Le Repas de Valère Novarina

 Le  Repas de Valère Novarina, mise en scène de Thomas Quillardet.

 Le Repas, qu’écrivit Novarina il y a quelque quatorze ans, est une petite merveille qui n’aurait rien à voir avec le théâtre et qui pourtant en est une des plus belles illustrations  contemporaines. On a l’intuition que ce grand poète, dont la mère était comédienne, n’avait pas trop envie, même pas du tout envie d’écrire du théâtre, disons normal avec de vrais personnages, quelque chose qui ressemble à une action dramatique, etc… comme le laissait entrevoir déjà mais timidement La Fuite de Bouche que nous avions vu  à Marseille monté par Maréchal,dans les années 70.
  Bien conseillé par Bernard Dort-notre très intelligent maître à tous disparu ( Jacques Livchine, Edith Rappoport notre consœur blogueuse, Laurence Louppe, du Vignal… ne diront pas le contraire) qui a su nous inculquer les principes (les fondamentaux comme on dit maintenant) d’une bonne dramaturgie- Novarina a persisté et  a signé toutes une série de « pièces » où il a donné le rôle principal au langage, jusqu’à en faire acte théâtral. Ce qui ne va pas, sans un travail exemplaire d’écriture où la langue française, retravaillée, revisitée offre ce qu’elle a de meilleur à consommer, comme un repas ( ! ) d’une saveur incomparable…
  C’est d’autant plus vrai avec cette pièce qui se joue autour d’une grande table en verre dotée d’assiettes  et de verres à pied, avec un gros bocal où un poisson rouge passe et repasse pendant tout le spectacle, seule concrétisation – vivante- de la nourriture et paradoxalement impossible à manger. Pas de véritable personnage- ce que révèle déjà la distribution: La  Personne creuse,le Mangeur d’ombre,La Bouche Hélas, L’homme Mordant ça, Jean qui dévore Corps, La Mangeuse ouranique, L’Enfant d’Outre Bec, L’Avaleur Jamais Plus.
  Pas de véritable dialogue non plus, pas  l’ombre d’un scénario. Mais la mise en scène de Thomas Guillardet, qui a su prendre comme fil rouge ce jeu permanent sur et avec le langage imposé par Novarina, fonctionne pourtant très bien, sans doute parce qu’elle s’appuie sur un travail exemplaire sur le texte et les chansons Le dernier quart d’heure, c’est vrai, patine un peu, sans doute à cause des plusieurs fausses fins de la pièce qui cassent un peu le rythme, malgré l’énergie restée intacte dnovrepas1.jpges comédiens.
  Ce que le metteur en scène a su bien mettre en valeur, c’est  la valeur,le trésor inestimable de la parole chez l’être humain, même et surtout peut-être quand elle devient illogique, absurde et bancale, qu’elle soit parlée, récitée ou chantée, individuelle ou collective, dans une immense jouissance  souvent inconsciente et inaliénable de la vie. Mais il y a aussi la face plus sombre de la pièce, où, derrière cet immense déflagration de mots,  se cache une réflexion sur notre passage sur terre et sur la mort qui obsède Novarina. Comme semble, dès le début, nous en avertir ce squelette peint en noir très kantorien, dont le crâne coupé en deux se révèle être une boîte à proverbes absurdes.
   Il y a entre le public appelé à participer,comme Savary le faisait du temps de son Magic Circus, et les comédiens de ce Repas un même désir de s’offrir un vrai moment de bonheur. En ces temps de misérables duels  politiques, et quand Le Monde- notre Monde à tous- ose publier dans un même numéro trois articles sur Carla Bruni, cet immense délire poétique de premier ordre fait du bien par où cela passe. C’est aussi ce qu’avaient compris cette année de jeunes metteurs en scène talentueux comme Marie Ballet ou Thomas Poulard., attirés par l’univers  de Valère Novarina.
  D’autant que Thomas Quillardet a su s’entourer d’une remarquable équipe de comédiens qui  se sont emparés du texte comme d’un véritable cadeau, mais en acceptant la grande rigueur verbale et gestuelle que leur a imposé leur metteur en scène. Olivier Achard, Aurélien Chaussade, Maloue Fourdrinier, Christophe Garcia, Julie Kpéré et la plus jeune sans doute qui mène le bal, Claire Lapeyre-Mazerat , issue comme Thomas Poulard de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot: elle a abandonné le porte- jarretelles et les paillettes du Cabaret de Bob Fosse qu’elle a joué pendant plus d’un an, mais  joue, chante et danse avec ses camarades avec le même savoir-faire et un plaisir communicatif, sous la houlette efficace du musicien Sacha Gattino qui  sait les diriger de près, du haut de son balcon. Le public ne s’y trompe pas qui leur fait à tous une véritable ovation.
  A voir? Oui, absolument; contre-indication aucune: sauf allergie aux jeux sur le langage.

