Le Pas grand chose de et par Johann Le Guillerm

 

Festival SPRING des nouvelles formes de cirque en Normandie :

Le pas grand chose, conception et mise en scène de Johann Le Guillerm

PasGrandChoseCréé par la Plateforme 2/Pôles Cirque en Normandie, La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, SPRING est un festival de cirque contemporain à l’échelle de toute la Normandie. Avec des spectacles axés sur les nouvelles écritures du cirque.

Johann Le Guillerm, issu de la première promotion du Centre National des arts du cirque, a travaillé avec Archaos, puis participé ensuite à la création de la Volière Dromesko et co-fondé le Cirque O. En 1994, il a créé sa compagnie: Cirque ici, avec un solo, Où ça.
 Il obtint le grand Prix national du Cirque il y a déjà vingt ans et le Prix des arts du cirque SACD (2005). Avec Attraction, (2002) il interrogeait déjà l’équilibre des formes, le mouvement et l’impermanence, bien au-delà des disciplines traditionnelles du cirque. Avec Secret, et des installations comme La Motte et Les Imperceptibles, il invente des sculptures en mouvement, ou Les Architextures, sculptures auto-portées, et Les Imaginographes, outils d’observation.

 Il y a quatre ans,  il a créé La Déferlante pour l’Espace Chapiteau de la Villette à Paris. Depuis 2011, Johann Le Guillerm est soutenu et accueilli en résidence de recherche par la Mairie de Paris, au Jardin d’Agronomie tropicale. Maintenant bien connu, il continue à créer des spectacles où il se sert surtout d’éléments de physique, mais aussi de botanique, etc. Passionné par l’expérimentation puis par la construction d’objets et par une mise en  scène très personnelle.

Ici, il entre seul, en costume gris, traînant une petite carriole, comme celle autrefois des marchandes de quatre saisons, qui comporte une dizaine de tiroirs enfermant ses accessoires. Puis il dresse deux mâts avec un projecteur et une caméra qui va retransmettre sur grand écran les schémas, dessins et écritures qu’il fait à la craie sur le couvercle horizontal de cette carriole. Il manipule ainsi des séries de schémas de formes, et de chiffres montrant par exemple toutes les parentés possibles entre le 9 et le 6, entre le 4 et le 7. Ou grand moment du spectacle, il fait sautiller trois bananes sur elles-mêmes mais seule, l’une des trois gagnera avec cinq sautillements!!!! ???

Pas facile de résumer un spectacle aussi riche que parfois déroutant! Ce conférencier sinistre a quelque chose du professeur Nimbus et de Buster Keaton réunis. Avec une excellente gestuelle et une tout aussi excellente  diction, il emmène son public là où il veut, dans un comique et un délire complet, à la fois logique et absurde. Comme avec ce petit cadre en carton qui va s’animer tout seul.  Aussi troublant que poétique…

Il fait aussi passer au volume,  avec quelques coups de vaporisateur d’eau, un entrelacs en deux dimensions, qui semble alors prendre son indépendance. , on retrouve aussi ces entrelacs bien connu des physiciens, dans les arts plastiques comme entre autres, les fameux nœuds de l’art celte, puis dans les vitraux cisterciens aux lignes rigoureuses comme ceux de l’abbaye d’Aubazine  qui auraient inspiré à Coco Chanel qui les a connus enfant, son célèbre logo. C’est dire que Johan Le Guillerm est tout autant sculpteur qu’homme de cirque!

Il parle beaucoup mais on écoute émerveillé, le discours absolument déjanté de cette vraie/fausse  conférence sur le pas grand-chose: «Démêler le monde pour créer mon propre sac de nœuds, ne me sembla pas plus limpide que l’original. La seule chose qui m’apparaissait clairement, était que je n’y voyais pas mieux. (…)D’où que je parte, je me retrouve très vite dans une arborescence (explosive) régénérante recyclable. Forme d’imbroglio labyrinthique illisible. Plus j’y regarde et moins j’y vois. Plus j’avance, plus je me perds. (…) Confronté à mes facultés de décryptage du monde, mes ambitions sont encore trop prétentieuses. Je dois m’attaquer à quelque chose de bien plus modeste. Quelque chose de vraiment pas grand-chose. Presque pas quelque chose. Pas quelque chose. Rien ? 0 ? 0 , 1. Un quelque chose.»

