Olympe, texte et mise en scène de Frankito, accompagnement musical d’Edmony Krater et Eugénie Ursch

Olympe, texte et mise en scène de Frankito, accompagnement musical: Edmony Krater et Eugénie Ursch

Ultime nuit pour Olympe de Gouges à la prison de la Conciergerie, avant son exécution en place de Grève, le 3 novembre 1793. La condamnée à mort se souvient de ses combats politiques, invoque ses maîtres Jean-Jacques Rousseau et Condorcet, vilipende ses ennemis et bourreaux Robespierre et Marat. Traitée avec mépris par ses contemporains dont Restif de la Bretonne, puis, avec condescendance par Michelet dans son Histoire de la Révolution Française, Olympe de Gouges n’est plus une inconnue, au moins depuis les célébrations du Bicentenaire de 1789. Des générations d’historiennes féministes se sont mises à la tâche et l’Université Paris 7 Diderot porte maintenant son nom. Et aussi à Paris, une place, et une station de bus..
Un projet original : Frankito est guadeloupéen et a écrit un texte avec des extraits de discours, déclarations et lettres d’Olympe de Gouges. Interprété ici par Firmine Richard, la plus célèbre des actrices guadeloupéennes, que l’on avait pu découvrir entre autres dans le film Romuald et Juliette (1989). Un solo rythmé par des morceaux de ka, ces tambours dont l’origine remonte à la traite des Noirs, quand, enfermés depuis Bordeaux dans la cale de navires, ils chantaient en frappant sur des quarts de tonneau. Edmony Krater, également guadeloupéen, mais montalbanais d’adoption, s’est beaucoup investi dans le projet. Il s’est intéressé très tôt à la figure d’Olympe de Gouges, née en 1748 à Montauban, chef-lieu du Tarn-et-Garonne où devait aussi voir le jour… le «néo-révolutionnaire» Daniel Cohn-Bendit.

Edmony Krater, auteur d’un accompagnement musical (2015) du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, a  voulu, avec Olympe, faire se côtoyer les cultures occitane et caribéenne. Voie aussi inexplorée, que bien trouvée : Olympe de Gouges ne parlait-elle pas en langue d’oc ? Et il lui en restait un accent « chantant » dont on se moquait dans la Capitale ?  Trois thèmes qui parfois s’entrecroisent, dans ce solo où s’exprime la plus grande détermination comme la plus immense détresse d’une femme meurtrie, moralement et physiquement.
Elle s’est blessée juste avant son arrestation mais, dans la prison, on lui refuse le moindre soin. Ressassant les affronts subis durant sa vie, elle se plaint du mépris avec lequel ses écrits ont été accueillis. « Mais je n’ai rien appris. », dit-elle. Elle ose  pourtant se mesurer à ceux qui ont «l’écriture élégante» et son inspiration est «semblable à une tempête». Elle est du côté de «ceux qui créent, qui font le bien pour la société ».

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Olympe de Gouges parle de sa vie, évoque une filiation, réelle ou fantasmée, avec un marquis de Pompignan, un homme de lettres. Une amitié d’enfance avec un demi-frère ou un cousin dont on la sépare, en la mariant à dix-sept ans à un officier de bouche «peu aimable ». Elle va avec son fils à  Paris, où elle trouve des protecteurs et où elle sait s’introduire dans les célèbres salons des Lumières. Elle mentionne les sociétés qu’elle fonda vers 1789-90 et rappelle ses nombreuses pièces de théâtre: elle « dictait une tragédie par jour, comme Lope de Vega », selon les dires de Michelet qui lui reconnaissait le statut de martyre et le don de la formule…
«La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune »,  la phrase la plus célèbre de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » en dix-sept articles, calqués sur la Déclaration des droits de l’homme de 1789 mais beaucoup plus concis. Elle proclame d’entrée que « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits».
Il faudra attendre un siècle et demi, le 21 avril 1944, pour que les Françaises obtiennent le droit de vote. Sur le plan du droit privé, Olympe de Gouges propose un Contrat social entre l’homme et la femme, qui mettrait fin à la législation du mariage sous l’Ancien Régime. Elle souligne le « caractère volontaire de l’association conjugale », revendiquant ainsi le divorce.
Après la chute de la royauté, elle rejoint le mouvement modéré des Girondins, la violence lui faisant horreur mais elle montre quelque amertume, y compris à l’égard de la Révolution : «Devenu libre, (l’homme) est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages avez-vous recueillis dans la Révolution? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. » Sous la Terreur, après la publication d’un texte: Les trois Urnes, diffusé par voie d’affiche, elle est emprisonnée pour ses écrits «contre-révolutionnaires ».

 Le combat féministe de cette pionnière ne doit pas faire oublier ses idées abolitionnistes et c’est sans doute la partie la plus novatrice du spectacle. En 1788, elle publie Réflexions sur les hommes nègres: «Je vis clairement que c’était la force et le préjugé qui les avaient condamnés à cet horrible esclavage, que la Nature n’y avait aucune part, et que l’injuste et puissant intérêt des Blancs avait tout fait. »L’année suivante, elle propose à la Comédie Française une pièce L’Esclavage des noirs, qui y est lue. Mais elle cause une polémique telle, auprès des planteurs et colons, qu’elle sera déprogrammée. Le projet de Krater et de Frankito qui situent la pièce en Guadeloupe, se justifie. Dans une scène de mise en abyme, l’actrice fait mine de se grimer, puis interprète un dialogue entre Mirza et Zamora. les protagonistes de cette pièce.
« Pourquoi existe-t-il donc, demande Mirza, une si grande différence entre leur espèce et la nôtre » et Zamora lui répond: «Cette différence n’existe que dans la couleur. Mais les avantages qu’ils ont sur nous, sont immenses. L’industrie les a mis au-dessus de la Nature. Ils se servent de nous dans ces climats, comme ils se servent des animaux dans les leurs.» Olympe est un beau spectacle, oralement, visuellement et musicalement. Firmine Richard, habitée par son rôle, est, au centre du plateau, en pleine lumière, vêtue d’un robe aux couleurs vives. Côté jardin,  Edmony Krater, aux percussions, suggère la transe, et les accords graves du violoncelle d’Eugénie Ursch accompagneront la marche d’Olympe vers le supplice…

 Nicole Gabriel

 Jusqu’au 6 avril, Studio Hébertot, 78 bis Boulevard des Batignolles, Paris ( XVII ème). T.  : 01 42 93 13 04.

 

 

 

 

 

 


Archives pour la catégorie seul en scène

A qui mieux mieux, conception et texte de Renaud Herbin (tout public à partir de trois ans)

A qui mieux mieux, conception et texte de Renaud Herbin (tout public, à partir de trois ans)

Créé en 2022 , c’est une sorte de performance :un homme cherche à s’exprimer, tout à la joie de se sentir vivant. «Un être animé par la nécessité de dire ce à quoi il a survécu, sa propre naissance, dit le marionnettiste Renaud Herbin qui en est le metteur en scène. Mais son engouement est son propre frein. Il engage une sorte de «battle» avec lui-même, surenchère du superlatif. Il se coupe lui-même la parole. Pour avoir le dernier mot.Cet être pensant, qui dit ce qu’il pense, mange ses mots, ogre dévorant, absorbant, déglutissant. Il pense ce qu’il dit comme autant d’hypothèses sur ce qu’il voit et ce qu’il vit. Il philosophe.»
Autant dire une quête métaphysique, proche de celle revendiquée par Antonin Artaud, laquelle n’a jamais vraiment fait bon ménage avec l’expression théâtrale, sauf dans
Hamlet de Shakespeare. Et de façon radicalement opposée chez les frères ennemis polonais Jerzy Grotowski et Tadeusz Kantor…