Philippe du Vignal

 

Maison de la Poésie


Archives pour la catégorie critique

Après la répétition

 S’agite et se pavane, texte d’Ingmar Bergman, mise en scène de Laurent Laffargue


Deux Bergman dans la semaine! Ainsi va la vie théâtrale dans la région parisienne.  (Voir notre précédent article sur S’agite et se pavane de Célie Pauthe.  Rappelons rapidement que le célèbre scénariste et réalisateur suédois, mort l’an passé, a commencé par être metteur en scène et a continué à l’être, qu’il a écrit plusieurs pièces et dirigé plusieurs grands théâtres. Et les textes  de Shakespeare et de Strindberg ont toujours été ses compagnons de route..
La  scène, avec tout son charme et les relations ambigües qu’elle entretient avec la vie quotidienne, n’a donc guère de secrets pour lui, et nombre de ses films racontent des histoires de gens du spectacle (Persona, Le Septième Sceau, Fanny et Alexandre ou La Flûte enchantée). Sans doute,  trouvait-il dans cet univers  une sorte de microcosme de la société qui l’aura beaucoup inspiré.  » L’art du théâtre, disait déjà  Chikamatsu Monzaemon, se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas la vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge ».
Bref, le théâtre dans le théâtre, cela date du seizième siècle mais, c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes, et Bergman a su magnifiquement appliquer ce vieux proverbe cantalien. Laurent Laffargue, lui, non plus, n’a pas oublié la leçon, puisqu’il a repris les dialogues de ce texte original prévu pour la télévision…. et c’est, disons- le tout de suite, c’est assez remarquable.
Cela se passe sur une scène déserte, après l’effervescence d’une répétition. Quelques éléments de décor, une grande armoire, une table, une  servante ( ampoule unique sur pied qui sert d’éclairage permanent sur scène hors services), un canapé, quelqu
bergmann.jpges chaises. Il y a d’abord une vidéo où l’on voit les comédiens répétant Le Songe de Strindberg, pièce fétiche du metteur en scène Heinrik Vogler qui est resté seul sur scène, en proie à ses doutes personnels et professionnels, aux décisions irréversibles qu’il doit prendre comme chef de troupe, à la peur de la vieillesse et à la mort qui va arriver.

Une jeune comédienne, Lena, pénètre sur scène pour rechercher un bracelet qu’elle aurait oublié mais dans le but évident de lui parler. Ils vont effectivement beaucoup parler  ; c’est à la fois une sorte de cours magistral de théâtre (cela rappelle le très bel Elvire-Jouvet 40 de Brigitte Jaques), une sorte de confession  intime où ils parlent beaucoup, en particulier de sa mère à elle, Rakel dont on comprend qu’elle a vécu autrefois avec Heinrik.
Rakel, une actrice d’une quarantaine d’année, en perte de vitesse qui a sombré dans l’alcool et qui voudrait  qu’il lui donne encore une chance,  arrive, ivre et désespérée dans ce huis clos scénique.  Pathétique, elle lui propose aussi de lui faire l’amour tout de suite, dans les coulisses; Heinrik essaye de lui dire avec beaucoup d’égards que leur histoire amoureuse et professionnelle est bien révolue.

Même si, mensonge ou réalité, il l’assure qu’il pense chaque soir à elle … Quant à Lena, elle reviendra voir Heinrik pour se confier à lui: elle lui parle  des relations difficiles qu’elle entretient avec son jeune amant qu’Henrik  déteste cordialement  et lui avoue qu’elle est enceinte. Henirik , furieux,explose, sans doute par jalousie (on sent très vite qu’il a une tendresse particulière pour Lena qu’il a connu toute petite)  mais aussi parce que cela va amputer son spectacle d’une bonne partie de ses représentations… Lena,très calme, lui annonce alors qu’en réalité, elle s’est faite avorter pour pouvoir enfin jouer sous sa direction.Il trouve alors que sa décision était stupide, mais elle lui précise que le choix  ne venait pas d’elle. Ce qui  va les rapprocher encore un peu plus ,et ils finiront  vite par vivre ensemble, malgré tout ce qui les  sépare. Et Heinrik, alors, va lui raconter , très calmement,mais avec beaucoup de tristesse, ce qui va se passer ensuite, comment leur magnifique amour va sombrer petit à petit; il lui en décrit même, sans aucune illusion, les étapes irréversibles.. Voila, c’est tout et c’est très beau : il faut relire le texte de Bergman; il dit des choses magnifiques sur le théâtre et sur notre vie à tous.

