El Maestro

Festival d’Avignon (suite et fin):

El Maestro, texte et mise en scène Aziz Chouaki

  Aziz Chouaki, avec la complicité de Mouss, (présent à la création de la pièce par Nabil el Azan en 2001) cette fois met en scène sa pièce. « Ah ouais, rajouter à ça quelque chose comme à peu près cinq ou six arcs-en-ciel, bien trempés dans du jus de soleil jeune, avec une goutte de…, voilà…parfait, très bien ».
Effectivement, un arc-en-ciel de saveurs et d’odeurs, un éventail de couleurs, d’images et de sons, un ailleurs… et un chef d’orchestre, tel est El Maestro. Mais ce monologue comporte plusieurs personnages, tous imaginaires, et nous offre un voyage à la fois géographique, mental, pictural et musical.

  Exilé en France depuis 1991, musicien, romancier et auteur de théâtre, Aziz Chouaki évoque ici l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, son pays natal, et un autre pays, un autre voyage: «C’est un questionnement sur l’histoire et les tourments entre la France et l’Algérie… ». El Maestro, le chef d’orchestre, est pour l’auteur «un conquistador de l’inutile, seul dans sa bulle, s’imaginant être aux prises avec un orchestre symphonique qui n’existe pas, toujours debout sur sa barque. Enfermé dans sa tête, dans cette Algérie en mille morceaux. Dépositaire de tous les rêves brisés. C’est un gros éclat de rire sur le drame ».
En effet, Mouss Zouhery, seul en scène, interprète un chef d’orchestre assez inattendu, drôle, émouvant, et délirant ! « Qu’est-ce que je disais ? Oui, Ahmed, là, c’est la rue de la Datte, par exemple, avant, tu sais, y avait les bordels, ici, les Américains en 42,  hein,  les boîtes de jazz à la Casbah, Glen Miller, Amstrong. Tu vois la rue de la Datte comme elle croise la rue de la Marine, qui drague la rue de la Lyre, hop, allegro, elle tourne, elle serpente, elle se love, tu as pigé ? Non, mais regarde moi, t’as pigé ? … l’intro ? Allez bon, va te rassoir et on reprends. »
Sur un plateau nu, juste une chaise (la barque, en autres, d’El Maestro) et à l’avant scène côté jardin et au sol côté cour, un sac de voyage avec des objets emblématiques des multiples étapes de cette traversée symphonique et mentale. Cette mise en scène fait le choix de la simplicité mais l’écriture dense laisse entrevoir un riche potentiel scénographique et musical.
Mais pour l’auteur-metteur en scène, cette sobriété recherchée permet à l’imaginaire du spectateur, à sa sensibilité, de circuler en toute liberté, sans subir aucune influence, juste celle des mots proférés magistralement par Mouss Zouhery. Même si l’on souhaiterait  qu’il calme son jeu, parfois trop excessif.
La langue d’Aziz Chouaki est suffisamment rythmée, sensuelle, et lourde de sens poétique et politique, pour que prenne forme  théâtralité et tension dramatique enfouies dans le texte. Son écriture si inventive et si singulière, emporte l’adhésion du public, et comme le remarque Aziz Chouaki: « La pièce convoque davantage le sensoriel que l’intellectuel, pour moi une langue est faite pour parler et manger ».
Cette langue dramatique fait aussi écho chez lui à une profonde volonté éthique et politique. Pour Aziz Chouaki, la langue arabe prend toute sa force théâtrale, quand elle s’inspire de celle des gens ordinaires : « C’est le langage vivant. Le pouvoir aura beau faire, il ne pourra pas l’étouffer. Dans cette faille, j’inscris mon écriture. »
Le texte est très vivant, parfois proche du burlesque, mais on est aussi à l’écoute d’une parole dramatique autre, proche du jazz, et jubilatoire. Il semble en effet vital pour cet artiste-poète de faire vibrer subtilement la fragilité de la parole poétique comme sa violence. Et il caresse l’infinie beauté de son pays dont il évoque sans détour ses blessures, et l’histoire du colonialisme.