 Johann Le Guillerm, avec la manipulation de quelques objets, joue sans cesse avec le déséquilibre physique mais aussi mental, jusqu’au vertige de la pensée. « Mon projet, travailler le mouvement de l’objet et celui du corps qui évoluent ensemble, comme s’ils ne faisaient qu’un. » (…) Tant qu’à vouloir faire le point sur le monde qui m’entoure en tentant une diffraction globale, faire le point sur le point me semble finalement une ambition raisonnable et irréductiblement modeste. » Tout est dit ou presque de celle lutte permanente de l’homme avec l’objet.

Et on est happé par ce tourbillon permanent d’intelligence et de fausse logique  mais on a intérêt à être attentif:  cette vision un peu particulière du monde est portée à un haut degré d’incandescence poétique. On regarde émerveillé, fasciné par son discours et par ces formes, ces schémas et ces étranges mais très simple petites machines-tous très bien retransmis sur grand écran-qui font parfois penser à celles du génial Tadeusz Kantor, autre grand artiste qui faisait le grand écart permanent entre spectacle et arts plastiques.


Comme dans Secret, Johann Le Guillerm cherche à dompter la matière même des objets. En équilibre des plus instables sur un haut tabouret perché sur sa carriole, il défiera les lois de la gravité et de la création du mouvement mais on ne vous en dira pas plus pour vous laisser la surprise de cette fin aussi stupéfiante! A la base de tout ce spectacle, une bonne dose de poésie, un peu de mystère aux yeux des non-initiés en physique comme la plus grande partie du public, et une sacrée expérience du spectacle en solo qui lui permet avec  les objets qu’il a créés et qui n’ont rien d’accessoires, d’offrir une autre perception de la réalité.  Impressionnant d’intelligence mais aussi de sensibilité au monde.

On voit rarement des spectacles aussi rigoureusement menés, même si ce qui s’y passe, est  invraisemblable sur une scène, et donc très vrai, très juste! Il suffit de se laisser embarquer… Quel bonheur scénique ! Le public d’Elbœuf, ravi de ce cadeau, a fait une longue ovation très méritée à ce solo. On vous avait déjà recommandé Le Vol du rempart (voir Le Théâtre du blog) comme à M. Laurent Wauquiez, grand pourfendeur des écoles de cirque. Quitte à paraître gâteux, on lui recommande aussi d’aller voir Johann Le Guillerm.

Ce Pas Grand chose est à coup sûr, vous l’aurez compris, un des meilleurs spectacles de ces dernières années: allez-y sans hésiter. C’est à l’honneur du Festival Spring d’avoir accueilli sa création.

 Philippe du Vignal

La septième édition du Festival Spring se déroule du 9 mars au 14 avril, dans toute la Normandie.
Le pas grand chose a été créé au Cirque Théâtre d’Elbeuf, le 9 mars .
Centre Dramatique National de Caen, le 17 mars. Le Monfort à Paris, du 21 mars au 1er avril.

Le Volcan,/Scène nationale du Havre, les 4, 5, 7 et 8 avril.
Les Treize Arches /Scène conventionnée de Brive, les 11 et 12 avril.

Tandem/Hippodrome de Douai/Théâtre d’Arras, les 3 et 4 mai.

 


Le Vol du Rempart

 

Le Vol du Rempart, de et avec Vincent Martinez, Katell Boisneau, Moïse Bernier et Nicolas Bachet, mise en scène de Pierre Tallaron, musique et textes de Nicolas Bachet

Ils sont quatre acrobates au mât chinois mais Katell Boisneau est aussi harpiste, Nicolas Bachet, musicien, compositeur et slameur, Moïse Bernier, clown et musicien, et Vincent Martinez, danseur: cette petite compagnie de cirque n’imagine pas l’acrobatie sans musique en direct. Cela commence avec un un texte médiocre et mal dit, mais heureusement les choses s’éclairent avec la montée à un mât chinois traditionnel et des acrobaties à son sommet. C’est déjà impressionnant et sublime de virtuosité, notamment, après son complice qui descend très vite, et Katell Boisneau qui le fait lentement, tête en avant…