Quant à la mise en scène de Laurent Laffargue, on sent qu’il y a mis le plus profond de lui-même et qu’il a dirigé ses comédiens avec beaucoup de savoir-faire et de sensibilité. D’abord, Didier Bezace, acteur, metteur en scène et directeur du Centre dramatique d’Aubervilliers (en banlieue parisienne). Choix intelligent…  Didier Bezace connait son personnage! Il est d’une présence, d’une sensibilité et d’une précision étonnante, surtout, quand il lui faut rejouer chaque soir ce personnage tourmenté; il passe par tous les registres: la colère, la solitude,les doutes permanents, le vertige métaphysique, l’affection nostalgique qu’il éprouve pour Rakel mais aussi son embarras à refuser les propositions de Rakel, l’attirance érotique pour Lena; bref, c’est assez  rare et mérite d’être souligné. Fanny Cottencon est toute aussi vraie et juste dans sa souffrance et son angoisse exaspérée,même si son rôle est moins important et Céline Sallette, qu’on avait pu voir dans la série des Maupassant,  sait jouer très finement  aussi sur  une remarquable palette de sentiments. Bref, on ne rencontre pas tous les jours une distribution aussi pertinente et aussi harmonieuse.

On oubliera vite les gros plans des personnages par vidéo interposée ( cela devient actuellement une véritable manie ( le récent Songe d’une nuit d’été de Yann-Joël Collin, comme dans nombre de spectacles), comme si les belles images de Laurent Laffargue  et les lumières de Patrice Trottier ne se suffisaient pas à elles-mêmes;  on oubliera aussi la double tournette -absolument inutile-recyclée d’un de ses précédents spectacles. Cela dit, la mise en scène est d’une très grande qualité, et Patrice Martinet, le directeur de l’Athénée, a eu encore la main heureuse dans ses choix.
A voir ? Oui, absolument, que vous connaissiez déjà Bergman au théâtre ou seulement par ses films, ou pas du tout. Aucun temps mort , aucun bavardage: tout est dit en une heure et demi.


Philippe du Vignal

Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet jusqu’au 6 décembre inclus. Après la répétition en tournée: 9,10 décembre à  Rueil-Malmaison; le 12 décembre à Chelles, puis du 31 mars au 8 avril au Théâtre national de Bordeaux; le 7 avril à Arcachon; le 9 et 10 avril à Bayonne; le 14 et le 15 avril à Angoulême,le 24 avril à Tarbes; le 24 et 25 avril au Mans et le 2 mai à Agen.

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S’agite et se pavane d’Ingmar Bergman, mise en scène de Célie Pauthe

S’agite et se pavane  d’Ingmar Bergman, mise en scène de Célie Pauthe.

  Ingmar Bergman était né en 18 et est mort l’an dernier, le même jour qu’Antonioni…. Mais on oublie souvent que l’immense scénariste et réalisateur (Le septième Sceau, adapté d’une de ses pièces, Peinture sur bois, Cris et chuchotements, etc.) était aussi auteur dramatique. Il avait commencé par faire du théâtre et très jeune ,avait monté Shakespeare, Strindberg et plus tard, Ibsen, Lorca, Albee… Il avait aussi dirigé de grands théâtres comme ceux d’Helsinki, Malmö et le théâtre Royal de Stockholm.
  Le titre de la pièce est repris de la célèbre réplique de Macbeth: « La vie n’est qu’un ombre errante, une pauvre comédie qui s’agite et se pavane une heure sur scène et qu’ensuite, on n’entend plus, une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien ». C’est ici l’histoire de l’ingénieur Karl Akerblom, l’oncle de Bergman; le personnage est mythomane ; atteint de délire, il  a dû être hospitalisé dans un établissement psychiatrique. Il va y rencontrer un médecin à bergman.jpgqui il raconte son obsession pour Schubert.
Sa fiancée arrivera à le faire sortir de l’hôpital et à tourner un film qui sera projeté dans la salle municipale de sa ville natale.Mais il y a une coupure de courant et c’est le théâtre qui succèdera au cinéma dans une sorte d’aller et retour ontologique. La pièce oscille sans cesse entre onirisme et réalité, entre  vie quotidienne et quête d’absolu . Comme dans ses films, il y a une présence permanente de la mort qui hantera toute sa vie Bergman.

