Kolizion, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

Kolizion, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

 Un sorte de fable contemporaine à l’usage des grands et moins grands: Mehdi (en français : le guide éclairé par Dieu) est né par une nuit de pleine lune mais sans avoir été vraiment désiré- septième fils! de Malek et de Hayat (en français le Roi et la Vie). Ils n’étaient pas bien riches et cette naissance tombait mal pour ce mineur et  pour cette femme au foyer comme on dit. Avec tous ces enfants, il y avait du travail: ménage quotidien, courses, rangements, lessive et jamais beaucoup d’argent. Une famille très unie et Medhi est très aimé de ses parents et de ses frères. Mais, quand il avait six mois, confié à un aîné qui le berçait trop vite, le bébé percute un mur et sera hospitalisé deux semaines, d’où le surnom: Kolizion, qu’on lui donna. Et, à neuf ans, pour s’amuser, il allume un feu dans le jardin avec de l’essence et sera gravement brûlé…

© F. Robin

© F. Robin

Mehdi, brillant élève, obtiendra ensuite sans difficulté brevet puis bac avec mention très bien et sera admis en maths-sup et maths-spé.
Devenu étudiant, il bosse comme un fou, mange peu et quand il a le temps, n’a aucun loisir mais prend des médicaments pour arriver à tenir le coup et ne pas sombrer dans la dépression qui le guette.
Il arrivera à finir ses études et trouvera facilement du travail dans une entreprise où il se rendra indispensable et où il grimpera vite dans la hiérarchie.

Ce benjamin aimé, très soutenu par les siens, est le seul à avoir fait de longues études-ses frères sont tous artisans du bâtiment- et il ne peut les décevoir…Très bien payé, il réussira à acheter une maison à ses parents. Mehdi est bien conscient que toutes ces années de travail acharné et de sacrifices,  risque pourtant de le faire tomber malade et passer à côté d’une vie plus paisible…voire heureuse avec une belle jeune femme qu’il convoitait…
Mais il accepte les méfaits du capitalisme et la rentabilité qu’on impose aux cadres de son entreprise. Et quel que soit le prix à payer, il travaille de plus en plus et à la limite de ses forces. Jusqu’au jour où… Nous ne vous dévoilerons pas la fin-un peu téléphonée-de cette saga personnelle que Nasser Djemaï met en scène brillamment en une heure quarante, dans une série de dix-huit tableaux.

 Cela se passe sans doute en France ou dans un pays européen. Une belle scénographie signée Emmanuel Clolus.  Sur le plateau couvert de copeaux d’écorce avec au centre de grosses bougies symbolisant les membres de la famille  et où s’entassent de nombreux livres-ceux qui n’existaient pas dans la maison familiale-une théière en inox, une cocote-minute, des fagots de bois mort, un fauteuil en rotin, un cadre de porte… Radouan Leflahi, acteur déjà confirmé, est exceptionnel: jeu intense et juste sans aucune criaillerie, diction magistrale, maîtrise absolue de la langue française et gestuelle impeccable:rare et cela le plus grand bien..
Il emporte le public là où il veut dans ce récit personnel écrit et mis en scène par Nasser Djemaï, le directeur du théâtre des Quartiers d’Ivry. C’est un travail précis mais ce monologue est sans doute un peu trop long et dans les vingt dernières minutes, fait un peu du sur-place. Nasser Djemaï aurait pu aussi nous épargner d’abondants jets de fumigène et des lumières stroboscopiques : deux stéréotypes inutiles… A ces réserves près, c’est un bon spectacle qui sera joué longtemps et servi-nous insistons-par un acteur vraiment exceptionnel. 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 20 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Du 4 au 7 février, sur ces dates: avec Adil Mekki,  MC2 Grenoble-Scène nationale (Isère)

Le 7 mars, Les Passerelles-Centre culturel de Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Du 20 au 22 mars  Théâtre Joliette-Scène conventionnée, Marseille (Bouches-du-Rhône). Du 25 au 30 mars, Scène de Bayssan (Hérault).

Les 3 et 4 avril, Théâtre Sartrouville et des Yvelines-Centre Dramatique National. Du 9 au 11 avril, Théâtre de Nîmes- Scène conventionnée (Hérault).

