La Cour aux Ados : festival national des écritures dramatiques pour adolescents

La Cour aux Ados : festival national des écritures dramatiques pour adolescents

b1r0gBMxLa Maison du Geste et de l’Image, lieu de rencontre entre enseignants et artistes met en lien des jeunes avec la pratique artistique, sous l’égide de la Ville de Paris. Depuis septembre 2018, Marie Stutz en a pris la tête à la suite d’Evelyne Panato. Elle est aujourd’hui partenaire d’un nouveau festival, La Cour aux Ados, piloté depuis Clermont-Ferrand par le Théâtre du Pélican. Sont aussi parties prenantes de l’aventure : La Minoterie (Dijon), le Théâtre des Ilets (Montluçon), La Maison-Théâtre (Strasbourg), le festival NovAdo (Rodez), L’Espace 600 (Grenoble), La Coloc’ de la culture (Cournon-d’Auvergne) et le Conservatoire de Clermont-Ferrand.

Cet ambitieux  projet a été lancé par Jean-Claude Gal, directeur artistique du Théâtre du Pélican, Centre de création et d’éducation artistique pour l’adolescence et la jeunesse. L’objectif de ce passionné de théâtre a toujours été de  «donner la parole à la jeunesse à travers les écritures d’aujourd’hui ».  Depuis 2004, il a invité une trentaine d’auteurs en résidence, en Auvergne et chez ses partenaires, pour écrire sur des grands thèmes comme l’amour, les origines (d’où venons-nous ? Où allons nous ?), l’engagement des jeunes… Dernièrement, neuf  écrivains dont Marine Auriol, Claire Rengade, Dominique Paquet, Ronan Mancec, Jean-Pierre Cannet et Claudine Galea, ont planché sur les nouvelles mythologies (quels sont les héros d’aujourd’hui ?) Les textes ont été mis en scène et ont paru, rassemblés, aux éditions Théâtrales sous le titre : Nouvelles Mythologies de la jeunesse.

 Jean-Claude Gal publie lui Un Théâtre des adolescents, un épais recueil de ses expériences au Théâtre du Pélican de 2004 à 2018. Abondamment illustré, l’ouvrage témoigne de l’alchimie créatrice entre les écrivains « éveilleurs sur les territoires de l’esprit » et les jeunes « ces passeurs de monde ».  L’auteur explique comment, au fil du temps, s’est constitué un répertoire théâtral écrit avec et pour eux qu’ils ont aussi porté à la scène. Un répertoire à l’usage également des générations futures, l’adolescent n’étant qu’un oiseau de passage dont l’imaginaire exalté s’ouvre à toutes les utopies comme à toutes les dérives…  Ce livre constitue en tout cas un puissant plaidoyer en faveur de l’éducation artistique et ouvre de nombreuses pistes de travail  aux éducateurs et professionnels des arts … Celui qui «se bat au quotidien pour qu’il y ait des jeunes qui viennent au théâtre» veut « laisser une trace de ce sillon tracé pour véhiculer la force et l’engagement de la jeunesse » , souvent malmenée et consommatrice mais capable aussi de penser sa relation au monde à travers ses troubles, désirs et interrogations.

La Cour aux Ados 2020

hJwlX8SNJeunesse et Philosophie en sera le thème avec neuf auteurs qui seront reçus chez les différents partenaires de ce festival. Catherine Benhamou, en souvenir de l’état amoureux de son adolescence, se demande si:  «être, c’est être aimé ». Fascinée par la « furiosité » des jeunes gens, Solenn Denis aborde la question du bonheur  et avec Lève ta garde, Gilles Granouillet philosophe par le biais de la boxe.  A quoi, à qui, et comment croire ? Tels sera le propos de Sébastien Joanniez, entre mensonge et vérité.
 Pour Sylvain Levey, l’ordre, c’est le conservatisme et désobéir ouvre parfois la voie de la liberté.  Ronan Mancec met en scène des géographes amenés à dessiner une nouvelle carte du monde et à résister face aux pouvoirs établis : dans cet optique, peut-on échapper à la figure du héros ? Selon Nadège Prugnard, le : « Je suis » devrait devenir : « Je suis toi et moi », en écrivant un «je »  pluriel pour explorer et exploser nos identités face aux problématiques migratoires . La Beauté sous toutes ses facettes est au cœur du texte de Gwendoline Soublin.