  La  pièce est étrange et a un certaine difficulté à prendre son envol; malgré ses qualités de scénario, elle s’englue souvent dans le bavardage, et parait bien longue (deux heures). Nous ne connaissons pas le film de Bergman qu’il en avait tiré et qui est difficile à voir.
Roger Planchon, pourtant avec Jacky Berroyer dans le rôle de Karl, s’ était cassé les dents sur cette pièce, il y a quelques années.
Célie Pauthe, avec une mise en scène  et une direction d’acteurs très précises- qu’on avait déjà pu voir dans L’Ignorant et le Fou de Witkiewicz réusssit à créer un univers bergmanien. Comme ses comédiens ( en particulier Marc Berman, Serge Pauthe, Karen Rencurel , Philippe Duclos) sont tout à fait bien, on finit par entrer dans cet onirisme étrange, surtout vers la fin, bien que la salle du nouveau théâtre de Montreuil ait été plutôt vide de spectateurs, ce qui ne rend pas les choses faciles pour les comédiens.

  Quant au Nouveau Théâtre de Montreuil, c’est encore un travail d’architecte en manque d’inspiration qui a voulu innover- et c’est assez redoutable quant à la distribution des espaces, la couleur rouge foncé et les lumières parcimonieuses. Quelle prétention! En particulier, dans  la décoration  du bar,  ou dans celle des lavabos déjà usés après quelques mois de fonctionnement! Cela dépasse même ce que Stark avait réalisé pour l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs; on ne dira jamais assez cette espèce de folie qui s’empare des architectes contemporains, quand ils ont à construire un grand théâtre!
A visiter absolument, si on veut avoir une juste idée de la création de grands espaces…

Philippe du Vignal

Nouveau Théâtre de Montreuil, direction Gilberte Tsaï, jusqu’au 21 novembre et reprise du 11 au 20 décembre.

Le texte de la pièce est édité chez Gallimard.

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ . ateliers Berthier 15 novembre par Edith Rappoport

 

De William Shakespeare, mise en scène Yann-Joël Collin, compagnie La nuit surprise par le jour

“Berthier n’est plus qu’un vaste bazar. Yann-Joël Collin, dès avant l’été avait annoncé son intention de brouiller la distinction entre scène et salle, espaces réservés au public et zone consacrée à l’aire de jeu”…Le songe d’une nuit d’été est ma pièce préférée de Shakespeare depuis le lycée de Saint Germain en Laye, une dissertation pour Madame Boutang et des souvenirs fulgurants parmi d’autres des mises en scène de Mnouchkine au cirque Médrano dans les peaux de chèvre, de la blancheur immaculée de Peter Brook et ses trapèzes au Théâtre de la Ville et plus récemment celle du Footsbarn sous chapiteau à la Cartoucherie dont j’ai parlé dans ce blog.

C’est une vraie troupe qui a escaladé courageusement ce pic avec l’axe bienfaisant du désordre et des acteurs qui se donnent à fond. On pénètre dans une salle en U, un grand bar sert à boire et à manger, on est filmés qur grand écran dans un vacarme de musique pop. Le duc d’Athènes, Hyppolita et Egée sont à la régie, Hermia, Lysandre, Démétrius et Héléna sont convoqués avant de s’enfuir dans leur nuit haletante. Puck est un magicien d’opérette, on transforme la salle pour le dernier acte en rajoutant des bancs et on convoque un spectateur pour tenir de rôle de la lune dans Pyrame et Thisbée joué par les artisans. Malgré toutes les imperfections, ce spectacle encore en devenir m’a ravie.

 

Edith Rappoport

Le Songe d’une nuit d’été

Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, mise en scène de Yann-Joël Collin, traduction et adaptation de Pascal Collin

Imaginez, pour ceux d’entre vous qui ne la connaissent pas, une grande salle- autrefois réserve à décors de l’Opéra-Comique-toute en béton, aménagée avec un gradin frontal muni d’un bar en haut et d’un autre en bas, et deux gradins latéraux pour le public. Au centre, quelques praticables  simples et un rideau. Il y aussi un petit orchestre rock, des guirlandes de lumière un peu partout, une caméra-vidéo retransmettant le visage des spectateurs qui entrent et, plus tard celui des comédiens qui jouent un peu partout dans la salle. Déjà souvent vu mais bon…

On demande à quelques spectateurs de venir se mêler aux acteurs : on n’est pas du tout, on l’aura compris dès les premières minutes, dans l’illusion mais plutôt dans une sorte de lecture personnelle de la pièce par Yann-Joël Collin. Les acteurs, en vêtements de ville tout à fait banals et assez laids, munis la plupart du temps de micros HF, hurlent, courent, montent sur les praticables, éclairés par une poursuite-lumière, en redescendent pour aller jouer dans les rangs du public, et chantent parfois des passages du texte.

