse placé sur un tapis rond…
Les actrices vont 
en trois étapes immersives (sic) , proposer au public d’entrer peu à peu dans la peau des strip-teaseuses en mêlant fiction, récit autobiographique et courts témoignages de cinq jeunes ou moins jeunes femmes ayant un temps travaillé dans ce milieu particulier que nous verrons en vidéo.

A la fin, on proposera au public d’aller sur les banquettes de la salle et se coiffer d’un casque pour se mettre dans le corps et la tête de ces professionnelles Julie Benegmos et Marion Coutarel ont une très bonne diction et une gestuelle impeccables pour nous parler strip-tease. mais bien entendu, il n’y en aura aucun véritable numéro, sauf quand l’une d’elles juste éclairée par quelques bougies ôtera soutien-gorge et slip noirs. Et, à l’extrême fin, le public aura droit à un court moment de pôle-danse. Un spectacle à la scénographie très soignée d’Aneymone Wilhelm, intelligemment éclairé par Maurice Fouilhé. Mais, petit, ou plutôt gros problème, la dramaturgie et le texte n’ont rien de convaincant. Les témoignages vidéo, même pas très bien dits, sont eux plus vivants. Bref, nous sommes restés un peu sur notre faim…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 3 décembre, Théâtre 13 Seine, 30 rue du Chevaleret, Paris (XIIIème). T. : 01 45 88 62 22.

 


Archives pour la catégorie critique

L’Amour telle une cathédrale ensevelie, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

 L’Amour telle une cathédrale ensevelie, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.  

 Point d’orgue et conclusion du focus sur Haïti des Zébrures d’automne de Limoges (voir Le Théâtre du blog), cette création a emporté l’adhésion du public. Ce deuxième volet de la Trilogie des Dépeuplés* raconte sur une soixantaine d’années, l’exil de familles haïtiennes. Elle met en scène un couple à Montréal (La Mère du Fils intrépide et Le Retraité Mari.) Et  ce Fils intrépide qui va quitter Haïti pour rejoindre sa mère partie de son île pour épouser un retraité canadien rencontré sur un site internet.

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© Christophe Péan

  Des vagues mugissantes lèchent un tulle tendu au premier plan. La mer « sans moisson» selon Homère qui sépare et engloutit. Au fond du plateau sur un praticable surélevé, un couple se dispute. La femme crache sa haine, l’homme essaye de temporiser… Face aux assauts furieux de sa partenaire, l’actrice sénégalaise Nathalie Vairac, Frédéric Fachena (qui sera remplacé dans ce rôle par François Kergoulay) a une capacité de résistance et une pertinence dans ses répliques. Leur dialogue est haché par des noirs secs et, une fois la lumière revenue, leurs corps se figent debout ,ou affalés sur le canapé et les fauteuils.

Ces arrêts sur image donnent un rythme nerveux et saccadé à cette scène de ménage en huis-clos dont nous ne discernons pas aussitôt les enjeux. Le dispositif scénique sophistiqué de Velica Panduru quadrille l’espace avec des écrans où défilent ciels nuageux et ruissellements de pluie. Elle, qui vient du soleil, parle de neige et de froid : « Je hais ton pays dit-elle, (…) Je déteste que tu me touches. Je fais tout cela pour le petit ». « C’est lui qui a fomenté tout ça, réplique l’époux: “Mère, je te trouverai un mari ! » (…) Tu parles comme une soldate, nous ne sommes plus en guerre. »

 En contrepoint de cette lutte intime, des ombres s’agitent à l’avant-scène avec des images de bateaux chargés de migrants quittant Haïti et d’autres venus de tous les continents. Ces images mêlées à quelques films d’archives sont comme des clins d’œil à l’exil qui frappe Haïti depuis toujours…  Un chœur  lyrique s’élève, accompagnant le chant du  Fils (le comédien et ténor Dérilon Fils) qui s’apprête à prendre la mer, parmi d’autres migrants…
Au solo du jeune Intrépide, répondent les passagers du bateau sur d’autres tons: soprano, mezzo-soprano, basse-baryton. Les voix se mêlent en français et créole pour dire les risques du voyage: « Sur la mer nous allés, sur la mer nous finir ! », dit le refrain…  « Canada ! Canada ! » scandent les chanteurs. Nous entendons aussi les plaintes le de ceux qui restent : « Un bateau a coulé, il faut prier… » « Mon fils est mort et moi, je ne puis l’enterrer »… « L’amour est tombé en miettes comme une cathédrale en tremblement de terre. Pleurez madame, votre enfant, votre mari. »

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© Christophe Péan

 Une invocation à Poséidon, le dieu grec de la mer, ancre définitivement la pièce dans la tragédie, avec des images de film tournées par Fatoumata Bathily et Guy Régis Jr., et des extraits du documentaire Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi. Un beau moment de théâtre musical composé par Amos Coulanges avec polyphonies baroques, oratorios et rythmes populaires haïtiens.
Cette envolée lyrique contraste avec les sonorités claires de la guitare classique ponctuant les rapports orageux du couple. 
Quand le chœur se disperse, la Mère, qui n’a plus de nouvelles de son fils depuis deux mois, s’effondre et s’avance pour un long lamento, un cri de rage et de douleur. Un saisissant final.