Enfin, Dominique Paquet, en ambassadrice des écrivain(e)s embarqué(e)s dans cette aventure, présente son projet. Sa longue pratique d’auteure en direction de la jeunesse et d’animatrice d’ateliers-philo lui fait dire qu’elle «philosophe, à auteur d’enfant ».  Elle cite Gaston Bachelard : « Si on veut connaître la pomme, il faut entrer dans la pomme » et  résume: «Je cherche à entrer dans un corps d’enfant fictif, à retrouver ses sensations et ses questions. Son étonnement  quand, à trois ans et demi, l’enfant demande : “Où j’étais avant de naître, et où je serai après ? »

Elle a pu voir, lors de rencontres avec des classes-relais et des enfants peu scolarisés, combien chez certains, les chaînes de causalité faisaient défaut et à quel point pour eux, l’Autre n’existait pas ; ils chosifiaient le monde dans un rapport utilitaire à autrui. Or, on devient humain par la reconnaissance de l’altérité à travers les conflits. Comment faire société, si la décence commune s’effrite ? Sur les pas de Wilhelm-Friedrich Hegel, Friedrich Nietzsche et Emmanuel Lévinas, Dominique Paquet va tenter par la langue, de réveiller la pensée. Sémantique et étymologie seront ses outils, face à la cacophonie contemporaine et au manque de mots pour dire …

 On pourra voir et entendre ces «manifestes  de la jeunesse»  au printemps prochain en Auvergne, joués par des jeunes venus de plusieurs régions.  La Cour aux Ados 2020 veut donner un coup de projecteur sur les initiatives, souvent peu visibles, de  tous ceux qui sont engagés dans l’éducation artistique en y associant aussi metteurs en scène, écrivains, éducateurs et éditeurs. 

 Mireille Davidovici

Le 16 mai, Maison du Geste et de l’Image,  42 rue Saint-Denis Paris (Ier). T. : 01 42 36 33 52

La Cour aux Ados, du 31 mars au 5 avril, Théâtre du Pélican, 12 rue Agrippa d’Aubigné, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) T. : 04 73 91 50 60.

Un Théâtre des adolescents (tome II) de Jean-Claude Gal est publié aux Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand.

 


Qui suis-je ?, d’après le roman de Thomas Gornet, mise en scène de Yann Dacosta

Qui suis-je ?, d’après le roman de Thomas Gornet, mise en scène de Yann Dacosta (à partir de douze ans)

 

Crédit photo : Arnaud Berthereau – Agence Mona

Crédit photo : Arnaud Berthereau – Agence Mona

Grégoire Faucheux  a conçu un espace scénique éblouissant de clarté  qui invite le public à pénétrer du regard l’espace de jeu: une surface blanche de papier glacé, avec sols et murs lisses ; il y a seulement des bancs adossés au châssis du lointain  qui fait aussi office d’écran de projection, avec des images de cour de récréation d’un collège, une salle de classe, des vestiaires de sport, l’intérieur d’un bus, mais aussi la chambre personnelle du protagoniste esseulé dans l’appartement parental…

 Sur l’écran frontal est aussi projetée dans un esprit facétieux d’album pour enfants, une bande dessinée cocasse réalisée par Hugues Barthe. Avec des personnages dessinés au crayon comme les parents du garçon Vincent, son frère Thibault, etc.  qui se mêlent aux acteurs sur le plateau. Comme s’il s’agissait d’une fiction réinventée, d’ une composition savante élaborée.

 Les spectateurs mais aussi les adolescents de tous les collèges du monde, sont comme invités à la démonstration tranquille d’un théorème scientifique : les données sont là, le personnage principal et ses amis, les bons et les méchants, la principale du collège, plus extérieure, le nouvel élève, et l’histoire se met en route avec  des hypothèses posées  pour résoudre un problème.

La mise en scène de Yann Dacosta est précise et poétique. Vincent (Côme Thieulin) est à la fois le personnage et le narrateur d’un parcours intime. Avec calme, retenue et pudeur, il expose au public les tenants et aboutissants de sa propre expérience juvénile, griffée de confusion et d’étrangeté. Un mal-être ressenti dans les vestiaires du collège : le professeur d’éducation physique et sportive le rabroue quand il a des difficultés à  monter à la corde ou des camarades se moquent de lui, de façon insistante. Et ses vrais amis, loin de le harceler, lui font tout de même des remarques difficiles à saisir.