Tout ce bric-à-brac scénique, finalement assez racoleur, inspiré du cirque et du music-hall, trop utilisé ces dernières années, a pris un sacré coup de vieux et est surtout dénué de la moindre efficacité. « La théâtralité suraffirmée, dit Yann Joël Collin, par cet improbable mélange, permet de débarrasser la scène de toute inscription réelle ou mythique qui daterait la fiction ou soumettrait la scène à l’histoire, la philosophie ou la littérature » (…) « L’aveu que l’histoire et ses personnages sont un décorum fixe l’attention sur l’essentiel: la situation rendue à son essence et à son exemplarité ». On veut bien! Mais heureusement, le spectacle échappe en partie à ce galimatias pseudo-théorique, et il y a de très belles images, malgré de sérieux problèmes de rythme. La  version initiale les premiers jours, durait quatre heures sans entracte! Et la deuxième avec entracte, dure toujours quatre heures… Vous êtes donc prévenus! Ce qui ne correspond pas à la durée normale de la pièce mais, comme l’attention du spectateur est constamment sollicitée, cela arrive tant que bien que mal à passer.

Grâce surtout, à quelques acteurs formidables comme Alexandra Scicluna, Cyrille Bothorel ou Eric Louis. Mais le spectacle et Yann Joël Collin le dit honnêtement-est du théâtre expérimental- la pièce ici semble avoir été lavée et essorée à la machine, et il y manque quand même un sacré parfum de rêve et d’érotisme. Comme on a tiré le texte plutôt vers son aspect farcesque, on a surtout l’impression d’une jeune compagnie de comédiens très unis, qui, dans le sillage d’Antoine Vitez leur maître à plusieurs, s’amusent au sortir de l’école, à nous montrer leur savoir-faire, avec, disons, une certaine complaisance…

Mais sans vouloir offenser personne, la bande de joyeux drilles qui a déjà un beau parcours derrière elle, frise maintenant la quarantaine… Et, comme la pièce ne se laisse pas faire, cela ne fonctionne pas tout à fait. Le moment le plus réussi étant sans doute la fameuse scène de Pyrame et Thisbé. Quant au public, il semble partagé: la professeur de collège qui était près de nous, avait le plus grand mal à faire garder le silence à ses adolescents qui ne s’intéressaient guère aux scènes proposées, sauf à celle de Pyrame et Thisbé, sans doute la plus réussie. L’étiquette: théâtre expérimental, dixit le metteur en scène-a bon dos et a été trop galvaudée, et ce n’est pas une bonne bonne carte à jouer, surtout dans une grande salle, comme celle des ateliers Berthier.

Le plus émouvant pour nous-et sans doute pour nous seul l’autre soir- était de voir dans la salle les jeunes comédiens, issus de la dernière promotion de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot, mise à mort il y a deux ans par les bons soins du Ministère de la Culture et d’Ariel Goldenberg. Ils avaient monté une très belle adaptation de Roméo et Juliette beaucoup jouée dans le Midi, et regardaient leurs aînés sur scène.
Alors à voir? Oui, pour les comédiens et l’esprit de troupe assez rare aujourd’hui; non, pour l’adaptation, la mise en scène et la durée excessive du spectacle; s’il était resserré, les choses iraient déjà autrement.. A suivre donc mais Yann Jöel Collin a fait beaucoup mieux, en particulier avec une remarquable mise en scène d’Henry IV du même William Shakespeare.

Philippe du Vignal

Odéon-Ateliers Berthier, rue André Suarès Paris XVIII ème.

Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare mise en scène de Yann Joël Collin – La nuit surprise par le jour. Irène Sadowska Guillon

Ce n’est pas du théâtre de Shakespeare orthodoxe, loin de là. On est dans un Songe d’une nuit d’été revisité par Yann Joël Collin et sa joyeuse bande, épaulés dans cette noble tâche par la traduction adaptation de Pascal Collin, très adéquate au projet. Cette version française de la pièce oscillant entre une langue archaïsante et contemporaine.
A l’entrée de la salle, on nous avertit qu’il s’agit d’une fête et qu’une participation des spectateurs est sollicitée. En effet, cela a l’allure d’une fête, d’un bal du samedi soir ou d’une boîte de nuit.


songe.jpg Les gradins entourent de trois côtés l’aire du jeu. Avant que le spectacle ne commence deux bars- buvettes se font face. Ambiance animée, décontractée, et l’orchestre installé dans les gradins joue,  des spectateurs flânent. Un acteur avec une caméra filme les arrivants dont les images sont projetées simultanément. Dans le public, beaucoup de jeunes, visiblement ravis. Certes, ils s’y peuvent s’y retrouver : cela ressemble à un show télévisé.
Le spectacle commence par un « et maintenant », à la façon d’un animateur d’émissions,  style Michel Drucker.