 A la fin du spectacle, nous sommes touchés. Le chant de l’Algérie nous semble plus proche,  et nous interroge: nous entrons dans son intimité enchanteresse. C’est indéniable: le théâtre d’Aziz Chouaki est un théâtre politique, où prennent part le cri tragique, le comique et la parodie.
Et comme souvent dans son œuvre, l’humour danse ici avec la mélancolie des petites gens et des marginaux: « Je me sens solidaire, dit-il, des jeunes esquintés des banlieues de Moscou, du Bronx ou de Gaza. »

 Elisabeth Naud

 Spectacle joué à l’Espace Roseau du 4 au 26 juillet, puis en tournée.

   Image de prévisualisation YouTube


Les Pieds tanqués

Festival d’Avignon suite et fin:

Les Pieds tanqués texte et mise en scène de Philippe Chuyen.

portrait-équipe-300x200Après avoir joué dans le off en 2014, la compagnie Artscenicum théâtre revient cette fois-ci à Présence Pasteur, lieu de bonne visibilité en plein centre ville. Le titre Les Pieds tanqués évoque l’origine du mot pétanque, puisqu’il faut tanquer (appuyer) ses pieds sur le sol avant de tirer ou de pointer.
 Le célèbre jeu provençal est  donc au centre de la pièce dont  la scénographie est un terrain de boules, avec une légère couche de sable! Quand on connaît le peu de temps à Avignon pour démonter et démonter  le décor d’un spectacle, saluons la prouesse de ce système très au point…
  Quatre joueurs : Loule, le provençal «de souche», Zé, le juif pied-noir, et Yaya, le français d’origine algérienne, sont bientôt rejoints par un certain M. Blanc, Parisien  installé en Provence. Les connaisseurs auront vite compris le clin d’œil au Monsieur Brun de la trilogie de Marcel Pagnol.
  On pourrai craindre une Pagnolade au goût douteux mais un personnage vient faire ici son entrée et rebattre les cartes : l’Algérie. Il y a celui qui a dû la quitter et qui la considérait comme son pays, celui qui ne l’a pas connue mais à qui on la rappelle sans cesse, et celui dont le père a eu une histoire trouble dans ce pays…
  Chacun a donc quelque chose à voir avec cette guerre, avec ces «évènements» comme on disait alors.  Philippe Chuyen réussit à montrer que le point de vue de chacun est relatif à l’histoire et à sa culture  personnelle. Incompréhensions et stéréotypes sont petit à petit levés, à force de dialogue.
 Il faut la force de l’amitié pour permettre à ces hommes de dépasser les schémas imposés. On pense à Benjamin Stora qui explique si bien l’Algérie dans son dernier ouvrage Les Clés retrouvés et aussi à Robert Guédigian qui sait comme personne montrer la Provence des modestes. Sofiane Belmouden, Gérard Dubouche et Thierry Paul jouent réellement à la pétanque et sauf le parisien (Philippe Chuyen) qui joue  mal, et ont chacun un très bon niveau; ils adaptent aussi les répliques selon celui qui gagne le point, si le «carreau» est réussi ou non.
  Les attitudes comme le vocabulaire bouliste sont très justes pour qui les connaît un peu. Le jeu d’acteur est aussi très bon, et les accents ne sont pas trop artificiels. Parfois, Jean- Louis Todisco à l’accordéon, nous offre un petit refrain, pour ponctuer les scènes. Albert Camus, incontournable quand il s’agit de l’Algérie, est aussi évoqué. Cela constitue un parallèle modeste et humain au bavard Meursaults du In (voir Le Théâtre du blog).
  Derrière cette innocente partie de boules à laquelle se livrent les trois amis, rejoints par un nouveau, c’est toute une histoire humaine qui se déroule devant nous : déchirements, abandons, nouvelle vie, politique.
Les Pieds tanqués est  spectacle plein d’humour et aux personnages simples et attachants. Une belle réussite qui se sera jouée plus de deux cents fois d’ici la fin 2015 et qui a reçu en 2012 le prix du Centenaire Jean Vilar .