Mais les quatre complices ont imaginé aussi un nouveau dispositif: un autre mât chinois mais culbuto d’environ quatre mètres, c’est à dire monté sur un support base d’une demi-boule lestée qui va servir de contre-poids.Comment dire les choses de façon plus précise…  Ils vont s’en servir à tour de rôle ou à plusieurs. Et ils glissent dessus, s’envolent tout au bout de la perche avec facilité, grâce à ce contrepoids qui restitue toute l’énergie capable de les faire s’envoler comme par miracle, puis retombent sur le sol, quand même veillés de près par les autres. Cela suppose en effet, bien entendu, un énorme travail de précision et de solidarité, pour arriver, ce qui n’est pas incompatible, à cette grande élégance acrobatique. Ou ils tournent autour, et passent, méprisant le danger, en dessous du socle qui oscille sans cesse…puis sautent dessus parfois à trois en même temps

Tous encore plus impressionnants de force et de virtuosité qu’au mât fixe. Il y a ici, au delà même de ce travail physique, quelque chose de métaphysique dans ce déséquilibre permanent, l’image même de la condition humaine. Soutenue par le merveilleux grincement amplifié de la demi-sphère, et par la harpe, la guitare électrique et le violon. Et, dernière vision d’une intense poésie,  on retrouve les acrobates en équilibre, accroupis sur une perche souple oblique, accrochée au sol…

La mise en scène, un peu hésitante, manque de rythme, surtout au début; mais qu’importe, Le Vol du rempart, est un spectacle remarquable de sensibilité, et on ne cesse d’admirer l’énergie de ces corps en mouvement qui s’approprient avec une certaine espièglerie l’espace aérien. On ne saurait trop conseiller à M. Laurent Wauquiez, président la région Rhône-Alpes-Auvergne, (ce monsieur n’aime guère les écoles de cirque, selon lui trop coûteuses!), de prendre le temps d’aller voir la compagnie du Mauvais coton sous ce petit chapiteau…Le public, lui, l’a applaudie chaleureusement.

Philippe du Vignal

Espace Cirque d’Antony, rue Georges Suant, 92160 Antony. T. : 01 41 87 20 84, jusqu’au 26 mars

Le Nouveau monde, une histoire générale et poétique

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Deuxième biennale des Arts du Cirque de Marseille Creac Archaos :

Le Nouveau monde, une histoire générale et poétique de Gilles Cailleau

 

Gilles Cailleau avec sa compagnie Attention Fragile, a été en résidence à Gap puis à la Gare Franche  à Marseille, lieu fondé en 2001 par le merveilleux Wladyslaw Znorko, disparu il y a déjà trois ans (voir Le Théâtre du Blog). Il y a aussi présenté un ancien spectacle Gilles et Bérénice et y  répété Le Nouveau Monde, qu’il vient de créer à l’Ecole fragile, un lieu d’enseignement des techniques circassiennes (cela fera plaisir à M. Laurent Wauquiez!!!) à La Valette-du-Var, avec un beau chapiteau, et tout autour, des caravanes pour une dizaine de personnes (cuisine/salle à manger, chambres et douche). Rien de luxueux mais un outil simple et efficace…

Gilles Cailleau élabore une histoire générale et poétique du XXIe siècle, dans une  sorte de voyage poétique très personnel, pour dire à la fois le monde actuel et imaginer le suivant. Comme à tout le monde, cela lui fait sans doute fait toujours un peu drôle, quand on dit : «Au siècle dernier », et qu’on évoque des événements situés, au maximum, il y a une quinzaine d’années… Mais ainsi va la vie!

«C’est, dit-il, un spectacle d’enfant qui ne comprend pas le monde et joue à la poupée pour essayer de se dépatouiller de ce qui lui tombe dessus. Il joue aux marionnettes, aux petits avions, il fabrique des bateaux en papier. Il cloue des planches, il les attache avec des ficelles, il joue avec des couteaux, il se déguise, il essaye, il tombe, il réessaye, il fait des échasses, il fait de la magie, il veut épater ses parents, ses copains, ses copines. Il fait semblant d’être mort, d’être un héros, d’être une star, il aime les berceuses, danser, chanter à tue-tête, c’est un garçon il aime les drapeaux, compter, écrire des poésies. Quand il tombe devant les autres il est vexé comme un pou, des fois aussi, il s’en fout. »

A mi-chemin entre entre le cirque avec sa piste et son chapiteau qui imposent d’autres règles de mise en scène à cet acrobate devenu aussi acteur, qui dit justement devoir trouver un autre langage que celui habituel du théâtre pour donner corps à ses inquiétudes métaphysiques  devant le monde compliqué où il n’a pas d’autre choix que de vivre avec ses petites illusions mais aussi avec ses petites richesses personnelles. Allez, on va encore vous ressortir ces vers  fameux de l’immense Eschyle: «Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse est vaine chez les morts », règle que Gilles Cailleau semble s’être imposée, quand il s’agit pour lui de dire le monde dans un cirque.