Cela se passe dans un divertissement télévisé, ou une boîte de nuit : jeu de lumières, micros, images d’acteurs en train de jouer projetées, orchestre rock, et certaines parties du texte sont chantées. Titania et Obéron dansent en disant leur texte, casting des artisans pour jouer l’histoire de Pyrame et Thysbé sur le mode de :«J’appelle Untel », jeu clownesque de Pyrame, espace de jeu éclaté instantanément dans les gradins et dans la salle. Les intrigues de la pièce, avec quelques ajouts et commentaires intercalés, se suivent dans une profusion d’images et d’effets : ombres chinoises, personnage suspendu en l’air par une corde, numéros de music-hall, etc. Avec un jeu débordant d’énergie. Des costumes pour la plupart contemporains. Sur un rythme  très rapide, on va de surprise en surprise. Avec une excellente technique, tout fonctionne à merveille, réglé au quart de poil, comme à la télé.
Pendant quatre heures, on ne s’ennuie pas une seconde, mais que retire-t-on de ce jubilant carnaval?

Irène Sadowska-Guillon

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier rue André Suarès, Paris XVIIIème jusqu’au 18 décembre.

LES SIRÈNES DE BAGDAD Théâtre de Vanves

Théâtre de Vanves,de Yasmina Kadra, mise en scène René Chéneaux, compagnie Kick Théâtre

Ces trois voix pour les sirènes de Bagdad, sont celles de Rachid Benbouchta, Farid Bentoumi et Cathrine Le Hénan. Les acteurs se déploient dans un espace bifrontal, sur une piste ocre -les spectateurs doivent se déchausser avant de gagner leur siège-, ils nous content des histoires terribles sur la guerre en Irak, l’assassinat par des marines d’un jeune handicapé blessé que son père emmène au dispensaire, la fuite d’un jeune homme pacifiste parti s’engager après une intrusion humiliante des américains, en pleine nuit dans son foyer familial.. J’ai été simplement saisie

Editn Rappoport

Théâtre de bouche de Gherasim Luca, mise en scène de Claude Merlin par Philippe du Vignal

Gherasim Luca était né à Bucarest en 1913 et a été à l’origine du groupe surréaliste roumain avec de parfaits inconnus comme… Tzara, Brancusi et Brauner, pour ne citer que les plus célèbres.Il s’installera à Paris en 52 où-sans papiers toute sa vie- il vivra pauvrement . Expulsé de son appartement, il se jette dans la Seine en 94. Entre temps, il aura écrit une vingtaine de recueils  poétiques qui ont suscité l’admiration de bien des gens (dont Deleuze et Guattari) qu’il lisait souvent lui-même en public.
Tapez Luca sur Google, vous pourrez même y entendre sa voix; ses textes ont été plusieurs fois adaptés pour la scène mais c’est sans doute la première fois  qu’est montée sa seule pièce de théâtre. Claude Merlin s’y est employé avec beaucoup de bonheur et d’intelligence. Parmi beaucoup de soirées perdues, celle-ci fait figure d’exception. Théâtre de bouche est une suite de tableaux intitulés: Qui suis-je, L’Evidence, La Contre-Créature, Le Meurtre, Les Idées, La Discorde, Les Vaincues et La Durée.
Cela sonne un peu comme des titre de pièces de Couperin… Luca  joue une heure durant, avec la syntaxe de la langue française qu’il connaît et pratique admirablement; il arrive ainsi à créer avec jubilation des jeux de mots  à tiroir qui provoquent de formidables images poétiques. Le début, une sorte de choeur à six ,ne fonctionne pas encore très bien mais la suite est tout à fait remarquable: Claude Merlin a su, avec une mise en scène efficace et quelques accessoires très simples, donner un forme théâtrale de premier ordre à cette cette suite de tableaux.
Comme les jeunes comédiens: Céline Vacher, Jean-Michel Susini, Anne-Lise Main, Bruno Jouhet, Lazare et Francisca Rosel-Garcia sont bien dirigés, ce Théâtre de bouche, encore un peu vert (mais c’était la première), devrait rencontrer un succès mérité. Reste à trouver les  structures  qui voudront bien l’accueillir ,mais on connaît la solidarité du milieu… En tout cas, ce serait vraiment dommage que le public ne puisse savourer la poésie de Gherasim Luca, mise en scène par Claude Merlin.