«J’ai écrit cette pièce en pensant profondément à ces voyages qui disloquent les liens familiaux. Car il s’agit bien, lors de ces inénarrables départs, de familles disloquées, dit Guy Régis Jr.  Cette histoire n’est pas seulement celle des Haïtiens.» L’Amour telle une cathédrale ensevelie ne sombre jamais dans le pathos, sans pour autant faire l’économie de l’émotion, et l’auteur réussit une mise en scène en images, et en musique qui donne à son écriture l’ampleur d’une tragédie. Celle bien réelle de ces milliers d’intrépides qui s’embarquent pour des eldorados illusoires.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 1er octobre au Théâtre de l’Union, à Limoges. Dans le cadre de Zébrures d’automne/ Les Francophonies des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. :05 55 33 33 67

 Du 11 novembre au 11 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T. :01 43 26 36 36

* La Trilogie des dépeuplés est publiée aux Solitaires Intempestifs.
Dans le premier volet, Étalé deux pieds devant (Le Père), une veillée accueille le cercueil d’un père, parti voilà des années aux États-Unis. Et dans le troisième volet Si à la mort de notre mère ,des années plus tard, la mère malade décide de rentrer au pays. À son chevet, le fils mal aimé, l’aîné, le Grand Frère hanté par le rêve de partir…

Poison 1 et 2 et 3 et Trahison et Antipoison ou Poison 4 conception, écriture et mise en scène d’Adeline Rosenstein

 Poison 1 et 2 et 3 et Trahison et Antipoison ou Poison 4, conception, écriture et mise en scène d’Adeline Rosenstein

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© Pierre Gondard

 Nous avions vu l’an passé, au festival de Marseille, le triptyque Poison 1,2,3 de ce laboratoire: un chantier documentaire où la metteuse en scène abordait la répression des mouvements d’indépendance (voir Le Théâtre du blog). Selon elle, aujourd’hui comme hier, les puissants sont plus forts et on a beau ruser pour saper le système, bien souvent, il vous dévore. Des compromis, à la trahison, il n’y a qu’un pas et finalement, on se retrouve de l’autre bord! Le Pouvoir a ses stratégies : le poison, une traîtrise instillée à petites doses dans les groupes rebelles, à coups d’intimidation physique et psychologique, propagande, corruption… Et bien peu de héros échappent à cette sape.

Avec ce laboratoire, Adeline Rosenstein réinterroge aussi l’héroïsme à l’aune de l’histoire officielle qui a tu l’activité des combattants de l’ombre, souvent des femmes. Elle montre quels sont ces processus, documents historiques à l’appui, mais surtout -ce qui fait l’originalité de son travail-  avec des moyens scéniques simples. Formée au travail de clown par Pierre Dubey à Genève, l’artiste suisse, aujourd’hui à Bruxelles, a appris la puissance du langage corporel. Et, à la complexité de l’Histoire, elle répond par une dialectique implacable et invente un théâtre de petits gestes. Les acteurs entrent ainsi avec légèreté dans la peau de héros mais aussi de traîtres ou demi-sel, avec des attitudes plus parlantes que les mots et des clichés pris sur le vif.

Ici aucun décor ni costume. Ils entrent dans les jeux de rôles que la metteuse en scène dirige en marge du plateau. A partir de témoignages, enquêtes historiques, documents d’archives, elle les installe dans des situations concrètes et décortique les postures qu’on adopte face à l’ennemi, et comment celui-ci réplique. Tout en analysant les rapports de force entre pouvoir et rébellion, la metteuse en scène dit aussi ses doutes quant à l’objectivité et à l’honnêteté d’une reconstitution théâtrale….

 Le spectacle programmé conjointement par les Théâtres de la Criée et du Gymnase à Marseille, adjoint un dernier opus à cette aventure artistique commencée en 2015. En première partie, des extraits des trois premiers volets de Laboratoire Poison. On y voit la trahison de certains militants du parti communiste belge, sous la torture et autres stratégies d’intimidation de la Gestapo et l’héroïsme de certains autres. Le parcours d’anciens héros de la Résistance française, devenus tortionnaires en Algérie. Ou l’arrivée au pouvoir de Patrice Lumumba son assassinat, par ses compagnons de lutte, soudoyés par les Belges et les Américains…

 Antipoison ou Poison 4 se penche plus précisément sur la part des femmes, grandes oubliées de l’Histoire, avec les figures de résistantes du PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde) et leur rôle dans la lutte de libération du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau. L’équipe s’est rendue sur place pour recueillir des témoignages sur les compagnes de lutte d’Amilcar Cabral, héro célébré, assassiné par des membres de la branche militaire du PAIGC, en lien avec les autorités portugaises, six mois avant l’indépendance de la Guinée-Bissau en 1974.