Il parle longuement de la planète qui suffoque à cause de la folie des hommes qui mangent trop, qui veulent toujours plus de plaisir immédiat, qui voyagent trop en avion, au mépris de la Nature qui n’en peut plus de leurs déchets. Il accuse aussi l’Occident de n’être pas lucide, alors qu’il commence à payer-et cher-la dette qu’il a contractée depuis longtemps avec les pays pauvres. Gilles Cailleau raconte notre époque à sa manière. Il jette horizontalement de très longs couteaux, se coupe en deux avec une scie musicale, puis fait écrouler les deux trop fameuses tours new yorkaises, de façon la plus poétique qui soit et réussit-on se demande encore comment-à se maintenir en équilibre un moment sur une des deux piles faites de feuilles de contre-plaqué; deux avions de papier se mettent alors à vriller en flammes.

Images à la fois toutes simples, presque « naïves »  mais,  cela se sent, longuement concoctées, brillantes d’intelligence et de sensibilité.   Il  y a aussi toute une longue mais fabuleuse installation entre deux chaises,  d’une mince planche qu’il peint en bleu pour figurer la mer et où il installe, avec l’aide d‘une jeune spectatrice, des marionnettes à gaine, figurant des gendarmes qui surveillent les côtes où va venir s’échouer un petit bateau chargé d’autres marionnettes, des  migrants,  qui va flamber. Il va lui-même aller d’un côté à l’autre de cette planche en pin souple mais prête à craquer. Image qui va servir de caisse de résonance à la première. Le tout dans une vague de brouhaha insupportable, comme l’est la situation de ces désespérés. Il dit aussi, à la fin, avec un mégaphone, toute l’instabilité du monde sur des chaises empilées, coiffé d’une dérisoire couronne royale en carton pour nous inviter à inventer la fin du siècle.

Ce «déséquilibriste» comme il se nomme joliment lui-même, qui est surtout un faiseur de déséquilibre physique, a une belle approche clownesque et donc philosophique des événements qui façonnent notre monde. On repense aux mots fameux de Léonard de Vinci : « La pittura é cosa mentale ». Il prépare longuement ses images de toute beauté avec le public, ne craint pas les ratés ou les approximations : avec lui, c’est à prendre ou à laisser. Nous, on prend… mais le spectacle encore un peu brut de décoffrage-ces deux heures patinent sur la fin et Gilles Cailleau parle trop-devrait être absolument resserré et  le  metteur en scène aurait pu épargner à  l’interprète, une fausse fin, après cette merveilleuse image quand il perché sur les chaises empilées; elle  précède une participation, sans grand intérêt, des spectateurs auxquels il demande de s’armer de leur téléphone portable/émetteur de lumière.  Malgré ces réserves, cette histoire générale poétique, aussi inquiétante que forcément inachevée du XXI ème siècle, avec toute sa fragilité et ses moyens dérisoires, loin des micros HF, loin aussi d’inutiles et encombrantes vidéos, et/ou de scénographies compliquées, a quelque chose d’aussi merveilleux qu’indispensable.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 4 février au Pôle Jeune Public-Scène conventionnée. École Fragile, 1140 avenue Pablo Picasso, La Valette-du-Var. T. : 06 17 45 84 59.

Festival village de cirque, Paris du 6 au 25 octobre. Théâtre d’Arles scène conventionnée, Festival Les Indisplinés du 23 au 29 octobre. Théâtre de Grasse du 3 au 5 novembre et du 9 au 12 novembre.

Les Cahiers de l’Égaré éditeront le texte avec un cahier photos en juin prochain.

 

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Beyond, conception et mise en scène d’Yaron Lifschitz

Beyond,conception et mise en scène d’Yaron Lifschitz

 IMG_0480Une main, un pied, franchissent le rideau rouge éclairés par une poursuite. Un corps se risque à l’avant-scène, poupée de caoutchouc, une jeune femme s’exhibe. Dans cette ambiance de cabaret, sur la musique du film New York New York entre une troupe de joyeux drilles, avec des têtes de lapins en peluche. Un voix off annonce : « Il y a une frontière entre l’humain et l’animal, entre la folie et la raison, entre la logique et les rêves… Nous vous invitons à dépasser cette frontière… et à aller au-delà.»