 Vincent, tourné pourtant sur lui-même et sur ses rêves, ne se doute de pas de son orientation sexuelle et ne s’est pas encore posé de  question : «Je me suis toujours demandé ce que les gens entendent par «crise d’adolescence « . Je me demande si, chez moi, elle ne se traduit pas comme ça : une endive incapable de supporter son reflet… »

 Les notes du bon élève Vincent chutent au cours de l’année, et correspondant à l’arrivée d’un nouvel élève dans la classe dont il pressent l’influence : «Je repense à Myriam, à Aziz et ses pieds qui puent, Aux cours de montée à la corde. A la première fois où j’ai vu Cédric. Je regarde ses cheveux noirs. Ses yeux noirs. Son jean. L’élastique de son caleçon qui en dépasse. La grosse boule angoissante monte en moi. OK Je crois que j’ai compris. Ça va pas être facile. » Comment parler «librement» de l’homosexualité, quand on est adolescent, voire adulte ? Rien n’est plus difficile, même si on aborde le sujet avec une fière assurance. Le récit intime de Qui suis-je ? pose avec tact la naissance du désir amoureux, et cette confrontation avec soi perçue à travers l’aiguillon de la différence.

 Un spectacle au thème « sérieux », mais enchanteur et malicieux, et  à connotation enfantine. Et autour de Côme Thieulin, Théo Costa-Marini qui joue les affreux et les gentils, et Manon Thorel qui incarne avec allant, la bonne copine, la principale, etc. font de cette pièce, un joli moment de théâtre pédagogique, et foncièrement humaniste.

Véronique Hotte

11. Gilgamesh Belleville, 11 boulevard Raspail, Avignon, du 6 au 27 juillet, relâche le 18 juillet, à 14h 40. Tél : 04 90 89 82 63

Le roman est paru aux éditions du Rouergue.

 

Radio Live

 

Radio Live (Girl Power, Pourquoi faut-il encore marcher pour les femmes ?) par Aurélie Charon et Caroline Gillet

12650161_10153841264590460_1947691006_n-650x487Aurélie Charon et Caroline Gillet dont les voix sont bien connues des auditeurs de France-Culture et de France-Inter, ont réalisé des séries documentaires sur la jeunesse française et du monde entier (Gaza, Beyrouth, Tel Aviv, Sarajevo, Alger, Moscou, etc.).  Riches de ce matériau, elles proposent en direct et en public depuis 2012 ces soirées Radio Live sur les scènes de l’hexagone : «Ce sont, disent-elles, des séries qui font le portrait d’une jeunesse ni triste ni résignée, qui pense qu’elle a un rôle à jouer pour l’avenir de son pays et la réinvention de nos démocraties (…) C’est une nouvelle génération au micro : on ne va pas faire de grand discours, on ne va pas tomber d’accord sur tout, mais au moins, on se sera parlé». Conçues comme des émissions de radio, chacune de ces soirées accueille trois ou quatre jeunes, accompagnés d’ un(e) musicien(ne).

Quelques jours après la Journée des droits des femmes, la thématique était trouvée : la réussite au féminin et les efforts des jeunes filles pour y arriver. Caroline Gillet et Aurélie Charon mènent les débats et régulent les prises de parole dans un bazar bien organisé, se parlant souvent à l’oreille, traversant le plateau. Amélie Bonnin, elle, dessine en direct à la palette graphique, par-dessus les images projetées sur un grand écran ou parfois, se contente d’écrire : mignon mais un peu répétitif… 

Trois jeunes filles prennent la parole, et dessinent au sol leur maison/chambre, avec un marqueur blanc. Sanjida, originaire du Bangladesh, a fui, seule, son pays après un mariage forcé et imprévu. Aujourd’hui en France, elle cherche à finir ses études et reprend peu à peu contact avec sa famille qu’elle a quittée précipitamment. Maya, trente ans, vient du Liban où elle a gagné un prix à une émission de télé-réalité politique: le droit et le financement pour se présenter aux prochaines législatives… qui ont déjà été repoussées plusieurs fois ! Prochaine date annoncée : juin prochain! Enfin, Nour, une Marseillaise voilée, étudiante en droit et féministe, vient tancer les Parisiens amateurs de foot ! Elle apprécie autant Chopin que le rap, et la révolution tunisienne à laquelle elle a assisté, lui a donné envie de s’engager.

Ces témoignages, souvent émouvants, nous ouvrent au monde extérieur. Malheureusement, le spectacle s’attarde sur des détails: plan de la maison, organisation d’une chambre à coucher, etc. occultant l’essentiel: comment quitter son pays et ses proches ? comment vivre de près la Révolution tunisienne? Et, au lieu des 95 minutes annoncées, la soirée a duré plus de deux heures, après avoir commencé avec vingt minutes de retard !