Le texte est paru aux éditions Actes Sud-Papiers.



 


Archives pour la catégorie seul en scène

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

 

Une histoire vraie, celle de Marguerite Sirvins internée à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). La folie : à soixante-cinq ans, elle est sûre d’en avoir dix-huit et de rencontrer bientôt son fiancé. Ce sera l’amour parfait, le bonheur. Elle va donc confectionner sa robe de mariée. Comment et où trouver ce qu’il faut en pleine seconde guerre mondiale, dans la misère et le dénuement qui frappent avant tout les asiles psychiatriques dans une France occupée par l’Allemagne nazie?
L’hôpital de Saint-Alban représentera une sorte de miracle de résistance, et a caché parmi d’autres le poète Paul Eluard et sa femme Nush, l’équipe accomplissant des prouesses pour nourrir les pensionnaires et inventant pour les «fous » l’art-thérapie.

©  Alain Bron

© Alain Bron

Marguerite tire un à un les fils d’un vieux drap, raboute, découpe, coud, brode et crée la robe reconnue plus tard par Jean Dubuffet comme un trésor d’art brut, exposé aujourd’hui au musée Lausanne. Katherine L. Battaiellie a donné une voix à Marguerite, livrant avec pudeur et franchise toute la vérité que contient le délire. La folie a cela de commun avec la poésie et le théâtre : « tout est faux et tout est vrai». On suit chez Marguerite le chemin de l’amour, « pas comme les bêtes », mais celui des contes, dans toute leur noblesse ou du Cantique des cantiques.
Marie-Catherine Conti donne sa voix à Marguerite. Toujours juste, elle se prête à la fatigue de cette femme depuis longtemps hors du monde et qui ne se plaint pas, enfin pas trop… Elle incarne sa réelle jeunesse de vieille rêveuse, nourrie d’une solide espérance. Oui, bien sûr, l’Époux viendra.
Cela n’empêche pas Marguerite d’entendre les bruits de l’asile, de se méfier des «autres», les méchantes qui ne sont pas comme elle appelée à un grand destin d’amour. Avec les belles respirations au violoncelle de Lucie Lacour (une musique enregistrée, mais d’une vraie et belle présence), on oublie l’interprète pour penser à cette Marguerite…  Moments de sérénité, certitude, crainte mais aussi fébrilité quand elle joue avec ses poupées en chiffon qui donnent corps à sa mère, à elle-même, à ce qu’elle imagine, elle jamais aussi «folle» que quand elle nous parle «normalement». On a besoin des guillemets pour rendre compte de l’expressivité du théâtre. Elle en sait des choses sur l’amour, Marguerite, que nous, pauvre public, ne savons pas.

Et cela la met en colère, parfois, que nous soyons si ignorants. La salle basse de l’Essaïon est parfaite pour cette Robe de mariée, avec sa voûte de pierre sans âge et son arcade mystérieuse, une profondeur dont on ne sait où elle mène-sans fenêtre-si l’on ne compte pas celles, mentales, qu’ouvre le personnage, ni celle que constitue le public.
Une cellule à la mesure de l’actrice, à la dimension de la confidence qui prend, on l’a vu, l’ampleur d’une fable. Le public est attentif, troublé devant ce délire si palpable, si simple, jusqu’à être emporté par l’émotion finale. Marie-Catherine Conti a réalisé elle-même cette « robe de mariée » que nous dévoilera le spectacle : une façon de coudre son texte, son rôle, point par point, geste par geste. Une belle façon cachée de travailler Marguerite, qu’elle rend si présente.

Christine Friedel

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris( IV ème). T. :c01 42 78 46 42 .

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, éditions marguerite waknine.

Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx, Gallimard, (2017)

 

 

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

 « Gardarem lo Larzac !» Tout a commencé sur ce Causse des Cévennes en 1971, quand le gouvernement, par la voix du ministre de la Défense Michel Debré, voulut imposer l’extension d’un vaste camp militaire. Radicale, la colère se répand et les paysans, soutenus par la France entière, se mobilisent et signent un document : «Le Larzac restera/Notre terre servira à la vie/ Des moutons, pas de canons/ Jamais nous ne partirons./ Debré, de force, nous garderons Larzac!» La lutte dura jusqu’en 1981 quand, sur décision de François Mitterrand, élu président de la République, ce projet fut vite abandonné. Les paysans avaient vaincu et l’agriculture au Larzac maintenant se porte bien, comme en témoigne Philippe Durand. D’où le point d’exclamation de son titre…

©x

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Après le succès de 1336 (Parole de Fralibs)*, un seul en scène construit à partir d’interviews des ouvriers de Fralib,  » Française d’alimentation et de boissons». Après plus de trois ans de lutte, ils remportèrent une victoire sans précédent sur cette multinationale anglo-néerlandaise d’Unilever qui voulait délocaliser la production…
Ici, l’acteur récidive et donne la parole aux paysans du Larzac. Avec lui, ce ne sont pas les anciens combattants des années soixante-dix qui s’expriment, comme dans le film Tous au Larzac de Christian Rouaud  (2011) mais leurs dignes héritiers. A la suite de leurs aînés, ils n’ont cessé d’inventer des solutions pour garder la main et vivre sur leur territoire. 

 En 1984, ils ont fondé en la Société Civile des Terres du Larzac pour exploiter les 6.300 hectares cédés par l’État, avec un bail emphytéotique jusqu’en 2085. Cette structure gérée collectivement met à disposition ferme et terre agricole à des nouveaux venus,  à condition de les quitter à l’âge de la retraite, pour les transmettre à la génération suivante. Le foncier devenant non comme un capital sur lequel spéculer, mais « un outil de travail à valeur d’usage ».

© Mas Razal

© Mas Razal

L’acteur s’empare des mots des Larzaciens, avec leur phrasé, leurs silences et, derrière, leurs manières de dire. Ce sont eux qui se trouvent devant nous, à nous raconter en personne l’expérience hors du commun de la S.C.T.L. : « On a construit avec les anciens, tu vois/ Donc, c’est vraiment construit avec la mémoire syndicale mais vivante /Pas une mémoire syndicale livresque, tu vois, ouais !/ On a fait des colloques/ On a fait des journées du foncier/ Avec des gens qui venaient de toute la France si tu veux (…) »

Assis à sa table de conférencier, l’acteur fait surgir devant nous une galerie de personnages, sans jamais forcer l’expression, composer ou caricaturer. Une parole brute pour nous dire leur vie sur le Causse, la beauté des paysages, la rudesse du climat et le bonheur d’être son propre maitre.Il est possible de travailler la terre autrement qu’en la possédant, disent-ils aussi: «Et on a obligé les gens à être imaginatif sur quoi produire sur ces fermes/ plutôt qu’d’se dire : «Plus j’ai d’hectares et plus je vais m’en sortir » /c’est ça le raisonnement autour hein !/Et autour/on voit bien que le pays se désertifie quoi /ça a permis/ Qu’on est le seul secteur en France/ où y a plus de paysans aujourd’hui qu’y en avait dans les années 80.»

 «J’ai retrouvé cette langue que j’avais considérée comme un trésor populaire dès mon premier projet Paroles de Stéphanois, dit Philippe Durand. Ils ont le verbe haut, coloré, l’esprit vif, joyeux, le sourire dans les yeux, la poésie sous la langue, la pensée fulgurante de bon sens. » Ce chaleureux spectacle nous transmet la relation de sympathie et confiance que l’artiste a établies avec une quarantaine de femmes et d’hommes, toutes générations confondues. Il est resté longtemps parmi eux, habitant dans une caravane au milieu des champs, pour partager une expérience unique.
Il voit en la S.C.T.L. un laboratoire foncier: «L’outil fait rêver. Il a pu m’apparaître parfois comme un eldorado démocratique. Mais l’aventure de la démocratie est un vrai travail. Elle ne va pas sans difficultés. » Philippe Durand tisse de multiples points de vue, sans nier la complexité de la vie collective. Une nouvelle paysannerie issue des luttes anciennes, n’est plus viscéralement attachée à la terre jusqu’à se faire posséder par elle comme dans La Terre d’Émile Zola.