Quid de Titina Sila, tombée sous les balles portugaises, d’Ana-Maria Soares, de Teodora Inacia Gomes et des autres? Des Guinéennes ou Cap-Verdiennes, témoins directs ou indirects des événements, ont en donné leur version et sont jouées ici par des comédiennes africaines en langue locale, en portugais ou créole, avec sous-titrages. Adeline Rosenstein complexifie le propos en soulignant que la traduction est une couche supplémentaire de trahison. Mais on s’y perd un peu…

Dans cette traversée de trois heures trente, les onze interprètes se prêtent à ces démonstrations orchestrées par la metteuse en scène, décrypteuse et révélatrice d’une geste historique souvent passée sous silence. Elle leur demande de représenter, par un regard torve ou franc, une posture tranchée ou incertaine, un positionnement dans l’espace, sous des éclairages héroïsant ou dramatisant, non pas des personnages, mais des figures en action Comme des enfants jouant à la guerre avec des fusils de bois, ils prennent plaisir à mimer actes de bravoure, violence et trahison. Et le public partage l’humeur ludique et l’intelligence pétillante des acteurs de ce laboratoire qui met aussi le théâtre en question…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 12 octobre à la Belle de Mai, hors les murs du Théâtre de la Criée, 30 quai de Rive-Neuve, Marseille (Bouches-du Rhône) T. : 04 91 54 70 54.

 Les 18 et 19 octobre, La Comédie de Valence (Drôme) et les 20 et 21 octobre, Le Liberté-Scène nationale de Toulon (Var).

Du 16 au 18 novembre, Théâtre des 13 Vents, Montpellier (Hérault).

Du 9 au 12 mars, Théâtre Varia-Rideau de Bruxelles (Belgique) ; du 16 au 18 mars T2G de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et du 22 au 25 mars, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).

 

L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, de Copi, mise en scène Thibaud Croisy

L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, de Copi, mise en scène Thibaud Croisy

L’auteur acteur le plus sombre et le plus drôle de la bande d’Argentins venus faire scintiller le théâtre à Paris dans les années 1970-80, c’est lui. Et ce sont eux, Jorge Lavelli, Alfredo Arias, qui l’ont mis en scène ; Jérôme Savary n’était pas loin. Folle époque : ils ont apporté avec eux un théâtre insolent, coloré, puissant, brillant, rigoureux. Juste reconnaissance : le pays leur a confié de grandes institutions, respectivement le Théâtre National de la Colline, le Théâtre de la Commune à Aubervilliers, le Théâtre National de Chaillot, excusez du peu.
Copi a gagné son succès public d’abord avec ses bandes dessinées, dont l’inoubliable Femme assise, sentencieuse et coincée sur sa chaise, cousine plus ou moins lointaine de celle inventée par la comédienne helvétique Zouc (avis personnel, et marque d’admiration), et puis sur scène, et comme infatigable auteur d’au moins un roman ou une pièce chaque année. Survient cet Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, créé précisément au Théâtre de la Cité Universitaire (aujourd’hui Théâtre de la Cité Internationale, l’histoire continue…). On est à l’époque du FHAR, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, une minorité « gay » (les nord-américains avaient déjà lancé l’expression) opprimée militait en déployant la plus spectaculaire visibilité, avant que la lutte ne se concentre sur le front du SIDA. Mais l’homosexuel de Copi parle d’autre chose, de la marge, de l’incertitude qu’on porte en soi, de la bivalence des êtres humains et du « comment dire » pour être vrai. Ne pas oublier le sous-titre…

Venu de cette histoire passée, de cet autre monde qu’était le siècle dernier, Copi est aujourd’hui un classique. Son écriture est vive, brève, dessinée au trait –comme on parle du trait d’une flèche. Dans L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer il ne s’interdit pas les références et hommages au répertoire, avec les noms qu’il donne aux personnages : Irina et Tchekhov, le Général Pouchkine, Madame Garbo, et une Madre digne de Federico Garcia Lorca. Un procédé qui active la mémoire et l’imagination du spectateur. Avec cette écriture volontairement sans profondeur,  c’est à lui de faire le « taf » (le travail), comme dit le metteur en scène, pris à partie par tous ces combats des désirs, de la liberté et de la mort.

Et, au fait, que raconte la pièce ? Elle ne raconte rien, elle agit, ce qui est le propre du théâtre. Au centre, en « femme assise », la splendide Irina, désirée de tous, se donnant à tous, c’est-à-dire à personne, enceinte on ne sait de qui, avortée, suppliée par Madame Garbo : « partons, le traineau et les chiens nous attendent, nous rejoindrons le Transsibérien à l’aube ! », inerte, coliqueuse (et qui aura le privilège de la laver ?) et pour finir, muette, puisqu’elle s’est coupé la langue avec les dents et dégouline de sang. Tiraillée, méprisée, désirée, épuisée : on ne part pas.

Copi s’est emparé très tôt de Thibaud Croisy. Assez profondément pour qu’il s’engage dans la réédition de ses œuvres chez Christian Bourgois. Le metteur en scène s’est donné ici toutes les chances de réussite, réunissant sur le plateau cinq interprètes (un mot épicène, accordé au féminin et au masculin, bien utile chez Copi !) de générations, d’expérience théâtrales différentes, dans une mise en scène d’une élégance absolue. Chaque interprète donne le meilleur de son talent, dans une même clarté, en particulier de la diction, un même rythme tranquille et ferme qui permet à toutes les horreurs, plaisanteries scatologique ou enfantines, tragédies allant jusqu’au burlesque, de faire leur chemin dans l’âme du spectateur, saisi et admiratif. Au centre, Helena de Laurens, danseuse et comédienne, offre un corps à la fois libre et très discipliné à tout ce que subit Irina, et à ses refus enfantins (non, je ne mangerai pas ma soupe, non, je n’irai pas prendre ma leçon de piano !). Frédéric Leidgens donne toute sa grâce et sa gravité (avec un sourire intérieur) à une terrible Madre en blouse de ménagère, humble et dominatrice à la fois, dangereusement aimante… Emmanuelle Lafon charge Madame Garbo, professeure de piano, boule compacte de désir, d’une impeccable masculinité qui s’intensifie au fil de la pièce. Arnaud Jolibois Bichon, l’officier, mari de Madame Garbo, apporte une virilité sans complexes et Jacques Pieiller, général Pouchkine (!), une folie étrangère à cette « famille » tiraillée. Singuliers et ensemble…