 Suivant le Lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, sept acrobates dont les numéros s’enchaînent avec grâce, nous entraînent dans un monde onirique, ce qui donne une  belle unité au spectacle. Lors de joyeuses scènes de groupe savamment réglées, les artistes s’escaladent, se bousculent, tombent et se relèvent, avec une précision et une maîtrise de l’espace absolues.
  Ils s’amusent à nous faire rire, comme dans la partie de Rubik’s Cube sur lequel une jeune femme s’acharne, tandis que ses partenaires la chahutent, s’accrochent à elle, lui montent sur les épaules… Elle y réussira malgré tout.

 Théâtre dans le théâtre, des alcôves garnies de pendrillons rouges donnent aux solos un caractère plus intime. On applaudit cette athlète qui grimpe le long d’un rideau noir  qui lui servira d’agrès. Elle s’y love, s’y enroule avec une grâce infinie, dessine des arabesques et risque de grands écarts.
 On succombera aussi au charme d’une petite trapéziste qui se livre à une danse aux sept cerceaux. Et l’on rira à ce moment un peu coquin où elle doit, en se contorsionnant, se glisser dans une raquette de tennis sans cordes, malgré des formes très féminines…
Ces acrobates australiens de haut niveau évoluent dans un monde poétique et ludique où l’on parodie des animaux: un ours géant entraînera toute la troupe dans une époustouflante démonstration de mât chinois… Glorieux final !

 Maître du jeu, Yaron Lifschitz  a su préserver la personnalité de chacun: « Je pars des artistes, d’idées et d’une musique intérieure, dit-il. Ensuite, je fais des essais et je construis des propositions. (…) Je regarde les processus mis en place pour en arriver là, et généralement à ce moment-là, des structures et des parcours apparaissent. Tous les spectacles de la compagnie sont organiques, des motifs s’assemblent et des personnes refont surface… ». Le metteur en scène aurait pu quand même apporter plus de soin à la bande-son musicale : il se contente ici de peu…
Mais la qualité des numéros, l’humour, la bonne humeur et la générosité des artistes, emportent l’adhésion du public. A voir en famille.

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris jusqu’au 27 novembre : Le Carreau de Forbach (17) les 29 et 30 novembre ; Wolubilis à Bruxelles du 1 er au 3 décembre ; Odyssud  à Blagnac (31), du 6 au 10 décembre ; Théâtre de l’Olivier à Istres (13), le 13 décembre ; Théâtre de Nîmes (30), du 15 au 17 décembre.
La Fleuriaye de Carquefou (44), les 10 et 11 janvier ; Maison de la Culture d’Amiens, les 13 et 14 janvier  (80) ; Le Pin galant  à Mérignac (33), du 20 au 22 janvier ;  Le Radiant  à Caluire (69), les 24 et 25 janvier ; Le Colisée  de Roubaix (59), les 27 et 28 janvier.

 

Grande illusion, spectacle des apprentis de troisième année de l’Académie Fratellini

Grande illusion, spectacle des apprentis de troisième année  de l’Académie Fratellini, mise en scène de Philippe Fenwick

Fratellini2Cet établissement d’enseignement du cirque a été créé en 2003 pour porter le projet d’un centre de formation supérieure aux arts du cirque (CFA), qui délivre aujourd’hui le Diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque (niveau licence) après trois années de formation.
 Avec un solide programme pédagogique à la fois collectif et individuel qui accorde une large place à la création. Des artistes comme Jérôme Thomas, Philippe Découflé, Camille Boitel sont passés par l’Académie Fratellini  que dirige par Stéphane Simonin et Valérie Fratellini.
Philippe Fenwick a fait travailler le
spectacle de sortie des apprentis de troisième année. « Une écriture «de piste» dit-il, en lien avec le présent pour mieux tenter de le sublimer ; une création où la réalité sera intimement liée à la fiction. Une chose est certaine : nous avons quelque chose à dire et à crier… »
  L’argument : le crique dans le cirque, équivalent du théâtre dans le théâtre où une espèce de Monsieur Loyal, bonimenteur et directeur pédagogique ou du genre, interprété par Philippe Fenwick. L’Académie va essayer de se mettre l’école au diapason du show- bizz. Et les apprentis-circassiens vont devoir faire leurs preuves sur la piste. Mais, sous la férule exigeante de ce monsieur Loyal pas commode au cheveux grisonnants  qui engueule les pauvres élèves qui vont entrer dans le monde professionnel.
 Il faut se pincer très fort pour croire une seconde à ce que Philippe Fenwick essaye de mettre en place; quant à la mise en scène avec une musique envahissante, mieux vaut oublier… Mais qu’importe, les jeunes gens font preuve d’une rare virtuosité, et cela commence tout de suite très fort avec un numéro au trapèze humain  de Antoine Deheppe, porteur et Inès Macarrio, voltigeuse,absolument sublime.
Il y a aussi  cette marche verticale au mât chinois de Cyril Combes et à la fin un numéro de roue Cyr que fait tourner, avec lui-même un jeune circassien, exemplaire;  le cerceau abandonné à la fin continue à avoir une vie propre comme épuisé: belle image, et un autre encore avec une écharpe suspendue dans laquelle une jeune fille s’enroule avec une grâce incroyable.