Un peu débordées, Aurélie Charon et Caroline Gillet ont accéléré le rythme sur la fin, et ont donc laissé peu de temps pour s’exprimer à Inna, une jeune Russe mais elle participera au prochain Radio Live. Et les remarquables interventions musicales de Kyrie Kristmanson étaient trop rares. Dans une salle pleine surtout de jeunes gens, cette soirée, un peu décousue, a quand même apporté des témoignages forts et une belle ouverture d’esprit…

 Julien Barsan

Spectacle vu le 10 mars à à la Maison des Métallos, 94 Rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème.T. 01 47 00 25 20. Autres soirées de Radio-Live à la Maison des Métallos,  les 18 et 19 avril.

Et en mars, à la Comédie de Reims, 3 Chaussée Bocquaine, 51100 Reims, T. : 03 26 09 33 33, dans le cadre du festival Méli-Mômes.

 

 

 

 

J’ai 17 pour toujours, de Jacques Descorde

J’ai 17 pour toujours, texte et mise en scène de Jacques Descorde

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© photo simon gosselin

Cofondateur en 1989, du Théâtre des Docks à Boulogne-sur-Mer, il crée et met en scène des spectacles qui tournent dans la région Nord-Pas-de-Calais, dont J’aime pas l’été et Cut d’Emmanuelle Marie, et En Live, un spectacle écrit et joué par un groupe de 25 personnes en réinsertion. Il crée en 2005 entre autres, Kid-âme d’après des témoignages et interviews sur le thème de l’enfance, texte d’Emmanuelle Marie et Le Veilleur de nuit de Daniel Keene.
Il créera à Boulogne-sur-mer, Les Marathoniens, son premier texte, à partir de témoignage et paroles d’adolescents, Un thème que l’on retrouve ici, souvent traité dans le théâtre contemporain: le passage de l’enfance à l’adolescence.

Adèle et Stella sont de grandes copines de dix-sept ans qui se retrouvent sur le toit-terrasse d’un grand immeuble. Et Stella compte, hiver comme été et depuis deux ans, les fenêtres illuminées des autres immeubles d’en face dans un sorte d’exorcisme de la réalité quotidienne qui ne doit pas toujours être rose, depuis surtout, dit-elle, la mort de sa mère : «1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17. Jʼai 17 ans. Je suis née et je vis dans une ville plantée en bord de mer dans le nord de la France. Là où certains jours par beau temps, on peut y voir les côtes blanches de lʼAngleterre. Là où il se dit que quand elles se laissent apercevoir, cʼest signe de pluie pour le lendemain et quʼil vaut mieux ne pas les voir ces anglais maudits. Elle cʼest mon amie. (Adèle apparaît) Elle nʼest pas dʼici. Ses parents sont venus sʼinstaller dans la ville pour leur travail il y a 5 ans. Elle dit souvent que la mer, ça lui raconte rien et que ça lʼennuie. Elle dit souvent ça. Mais je sais que cʼest pas vrai. Depuis deux ans, depuis la mort de ma mère, je vis seule avec mon père. Depuis deux ans, je ne lui ai pas dit un mot ».

Soit, comme le dit justement Jacques Descorde, «le monde rêvé de l’adolescent contre le monde réel de l’adulte. C’est une vision du monde contre une autre vision du monde. Un idéal contre un ordre établi. » Et ici, les deux ados qui ne le sont quand même plus tout à fait (à un an de leur majorité…) essayent-on est toujours plus fort à deux-de faire face à un monde qui n’est pas le leur, celui de leurs parents qu’elle disent peu responsables et paraissant dans l’incapacité absolue de jouer leur rôle de parents.

Ce mal de vivre et ce refuge dans l’amitié, ces deux gamines le disent dans leur langage à elles, tel du moins que le voit l’auteur, et parfois un peu caricatural dans sa crudité… Mais on voit bien ici et il dit qu’il a rencontré pas mal d’ados dont ses personnages sont les cousins, assoiffés de donner un véritable sens à leur vie. Souvent même, et quelle que soit leur place dans la société, au mépris de cette vie dont ils n’ont pas les codes. Adèle a un petit ami mais attend docilement qu’il l’appelle. Stella rêve d’échapper à l’univers qu’elle a toujours connu depuis son enfance. Elle sont complices et très intimes mais, en même temps, un peu rivales, comme si elles savaient déjà que leur profonde connivence et leur grande amitié, au sortir de l’adolescence, avaient de grands risques d’être emportées par leur histoire personnelle.