 

Philippe du Vignal

 

Encore aujourd’hui et demain samedi, à 16 heures au Théâtre Berthelot , 6 rue Marcelin Berthelot à Montreuil, tout près du Métro  Croix de Chavaux.

Côte d’azur, scénographie/ écriture scénique et mise en scène de Denis Chabroullet par Philippe du Vignal.

cotedazur.jpgCôte d’azur, scénographie/écriture scénique et mise en scène de Denis Chabroullet

Dernier opus du Théâtre de la Mezzanine, dans un ancien Jardiland- lieu de travail de cette compagnie-situé dans les champs à Lieusaint (Seine-et-Marne).

Imaginez une aire de jeu, close par une palissade de planches de vingt mètres sur dix environ, avec des sortes de meurtrières rectangulaires d’un mètre 2, munies chacune d’un volet coulissant en bois. Avec aussi , pour se reposer un peu, des banquettes où les quelque cent  spectateurs peuvent s’asseoir et regarder,  quand ils ne déambulent pas dans une galerie tout autour, où une série d’écrans vidéo retransmet des plans moyens ou gros plans de l’action. Vous suivez? Le dispositif est  intelligemment  conçu, et bien réalisé, puisqu’il place chaque spectateur dans une position de voyeur, qu’il marche ou qu’il soit assis, grâce ces meurtrières  masquées parfois par un rideau qui descend, le laissant frustré et l’obligeant à aller plus loin.

Dans l’espace scénique, un bar délabré des années cinquante aux vitres cassées, avec un billard électrique, et une pendule en noir et blanc, des sièges fatigués et un éclairage pâlichon; quant à  l’enseigne lumineuse AZUR, elle est bien fatiguée et l’éclairage de la lettre U ne cesse de sauter. Derrière ce bar, une sorte d’ancien garage, avec un tableau électrique hors d’usage, un vieux poste de radio en bois et, sous une bâche, un véhicule qui se révélera plus tard être un petit char d’assaut d’où sortira un soldat au casque en feu. Il y a aussi sur un des côtés, un monte-charge et sur l’autre, une vieille pompe rouge fané de gaz-oil. Sur l’aire de jeu, autour du bar et de l’ancien garage,  couverte d’une dizaine de centimètres d’eau,  deux anciens fauteuils de coiffeur  en moleskine rouge, une baignoire-sabot en zinc, une vieille moto-bécane, et un lit-cage … Vous suivez toujours?

Dès l’entrée, on reste admiratif devant cette installation plastique, (même si on  a pu voir autrefois  des choses proches au Centre Georges Pompidou) mais qui possède ici une présence dramatique rappelant souvent l’univers du grand Tadeusz Kantor qui avait une passion pour une réhabilitation éphémère, une seconde vie donnée à des reliques, des objets de « bas étage » comme il disait souvent, des caves, greniers, décharges…
La musique de Roselyne Bonnet des Tuves-jouée par Martial Bore à la guitare et par Lionel Seillier à la batterie, et l’univers sonore qu’elle a composé, sont de premier ordre :chansons populaires,  morceaux de textes classiques dont on arrive à capter la seule musique des alexandrins et des mots-symboles: amour, honneur, gloire, temps, vertu, malheur, etc.  et des airs d’opéra,  ou un chant de Noël, joyeux et désuet. Bref, une sorte de bric-à-brac intelligent,  en parfaite  osmose avec cet environnement. Il y a aussi le travail, de très grande qualité, de Jérôme Buet sur les lumières  qui disent bien le blafard et le glauque d’un univers de bofs.

Oui, bon, mais que s’y passe-t-il au juste? A vrai dire, pas grand chose d’intéressant! Les personnages hurlent, s’injurient, picolent de temps à autre, une fille se fait violer, tout le monde se vautre dans l’eau ou s’y fait traîner, une autre fille nue patauge dans la baignoire. Tout cela dans la buée et les fumigènes: bref, l’univers habituel de Denis Chabroullet… Les comédiens, peu ou mal dirigés, s’engagent physiquement mais font souvent un peu n’importe quoi, sur le plan de la voix et du geste, et, du coup, ne sont guère crédibles.