 On ne peut tout  citer mais le plus émouvant dans ce spectacle est cette humilité et cette maîtrise absolue du corps dont ils font preuve et que pourraient leur envier bien des jeunes comédiens. Leurs professeurs peuvent être satisfaits de la formation dispensée ici et cette journée de cirque, avec cette belle démonstration et aussi  toute la journée, de petits spectacles et des impromptus concoctés par les jeunes circassiens des trois années  est un bon témoignage de ce qu’un enseignement de cirque bien compris peut donner. Avec une maîtrise du corps mais aussi une vision poétique et esthétique du monde.
La pratique du cirque est ici enseignée au même titre qu’ailleurs, la danse, le théâtre oral gestuel. L’Académie Fratelini a maintenant acquis ses lettres de noblesse dans l’enseignement artistique en France. Avec une rigueur technique et une ouverture sur l’imaginaire en même temps qu’une appréhension du sensible. Ce qui n’est pas incompatible.
N’en déplaise à M. Laurent Wauqiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes qui ne verrait pas d’un mauvais œil, la fermeture «des formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes…» Sans commentaires.

Philippe du Vignal

 
Spectacle présenté du 3 au 9 juin sous le grand chapiteau en bois de l’Académie Fratellini, La Plaine Saint-Denis. T: 01 72 59 40 30

 

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L’univers de Noël de l’Illustre Famille Burattini

L’univers de Noël de l’Illustre Famille Burattini

 IMG_3644 Les mirages vidéo et sonores les plus sophistiqués envahissent les salles de théâtre… Mais alors, d’où  provient le charme persistant du théâtre forain ? L’exhibition de la fragilité des illusions sans doute. Sous les ors patinés des décors, des tentures de velours rouge usées et des maquillages, les artistes invitent à nous approcher et à signer un pacte de croyance : oui, tout cela est faux, car nous ne sommes que des humains, comme vous… Mais c’est là notre grandeur !
Tout le mois de décembre, l’Illustre Famille Burattini a ainsi réactivé la nostalgie du boniment pratiqué autrefois dans les baraques des foires parisiennes, où l’on savait séduire le badaud, en se moquant des puissants et du théâtre officiel.
Sur la place Pierre Coullet à Saint-Raphaël, un enclos de chapiteaux, rayés de blanc et rouge, invitait petits et grands à partager l’esprit de Noël. Une boîte à lettres, un traîneau… et la famille Burattini figée, autour d’un sapin de bric et de broc.
   Mais ils ne sont plus que trois à faire tourner la boutique à plein régime, assurant à la fois  montage, jeu et technique : Buratt, l’héritier (aguerri par Papa Tino, photographe ambulant qui immigra en Auvergne, où il fit la rencontre d’un montreur de marionnettes) et Rita, sa compagne. Pour cette période festive, ils sont accompagnés par Lord Tracy, un chanteur de blues à la voix et à la présence magnétiques, rocker échappé d’un film de David Lynch ou de Jim Jarmusch…
Dans cet univers décalé, on découvre ainsi une exposition de «boîtes à merveilles» : vitrines où s’ébattent des personnages farfelus, une nature chimérique, la vie de l’oie blanche Natacha, et une fanfare qui n’est pas sans rappeler l’univers de Tadeusz Kantor. C’est un monde magique, enchanteur, mais un peu effrayant. Car, depuis Bruno Bettelheim et son célèbre ouvrage Psychanalyse des contes de fées, on ne prend plus les enfants pour des idiots. On sait qu’ils sentent la présence du secret, de l’innommable et de la mort, en embuscade.
IMG_3665Les spectacles proposés font la part belle au théâtre de rue traditionnel:  marionnettes type Guignol, muséum consacré aux contes (Buratt prévient que son père confondait musée et brocante!). Sobrement vêtu de noir, le nez à peine rougi, il assure le baratin à merveille et sait vendre le spectaculaire qui réside dans les choses simples : une formule magique (merci), la clé de Barbe-Bleue, le soulier de Cendrillon, les cailloux du petit Poucet…