Le vaste plateau, dépouillé de tout accessoire, à l’exception d’une grêle petite table qui joue bien son rôle dérisoire et de la fameuse chaise, permet aux interprètes une belle ampleur de mouvements, et beaaucoup de place pour la vie des mots, de la langue. Ne cherchons pas ici l’imaginaire du music-hall argentin ; mais Sallahdyn Khatir, scénographe entre autres, de Claude Régy y a pensé quand même en installant au lointains un immense rideau de lamé qui capte et redistribue à merveille les lumières dorées de Caty Olive, et un tunnel de tulle qui accompagne les entrées et sorties des personnages, mouvements opaques et transparents… C’est dire –et redire – la force et l’élégance d’un spectacle drôle parfois, souvent mélancolique, presque métaphysique.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de la Cité Internationale, Paris XIVe, dans le cadre de son Programme New setting. , à Nantes (Loire atlantique)

Du 29novembre au 1er décembre au TU-Nantes scène jeune création et arts vivants à Nantes (Loire Atlantique)

Du 23 au 26 mars à la Criée, Centre dramatique national de Marseille (Bouches-du-Rhône)

A lire : L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer suivi de Les quatre jumelles, Le Bal des folles, de Copi, avec postface de Thibaud Croisy aux éditions Christian Bourgois,

 

Rituel 5 : La Mort, mise en scène d’Emilie Rousset et Louise Hémon

 

Rituel 5 : La Mort, mise en scène d’Emilie Rousset et Louise Hémon

 Depuis 2015, ces complices ont entrepris d’analyser les rites et usages de notre société, en mêlant théâtre et cinéma avec « une collection évolutive de films et performances ». A commencer par Rituel 1, L’Anniversaire. Rituel 4, Le Grand Débat, mettait en scène, à partir d’archives, les débats télévisés pour les élections présidentielles de 1974 à 2022 (voir Le Théâtre du blog). Ici  sujet plus grave : la mort. Mais tenue à distance et vue par le prisme des métiers mortuaires: croque-mort, thanatopracteur, fabricant de cercueil… Dont l’enregistrement des interviews sera la matière textuelle du spectacle.

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© Ph. Lebruman

 Rituel 5 est réalisé dans le cadre Talents Adami Théâtre, un dispositif qui rassemble chaque année huit jeunes actrices et acteurs dans une création théâtrale. Emilie Rousset et Louise Hémon ont eu carte blanche et  sélectionné leurs interprètes à partir de deux courtes vidéos :  « une réinterprétation de la conférence de Jacques Lacan : La Mort est du domaine de la foi et une réinterprétation de la chanson de Dalida : Mourir sur scène. Entre analyse intellectuelle et vision populaire, le ton était donné.

Barbara Chanut, Mohamed El Mazzouji, Anaïs Gournay, Manon Hugny, Damoh Ikheteah, Tom Pezier, Arthur Rémi, Ophélie Ségala vont sur scène derrière des micros sur pied, reproduire les paroles des spécialistes. Certains s’adresseront à leurs partenaires, via un écran sur lequel leur visage est projeté en gros plan, comme à la télé.

Simulant une conférence par Zoom, un «anthropologue du funéraire» évoque les nouvelles manières, plus écologiques, de traiter les corps. Comme les spécialistes qui suivront, à l’écran ou sur scène, il parle en professionnel, avec force détails et en gommant toute émotion. La mort pour eux n’est ni un tabou, ni un drame, mais plutôt un gagne-pain et ils se sentent souvent investis d’une mission. Un « funeral planner » (organisateur de funérailles) est convaincu de son utilité face au désarroi des familles endeuillées: «Je m’occupe de le veuve et l’orphelin, des fleurs… » Un maître de cérémonie évoque lui les textes qu’il lit aux enterrements : Antoine de Saint-Exupéry -le plus apprécié- Charles Péguy ou Saint-Augustin: «Nous sommes des acteurs sans ego. Il faut de l’émotion, de la poésie. »

Le thanatopracteur est fier de donner un visage présentable au défunt et de s’entendre dire : «Vous êtes un artiste ! »… Un autre parle du système des pompes funèbres, municipal jusqu’en 1993, privatisé depuis. Une économie lucrative, avec de nouveaux venus comme le site Happy end qui offre des services variés, dit son concepteur. On peut ainsi acheter un cercueil ou une urne extravagants, laisser des messages post-mortem, créer une page-profil du défunt et y allumer une bougie qui se consume en trente jours… Le site propose même aux vivants des apéros de la mort… On nage en plein virtuel et cela fait une bizarre impression….

Mais l’humour n’est jamais loin dans Rituel 5, grâce au décalage entre thème et traitement,  paroles collectées et réinterprétation. Les acteurs ont travaillé à l’oreille à partir de mots non retranscrits sur papier et superposent leur oralité à celle de leurs modèles. Le glissement du hic et nunc du plateau à la l’absence-présence de l’image vidéo, ajoute une certaine distanciation….