Ce modèle attire beaucoup de néo-ruraux de toute origine qui n’ont pas à s’endetter à vie , soit une centaine de sociétaires, agriculteurs ou pas. Il y a même une troupe de théâtre. Le plus dur : tout laisser à la retraite mais le collectif envisage des solutions et beaucoup restent au pays. Un modèle social que ce spectacle contribuera à transmettre, à faire découvrir et connaître.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 mars au Théâtre des Sources, Festival des arts de la parole jusqu’au 5 avril, 8 avenue Jeanne et Maurice Dolivet, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). T. : 01 71 22 43 90.

 Du 20 au 24 mars, Théâtre Jean Lurçat, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse) ; du 26 mars au 7 avril,  MC2 Grenoble (Isère).

Du 9 au 11 avril, Mont-Saint-Aignan, Rouen (Seine-Maritime) ; les 19 et 20 avril, Théâtre Le Hangar, Toulouse (Haute-Garonne) ; du 25 au 27 avril, avec l’association Traverse, à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) .

Les 2 et 3 mai, dans les villages de la Communauté de communes de la Châtaigneraie (Cantal).

Du 29 juin 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

*Parole de Fralibs est publié aux éditions D’ores et Déjà.

 

 

 

Colette, l’incorrigible…besoin d’écrire ,d’après Colette, adaptation de Nathalie Prokhoris

Colette, l’incorrigible…besoin d’écrire,d’après Colette, adaptation de Nathalie Prokhoris

En conteuse, l’actrice s’empare des récits intimes de Colette (1873-1954) pour revenir aux sources de sa vocation d’autrice. Elle tisse un fil entre les inventions langagières de la petite fille, les conseils pratiques de sa mère et les velléités d’écrivain de son père, l’insaisissable capitaine Jules Colette.
Nous sommes dans l’antre de Colette, éclairée par une petite lampe parmi un fouillis de manuscrits et papiers épars. Nathalie Prokhoris, en tenue d’intérieur, se glisse pendant une heure dans la peau de cette écrivaine en pleine maturité, avec des extraits de ses textes, entre autres, La Maison de Claudine, Sido, L’Entrave, Le Képi, Journal à rebours, etc.

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©L Navarrro

La romancière en panne d’écriture revient sur son enfance. «J’étais faite pour ne pas écrire.», «Je ne voulais pas écrire. » Déclarations surprenantes chez celle qui avait la plume déliée. En remontant le temps, se dessinent les figures de Sido, sa mère dont elle tient le goût pour la terre et la nature, et surtout de son père.
Colette revoit sa bibliothèque, en détaille les rayons et sur son bureau, un attirail de plumitif qui la séduit tant. Elle évoque aussi son manteau de spahi mangé par les mites, les vers qu’il lui récitait, trop chargés d’adjectifs, et les livres qu’il n’a pas écrits, assemblages de pages vierges…

Avec ces «œuvres inconnues en papier vergé», son père lui disait comme Mac Mahon: »Pense à la relève ». Elle découvrit après sa mort, des volumes fantômes aux titres évocateurs d’une carrière militaire. Et sur les feuilles blanches, elle écrivit ses premiers textes en se demandant tout au long de sa vie : «Mais quand s’arrête-t-on d’écrire?
«Ce spectacle est né de mes bonheurs de lectrice et de ma passion pour son univers.», dit Nathalie Prokhoris. Dirigée par Christine Culerier, elle nous fait entendre la langue de Colette, son humour.  Et avec délicatesse, sans chercher à composer un personnage, elle nous entraîne dans la fabrique secrète de l’écriture : «Ah ! Cette lutte patiente contre la phrase qui s‘assouplit, s’assoit en rond comme une bête apprivoisée, l’attente immobile, l’affût, qui finit par charmer le mot. » dit-elle, dans La Vagabonde (1910).

Nous goûtons avec gourmandise ces morceaux choisis pleins de trouvailles, cette plume effrontée, ces dialogues enlevés. Et ce spectacle nous met en appétit pour continuer à lire une prose élégante, libre et qui n’a pas pris une ride.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 2 mars, La Folie-Théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt, Paris (XI ème) T. :01 45 55 14 80.
Le spectacle est repris dans ce théâtre à partir du 8 septembre 2024, tous les dimanches à 19h, jusqu’au 5 janvier.

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