© Benoît Schupp

© Benoît Schupp

Et sur le plateau? Bruno Amnar, seul, commence à faire quelques exercices physiques. Puis il joue avec un très gros coussin imaginé par Céline Diez. C’est déjà un peu longuet et des spectateurs vont quitter la salle.
Ensuite l’acteur toujours aussi seul face au monde qui l’entoure, c’est à dire ici surtout un public d’enfants, enchaîne des phrases: « Je fais des tas, je fais des tas de moi, je fais des tas de tas, j’aime bien faire des tas ça me fait du bien, les tas» avec
quelques borborygmes et bégaiements… Comme à la recherche d’un langage sonore.
Puis après s’être couché dessus sur le gros sac et joué avec, Bruno Amnar en extrait de gros flocons de laine bleu e(le fameux bleu d’Yves Klein), rouge, marron, grise qui vont couvrir toute la scène. Un bel effet visuel… qui ne semble pas toucher les enfants: ils parlent entre eux, leurs accompagnateurs somnolent et, dans le fond de la salle, un adolescent, visiblement handicapé mental, pousse des cris à intervalles réguliers.
L’acteur fait ce qu’il peut pour donner vie à cette performance qui se voudrait métaphysique mais qui distille un redoutable ennui. Après quarante minutes, fin de cet opus assez prétentieux…
Nous ne sommes sûrement pas tombés sur la bonne matinée mais cette  » histoire de soi, l’histoire de ce combat joyeux le défi de la vie à relever» est loin d’être convaincante, surtout à 10 h du matin dans une salle peu chauffée. Que sauver de ce mini-spectacle? Sans doute les ballots de laine de couleur… qui tiennent plus d’une «installation » dans un musée d’art contemporain.
En tout cas, difficile de conseiller ce spectacle dont on peut se demander comment il est arrivé là.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 2 mars, Théâtre Paris Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, Paris (XIX ème). T. : 01 40 03 72 23.

 

De la Servitude volontaire de L. M. Formentin, d’après le discours éponyme d’Etienne de la Boétie, mise en scène de Jacques Connort

De la Servitude volontaire de L. M. Formentin, d’après le discours éponyme d’Etienne de la Boétie, mise en scène de Jacques Connort

«La vraie liberté est-elle la somme des contraintes que chacun accepte pour pouvoir vivre en société.» C’est une des phrases du célèbre Discours de la Servitude volontaire, (1574) chef-d’œuvre d’une intelligence absolue, écrit en latin  par un jeune homme de Sarlat (Dordogne). Il avait dix-huit ans et était l’ami intime de Montaigne. Il cherchait à expliquer le succès des tyrannies de son époque  et à trouver la réponse à une question lancinante. Pourquoi, « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent ?»  Et il y a tout un formidable paradoxe dans les mots de ce titre« servitude» et «volontaire». Pour accéder à la liberté, Etienne de la Boétie pense qu’il faut n’être ni maître ni esclave. Mais  pourquoi des pays entiers tombent-ils dans la servitude : «Quel malencontre a été cela, qui a pu tant dénaturer l’homme, seul né de vrai pour vivre franchement (c’est à dire librement! au XXI ème siècle)  et lui faire perdre la souvenance de son premier être, et le désir de le reprendre ? »

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«La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude »: (…) Ils naissent serfs, et  sont élevés dans la servitude. »Seule, l’obéissance permet au tyran de rester au pouvoir. Etienne de la Boétie est formidablement lucide, mais pessimiste : «S’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même.
Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature.» Et pourquoi et comment l’inégalité et la domination par un seul homme se reproduisent-elles de siècle en siècle? D’abord utiliser ces bonnes vielles recettes qu’il appelle : les «drogueries » : réjouissances offertes «gratuitement» au peuple, en réalité financées par des taxes, impôts… Mais aussi se servir de la religion et d’une soi-disant nécessité de maintenir l’ordre public, pour couvrir nombre de crimes: imparable…

Et une partie obéit aussi par cupidité. « Ce que j’ai dit jusqu’ici sur les moyens employés par les tyrans pour asservir (…), n’est guère mis en usage par eux, que sur la partie ignorante et grossière du peuple. » « Le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie » : rendre ces gens « complices ». Et Etienne da Boétie, très lucide, voit bien la possibilité alors d’« asservir les sujets les uns par le moyen des autres ». Ces cinq ou six ont eu l’oreille du tyran (…). Ces cinq ont six cents qui profitent sous eux, et qui font de leurs six cents ce que les six sont au tyran (…) ces six cents en maintiennent sous eux six mille… » « Le laboureur et l’artisan, pour tant asservis qu’ils soient, en sont quittes en obéissant ; mais le tyran voit ceux qui l’entourent, coquinant et mendiant sa faveur. Il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il ordonne, mais aussi qu’ils pensent ce qu’il veut, et souvent même, pour le satisfaire, qu’ils préviennent aussi ses propres désirs. Ce n’est pas tout de lui obéir, il faut lui complaire, il faut qu’ils se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter ses affaires et puisqu’ils ne se plaisent que de son plaisir, qu’ils sacrifient leur goût au sien, forcent leur tempérament et le dépouillant de leur naturel. »

 

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«La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels. » Comme le précise Etienne de la Boétie,  on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu ». « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.  » Et pour sortir de cette domination, il faut sortir de l’habitude. « L’Homme qui connaît la liberté n’y renonce que contraint et forcé. Comme le précise La Boétie, « on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu ». (…)  « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ».(…)  » Désirez et vous êtes libre, car un désir qui n’est pas libre n’est pas concevable, n’est pas un désir. La liberté c’est ce que nous sommes, et si vous n’êtes pas libre, c’est que vous avez renoncé à votre désir. » Quelle intelligence!  Juste aussi trois siècles plus tard le principe de la désobéissance civile du philosophe américain Henry David Thoreau: “Nous devons être d’abord des hommes et ensuite seulement des sujets.”

Ce texte fiévreux, dit le metteur en scène, sorte de J’accuse ! à l’adresse des tyrans et des peuples, n’est d’aucun pays ni d’aucune époque. C’est pourquoi il est d’une actualité brûlante : les dictatures, qu’on croyait naïvement d’un autre temps, fleurissent ou se renforcent de par le monde.( …) Les tyrans ne tirent leur force que de notre coupable faiblesse, et la liberté n’est pas un vain mot mais toujours un acte, un risque, une conquête – d’abord sur nous-même.( …) Dans ce seul en scène où le public est d’emblée réquisitionné et se fait «peuple», l’acteur peut déployer en même temps qu’une pensée vivante toutes les variations d’un jeu lumineux combinant l’ironie, la gravité, la tendresse, le burlesque et le sublime.
Mais  pourquoi avoir voulu adapter ce merveilleux texte,  avec  une allusion au début au Roi-Soleil, une liste de dictateurs des XX ème et XXI ème siècle, etc.
Et la mise en scène de Jacques Connort n’est vraiment pas à la hauteur des intentions. La salle en pierres blanches voûtée n’a rien perdu de son charme et c’est toujours un plaisir de retrouver Jean-Paul Farré aux longs cheveux blancs et qui, pour l’occasion, s’est fait pousser la barbe. A soixante-seize ans, comme dans ses remarquables solos musicaux (voir Le Théâtre du Blog), il a toujours la même silhouette et  la même singulière présence… malgré un costume assez laid: manteau en toile rouge foncé et longue chemise blanche… Mal dirigé, il dit parfois son texte à voix basse! Résultat attendu: au cinquième rang, surtout quand il est de trois-quarts ou dos au public-on se demande bien pourquoi- on l’entend difficilement. Devant de grandes plaques en miroir: un vieux truc des années soixante-dix, bien usé… Le sinistre fauteuil noir style Henri III  où il s’assied parfois, n’a rien à faire là. Et les faibles lumières n’arrangent rien….  C’est vraiment dommage pour Etienne de la Boétie  et surtout pour Jean-Paul Farré!
Le spectacle qui avait déjà été créé au festival d’Avignon 2023, a juste commencé mais n’a rien de convaincant. Peut-il progresser?  Nous en doutons et en tout cas, impossible de vous le recommander.

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 4 avril, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris ( IV ème).

Un autre point de vue:

Ce spectacle proche d’une pièce conférence ou/et d’un constat solitaire : « D’ailleurs ce n’est pas à vous que je m’adresse. Je parle seul, à moi-même… » est interprété toute en finesse par  Jean-Paul Farré. Il nous offre un tableau sur l’exercice du pouvoir et de la tyrannie envers les hommes et entre eux : « Le pouvoir quant il ne peut s’exercer, couve, attend son heure » Autre thème qui va de pair avec la soif de puissance, mais aussi avec notre manque de courage et la peur, est celui de la liberté : « C’est toujours la misère qui déclenche les révolutions, non point la privation de liberté. » Sans complaisance et avec une verve qui enchante le public, l’attention est à son comble. La réflexion sur nos faiblesses, notre lâcheté et l’ubris sont au rendez-vous, nous interpelle tout un chacun, jeune ou moins jeune.