Ces exercices de style donnent à voir de jeunes talents à la scène comme à l’écran. Et nous passons un moment plaisant avec eux. La mort : un sujet dans l’air du temps et ce spectacle en propose une approche originale et décomplexée. Mais manque à cette juxtaposition de monologues, une dramaturgie plus solide que cette séance en visioconférence proposée ici comme fil conducteur.

 Mireille Davidovici

Spectacle joué dans le cadre du Festival d’Automne de Paris, du 4 au 8 octobre, à l’Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes. T. : 01 41 74 17 07.

Babette de Philippe Minyana, mise en scène de Jacques David

 

Babette de Philippe Minyana, mise en scène de Jacques David

BABETTE

© Marie Carbonnier

 Une journée de Babette, dense, la prose de Philippe Minyana. Cette femme simple, apparemment sans histoires, nous raconte un mercredi particulier où une avalanche d’événements vient bousculer son quotidien. Son récit mêle incidents banals et faits extraordinaires comme l’apparition sans crier gare de sa fille Carmen « qu’on appelle Betty ». Bébé, elle lui avait été enlevée à la station service Shell : son retour, « un miracle ! » Et puis cet attentat au marché où deux commerçantes ont été abattues par un forcené.

Dans la foulée, elle glisse quelques confidences sur le fiasco de sa vie de couple : « Je me suis assise et j’ai dit  tu n’es pas un homme pour moi et il a dit ah là t’es vache. Et il a ajouté tu vois Babette c’est pas le moment de faire la guerre oui je t’aime t’es contente ? J’ai dit que je n’étais pas contente. Qu’on était trop différent. Il a dit tu me fais chier il est allé à la salle de bains. » Elle raconte aussi la visite d’une amie qui déprime, l’irruption de son beau-fils fin saoul, et la mort brutale de sa vieille maman.

Un trop-plein qui se déverse dans l’urgence…Le théâtre, selon Philippe Minyana, « c’est du son et du rythme, qui font sens ». On reconnaît son style musical et la densité de ses personnages, dans ce solo écrit sur mesure pour Dominique Jacquet, familière de l’auteur dont elle a joué La Petite Fille dans la forêt profonde et Anne-Marie, Tu devrais venir plus souvent : « Depuis plusieurs années, dit-elle, je fréquente ces femmes affolées terriblement humaines qui ont les pieds dans la boue et la tête dans les nuages. »

 Sous la direction millimétrée de Jacques David, la comédienne s’empare d’un texte tonique, rythmé en staccato comme une partition de musique. L’écrivain procède par collisions, juxtaposant banalités et drames, sur le ton du bavardage. En moins d’une heure, Babette, labile, raconte sa journée en une succession d’instantanés : un précipité de vie où les détails se bousculent, affects et états d’âme rentrés. Avec elle, nous traversons cette journée depuis le marché, jusqu’à l’hôpital où l’on emmène sa mère.

Devant une petit carré de pelouse quadrillé de tubes fluo, ses va-et-vient lui tiennent lieu de respirations entre les mots qu’elle enchaîne jusqu’à saturation. Cette histoire aux multiples péripéties a lieu d’un seul tenant et il n’y a pas ici de temps pour s’épancher en émotion ou chercher la complicité du public. Avec un phrasé parfait, Dominique Jacquet compose une Babette en butte aux « malheurs de la vie » mais pleine d’entrain et prête à encaisser ses chagrins comme à s’amuser d’anecdotes futiles:  «Dans la rue, j’ai vu une pintade, à moins que ce soit la postière.» L’actrice « est » Babette et fait siens ses mots crus, son humour, sa capacité de résilience et sa sensibilité cachée. Une belle personne brillamment incarnée…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 8 décembre, les jeudis seulement ,à 19 h, La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rembobiner, d’après les films de Carole Roussopoulos, mise en scène du collectif Marthe

Rembobiner, d’après les films de Carole Roussopoulos, mise en scène du collectif Marthe: Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Itto Mehdaoui

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© Théâtre du Point du Jour

 Les fondatrices de ce collectif aujourd’hui implanté aujourd’hui à Saint-Etienne où elle ont fait leurs études de théâtre, mettent au centre de leurs créations  la question des féminismes. Plutôt que jouer des pièces écrites où elles ne se reconnaissent pas, elles s’inspirent d’ouvrages théoriques et matériaux de recherches, pour «re-parcourir des histoires oubliées, tues, cachées, petites, insignifiantes et tricoter une théâtralité singulière ».

 Rembobiner nous replonge au cœur des luttes d’émancipation des années soixante-dix et le collectif explore les documentaires de Carole Roussopoulos. La vidéaste franco-suisse a tourné avec le Portapak, tout premier enregistreur vidéo portable qui a aussi révolutionné le cinéma de Jean-Luc Godard. Contrairement son compatriote -dont on nous lit ici une lettre moqueuse- elle avait la modestie d’une passeuse : « Tu prends la balle et tu la passes ! disait-elle. Tu filmes, tu montes et tu montres. »  Carole Roussopoulos  a travaillé jusqu’à sa mort en 2009 à retracer les luttes de son époque. Principalement celles des femmes avec les manifestations pour le droit à l’avortement ou l’occupation de l’église Saint-Nizier par des prostituées lyonnaises lors de leurs premiers états-généraux. Elle a aussi filmé des agricultrices, conchylicultrices, aides-soignantes ou stars… Dans une centaine de documentaires, elle donne la parole aux sans voix et trace le portraits de personnalités.  Avec l l’actrice Delphine Seyrig, elle fonda Les Insoumises, un collectif qui créa des vidéo-pamphlets comme Maso et Miso vont en bateau.