Julien Barsan

A voir le 1er août au Mucem à Marseille, puis dans la région : voir les dates http://artscenicum.fr/

 

 

Page en construction

FESTIVAL D’AVIGNON

Page en construction de Fabrice Melquiot, mise en scène de  Kheireddine Lardjam

 

Que peut-on dire de l’Algérie d’aujourd’hui? Qu’en disent les Français et qu’en disent les Algériens eux-mêmes ? Et quand on veut en parler, sur quel ton et sur quel mode ?
Parler de la guerre, des exactions du G.I.A., de la  persécution des journalistes, ou bien du vécu des enfants d’immigrés en France, de la discrimination, du racisme ordinaire, et de l’emprise du fondamentalisme?
 Les sujets ne manquent pas, mais  cela est à haut risque et peut-il faire un objet théâtral ? Défi que le metteur en scène et comédien Kheireddine Larjam a réussi à relever avec bonheur. Il a fait appel à Fabrice Melquiot pour donner forme théâtrale à cette Page en construction.
Cela se présente  comme un travail en cours, qui cherche sa forme en avançant, et la trouve peu à peu de façon convaincante.  Avec des techniques éprouvées comme l’interpellation du public, la réflexivité, le recours à des hors-scènes tels que la vidéo, la BD, la musique instrumentale, efficaces parce qu’intégrés à l’histoire et complexifiant la structure dramatique sans la faire imploser, une forme singulière se dessine peu à peu.
  Avec  un double mouvement d’épure formelle et d’enrichissement scénographique, l’ensemble trouve son équilibre. Et l’apport des trois autres acteurs est ici essentiel : Sacha Carmen, chanteuse fragile et fluette, animée d’une voix  sensuelle et puissante, Romaric Bourgeois, le comédien partenaire, celui avec qui se noue le dialogue, tour à tour provocant, comparse et complice, et le musicien et chanteur Larbi Bestam dont la voix et la musique scandent l’action et lui confèrent une dimension lyrique.
Mais la force de Page en construction  repose aussi sur l’efficacité de l’intrigue. C’est l’histoire d’un homme, qui ressemble comme un frère au metteur en scène, avec juste ce qu’il faut de distance pour permettre l’empathie. Un homme, un père, qui rêve de devenir le grand héros des Algériens, tout en reconnaissant l’entreprise comme chimérique,
quelqu’un comme Cap’tain Maghreb, sorte de superman qui sauverait les Algériens!
C’est drôle, touchant et juste. Pourtant l’humour, voire le franchement cocasse, ne fait pas oublier le courage qu’il faut aujourd’hui pour rire du rapport entre héroïsme et Islam.
Kheireddine, un père pris en étau entre les  souvenirs tragiques liés à la mémoire de son père, et la curiosité d’un fils affamé de héros de B.D., et pose la question de son identité culturelle dans des termes aussi justes que savoureux. La  famille vit dans le Jura, et leur quotidien, c’est celui de Lons-le-Saulnier !
Et pourtant, aucune des questions qui fondent la tragédie des peuples arabes d’aujourd’hui n’est évitée. Tout est pris à bras le corps, avec lucidité et drôlerie, mais aussi avec une touchante sensibilité. Kheireddine en vient ainsi à s’interroger sur la place, l’image et la vie des femmes voilées… A la recherche de la part féminine qui est en lui.  Avec un voile, il se met à danser, exprimant ainsi toute la sensualité heureuse qui est en lui. Belle et courageuse réponse à la promotion de la virilité la plus obtuse, celle  du fondamentalisme et sa haine des femmes.
Au total, un spectacle juste, sensible, intelligent et drôle, ce qui n’est pas si fréquent ! Et apportant la preuve que les questions politiques les plus brûlantes ont toute leur place au théâtre. Avec Page en construction, nous pensons que c’est même au théâtre qu’elles sont le plus finement traitées.

Michèle Bigot

La Manufacture, jusqu’au 25 juillet.

Image de prévisualisation YouTube

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...