Il tient toutes ses promesses. «C’est pas, parce qu’on est des forains, qu’on est des crétins », prévient-il. Aussi, pose-t-il des questions avec sincérité : «Je ne suis pas un politique.» Le jeune public, invité à monter sur scène, admire le clou de la collection, les parents : « Devant vous, incroyable, regardez bien, ce sont tous d’anciens enfants ! » Moment d’émotion. Tous repartent avec une certitude : «La vie, c’est de l’autre côté du rideau.»
Leur spectacle Le Jabberwok, nous promet de rencontrer un oiseau migrateur géant et de suivre son fabuleux parcours, d’Afrique en Sibérie. Rita, que l’on avait aperçue en sémillante veste de cirque pailletée, sexy en diable, s’est désormais métamorphosée en grand-mère Burattini.
Composition très réaliste : jambes tremblotantes gainées de bas de contention, chignon gris en bataille, malicieuse voix éraillée, mimiques du visage stupéfiantes de véracité, vraie vedette du duo, Et, quand elle fait le poignant récit de la migration du couple mère-enfant, on n’entend plus, bien sûr, l’histoire d’un oisillon mais celle, intemporelle, des réfugiés et émigrés en souffrance.
L’injonction: «Accueillez-les» sonne avec une justesse bouleversante. Quelques spectateurs semblent exaspérés, (nous sommes dans une région où une candidate peu humaniste a failli l’emporter aux élections régionales!) Une mère chuchote : «Ce n’est pas drôle».
 Oui, et c’est bien là, la gageure de ces propositions : inviter à renouer un dialogue confiant entre générations. La vieille Burattini, jouée par la jeune  Rita, quitte la scène cahin-caha, et noue des contacts avec des spectatrices âgées, tombées sous son charme. Cette famille recomposée prend des risques et fait cohabiter sublime et grotesque : elle n’évacue ni le pathétique ni le laid, et privilégie bricole et  carton-pâte pour chanter joies et misères de l’itinérance.
  A la rencontre des publics qui ne fréquentent pas les théâtres, elle nous parle profondément de l’homme, de la persistance de ses rêves. Avec une esthétique de résistance courageuse !

 Stéphanie Ruffier

 A voir, en tournée, les numéros décalés du spectacle Animal sentimental. http://www.illustrefamilleburattini.fr

…Avec vue sur la piste

Avec vue sur la piste, spectacle de fin d’études de la 27e promotion, mise en scène d’Alain Reynaud, avec la collaboration artistique d’Heinzi Lorenzen

  27_AVEC_VUE_4C’est un spectacle collectif, avec les dix-sept étudiants du Centre national des arts du cirque, à la fois  interprètes mais aussi créateurs, dans le cadre merveilleux d’un ancien cirque rénové, clair et tout à fait fonctionnel,  à l’équipement technique haut de gamme.
 Dans des conditions très professionnelles où bien entendu comme dans toute école, il y a derrière toute une équipe pédagogique et technique. Initié en 1985 par Jack Lang, ministre de la Culture, le C.N.A.C. a formé plus de trois cent-cinquante artistes de toute nationalité et a bouleversé les codes du cirque traditionnel, et l’enseignement a été orienté vers des créations où se croisent à la fois, l’acrobatie, la danse, l’interprétation théâtrale, etc.
  Avec un investissement de neuf millions d’euros, le C.N.A.C. a ajouté  un instrument d’exercice pour les élèves de la section cirque du lycée Pierre Bayen, et la quarantaine d’artistes du monde entier qui préparent ici leur diplôme d’enseignement supérieur… Les chapiteaux (extérieurs) et le cirque d’hiver accueillent donc maintenant une formation continue et les compagnies en résidence
Alain Reynaud, remarquable clown, musicien mais aussi metteur en scène de nombreux spectacles, Plume et Paille en 2009 et Petouchok en 2013. Issu du C.N.A.C. en 1990, il a cofondé la compagnie des Nouveaux Nez. Directeur artistique  du Pôle national des arts du cirque Ardèche Rhône-Alpes, et du nouveau Festival d’Alba-la-Romaine , il est aussi depuis 2009, formateur, entre autres, au C.N.A.C.