Nous ne verrons pas d’extraits de ces vidéos mais elles sont ici le socle d’une forme théâtrale inventive et ludique. Marie-Ange Gagnaux, à la régie, manipule à vue un magnétoscope et projette avec des transparents, dessins humoristiques ou photos. Plan après plan, elle annonce et commente, et, à l’occasion, interviewe les femmes filmées par la vidéaste, interprétées par Itto Mehdaoui ( en alternance avec Aurélia Lüscher).

La comédienne a l’art de reproduire accents et phrasé de ses personnages. Elle incarne Monique Piton, la pasionaria des « Lip ». Au début des en 1973, les ouvrières et ouvriers occupèrent l’usine montre de Besançon et une marche mémorable sur Besançon réunit 100.000 manifestants venus de la France entière. Puis l’entreprise entra en autogestion: « Le jour où on a remis en route l’usine, c’était merveilleux, dit-elle (…) Des femmes, on n’en parle pas assez, elles font un très gros travail » . Perchée sur une chaise, elle se grime en Pierrick pendant une A.G. du Front Révolutionnaire Homosexuel (F.H.A.R.) : « J’ai trois frères et deux sœurs et je suis pédé. J’ai quinze ans. » Elle se prêtera à une avortement clandestin, organisé par le M.L.A.C. (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), ou joue une passante, qui s’exclame, lors d’une manifestation pour l’avortement :« Y’a qu’à pas baiser ! »,.. Une galerie de portraits dont le plus connu :  l’actrice Jane Fonda racontant le formatage subi par les vedettes hollywoodiennes….

 Jamais nostalgiques, les metteuses en scène procèdent par arrêts sur image et restituent avec humour, une époque et ses luttes. Presque cinquante ans après, ces paroles n’ont rien perdu de leur acuité et se prolongent aujourd’hui dans les revendications de # Metoo. A une différence près: ces luttes étaient joyeuses et les militantes inventives et impertinentes.

Le spectacle, conçu pour être itinérant et joué dans des lieux non théâtraux, permettra à d’autres publics d’interroger, à l’aune de cette mémoire, les féminismes et les combats LGBT actuels. Merci au collectif Marthe.

 Mireille Davidovici

Du 5 au 19 octobre, Théâtre L’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 Square de de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris ( IX ème) T. : 01 53 05 19 19.

 Le 22 octobre, Théâtre des 13 Vents, Montpellier (Hérault).

Du 6 au 10 novembre, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (Rhône) ; du 14 au 19 novembre, MC2 Grenoble (Isère) .

Le 9 mars, La Passerelle, Saint-Just-Saint-Rambert (Loire) ; les 16 et 17 mars , Centre culturel de la Ricamarie (Loire).

Le 9 mai, Auditorium de Seynod, Annecy (Haute-Savoie).

 

 

Dafné , composition de Wofgang Mitterer, direction musicale de Geoffroy Jourdain, mise en scène d’Aurélien Bory

Dafné , composition de Wofgang Mitterer, direction musicale de Geoffroy Jourdain, mise en scène d’Aurélien Bory

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© Aglaé Bory

 Les Métamorphoses d’Ovide ont fait la renommée de la nymphe Daphné, changée en laurier pour échapper à Apollon qu’une flèche de Cupidon a rendu fou d’amour. Ce mythe a inspiré bien des artistes dont, en 1627, Heinrich Schütz, initiateur en Allemagne du théâtre musical. De son Dafné, reste le livret du poète élégiaque Martin Opitz (1597-1639) mais la partition de cette pastorale a brûlé dans l’incendie de la bibliothèque de Dresde.

 Geoffroy Jourdain, directeur des Cris de Paris, passionné par les polyphonies de la Renaissance, en ressuscite la musique à partir de ce livret, avec une partition de Wolfgang Mitterer. Un compositeur aux registres variés, du contrepoint baroque, au jazz fusion et la l’électro-acoustique. Cette Dafné, né d’une étroite collaboration entre le compositeur et le metteur en scène, est un madrigal choral contemporain, où avec de nombreuses citations musicales, plane le fantôme d’Heinrich Schütz.

Les chanteurs sont à la fois narrateurs et protagonistes de cette histoire ;de leurs voix plurielles, se détachent parfois des solos ou duos. La musique et le chant sont distribués dans un dispositif acoustique multicanaux qui brouille la frontière entre sons directs et enregistrés…

 Au prologue, Ovide, revenu des Enfers, se vante: « C’est grâce à moi, que l’on aime comme il sied, et c’est à moi aussi, que l’on doit de ne pas aimer. ». Comme le montrera l’histoire de Daphné. Sur un très grand plateau tournant noir, figurant une cible géante, douze chanteurs-instrumentistes en costume sombre forment un chœur. Tantôt mixte, tantôt en deux clans : hommes et femmes. La mise en scène suit la dynamique d’une partition aux harmonies baroques, écrite pour voix, instruments à vent et percussions, traversée par des dissonances et prolongée par des échos électroniques.