Dans son adaptation, l’auteur n’a repris aucune phrase d’Étienne de la Boétie. Mais il a tenu à travers sa langue littéraire et théâtrale (pari réussi) à respecter la pensée à la fois de cet auteur du XVI ème siècle toujours aussi pertinente pour nous : « C’est un homme «hors du temps», nous rappelant, avec une logique implacable et une ironie mordante, que les tyrans ne tirent leur force que de notre coupable faiblesse, et que la liberté n’est pas un vain mot mais, toujours, un acte, un risque, une conquête – et d’abord sur nous-mêmes. » Jacques Connort n’a rien modifié de la mise en scène parfaite- le spectacle avait été joué l’an passé en Avignon- laissant jaillir la théâtralité du texte et offrant au comédien, un espace dégagé et sobre.
Sur le plateau, seul un fauteuil et une veste noire d’aujourd’hui, suspendue sur le mur du fond, comme un clin d’œil complice entre le XVI ème siècle et le nôtre. Cette simplicité offre un espace de jeu idéal mais exigeant, propice à l’écoute de ces paroles philosophiques, sans détour. Et nous vient parfois à l’esprit un rapprochement dans le raisonnement et la radicalité des propos sur le comportement humain, solitaire ou en société du philosophe Émil Cioran (1911-1995).
La mise en scène, subtilement mise au service du texte et du comédien, crée un lieu de partage : un panneau-miroir en fond de scène reflète le public, nous sommes, grâce à cet effet comme le plateau, tour à tour, sujets du roi ou auditoire de ce discours politique et de ce constat, parfois un peu trop catégorique, de notre comportement face à l’autorité sans limite, et le choix de la liberté !

 nous sommes saisis et par le discernement et la profondeur du texte et le jeu de Jean-Paul Farré, sensible, plein d’esprit et d’humour, d’agilité. «Faire entendre ce texte au XXI ème siècle»: un désir citoyen et fort de Jacques Connort. En ces temps de grandes et inquiétantes agitations politico-sociales, ce spectacle a toute sa raison d’être. En une heure dix, il nous offre un véritable plaisir de théâtre, du tragique au comique !

 Elisabeth Naud

 

 

Exposition au Musée Français de la Carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux

Exposition au Musée Français de la Carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux

 

 

©© Musée Français de la Carte à Jouer Ville d’Issy-les-Moulineaux - David Cochard

© Musée Français de la Carte à jouer Ville d’Issy-les-Moulineaux – David Cochard

Une exposition à l’initiative de son directeur, Denis Butaye, grand passionné de magie, avec une partie de la collection personnelle de Georges Proust qui en assure le commissariat : objets, accessoires, affiches, jouets optiques, automates, matériels de grandes illusions…Serge Dubuc a signé une scénographie volontairement mystérieuse et nimbée de rouge pour les faire ressortir.
Les espaces sont organisés par thématiques et certaines grandes illusions sont accompagnées de leur démonstration en vidéo par leur créateur : Thurston, Harbin… sur trois écrans . Un bonimenteur (l’acteur et magicien Sylvain Solustri, ce jour-là) guide les visiteurs en évoquant les histoires d’Howard Thurston, J.E. Robert-Houdin, Houdini… et présente l’entresort » de La Femme fleur en réalisant avec elle un numéro de divination d’une carte choisie par un visiteur.

 Georges Proust (soixante-dix neuf ans) né à Constantine, se passionna enfant pour la magie et les arts du cirque. Quelques années plus tard, il achète son premier tour au marché à Annecy. Il débute ainsi une exceptionnelle collection. En 71, il fonda le Ring 191, la branche française de l’International Brotherhood of Magicians, réunissant amateurs et professionnels autour de leur passion commune.
Parallèlement, il commence à se produire, accumulant une expérience de scène, tout en développant son style. Il rassemble aussi livres, objets anciens, accessoires de prestidigitation et affiches. En 78, il fait l’acquisition d’une importante collection en Bretagne : objets rares, automates et accessoires d’illusions. C’est le début d’une série d’expositions itinérantes en France et en Europe pour faire partager sa passion.

 À partir de 78, le producteur de cinéma et collectionneur Christian Fechner transforme sa vision de la magie, devenant éditeur et gardien du patrimoine, avec plusieurs ouvrages consacrés à J.E. Robert-Houdin, contribuant ainsi à sa reconnaissance internationale. Sa bibliothèque personnelle compte plus de 68.000 ouvrages, ce qui en fait l’une des plus grandes collections de littérature magique au monde. En 81, Georges Proust fonde l’Académie de la Magie, 47 rue Notre-Dame-de-Lorette à Paris et l’année suivante crée les éditions Georges Proust qui ont publié plus de 150 livres. En 84, son exposition Le Monde Merveilleux des Magiciens présentée à Boulogne-Billancourt, connaît un succès retentissant. Il sera invité en 89 par le KaDeWe grand magasin berlinois,pour y présenter une exposition de 1.500 m2, attirant des milliers de visiteurs et consacrant sa renommée internationale. En 93, Georges Proust crée le Musée de la curiosité et de la magie à Paris, un espace unique en son genre avec une partie de sa collection d’objets et d’automates. En parallèle, il s’investit dans la création de la Maison de la magie Robert-Houdin à Blois, un musée consacré au célèbre illusionniste français, père de la magie moderne.

 

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Personnalité incontournable, Georges Proust continue à enrichir sa collection et à promouvoir cet art avec le Musée de la Magie et ses publications. Son parcours témoigne d’une vie animée par la passion de transmettre. Grâce à lui la magie est reconnue comme un divertissement mais aussi comme un art à part entière, avec une histoire, un héritage précieux à préserver et un langage universel, capable de rassembler et faire rêver. Robert Houdin (1805-1871) opéra une révolution : en 1845, il ouvre au Palais-Royal à Paris, le Théâtre des soirées fantastiques, avec des numéros inédits comme La Bouteille inépuisable ou la Suspension éthéréenne. Après avoir fait fortune en quelques années, Il se retire à Blois. Parallèlement, le Théâtre Robert Houdin s’installe en 1853, boulevard des Italiens. Son dernier directeur, Georges Méliès, peintre, magicien et pionnier du cinéma, y montra ses premiers films. Haut-lieu de la prestidigitation, le lieu vit passer les meilleurs illusionnistes français.
Et ensuite des festivals ponctuels attirent le public vers des plateaux de manipulateurs, ventriloques, créateurs de numéros de « double vue », etc.. En France, parmi tant d’autres : Jean Valton pour les cartes  et Marc Albert, Odips, Li King Si, Dany Ray, Keith Clarck, Freddy Fah. Sous des chapiteaux, Yanco, Mireldo, Mir et Myroska, De Rocroy, Al Rex…Aux États-Unis, un jeune magicien prend le nom d’Harry Houdini (1874-1926) en référence à Houdin. Avec sa réputation d’évadé perpétuel, il devient en quelques années le plus célèbre de son pays. L’arrivée du chemin de fer permet à Alexander Herrmann, Chung Ling Soo, Harry Kellar, Howard Thurston, puis Charles Carter, Dante, George, Harry Blackstone… d’aller de ville en ville. Ils se rendront célèbres avec de fastueux spectacles
En Angleterre, la famille Maskelyne, présente dans son Egyptian Hall, des spectacles inventifs jusqu’en 49 avec Jasper, le dernier des Maskelyne. Pendant la seconde guerre mondiale, étaient nés des cabarets où des artistes étonnants présentaient avec un matériel restreint, des numéros de manipulation. L’Anglais Cardini en fut le plus représentatif. Au XIX ème siècle, avec la lithographie, l’affiche se développe et devient le principal support publicitaire et cela jusqu’au milieu du XX ème siècle où radio et télévision s’imposent. De grands imprimeurs et graphistes conçoivent des affiches avec portraits et images de spectacles. Ils suggèrent le merveilleux et s’efforcent de faire rêver le public comme les Français Charles Lévy (1880) Parrot et Cie (1889), Émile Levy, Louis Galice (1900), Harfort (1940). Et Pepermans et Marcy en Belgique, James Hupton en Angleterre, Mercy en Autriche et Adolph Friedlander en Allemagne ont aussi créé de splendides affiches.