Il y a, dans les images proposées, les apparences de l’efficacité, mais seulement les apparences. Manque ici une dramaturgie avec une véritable unité entre la structure formelle de moyens scéniques assez considérables, et une fable… qui reste à inventer. Il faut avoir l’honnêteté de dire qu’une grande partie du public semble s’en contenter. Désolé, Denis Chabroullet, nous sommes peut-être trop exigeant, mais pour nous, le compte n’y est pas tout à fait…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Mezzanine à la Serre, les lundi, vendredi et samedi jusqu’au 8 décembre; réservation obligatoire: T: 01-60-60-41-30.

Il y a une navette gratuite, Place Denfert-Rochereau à Paris (réservation obligatoire: T: 01-44-64-79-70) pour les samedi 15, lundi 17, samedi 22 et lundi 24 novembre. Si vous y allez en voiture, prenez votre GPS  et/ou une carte, et demandez bien le parcours, quand vous réserverez: ce n’est pas du tout évident à trouver…

 

Nunzio de Spiro Simone et La Busta de Spiro Simone et Francesco Sframeli

Nunzio de Spiro Simone, mise en scène de Carlo Cecchi
La Busta de Spiro Simone et Francesco Sframeli, mise en scène de  Francesco Sframeli (en dialecte sicilien pour la première, et en italien pour la seconde)

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 Ils sont deux, l’un logeant sans doute l’autre, et compagnons d’infortune, cela se sent très vite. Habitués à vivre ensemble tant bien que mal, et le plus souvent, plus mal que bien. Meubles de cuisine réduits à l’essentiel, vêtements de mauvaise qualité, nourriture approximative et  du dernier moment.

L’un, très humble, travaille dans  une usine qui lui fait profiter de sa pollution, et il tousse sans arrêt, en avalant par tubes entiers, sans trop y croire, des pilules que le patron lui offre généreusement; l’autre, très autoritaire, vit sans aucun doute de trafics douteux. Il revient de voyage et s’apprête à repartir pour le Brésil…  De temps en temps, quelqu’un glisse une enveloppe sous la porte dont la dernière contient un paquet d’argent. Mais on n’en saura pas beaucoup plus!
  Tous les deux enfermés dans un monde clos, victimes désignées d’ un système où l’ordre et le silence règnent, où les femmes ne tiennent pas les leviers de commande: la Sicile ne leur laisse pas d’autre choix. Ils ne disent rien de déterminant mais semblent condamnés à une logorrhée d’autant plus forte qu’elle s’exprime de façon répétitive, et ils ne semblent  guère avoir de passé derrière eux, quant au futur… Au fond, ce qui se dit n’a guère d’importance- on pense souvent à  Cédrats de Sicile, cette nouvelle devenue  pièce remarquable de leur ancêtre Luigi Pirandello: ils mangent et parlent beaucoup de nourriture, comme s’il  s’agissait de donner un peu de consistance au temps, de le consommer avec leur pauvre repas improvisé, parce qu’ils sentent qu’il leur est chichement compté.
 Comme toujours, on est un peu gêné par le surtitrage et on aimerait entrer plus dans leur délire… Le texte ne semble pas toujours convaincant mais comme c’est très bien interprété  par Spiro Simone et Francesco Sframeli, les cinquante minutes du spectacle passent vite.

La Busta ( L’Enveloppe) écrite cette fois en italien,  est encore plus grinçante; un pauvre type muni d’une très grande enveloppe (un souvenir de la performance de Tadeusz Kantor?) arrive dans une grande administration pour rencontrer le Président… qu’il ne rencontrera jamais, bien sûr. Comme dans la première pièce,  tout a lieu dans un huis-clos, une antichambre  grise à la Kafka, où règne en maître un appariteur qui fait penser tout à la fois aux personnages de Beckett, Ionesco et Mrozek. Il tient enfermé dans un réduit un pauvre bougre qu’un cuisinier nourrit de sauce tomate vidée dans une auge à chien.
 Très vite, le pauvre type se retrouvera piégé, déclaré coupable d’on ne sait trop quel crime, simplement parce qu’il en a trop dit ou pas assez, parce qu’il est surtout la victime idéale du système mis en place. L’appariteur s’absente de temps en temps, muni d’un casque et d’une matraque, donner une « leçon de démocratie »: la menace, la corruption, le chantage permanent par voie de lettre anonyme sont bien au rendez-vous d’un système politique et financier qui n’a guère de point commun avec ce que l’on appelle la démocratie…
  La pièce fonctionne sans doute mieux que la première, peut-être plus conventionnelle. Cela n’a rien de vraiment révolutionnaire mais se laisse voir, surtout si on comprend l’italien, et a au moins le mérite d’être court :  cinquante-cinq minutes comme Nunzio

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point, 1 avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème jusqu’au 30 novembre.

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