 La symbolique de l’arc et de la flèche court tout au long du spectacle. Des flèches qui s’abattent comme une grêle divine depuis les cintres, quand Apollon et ses multiples viennent délivrer les bergers d’un monstrueux dragon,  au carquois de Cupidon, fils de Vénus. Ici incarné par un petit garçon. «Que fais-tu, enfant délicat, avec ces armes puissantes ? », se moque Apollon, malgré les mises en garde de Vénus. Cupidon frappera le prétentieux de son dard et le rendra follement amoureux de Daphné : « Vous verrez les larmes et les soupirs provoqués par le mal d’amour. » Aucune médecine ne pourra le guérir et la nymphe le fuit, représentée ici par une troupe de jeunes femmes chassant un cerf…`

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 Dans sa scénographie dépouillée, Aurélien Bory, joue de la géométrie circulaire du plateau et des couleurs. Le courbes et le cercles qui prévalent dans la décor de Pierre Dequivre, contrastent avec la verticalité des flèches. Du noir ambiant, se détachent le rouge de l’amour: la robe de Vénus et le costume de son fils, et les rayons blancs autour des têtes d’Apollon multiple.

Les chanteurs se rassemblent en lignes ou par petits groupes, toujours en mouvement sur des anneaux concentriques tournant indépendamment les uns des autres dans le même sens, ou non… Courses rapides et arrêts brusques alternent dans un ballet incessant où voix et corps s’enchevêtrent, sans effets anecdotiques pour accompagner la chasse au dragon d’Apollon, sa course derrière Daphné ou la métamorphose finale en végétal de la nymphe.

Figée à jamais dans sa carapace d’écorce, ultime refuge contre l’irrépressible désir masculin, cette vierge rebelle symboliserait le combat des femmes d’aujourd’hui. Cette création, inventive et épurée, portée par l’ensemble musical de Geoffroy Jourdain et la compagnie d’Aurélien Bory, a été chaudement applaudie et mériterait d’être reprise au-delà des quelques dates programmées.

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 29 septembre au 7 octobre, Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris (IX ème) T. 01 53 05 19 19.

Les 20 et 21 janvier, Opéra de Reims (Marne) et le 27 janvier ,Atelier lyrique de Tourcoing (Nord).

Le 1er février, Opéra de Dijon (Côte-d’Or) ; les 15 et 17 février, Théâtre Garonne, Toulouse (Haute-Garonne).

 

 

 

 

Sorcières d’après le texte de Mona Chollet par le collectif À définir dans un futur proche

Sorcières d’après le livre de Mona Chollet  par le collectif À définir dans un futur proche

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©Julien Mignot

 Cette « lecture musicale », créée au Théâtre du Rond-Point en 2019 avec une vingtaine d’actrices et musiciennes d’âge et d’horizons divers, fait entendre les morceaux choisis d’un essai* qui fit date. Selon le collectif : « Qui mieux que la sorcière et sa résurgence dans des incarnations contemporaines (la femme sans enfant, la célibataire, la femme aux cheveux blancs…) Et il interroge les normes dominantes qui pèsent et modèles les féminités.»  Repris ici pour quinze représentations, le spectacle est chaque soir différent, en fonction des interprètes: quatre actrices et deux musiciennes.

 Ce soir, Anne Pacéo avec sa batterie et dans des lumières mode concert, grâce à sa voix puissante et mélodieuse, introduit la paradoxale nature de la sorcière: à la fois féminine et rebelle, attirante et repoussante… En écho, Garance Marillier évoque « les siècles de souffrance », les chasses aux sorcières et les tortures subies par celles qui sortaient de la norme. L’ouvrage de Mona Chollet comporte une importante partie historique, où on apprend, entre autres choses , que des « piqueurs », cherchaient, avec des aiguilles, la marque du diable sur le corps des femmes…

Après un chant à la guitare façon blues, de la Canadienne Mélissa Laveaux, vient Anna Mouglalis. L’extrait qu’elle lit, évoque la soumission des femmes vouées au don de soi et au service des hommes, au détriment de leur propre réalisation. Elle incite à en finir avec la domination masculine : « Vous avez des capacités. Vous avez des rêves ! » Clotilde Hesme, à son tour, parle de la maternité imposée à la femme: « La destination de la femme est d’avoir des enfants et de les nourrir », lit-on dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Certaines comme Mona Chollet, revendiquent le choix de ne pas avoir d’enfant : «Dans ma logique, ne pas transmettre la vie permet d’en jouir pleinement. » Aure Atika clôt le spectacle, avec un passage sur le « diktat de l’éternelle jeunesse » dont sont victimes les femmes, leur « obsolescence programmée » dès quarante- cinq ans… Mais on peut désobéir :« Etre fille et pas forcément gracieuse. « Et les femmes, dit Susan Sontag, devraient permettre à leur visage de raconter la vie qu’elles ont vécue.Les femmes devraient dire la vérité. »

 D’autres comédiennes seront les sorcières d’un soir : Ariane Ascaride, Suzanne de Baecque, Jennifer Decker, Constance Dollé, Valérie Donzelli, Claire Dumas, Marie-Sophie Ferdane, Éyé Haïdara, Irène Jacob, Annabelle Lengronne, Christiane Millet, Florence Muller, Grace Seri. Et les musiciennes : Lucie Antunes, Fishbach, Franky Gogo, Léonie Pernet, P.R2B, Clara Ysé, Yoa

 Sans prétention de mise en scène, les textes, mis bout à bout et ponctués de moments musicaux, rendent compte d’un livre érudit, et qui développe un féminisme argumenté. Ce manifeste militant permet de raison garder dans la cacophonie des brûlots agressifs distillés par les réseaux sociaux et la presse. Merci à toutes ces artistes de faire passer le message avec humour et impertinence.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 9 novembre, les mardi et mercredi à 19 h. Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVlll ème). T. : 01 46 06 49 24

* Sorcières, la puissance invaincue des femmes, éditions Zones (2018).