 

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A Paris, il y a plusieurs fabricants chez qui se fournissent les professionnels, et les riches amateurs de « physique amusante », toujours à la recherche d’appareils coûteux, somptueusement décorés et souvent fabriqués à la pièce.  Crée en 1808!  la maison Aubert  8,rue des Carmes, Paris (Vème), maintenant Mayette (de la famille de Muriel Mayette, actrice et metteuse en scène) proposait dans son catalogue vers 1853 outre les classiques objets en bois tourné, de nombreux appareils en métal. Ceux de son concurrent Voisin, lui-même magicien, furent aussi très recherchés pour leur raffinement luxueux. A Paris, aussi, il y avait Roujol, Fournay, Devaux, Delion et Couthier et la maison Giroux pour laquelle Robert Houdin fabriqua des automates. Certains en métal peint  typiques du Second Empire  et reconnaissables à leurs décors dorés sur fond rouge ou noir.

 Dans cette exposition, les objets sont regroupés par époque. Come celle de Robert-Houdin  Dictionnaire encyclopédique des récréations et amusements scientifiques (éditions Pancoucke, (1972) Bouteille inépuisable – Quille au verre bleu – Vase à la tabatière – Plateau à apparition – Pistolet, cible et montre par Voisin. La physique amusante : Sacs à apparitions-Boîtes de Physique amusante dont une par Jullien éditeur à Paris, avec tours, coquetiers, gobelets et autres accessoires de magiciens en buis et métal – couvercle de boîte de magie Nouvel apparat d’escamoteur Allemagne – Gravure L’Arracheur de dents.

 La magie en 1900 : La Boule aux foulards – La Cage à apparition – Gobelet à production – Trépied à la carte – Quêteuse – Casserole aux tourterelles – Présentoir à boules – Éventail à apparition de cartes – Miroir représentant un escamoteur – Baguette en métal à apparition de foulards – Vase au millet. Il y a aussi deux formidables «tubes de production» d’Howard Thurston (1869-1936). Peints en noir avec anneaux en laiton à chaque extrémité sécurisant les couvertures en soie noire, et merveilleusement brochées en fil d’or avec dragons et nuages. L’un d’eux, grâce à une illusion d’optique, semble parfaitement vide alors qu’une cache y a été aménagée pour y dissimuler, entre autres, d’innombrables foulards qu’on pourras sortir comme par enchantement.

Les Grandes illusions appartiennent à la magie de scène. Développées au XIXème siècle, elles utilisent un matériel plus imposant et exigent une ou plusieurs personnes aux côtés de l’artiste. Les effets impressionnants, sont faits pour être visibles par un large public. En 1847, Robert-Houdin inaugure La Suspension éthéréenne avec son fils Émile, une grande illusion ingénieuse où le corps humain semble flotter en l’air.
Une chaise, inventée en 1886 par Joseph Buatier de Kolta, fait disparaître instantanément une jeune femme assise et couverte d’un tissu. Vers 1910, Charles de Vere fait apparaître sa fille, lonia l’Enchanteresse, dans un très grand vase qui se transforme en splendide buisson de fleurs.
Le célèbre tour de La Femme sciée est réalisé pour la première fois par le Britannique P.T. Selbit, en 1921 à Londres, avant d’être perfectionné par l’Américain Horace Goldin.  Georges Proust possède une version richement décorée (1923) de La Femme coupée en deux du célèbre Américain Howard Thurston. Une seconde version, plus élaborée, se sépare en deux parties.

 Ici, parmi les Grandes illusions présentées, L’Égyptienne d’après Wolfgang von Kempelen (1734-1804). Le magicien fait apporter, sur un socle semblant avoir un mécanisme compliqué, le buste d’une énigmatique Egyptienne. Chacune des deux parties de cet étrange appareil est trop petite pour contenir une personne vivante. Aussitôt le buste posé sur son socle, on en ouvre les portes : rien à l’intérieur sinon le mécanisme. Dès les portes closes, l’automate s’anime et deux mains sortent du buste et rédigent horoscopes et réponses aux questions posées par le public. L’appareil dissimulant un assistant est dérivé du célèbre Joueur d’échecs, imaginé par von Kempelen.

Clémentine de Vère (1888-1973), fille du grand artiste anglais Charles de Vère qui avait ouvert en France un magasin d’articles de magie réputé pour leur qualité, débuta en 1910. Son Vase aux fleurs, de style égyptien, se caractérise par son luxe et son élégance. Des assistants y versent de nombreux seaux d’eau puis elle tire un coup de pistolet sur le vase qui se disloque aussitôt, laissant apparaître des centaines de fleurs et une jolie jeune femme.
La Femme-Fleurde Yanco de Jean-Louis Conte (1928-1990). Dans les métiers de la fête foraine, les entresorts sont des baraques où, attirés par un bonimenteur, les gens venaientt découvrir un phénomène unique ou un personnage hors du commun. La Femme-fleur est dérivé du Décapité parlant montré pour la première fois en France vers 1900.
Les goûts du public moderne, les conditions économiques ont fait disparaître ces courts spectacles au profit des manèges, Grand-huit, etc. Le Chaudron de Steens (Fernand Brisbarre (1881-1939) est un numéro dérivé du Pot à lait d’Houdini : on met l’artiste dans un chaudron. Ses assistants et des spectateurs le remplissent d’eau et y fixent un couvercle en métal avec de solides cadenas. Ce chaudron est masqué quelques secondes par un rideau et qui une fois  relevé, laisse  voir Steens assis sur le couvercle du chaudron.

© Sébastien Bazou)

© Sébastien Bazou

 La Chaise à porteurs d’Howard Thurston (1869-1936). Succédant au célèbre Américain Harry Kellar (1849-1922) et connu jusque-là pour être un manipulateur exceptionnel,il présentera un spectacle de grandes illusions : La Femme coupée en deux, La Corde indienne…). Au cours de son fastueux spectacle, Thurston arrive sur une chaise à porteurs. Il descend ,s’avance et se retourne vers la chaise. Le rideau qui l’entourait est levé. L’actrice sort de la chaise vide et s’avance vers le public et fait sa révérence.
Dans son fabuleux spectacle de grandes illusions, il avait intégré Le Panier hindou,un tour  créé en 1865 par l’Anglais John Jack Alfred Inglis (1831-1866). Il enfermait une jeune femme dans un panier qu’il transperçait avec des sabres. Il en ôtait le couvercle et poait un voile sur l’ouverture. Il y montait, entraînant le voile à l’intérieur : la jeune femme s’était volatilisée. Le magicien sortait du panier et enlevait les sabres. Il faisait un geste et le voile se gonflait comme animé par un fantôme. Jack Alfred Inglis arrachait alors le voile et la jeune femme était là, indemne.
Le Sarcophage de Dicksonn (Paul-Alfred de Saint-Génois de Saint-Breucq (1857-1939). Le directeur du théâtre Robert-Houdin, créa ensuite son propre lieu où il présenta ce numéro. Une assistante, costumée en Egyptienne, était enfermée dans un sarcophage et il tirait un coup de pistolet. Aussitôt, il était montré vide et l’Egyptienne réapparaissait parmi les spectateurs

La Femme Zig Zag de Robert Harbin (1908-1978), un de premiers à présenter des numéros à la télévision anglaise, fut un grand créateur. Cette illusion, créé en 53, a été  unee des plus copiées. Tous les professionnels furent mystifiés par cette femme coupée en trois dont la partie centrale se décalait de façon impossible.
Les Tonneaux de Selbit (Percy Thomas Tibbles (1879-1938). Magicien inventif et directeur du périodique mensuel The Wizard (1905-1910), il créa Par le chas d’une aiguille. Il faisait passer son assistante d’un tonneau à un autre, alors qu’ils étaient séparés par une plaque métallique percée d’un trou minuscule.
Ce tour énigmatique, créé en 1924 à New York, bluffa le public et les magiciens de l’époque. Howard Thurston le reprit pendant de nombreuses années dans son grand spectacle d’illusions.