Pour le plateau de la petite salle du Théâtre du Nord, Jacques Descorde a imaginé une scénographie séduisante sur le plan plastique mais assez peu convaincante : un sol de caillebotis métallique industriel et aux murs, un curieux assemblage de tubes fluo bleu. Ce qui donne une lumière qui éclaire mal les deux jeunes comédiennes, Astrid Bayiha et Nathalie Bourg. D’autant plus dommage qu’il les dirige très bien et qu’elle sont toutes les deux impeccables et très crédibles dans des rôles pas faciles, si on ne veut pas tomber dans la caricature ou la mièvrerie : la marge de manœuvre est des plus étroites!.
Un spectacle court (62 minutes) mais souvent intense et de grande qualité dans sa langue et le jeu des jeunes comédiennes, et que le public suit avec une rare attention.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre du Nord à Lille, le 20 janvier.

 

 

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S’embrasent de Luc Tartar

 

S’embrasent de Luc Tartar

 

tartarL’histoire se passe dans une cour de collège, dont le train-train quotidien va être bouleversé par un événement de la plus haute importance : Latifa, la nouvelle élève a été embrassée par Jonathan, le plus beau des garçons. On apprend aussi que Jonathan cristallise l’attention des filles, des garçons mais aussi du directeur. Et que cette voisine, une vieille dame qui se présente elle-même comme une rescapée de la canicule, observe, connaît chaque enfant, et laisse des préservatifs à disposition sur le rebord de sa fenêtre.

C’est un récit sur l’amour, dans le microcosme de l’école. Luc Tartar aborde un sujet aussi universel que banal; pourtant S’embrasent est un texte tendre et rafraîchissant sur l’amour où se développe une vraie poésie. «Ce qui m’intéresse avant tout, dit-il, dans l’émoi amoureux, c’est l’envahissement des sens, des corps, c’est l’énergie qui circule entre les êtres et qui agit forcément sur l’équilibre intérieur des personnes. Tomber amoureux, (…) c’est bousculer, heurter, et, in fine remettre en cause l’ordre établi (…) L’amour est un vertige qui nous fait avancer. Je pense à la sculpture d’Alberto Giacometti, L’homme qui marche. »

Deux jeunes filles et deux garçons jouent en alternance les séquences. Et au début, une grand-mère traverse le plateau de cour à jardin, de manière un peu fantomatique, puis s’incarne peu à peu, sur un sol marqué par des lignes comme dans les gymnases, et que la lumière viendra surligner. En fond de scène, un tableau noir qui sera rempli de paroles. La mise en scène d’Éric Jean colle bien avec cette fougue de la jeunesse, et ses comédiens, tous justes, ne tombent  pas dans l’imitation des enfants qu’ils sont censés être.  Sur de nombreuses musiques, avec, entre autres, La belle Histoire de Michel Fugain et Where do I begin, un délicieux play-back où la vieille dame qui se prend pour Shirley Bassey-des lumières changeantes rendent compte de cet état de sidération où plonge  les amis de Jonathan et Latifa.

Pour le spectateur, c’est donc comme devenir amoureux, il en prend plein les yeux et les oreilles, ça bouge de partout, et la pièce est bien rythmée: Luc Tartar possède une belle écriture et se révèle être un excellent dialoguiste. Un beau moment de spectacle très frais que nous offre le Théâtre Bluff, venu du Québec pour quelques dates en France. Bravo et merci au Théâtre Paris-Villette de nous avoir offert cette pépite. Une petite heure qui nous replonge dans l’adolescence et les premières amours…

Julien Barsan

Spectacle vu au Théâtre Paris-Villette. Treize Arches de Brive, le jeudi 2 février. T : 05 55 24 62 22.

Seventeen de François Stemmer

Seventeen de François Stemmer

img_8557-hr1La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (Ville de Paris) encadre des amateurs de toutes disciplines. Après ceux de Saint-Germain-des-Près, Broussais, Saint-Blaise, un nouveau site vient d’ouvrir sous la Canopée des Halles.
La compagnie de François Stemmer, a repris Seventeen, créée en 2013 au Point-Éphémère à Paris par des adolescents, comédiens amateurs pour la plupart. Avec une partie de la distribution normande: des jeunes issus de l’atelier de création de la MPAA.