   Il a mis en scène avec beaucoup de rigueur et d’intelligence Avec vue sur la piste.  Au début, le spectacle a un peu de mal à se mettre en marche, mais très vite, les jeunes gens sur un petit podium jouent de la musique (cuivres surtout) avec une telle joie communicative, qu’ensuite, les numéros se succèdent avec une unité parfaite: main à main, sangles aériennes où les jeunes circassiens font merveille avec une formidable gestion de l’énergie et de l’équilibre.
 Il y a aussi un quatuor de cadre aérien: deux porteuses (Garance Hubert Samson et Lucie Roux), et deux voltigeuses (Gabi Chirescu et Léa Verbille)  qui font preuve d’une souplesse et d’une douceur étonnantes. Le tout à six mètres environ du sol, avec une “facilité” apparente: ce qui suppose, bien entendu, une rigueur et une énorme boulot en amont de plusieurs années chez ces jeunes gens et leurs enseignants.
Ce qui frappe ici (mais ils n’ont pas le choix!) c’est l’humilité dans le travail: chacun, à tour de rôle, sert d’accessoiriste. Il y a, en même temps chez eux une solidarité à toute épreuve dans ce travail très physique où ils n’ont aucun droit à l’erreur. Et, quel que soit le numéro, ils sont tous, très présents, très attentifs aussi pour assurer la sécurité de leurs camarades… Malgré le filet, le danger est partout, et ils le savent bien.
  Le numéro le plus fabuleux est cette bascule coréenne qui envoie les jeunes circassiens haut en l’air. Après plusieurs sauts périlleux, ils ont rattrapés par les mains, par leurs camarades trapézistes! Fabuleux…
 bascule coréennePrécision, intelligence des mouvements mais aussi grande poésie: loin de tout intellectualisme, loin des petits spectacles parisiens de texte, souvent prétentieux, le corps devient ici un médium artistique de premier ordre. Sous l’influence évidente du dadaïsme et des avant-gardes russes, il y a ici, notamment dans cette préhension du vide par le corps, une sorte de côté radical, primitif, élémentaire, au meilleur sens du terme.
 Le gestuel devient en effet à la fois sujet et objet d’une action artistique. Mais aucun excès de théâtralité, il y a juste ce qu’il faut, et quand ces jeunes artistes parlent, ils sont toujours justes, ce qui est rare. Pas de « représentation » mais une prise en charge totale du corps individuel au service d’un numéro à deux ou à plusieurs, dans une sorte de ballade onirique à laquelle le public est très sensible. Et il a chaleureusement applaudi ces jeunes gens. La présence  de l’artiste comme corps, restée longtemps marginale, a transformé radicalement la scène actuelle. Mais certains politiques, peu lucides, n’en ont même pas perçue toute la dimension sociale (voir les récentes déclarations, entre autres de Laurent Wauquiez).
Bref, cette bande de jeunes gens aura ici appris beaucoup de choses: la confiance dans son corps, le développement de la sensibilité et de l’intelligence scénique, et la mise au point d’un spectacle dans les conditions les plus professionnelles (mise en scène, son, lumière, costumes), la solidarité absolue d’un groupe, mais aussi  (et ce n’est pas rien dans une école) la tolérance entre jeunes de culture différente.
 On compte en effet dans cette promotion des Français mais aussi une Catalane, une Cambodgienne, une Québécoise, une Danoise et deux Portugais. Tous très volontaires, travailleurs et promis à un bel avenir.
M. Laurent Wauquiez, nouveau président de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, qui s’en est pris (voir Le Théâtre du Blog), et de la façon la plus stupide, à la formation soi-disant coûteuse pour les métiers du cirque et des marionnettes, ferait bien d’aller voir Avec vue sur la piste
  Il y verrait la preuve tangible, immédiate de ce qu’une école de haut niveau technique et d’excellence artistique comme le C.NA.C., peut apporter au spectacle et à l’art contemporains. Et cela dépasse, et de loin, le seul territoire du cirque…  

Philippe du Vignal

Cirque historique de Châlons-en-Champagne du 9 au 17 décembre.
Parc de la Villette du 27 janvier au 21 février. Cirque-Théâtre d’Elbœuf les 18,19 et 20 mars. Théâtre municipal de Charleville-Mézières les 30, 31 mars et le 1er avril. Le Manège de Reims, Scène nationale,  les 21, 22 et 23 avril.

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