Sébastien Bazou

 

Exposition Magique ! Musée français de la carte à jouer, Issy-les Moulineaux ( Hauts-de Seine) jusqu’au 14 août.


 

 

 

 

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Economie, une causerie conçue et animée par l’économiste Jean-Marc Daniel

Economie, à quoi faut-il s’attendre?  Une causerie conçue et animée par l’économiste  Jean-Marc Daniel

 Né à Bordeaux il y a soixante-dix ans, cet économiste en a gardé une pointe d’accent. Ancien élève de Polytechnique, de l’E.N.S.A.E. et de l’Institut d’études politiques de Paris, il a été administrateur à l’I.N.S.E.E. et a fait partie de cabinets au ministère de la Culture et à celui des Affaires étrangères. Il a enseigné à l’École des Mines, à Paris X  et à  la Business School. Chroniqueur au Monde et depuis neuf ans, aux Échos, il intervient aussi sur B F M. Dans Le Gâchis français, quarante ans de mensonges économiques (2015),  il a analysé la politique dont les échecs sont dus, selon lui à une mauvaise lecture de l’économiste Keynes. L’argent magique est un leurre, dit-il avec raison, pour répondre à l’angoisse des populations.

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Ici, des chansons de Bob Dylan avant cette causerie proche d’un monologue théâtral. Puis, introduit par Stéphanie Tesson, la directrice du Théâtre de Poche, cet économiste au gros ventre s’assied à une petite table ronde nappée de noir. Puis il restera debout, écharpe bleue nouée sur une chemise qui dépasse de son pantalon. Pas très classe… comme un message? Du genre: je suis assez compétent pour m’habiller comme je veux et, sans aucune note avec moi, je vous expliquerai pendant une heure vingt les malheurs actuels de l’économie française… Cela dit, Jean-Marc Daniel est très à l’aise, sans micro, et a une bonne diction.

Côté cour, un châssis noir où s’afficheront en blanc les textes d’économistes réputés, une erreur flagrante de mise en scène: une moitié de la salle n’arrive pas à les lire… En tout cas, Jean-Marc Daniel semble sûr de lui. Il va nous dire pourquoi l’économie va  si mal chez vous. Et aussi comment on peut assez vite, mais avec des mesures drastiques, relever son niveau…  D’abord, il fait un état des lieux clair et net: « On a maintenu artificiellement la croissance et l’économie avec des dettes, sans résoudre les problèmes structurels (…) « On ne travaille pas assez, donc on ne produit pas assez et du coup, on n’exporte pas assez. Et comme on n’épargne pas assez, on consomme aussi trop, donc on importe  trop de produits. Le déficit commercial n’arrête pas alors de se creuser.” Et pour lui, sauver l’économie d’un pays en accumulant la dette publique autorisée par les banques centrales est une erreur qui va nous mener à la catastrophe. C’est assez bien vu.

Il préconise surtout de ne pas laisser filer le déficit de l’État. Il épingle aussi, et à juste titre, le Bayrou de service qui confond dette nationale et déficit! Ce qui, en effet, n’est pas la même chose, et pas digne d’un Premier Ministre. Au passage, il tacle aussi Mathilde Panot, députée très impliquée dans la lutte contre le dérèglement climatique  : « Elle ne sait même pas qui est Léon Blum, elle est ignare mais aussi menteuse ».  Vous avez dit, élégant?
Mais aussi Martine Aubry et sa réforme, dite des trente-cinq heures…  Mais sans parler de son volet: annualisation du temps de travail, baisse des cotisations sociales pour les entreprises, de la réorganisation de la production. Ce qui n’est pas d’une grande honnêteté intellectuelle. Il oublie aussi de dire que la droite libérale n’a pas supprimé ces mesures… Et il s’en prend à Sandrine Rousseau « d’être allée pêcher ses idées dans Le Droit à la paresse du socialiste Paul Lafargue… Tiens, trois femmes dans son collimateur. Mais pas Marine Tondelier, secrétaire générale des Verts qui lie justice sociale et écologie. Elle avait cloué le bec de Jean-Marc Daniel qui, lors d’une émission à  France-Inter, prônait les vertus du libéralisme!

En résumé, pour lui, la force de travail et les entreprises en concurrence sont essentielles et non l’État. Bref, vive toujours et encore, le libéralisme. Chiche, si on essayait? Et si cela ne marchait pas, que dirait-il? Sans doute qu’il avait vu juste mais qu’on n’avait pas travaillé selon les bonnes stratégies… Il y a souvent chez les économistes un côté prophète du passé assez agaçant.
Jean-Marc Daniel pose bien les problèmes, mais quant aux solutions préconisées…  Selon lui, aux grand maux, les grand remèdes: il faudrait mettre fin au statut de la fonction publique, éliminer certains jours fériés, augmenter réellement le temps de travail annuel et non avec des mesurettes genre: trente minutes par semaine. Et, pour être plus compétitif, réduire l’impôt sur les sociétés et appliquer une augmentation fiscale des ménages.  Que du bonheur…

Aller vers une économie de marché mondialisée ne lui fait pas peur, au contraire.  Et il parle des producteurs de cognac très favorables à un accord de libre-échange comme  le Mercosur, entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud, ce qui leur permettrait d’accéder à de nouveaux marchés ».  Un peu facile! Jean-Marc Daniel se fait l’apologie du libre échange, mais se garde bien de parler des millions de tonnes de poulets produits industriellement au Brésil. Les éleveurs français, eux, sont soumis une réglementation stricte en matière d’environnement et bien-être animal. Ce libre-échange déstabiliserait ainsi le marché, le prix au kilo du poulet européen  étant trois fois plus élevé. Bonjour le chômage avec la fermeture des exploitations avicoles!
Idem pour la viande, au Brésil, six kgs de pesticides à l’hectare et fermes-usines avec vaches confinées! Avec, pour les consommateurs, maladies et cancers à la clé! ne  respectant les normes européennes.
Le libre-échange est mieux que le protectionnisme selon lui et la plupart des économistes, et c’est au consommateur de décider. Un peu facile, non? Mais, avec quels outils efficaces, quand il va au super-marché ou dans une supérette? Rappelons à Jean-Marc Daniel que la très grande majorité des Français, jeunes ou moins jeunes, ne sortent ni de Polytechnique ni de Sciences Po, ni même d’une université ou d’un lycée.
Quant aux récents dégâts sur l’environnement causés à la planète par l’énorme dépense énergétique des immenses groupes agro-industriels… Jean-Marc Daniel dit bien qu’il y a urgence en matière climatique et que l’humanité n’a jamais brûlé autant de charbon. Mais tout se passe comme si il faisait confiance au libéralisme et à la concurrence entre les entreprises… Quand le cheptel français dégage du méthane, cela a un prix, réplique-t-il. Si le Mercosur est appliqué tel quel, quelles en seront les conséquences alimentaires donc physiologiques,  et donc socio-politiques?