Seventeen, poème visuel et sonore sur l’adolescence, ne prétend pas faire endosser aux jeunes, d’autres rôles que les leurs. « C’est avant tout le corps que je fais parler, dit François Stemmer, ce corps que les adolescents découvrent encore, et cherchent à apprivoiser, ce corps qu’ils exhibent ou cachent, ce corps qui les raconte. Chacun a son rythme, son style, son look. Je les prends tels qu’ils sont, tels qu’ils bougent et je les dirige, je les fais se regarder, se rencontrer, se provoquer, se toucher, se rejeter, s’aimer, s’amuser, se parler, s’exprimer, partager, découvrir, essayer et créer »
Le but : coller le plus possible à leur identité. Les ombres de David Bowie et d’Arthur Rimbaud, ces deux symboles de la jeunesse sont bien là : on entend les poèmes du poète français, et les chansons de la star américaine, dites ou chantées. Ziggy Stardust, ce  personnage conçu et interprété par David Bowee, icône du  glam rock, est un messager humain d’une intelligence extraterrestre; il cherche à transmettre à l’humanité qui n’a plus que cinq années à vivre, un message d’amour et de paix, mais il finit par être détruit par ses propres excès.
« Avec Ziggy, dit François Stemmer, David Bowie s’est créé un monstre. Certains des adolescents présents sur scène en sont là; qu’ils se cachent derrière un look, un discours, ou une idole, ils ont créé un monstre que je veux aussi montrer.» Malgré des références assez justes à Arthur Rimbaud et David Bowie, le résultat, lui se révèle malheureusement inégal. Pendant la longue scène du début, on entend mal le garçon resté dans la pénombre. Puis, les jeunes gens, seuls ou en groupe, vont se mettre en fond de scène, mais c’est assez  fastidieux. Quand enfin, ils sont alignés en pleine lumière, un drôle de personnage marche lentement (trop) vers l’avant-scène, puis se déshabille avec méthode, en fixant le public et en se contorsionnant.
On pense aux films de Larry Clark ,notamment Wassup Rockers (2004) qui traite de la culture skateboard » et du passage de l’adolescence à l’âge adulte  de sept jeunes d’origine latino-américaine de milieu pauvre… La musique très dansante du groupe danois Junior Senior accompagne une époustouflante chorégraphie: souplesse, fluidité et rythme, chaque jeune possède un talent pour la danse hip-hop, la percussion (cajon), le patin à roulettes, ou le skate. D’autres entonnent de superbes duos.
  Mais les scènes, parfois trop longues, s’enchaînent sans véritable dramaturgie ni rythme, et restent trop illustratives. Dommage ! En effet souvent, ces jeunes, très investis, se livrent ici avec un vrai charisme. Le texte-projeté-de Nina Atlan illustre bien leur frénésie, et parle clairement de sexualité, et sans rien de trop contrôlé…
  Puis le spectacle marque une pause : deux adolescents syriens nous racontent leur voyage : risques pris, déchirements de quitter leur famille, nuits passées à la gare d’Austerlitz. Récit touchant, presque indécent. Cet écart entre ces  combattants de la vie, et d’autres, plus favorisés, crée un malaise : leur histoire fait diversion, alors qu’elle mériterait un spectacle à part entière.
  L’adolescence reste un vaste thème difficile à mettre en scène ; on se souvient encore de la justesse de Comme possible de Didier Ruiz (voir Le Théâtre du Blog). De ce Seventeen, même s’il manque de colonne vertébrale, on gardera des images intéressantes, de beaux visages et une scène finale pleine d’énergie positive, .

Julien Barsan

Spectacle vu au centre de Saint-Germain des-Prés, Maison des Pratiques Artistiques Amateurs/Ville de Paris.

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Gabriel(l)e

Adolescence et territoire(s), troisième édition

 Gabriel(le) par le collectif In Vitro, création collective avec  dix-neuf adolescents, dirigée par Julie Deliquet, Gwendal Anglade et Julie Jacovella