Et pourquoi moi je dois parler comme toi, montage de textes d’Anouk Grinberg, mise en scène d’Alain Françon, musique de Nicolas Repac

Et pourquoi moi je dois parler comme toi, montage de textes d’Anouk Grinberg, mise en scène d’Alain Françon, musique de Nicolas Repac

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© Tuong-Vi Nguyen

 La comédienne nous avait donné une première version de cet étonnant spectacle lors des Langagières 2019, au T.N.P. à Villeurbanne ( voir Le Théâtre du blog), accompagnée, comme aujourd’hui, par le compositeur Nicolas Repac. Une immersion dans la littérature dite brute comme l’art mis en lumière par le peintre Jean Dubuffet.  Depuis mis en scène par Alain Françon à la Colline, le spectacle s’est étoffé d’un décor et d’une chorégraphie. Anouk Grinberg coiffée d’un chapeau est vêtue d’un costume sans âge aux allures androgynes. La force de cette performance reste les paroles des anonymes hospitalisés et enfermés dans leur folie : Babouillec, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber,  Hernst Herbeck,  Jacqueline, Lotte Morin Jego Hestz, Jules Pages, Marguerite de Pillonel,  Justine Python, Romain, Jeanne Tripier,  Adolf Wölfli… Et subrepticement, des textes d’Henri Michaux, Robert Walser ou Emily Dickinson.

 Avec sa sensibilité à fleur de mots, sur les notes discrètes du musicien, Anouk Grinberg fait entendre la colère et la douleur de ceux que l’ont dit aliénés. Elle rend inoubliable la révolte de Jeanne Tripier, enfermée douze ans à l’hospice de Maison-Blanche : « Maison barbare et par trop mortifère  rien ne vaut la liberté des peuples qui s’entretuent  nous sommes toutes plus ou moins mortes vivantes. Il fallait attendre la venue de Malbrough s’en va-t-en guerre mais ne sait quand il reviendra.» Ou celle de Lotte : «Il est nuisible de me séquestrer. Pourquoi des brigands transforment en prison ce que l’Etat appelle hôpital? » «  Il n’avait pas le droit, on n’est pas folles », écrit Justine Python depuis Maison Blanche ». On entend aussi Aloïse Corbaz, dite Aloïse (1886-1964), hospitalisée jusqu’à sa mort pendant cinquante-sept ans, la plus célèbre des artistes d’art brut, exposée par Jean Dubuffet. 

 Anouk Grinberg fait parler haut la poésie avec un timbre de voix ferme aux tonalités enfantines, mais aussi la liberté paradoxale de ces «aliénés», comme l’exprime Babouillec. Cette jeune femme de trente-sept ans a été diagnostiquée « autiste très déficitaire ».«Très déclarée sans paroles. Je tue mes démons silencieux dans les tentatives singulières des sorties éphémères de ma boîte crânienne. (…) J’invite au voyage des sens interdits (…) L’écriture est mon arme secrète. J’adore appuyer sur la gâchette, balancer des munitions pour faire péter le son et me faire entendre. Je suis libre dans ma tête et ce souffle qui porte la vie, je l’ai en moi et dans le silence du fond de mon corps, je pousse ce cri. ».

Anouk Grinberg poursuit, avec plus de légèreté : « Lily, la roue tourne, la route s’ouvre, vivre le destin n’est pas chose facile », sur une balade à la guitare jouée par Nicolas Repac.  Elle montre avec une  ardeur communicative, que la différence entre ces auteurs dits « fous » et les autres, est infime comme l’écrit Jean Dubuffet : « La folie allège son homme et lui donne des ailes et aide à la voyance. (…) qui est normal? Où est-ce qu’il est, votre homme normal ? Montrez-le-nous! L’acte d’art, avec l’extrême tension qu’il implique, la haute fièvre qui l’accompagne peut-il jamais être normal ? »

 Les textes recueillis par Anouk Grinberg désormais édités, sont d’une telle puissance qu’ils auraient pu se passer d’une mise en scène superfétatoire et d’un jeu parfois trop forcé. Reste la justesse et l’engagement des interprètes, leur belle complicité… Le spectacle devrait gagner en nuance au fil des représentations.


Mireille Davidovici

 Jusqu’au 16 octobre,Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).  T. : 01 44 62 52 52.

Prospectus et tous écrits suivants de Jean Dubuffet éditions Gallimard.

Et pourquoi moi je dois parler comme toi, Ecrits bruts (et non bruts), réunis par Anouk Grinberg, sont publiés aux éditions Le Passeur.

 

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