Autre solution-miracle de cet économiste distingué : privatiser la Sécurité sociale et créer un système d’assurances privées: ainsi les médecins prescriraient moins d’actes et médicaments inutiles, et il y aurait moins d’abus. Elémentaire, mais un peu naïf, non ? Ceux qui ne pourront pas, faute d’argent, se soigner de maladies infectieuses, contamineront les autres? Cela coûterait finalement très cher en soins et médicaments, en heures de travail perdues, donc serait nuisible à l’économie. Là-dessus, silence radio: Jean-Marc Daniel se garde bien de fournir le moindre avis des grands patrons des hôpitaux… qui le remettraient sans doute vite d’équerre.
Les effets, souvent catastrophiques quand la santé dépend uniquement ou presque de la rentabilité, n’affolent guère cet ex-Polytechnicien qui semble avoir la mémoire courte. Qu’il relise l’excellent Les Fossoyeurs de Victor Castanet sur le scandale Orpea où dans les E.P.A.D.H. privés, le but était de réaliser économies partout… Tout cela au grand profit des actionnaires. Serait-il si bien soigné et quel serait le prix à payer? Jean-Marc Daniel, en surpoids évident, quand il aura des pépins de santé comme tout le monde, ne semble pas vouloir se poser la question… En attendant, il peut réfléchir au témoignage de ce professeur de musique français, ayant longtemps vécu en Angleterre : «Nous avions déjà vu ce que cela donnait avec le ferroviaire privatisé par Margaret Thatcher mais, si tu veux savoir ce que sera le système hospitalier en France dans dix ans, va voir ce qui se passe dans les hôpitaux anglais, tu ne seras pas déçu du voyage! »
Sans doute les populations vivent-elles plus longtemps : c’est un fait incontestable… et cela exige soins, examens et médicaments. La Suède et les pays nordiques, eux, ont mis au point des système de soins plus rationnel et malgré des imperfections, cela tient financièrement la route. Et à l’hôpital de Bergen (Norvège),  il y a  un lit pour l’un des parents, dans la chambre où est opéré ou soigné leur enfant. Peut-être Jean-Marc Daniel trouverait-il cela trop cher?
Mais si on veut suivre ses arguments, mieux vaut  avoir de solides connaissances en matière d’économie! Une « causerie » bien menée et parfois drôle… mais qui n’est pas vraiment une causerie, le public n’étant pas invité pas à poser des questions.  Dommage. Enfin si cela vous tente, il y a encore des séances en janvier. Les places sont à 28  €  quand même.

Philippe du Vignal

 Causerie vue le 18 janvier  au Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.

Les 24, 25 et 31 janvier.

 

On n’a pas pris le temps de se dire au revoir de et par Rachid Bouali

On n’a pas pris le temps de se dire au revoir, de et par Rachid Bouali

Cela se passe au théâtre de la Concorde, à l’ex-Espace Cardin où la Mairie de Paris avait relogé le Théâtre de la Ville, le temps (sept ans! à cause d’un désamiantage), que les travaux de réhabilitation soient faits…  » Toutes nos activités sont participatives, interactives et engageantes, dit Elsa Boublil, sa directrice. « Je vois le théâtre de la Concorde comme un “nouveau” théâtre, très éditorialisé dont les spectacles sont les caisses de résonance des réflexions en cours… »
Et pour répondre à la volonté de faire de ce théâtre, une grande université populaire de la démocratie ouverte à tous, sont proposés des ateliers pour acquérir les compétences en matière de citoyenneté active : prise de parole en public, gestion de projet citoyen, conférences pour approfondir des sujets liés à la démocratie, formations sur les droits civiques, responsabilité citoyenne, compréhension des institutions démocratiques et événements thématiques autour de thèmes qui y sont liés : éducation civique, inclusion, justice sociale…

Mais il y a aussi des spectacles, comme celui-ci où Rachid Bouali, comédien, auteur et metteur expérimenté  revient, dit-il  » à ses sources ». Lui, le petit garçon a toujours vécu en France, d’abord à Lem dans le Nord mais ses parents étaient venus d’un village montagneux de Kabylie. Dans les années soixante, son père pour échapper à la misère et faire vivre sa famille, avait été recruté après une pseudo-visite médicale pour aller travailler en France. A l’époque, on recherchait de la main-d’œuvre dans les travaux publics, l’automobile, la construction… Sa femme et sa fille sont venues ensuite le rejoindre à Lem ( Nord) où d’autres enfants sont nés, dont Rachid Bouali.

© mattis bouali

© Mattis Bouali

Les collines de Kabylie que ses parents voyaient comme un paradis, étaient encore bien là mais son père en parlait rarement. Et ils essayaient le plus possible de coller au modèle français. La famille vivait dans un H.L.M mais put ensuite habiter dans une vraie maison avec un petit jardin et  quatre chambres.  » C’était Versailles, disait le père de Rachid Bouali.
Mais l’acteur évoque aussi le passé douloureux de l’Algérie qui, au fil des siècles a été souvent envahie, et la France dès 1830 sous Louis-Philippe, commença à coloniser le pays puis Napoléon III continua. L’administration française saccageant systématiquement les institutions locales, et fut mis en place un code de l’indigénat, les « Français de souche »ayant seuls le droit de vote…mais priés de participer aux deux guerres mondiales. Jusqu’aux révoltes de Sétif en 45, très sévèrement réprimées avec à la clé, des milliers de morts algériens et aux attentats de 54: « L’Algérie, c’est la France, disait François Mitterrand, alors ministre des Armées, qui déclenchera la répression: 100.000 soldats seront affectés dans les Aurès.
L’Algérie, un pays que Rachid Bouali, né en France, n’a pas connu tout de suite, même si sa mère rêvait d’y retourner. Et il voit bien les sacrifices et les renoncements que ses parents ont dû faire pour que leurs enfants aient une vie digne et puissent s’intégrer au pays devenu le leur. A la maison, on parlait berbère mais le père rappelait sans cesse qu’il ne fallait pas déranger les voisins… Et comme les Français à l’école primaire, ces enfants devaient parler mieux qu’Afarik, alias Frédéric, un prénom que sa mère n’arrivait pas à prononcer,  et ils devaient réussir, aussi bien que leurs camarades. Mission accomplie: un de leurs petits-fils est devenu ingénieur en aéronautique.

Mais Rachid Bouala se demandait à dix-huit ans qui il était: un Kabyle, à la maison et un Français, au lycée? Un Arabe pour les Français et un Français pour les Algériens d’Algérie Et il s’avoue être porteur d’une double culture. Et il verra avec émotion raser la cité de transit où il  vécut avec d’autres enfants émigrés portugais, algériens, tunisiens, marocains mais aussi polonais,  italiens.
« Ça y est, les ordres sont donnés, l’e1acement de ma cité a commencé. Pelleteuses, chargeuses, tractopelles, bulldozers… Devant moi, la grande Armada ! Les premières maisons, bardées de parpaings et de barres de fer, se laissent pénétrer dans une tranquillité déconcertante. Ça déglingue de partout, ça dézingue à tout va, (Il se retourne vers son père). «Attendez, n’allez pas trop vite ! » (à l’infirmier) (Au public) Malheureux hasard, maudite coïncidence !
J’ai d’un côté ma cité d’enfance qui s’ensable et de l’autre, petit papa qui s’enruine lentement à l’hôpital. (Au public) Les médecins sont formels, ça n’est plus qu’une question de temps. De sale temps certes, mais de temps… Les organes vitaux sont vétustes, il faut voir l’état de délabrement, de décrépitude dans lequel la cité se trouve. Les poumons ventilaient mal, bronchite chronique à tous les étages, arythmie du côté du cœur, insuffisance rénale, dégénérescence du cerveau. ( Il regarde son père) Papa ça va ? »

Rachid Bouali connait le pouvoir magique des mots pour transmettre oralement une histoire, en l’occurrence son histoire, dans une langue maternelle qui n’est pas celle de ses parents, comme il le dit avec humour.  D’un côté, après une guerre de dix ans, celle de l’indépendance du pays qui a vu naître ses père et mère  et d’un autre côté, la sienne, celle d’une identité qu’il a sut acquérir  à force de travail comme tous les acteurs…
Sur le plateau, aucun décor, quelques rectangles lumineux  mais Rachid Bouala, avec une diction et une gestuelle parfaite, emmène le public où il veut, avec un récit très au point, souvent émouvant-quand son père est hospitalisé-et qui sonne toujours juste. En cette fin d’année plutôt avares en bons spectacles, un moment fort et salué debout par les spectateurs. Rares sont les monologues de cette force et de cette sensibilité, très loin heureusement, des plats solos de nombreux soi-disant humoristes qui fleurissent un peu partout…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 21 décembre, Théâtre de la Concorde, 2 avenue Gabriel, Paris (VIII ème).

Les 6 et février, Le Quai des Arts, Veynes ( Hautes-Alpes). Le 21 février, Théâtre Charcot, Marcq-en-Barœul (Nord).

Le 6 mars, L’Escapade, Hénin-Beaumont (Nord).

Le 13, 14  et 15 mai, Centre Dramatique National-La Manufacture, Nancy (Meurthe-et-Moselle)

Le 26 juin, Théâtre Traversière, Paris ( XII ème).

A partir du 4 juillet au festival off Avignon (Vaucluse).