Gabrielle
Depuis 2012, l’Odéon-Théâtre de l’Europe est maître d’œuvred’Adolescence et territoire(s), un projet  qui réunit des  structures associatives et culturelles de  Clichy-la-Garenne, Saint-Denis et Saint-Ouen, voisines des Ateliers Berthier à Paris où,  après Didier Ruiz et Jean Bellorini, le collectif In vitro: Julie Deliquet, Gwendal Anglade et Julie Jacovella  mettent en scène pour cette troisième édition, Gabriel(le).
Gabriel (le) est retrouvée morte accidentellement dans de curieuses circonstances :  dix-neuf jeunes amateurs ont imaginé un spectacle à partir d’improvisations collectives et donnent vie à une fiction : « L’adolescent et le personnage, le réel et l’improvisation cherchent à ne faire qu’un, tel est l’enjeu de ce plateau ».
La question est celle du harcèlement des plus faibles par les plus forts, les groupes de jeunes marginalisant et excluant à plaisir «l’autre». Passer son temps à harceler la personne que l’on sent fragile, fait qu’on s’éprouve soi-même comme plus fort et plus solide dans un geste illusoire de pouvoir mais dont les conséquences peuvent être tragiques.
Être du côté du bourreau, un challenge, et tenir la victime à ses côtés pour la soumettre sans répit à de petites attaques réitérées; l’exciter, l’attaquer par des moqueries, des paroles blessantes ; l’importuner enfin par des demandes, des sollicitations et des pressions ; bref,  lui rendre la vie impossible.
La situation est vite exposée: la faiblesse de l’un(e) face à la puissance d’un groupe constitué, lors d’une soirée bien arrosée. Dans la nuit, il y a un seul personnage, puis  entre  le groupe, et se produit alors l’acte irréversible.

Les jeunes gens essayeront de dénouer le drame en revenant sur les motivations et les agissements des uns et des autres. Deux sœurs parlent entre elles, comme une mère et sa fille, un fils face à son père et à sa sœur, une autre mère encore avec son enfant. Paroles énigmatiques, explications vaines et décevantes : chacun veut échapper à la faute collective et mettre à distance sa propre culpabilité.Les scènes s’inscrivent en étoile dans l’ombre, puis tous reviennent sur le plateau, chantant à l’unisson, au son d’une guitare, aux lumières chaudes d’un beau soleil couchant.
Les jeunes vivent ainsi comme leur propre roman de formation, dépassant le clivage entre adolescence et âge adulte, dépassant l’angoisse et la critique des adultes conformistes, trop adaptés à la réalité. On a volé la jeunesse insouciante de ces enfants, livrés à eux-mêmes, sans cadre parental, et initiés trop tôt à des comportements adultes qu’ils ne saisissent pas, et qui provoquent en eux  désespoir ou haine.
Ils font malgré eux de la victime, une héroïne à l’existence brève :« Et c’est dans la limpide rosée de ce matin, la jeunesse/ Qu’il faut craindre le plus les contagions mortelles. » dit Shakespeare dans Hamlet.
Un spectacle émouvant, tant les adolescents se sentent engagés dans cette histoire de vie et de mort qu’ils se doivent de contourner.

 Véronique Hotte

 Ateliers Berthier /Odéon-Théâtre de l’Europe, les 22 et 23 mai.
Théâtre Rutebeuf, Clichy-la-Garenne le 6 juin à 15h et 20h. T: 01 47 15 98 50.
Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, le 13 juin à 20h. T: 01 48 13 70 00.
Espace 1789, Saint-Ouen, le 18 juin à 20h. T: 01 40 11 70 72

Le Rêve d’un homme ridicule

 Adolescence et territoire(s) :

Le Rêve d’un homme ridicule, de Fiodor Dostoïevski, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Jean Bellorini.

_DSC2808_p1« Je suis un homme ridicule. Maintenant, ils disent que je suis fou. Ce serait une promotion, s’ils ne me trouvaient pas toujours aussi ridicule. Mais maintenant je ne me fâche plus, maintenant, je les aime tous, et même quand ils se moquent de moi –c’est surtout là, peut-être, que je les aime le plus. »
Incompris, idéaliste, pressé de refaire le monde, le narrateur-personnage du
Rêve d’un homme ridicule se destine à une mort choisie, quand la rencontre fortuite avec une petite fille chagrinée le détourne de son projet macabre.