 

 

Kolizion, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

Kolizion, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

 Un sorte de fable contemporaine à l’usage des grands et moins grands: Mehdi (en français : le guide éclairé par Dieu) est né par une nuit de pleine lune mais sans avoir été vraiment désiré- septième fils! de Malek et de Hayat (en français le Roi et la Vie). Ils n’étaient pas bien riches et cette naissance tombait mal pour ce mineur et  pour cette femme au foyer comme on dit. Avec tous ces enfants, il y avait du travail: ménage quotidien, courses, rangements, lessive et jamais beaucoup d’argent. Une famille très unie et Medhi est très aimé de ses parents et de ses frères. Mais, quand il avait six mois, confié à un aîné qui le berçait trop vite, le bébé percute un mur et sera hospitalisé deux semaines, d’où le surnom: Kolizion, qu’on lui donna. Et, à neuf ans, pour s’amuser, il allume un feu dans le jardin avec de l’essence et sera gravement brûlé…

© F. Robin

© F. Robin

Mehdi, brillant élève, obtiendra ensuite sans difficulté brevet puis bac avec mention très bien et sera admis en maths-sup et maths-spé.
Devenu étudiant, il bosse comme un fou, mange peu et quand il a le temps, n’a aucun loisir mais prend des médicaments pour arriver à tenir le coup et ne pas sombrer dans la dépression qui le guette.
Il arrivera à finir ses études et trouvera facilement du travail dans une entreprise où il se rendra indispensable et où il grimpera vite dans la hiérarchie.

Ce benjamin aimé, très soutenu par les siens, est le seul à avoir fait de longues études-ses frères sont tous artisans du bâtiment- et il ne peut les décevoir…Très bien payé, il réussira à acheter une maison à ses parents. Mehdi est bien conscient que toutes ces années de travail acharné et de sacrifices,  risque pourtant de le faire tomber malade et passer à côté d’une vie plus paisible…voire heureuse avec une belle jeune femme qu’il convoitait…
Mais il accepte les méfaits du capitalisme et la rentabilité qu’on impose aux cadres de son entreprise. Et quel que soit le prix à payer, il travaille de plus en plus et à la limite de ses forces. Jusqu’au jour où… Nous ne vous dévoilerons pas la fin-un peu téléphonée-de cette saga personnelle que Nasser Djemaï met en scène brillamment en une heure quarante, dans une série de dix-huit tableaux.

 Cela se passe sans doute en France ou dans un pays européen. Une belle scénographie signée Emmanuel Clolus.  Sur le plateau couvert de copeaux d’écorce avec au centre de grosses bougies symbolisant les membres de la famille  et où s’entassent de nombreux livres-ceux qui n’existaient pas dans la maison familiale-une théière en inox, une cocote-minute, des fagots de bois mort, un fauteuil en rotin, un cadre de porte… Radouan Leflahi, acteur déjà confirmé, est exceptionnel: jeu intense et juste sans aucune criaillerie, diction magistrale, maîtrise absolue de la langue française et gestuelle impeccable:rare et cela le plus grand bien..
Il emporte le public là où il veut dans ce récit personnel écrit et mis en scène par Nasser Djemaï, le directeur du théâtre des Quartiers d’Ivry. C’est un travail précis mais ce monologue est sans doute un peu trop long et dans les vingt dernières minutes, fait un peu du sur-place. Nasser Djemaï aurait pu aussi nous épargner d’abondants jets de fumigène et des lumières stroboscopiques : deux stéréotypes inutiles… A ces réserves près, c’est un bon spectacle qui sera joué longtemps et servi-nous insistons-par un acteur vraiment exceptionnel. 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 20 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Du 4 au 7 février, sur ces dates: avec Adil Mekki,  MC2 Grenoble-Scène nationale (Isère)

Le 7 mars, Les Passerelles-Centre culturel de Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Du 20 au 22 mars  Théâtre Joliette-Scène conventionnée, Marseille (Bouches-du-Rhône). Du 25 au 30 mars, Scène de Bayssan (Hérault).

Les 3 et 4 avril, Théâtre Sartrouville et des Yvelines-Centre Dramatique National. Du 9 au 11 avril, Théâtre de Nîmes- Scène conventionnée (Hérault).

Le texte est paru aux éditions Actes Sud-Papiers.



 

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

 

Une histoire vraie, celle de Marguerite Sirvins internée à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). La folie : à soixante-cinq ans, elle est sûre d’en avoir dix-huit et de rencontrer bientôt son fiancé. Ce sera l’amour parfait, le bonheur. Elle va donc confectionner sa robe de mariée. Comment et où trouver ce qu’il faut en pleine seconde guerre mondiale, dans la misère et le dénuement qui frappent avant tout les asiles psychiatriques dans une France occupée par l’Allemagne nazie?
L’hôpital de Saint-Alban représentera une sorte de miracle de résistance, et a caché parmi d’autres le poète Paul Eluard et sa femme Nush, l’équipe accomplissant des prouesses pour nourrir les pensionnaires et inventant pour les «fous » l’art-thérapie.

©  Alain Bron

© Alain Bron

Marguerite tire un à un les fils d’un vieux drap, raboute, découpe, coud, brode et crée la robe reconnue plus tard par Jean Dubuffet comme un trésor d’art brut, exposé aujourd’hui au musée Lausanne. Katherine L. Battaiellie a donné une voix à Marguerite, livrant avec pudeur et franchise toute la vérité que contient le délire. La folie a cela de commun avec la poésie et le théâtre : « tout est faux et tout est vrai». On suit chez Marguerite le chemin de l’amour, « pas comme les bêtes », mais celui des contes, dans toute leur noblesse ou du Cantique des cantiques.
Marie-Catherine Conti donne sa voix à Marguerite. Toujours juste, elle se prête à la fatigue de cette femme depuis longtemps hors du monde et qui ne se plaint pas, enfin pas trop… Elle incarne sa réelle jeunesse de vieille rêveuse, nourrie d’une solide espérance. Oui, bien sûr, l’Époux viendra.
Cela n’empêche pas Marguerite d’entendre les bruits de l’asile, de se méfier des «autres», les méchantes qui ne sont pas comme elle appelée à un grand destin d’amour. Avec les belles respirations au violoncelle de Lucie Lacour (une musique enregistrée, mais d’une vraie et belle présence), on oublie l’interprète pour penser à cette Marguerite…  Moments de sérénité, certitude, crainte mais aussi fébrilité quand elle joue avec ses poupées en chiffon qui donnent corps à sa mère, à elle-même, à ce qu’elle imagine, elle jamais aussi «folle» que quand elle nous parle «normalement». On a besoin des guillemets pour rendre compte de l’expressivité du théâtre. Elle en sait des choses sur l’amour, Marguerite, que nous, pauvre public, ne savons pas.

Et cela la met en colère, parfois, que nous soyons si ignorants. La salle basse de l’Essaïon est parfaite pour cette Robe de mariée, avec sa voûte de pierre sans âge et son arcade mystérieuse, une profondeur dont on ne sait où elle mène-sans fenêtre-si l’on ne compte pas celles, mentales, qu’ouvre le personnage, ni celle que constitue le public.
Une cellule à la mesure de l’actrice, à la dimension de la confidence qui prend, on l’a vu, l’ampleur d’une fable. Le public est attentif, troublé devant ce délire si palpable, si simple, jusqu’à être emporté par l’émotion finale. Marie-Catherine Conti a réalisé elle-même cette « robe de mariée » que nous dévoilera le spectacle : une façon de coudre son texte, son rôle, point par point, geste par geste. Une belle façon cachée de travailler Marguerite, qu’elle rend si présente.

Christine Friedel

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris( IV ème). T. :c01 42 78 46 42 .

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, éditions marguerite waknine.

Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx, Gallimard, (2017)

 

 

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

 « Gardarem lo Larzac !» Tout a commencé sur ce Causse des Cévennes en 1971, quand le gouvernement, par la voix du ministre de la Défense Michel Debré, voulut imposer l’extension d’un vaste camp militaire. Radicale, la colère se répand et les paysans, soutenus par la France entière, se mobilisent et signent un document : «Le Larzac restera/Notre terre servira à la vie/ Des moutons, pas de canons/ Jamais nous ne partirons./ Debré, de force, nous garderons Larzac!» La lutte dura jusqu’en 1981 quand, sur décision de François Mitterrand, élu président de la République, ce projet fut vite abandonné. Les paysans avaient vaincu et l’agriculture au Larzac maintenant se porte bien, comme en témoigne Philippe Durand. D’où le point d’exclamation de son titre…

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Après le succès de 1336 (Parole de Fralibs)*, un seul en scène construit à partir d’interviews des ouvriers de Fralib,  » Française d’alimentation et de boissons». Après plus de trois ans de lutte, ils remportèrent une victoire sans précédent sur cette multinationale anglo-néerlandaise d’Unilever qui voulait délocaliser la production…
Ici, l’acteur récidive et donne la parole aux paysans du Larzac. Avec lui, ce ne sont pas les anciens combattants des années soixante-dix qui s’expriment, comme dans le film Tous au Larzac de Christian Rouaud  (2011) mais leurs dignes héritiers. A la suite de leurs aînés, ils n’ont cessé d’inventer des solutions pour garder la main et vivre sur leur territoire. 

 En 1984, ils ont fondé en la Société Civile des Terres du Larzac pour exploiter les 6.300 hectares cédés par l’État, avec un bail emphytéotique jusqu’en 2085. Cette structure gérée collectivement met à disposition ferme et terre agricole à des nouveaux venus,  à condition de les quitter à l’âge de la retraite, pour les transmettre à la génération suivante. Le foncier devenant non comme un capital sur lequel spéculer, mais « un outil de travail à valeur d’usage ».

© Mas Razal

© Mas Razal

L’acteur s’empare des mots des Larzaciens, avec leur phrasé, leurs silences et, derrière, leurs manières de dire. Ce sont eux qui se trouvent devant nous, à nous raconter en personne l’expérience hors du commun de la S.C.T.L. : « On a construit avec les anciens, tu vois/ Donc, c’est vraiment construit avec la mémoire syndicale mais vivante /Pas une mémoire syndicale livresque, tu vois, ouais !/ On a fait des colloques/ On a fait des journées du foncier/ Avec des gens qui venaient de toute la France si tu veux (…) »

Assis à sa table de conférencier, l’acteur fait surgir devant nous une galerie de personnages, sans jamais forcer l’expression, composer ou caricaturer. Une parole brute pour nous dire leur vie sur le Causse, la beauté des paysages, la rudesse du climat et le bonheur d’être son propre maitre.Il est possible de travailler la terre autrement qu’en la possédant, disent-ils aussi: «Et on a obligé les gens à être imaginatif sur quoi produire sur ces fermes/ plutôt qu’d’se dire : «Plus j’ai d’hectares et plus je vais m’en sortir » /c’est ça le raisonnement autour hein !/Et autour/on voit bien que le pays se désertifie quoi /ça a permis/ Qu’on est le seul secteur en France/ où y a plus de paysans aujourd’hui qu’y en avait dans les années 80.»

 «J’ai retrouvé cette langue que j’avais considérée comme un trésor populaire dès mon premier projet Paroles de Stéphanois, dit Philippe Durand. Ils ont le verbe haut, coloré, l’esprit vif, joyeux, le sourire dans les yeux, la poésie sous la langue, la pensée fulgurante de bon sens. » Ce chaleureux spectacle nous transmet la relation de sympathie et confiance que l’artiste a établies avec une quarantaine de femmes et d’hommes, toutes générations confondues. Il est resté longtemps parmi eux, habitant dans une caravane au milieu des champs, pour partager une expérience unique.
Il voit en la S.C.T.L. un laboratoire foncier: «L’outil fait rêver. Il a pu m’apparaître parfois comme un eldorado démocratique. Mais l’aventure de la démocratie est un vrai travail. Elle ne va pas sans difficultés. » Philippe Durand tisse de multiples points de vue, sans nier la complexité de la vie collective. Une nouvelle paysannerie issue des luttes anciennes, n’est plus viscéralement attachée à la terre jusqu’à se faire posséder par elle comme dans La Terre d’Émile Zola.

Ce modèle attire beaucoup de néo-ruraux de toute origine qui n’ont pas à s’endetter à vie , soit une centaine de sociétaires, agriculteurs ou pas. Il y a même une troupe de théâtre. Le plus dur : tout laisser à la retraite mais le collectif envisage des solutions et beaucoup restent au pays. Un modèle social que ce spectacle contribuera à transmettre, à faire découvrir et connaître.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 mars au Théâtre des Sources, Festival des arts de la parole jusqu’au 5 avril, 8 avenue Jeanne et Maurice Dolivet, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). T. : 01 71 22 43 90.

 Du 20 au 24 mars, Théâtre Jean Lurçat, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse) ; du 26 mars au 7 avril,  MC2 Grenoble (Isère).

Du 9 au 11 avril, Mont-Saint-Aignan, Rouen (Seine-Maritime) ; les 19 et 20 avril, Théâtre Le Hangar, Toulouse (Haute-Garonne) ; du 25 au 27 avril, avec l’association Traverse, à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) .

Les 2 et 3 mai, dans les villages de la Communauté de communes de la Châtaigneraie (Cantal).

Du 29 juin 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

*Parole de Fralibs est publié aux éditions D’ores et Déjà.

 

 

 

Colette, l’incorrigible…besoin d’écrire ,d’après Colette, adaptation de Nathalie Prokhoris

Colette, l’incorrigible…besoin d’écrire,d’après Colette, adaptation de Nathalie Prokhoris

En conteuse, l’actrice s’empare des récits intimes de Colette (1873-1954) pour revenir aux sources de sa vocation d’autrice. Elle tisse un fil entre les inventions langagières de la petite fille, les conseils pratiques de sa mère et les velléités d’écrivain de son père, l’insaisissable capitaine Jules Colette.
Nous sommes dans l’antre de Colette, éclairée par une petite lampe parmi un fouillis de manuscrits et papiers épars. Nathalie Prokhoris, en tenue d’intérieur, se glisse pendant une heure dans la peau de cette écrivaine en pleine maturité, avec des extraits de ses textes, entre autres, La Maison de Claudine, Sido, L’Entrave, Le Képi, Journal à rebours, etc.

©x

©L Navarrro

La romancière en panne d’écriture revient sur son enfance. «J’étais faite pour ne pas écrire.», «Je ne voulais pas écrire. » Déclarations surprenantes chez celle qui avait la plume déliée. En remontant le temps, se dessinent les figures de Sido, sa mère dont elle tient le goût pour la terre et la nature, et surtout de son père.
Colette revoit sa bibliothèque, en détaille les rayons et sur son bureau, un attirail de plumitif qui la séduit tant. Elle évoque aussi son manteau de spahi mangé par les mites, les vers qu’il lui récitait, trop chargés d’adjectifs, et les livres qu’il n’a pas écrits, assemblages de pages vierges…

Avec ces «œuvres inconnues en papier vergé», son père lui disait comme Mac Mahon: »Pense à la relève ». Elle découvrit après sa mort, des volumes fantômes aux titres évocateurs d’une carrière militaire. Et sur les feuilles blanches, elle écrivit ses premiers textes en se demandant tout au long de sa vie : «Mais quand s’arrête-t-on d’écrire?
«Ce spectacle est né de mes bonheurs de lectrice et de ma passion pour son univers.», dit Nathalie Prokhoris. Dirigée par Christine Culerier, elle nous fait entendre la langue de Colette, son humour.  Et avec délicatesse, sans chercher à composer un personnage, elle nous entraîne dans la fabrique secrète de l’écriture : «Ah ! Cette lutte patiente contre la phrase qui s‘assouplit, s’assoit en rond comme une bête apprivoisée, l’attente immobile, l’affût, qui finit par charmer le mot. » dit-elle, dans La Vagabonde (1910).

Nous goûtons avec gourmandise ces morceaux choisis pleins de trouvailles, cette plume effrontée, ces dialogues enlevés. Et ce spectacle nous met en appétit pour continuer à lire une prose élégante, libre et qui n’a pas pris une ride.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 2 mars, La Folie-Théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt, Paris (XI ème) T. :01 45 55 14 80.
Le spectacle est repris dans ce théâtre à partir du 8 septembre 2024, tous les dimanches à 19h, jusqu’au 5 janvier.

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