Revenu chez lui, cet insomniaque tombe, étrangement, dans un profond sommeil, et un voyage onirique le conduit vers un monde alternatif et utopique, une planète imaginaire où règne le bonheur et la bonté d’âme, Éden bientôt corrompu…Il se réveille, fort de la conviction qu’on peut lutter contre le Mal, que le Paradis est accessible, ici et maintenant. Ce constat transcende tous les ridicules, même si l’homme en question provoque encore le rire et les moqueries, qui font de lui une éternelle victime expiatoire.
Jean Bellorini a eu l’intuition que ce fou, issu du
Rêve d’un homme ridicule (1877), aimait à se distinguer : « Je me moquerais bien avec eux, pas de moi-même, non, mais en les aimant, si je n’étais pas si triste quand je les vois. Si triste, parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, et, moi, je connais la vérité ! Mais, ça, ils ne le comprendront pas », dit-il.
Et ce rêveur, qui regarde le monde depuis des hauteurs toutes relatives, correspond parfaitement à chacun des vingt-et-unjeunes comédiens amateurs d’Asnières, Clichy, Paris, Saint-Denis, Saint-Ouen, que le nouveau directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis a mis en scène.
Qui est ce fou? L’acteur qui raconte son aventure ? Ou simplement le metteur en scène, ou bien le spectateur? Ces jeunes gens, qui sont en train de passer de l’enfance à l’âge adulte, diffusent la flamme d’une parole critique avec une voix claire, aisée et agile. Ils dessinent romantiquement les mouvements d’une danse ample et gracieuse où ils s’échangent rôles et personnages, s’enfonçant dans un fauteuil, allongés sur un lit d’hôpital ou s’imposant au monde sur un trône élevé en majesté.
Nuit obscure, lampes jaunes et tremblantes qui descendent à vue des cintres, telles des étoiles filantes sur le noir du firmament, la vie qui va et vient capte les regards. Bellorini sait organiser des mouvements de foule, et la belle assemblée des acteurs forme un chœur habillé de couleurs acidulées. Ces jeunes gens insufflent du goût, de la vigueur et de la fraîcheur à leurs paroles. Ils ont conviction et foi en la vie.
Quand la lumière s’attarde sur l’un d’eux, son visage rayonnant donne à la scène toute la promesse du jeu qui l’habite, frêle et solide à la fois. On les sent pressés d’en découdre avec un monde qu’ils pressentent tyrannique et passionnant; ils attendent l’existence, instinctivement instruits des vagues de vie qui déferlent sur leur être en devenir.

Véronique Hotte

Ateliers Berthier, Odéon-Théâtre de l’Europe, le 14 juin.

Comme possible

 Adolescence et territoire(s) :

 

Comme possible, mise en scène de Didier Ruiz

 

2013 comme possible - Photo Emilia Stéfani-Law 5Quatorze adolescents de Clichy, Saint-Ouen et Paris 17ième, issus pour la plupart de ce qu’on appelle la diversité, se sont lancés l’an dernier sur un plateau de théâtre – les Ateliers Berthier-Odéon-Théâtre de l’Europe. C’est Didier Ruiz qui les y avait dirigés, en sachant être au plus près de leur présence.
Ils reviennent en 2014 sur ce même plateau, plus graves peut-être, car plus mûrs.

Ce sont ces mêmes jeunes existences en herbe, incertaines et fragiles, boutons de printemps confrontés déjà et sans être jamais abîmés, aux violences quotidiennes d’une société où les dits Français et Blancs restent sourdement dominateurs moraux…
Ces jeunes gens, même s’ils ressentent la brutalité cassante et humiliante des rapports sociaux, n’en restent évidemment pas à ce constat réducteur, heureusement mis à mal par une société nouvelle qui s’ouvre et s’enrichit de toutes les différences. Le brassage des populations est irréversible : c’est un beau combat contre la sclérose sociale, l’incapacité d’un pays ou d’une population à évoluer et à s’adapter aux situations nouvelles par manque de dynamisme, repliement sur soi, vieillissement, et peur de l’autre.
Tous, filles ou garçons, petits ou grands, minces ou ronds, égrènent leurs origines diverses, algériennes, marocaines, tunisiennes, maliennes, comoriennes. Mais très peu disent qu’ils sont français, par respect peut-être pour leurs origines et dans le refus symbolique de trahir leurs parents; l’un d’eux choisit même de se dire seulement Africain… sans même évoquer son pays.
Ils sont tous là, conscients de leur corps et de leur être, face au public qu’ils regardent à la fois avec timidité et assurance, assis sagement sur une rangée de chaises, puis se levant à tour de rôle, ou se lançant chacun ou collectivement, sur une musique, dans une danse effrénée qui libère leur énergie. Et ce temps de mobilité du corps est plein de grâce.
Un jeune évoque son engagement politique pour, dit-il, améliorer les relations humaines. Et on entend les aveux intimes de certains et qui leur font mal, tant ils exigent d’efforts sur soi. Ils auraient sans doute pu ne pas être offerts à un public. Cela mis à part, grâce à Didier Ruiz, le travail de ces jeunes qui ont peu de temps derrière eux mais beaucoup devant eux est attachant: « ils ont des centaines d’années comme tout le monde », écrivait Marguerite Duras.
Ils nous ressemblent tous… à moins que ce ne soit nous qui leur ressemblions.

 

Véronique Hotte

 

Ateliers Berthier – Odéon-théâtre de l’Europe, le 14 juin.

 

 

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