Tchernobyl forever d’après Carnet de Voyage en enfer
Tchernobyl forever d’après Carnet de Voyage en enfer d’Alain-Gilles Bastide, adaptation et mise en scène de Stéphanie Loïk
Il y a trente ans, jour pour jour, explosait, en Ukraine, un réacteur au graphite de type rbmk. «Il nous semble tout connaître de Tchernobyl, que peut-on y ajouter ? » entonne une voix off, mais cela reste un mystère qu’il nous fait élucider. » Est-ce un signe ? Une catastrophe ? Non, c’est «une guerre au-dessus de toutes les guerres », avec ses milliers de victimes »
Avec La Supplication, Tchernobyl/ Chronique du monde après l’apocalypse, Stéphanie Loïk avait déjà abordé ce thème en 2012 (voir Théâtre du Blog), adaptant les témoignages recueillis par Svetlana Alexievitch, l’écrivain biélo-russe, prix Nobel 2015. Elle récidive avec un spectacle tiré du livre d’Alain-Gilles Bastide, recueil d’interviews (dont certains empruntés à Svetlana Alexievitch), illustré de belles photographies très oniriques. Une sorte de plongée aux enfers de la mémoire
La mise en scène reprend la même forme, très stylisée, qui se démarque d’un documentaire. Les trois comédiens, tout de noirs vêtus, évoluent dans une lumière grisâtre, avec des gestes amples et répétitifs; ils ne jouent pas des personnages mais, petit chœur homogène, se partagent le texte. Témoignant de l’indicible, de l’invisible, de l’inconcevable. De ce qui est resté, et qui reste encore un secret bien gardé.
La femme d’un pompier raconte le calvaire de son mari, et de bien d’autres, qui ont combattu le sinistre sans protection. «Ils lutteront toute la nuit. Pendant cinq heures, jusqu’au bout de la vie, A sept heures du matin, ils sont transportés à l’hôpital ultra-moderne de Pripyat. Ils sont noirs. Comme du bois brûlé. Carbonisés de l’intérieur. Ce sont des piles, ou plutôt des déchets atomiques. »
Un survivant du front d’Afghanistan explique comment il affronte ici une mort plus redoutable parce qu’imprévisible. Une mère supplie la médecine de prendre comme cobaye sa petite fille née avec un corps sans orifices : « Les yeux seuls étaient ouverts, pas de foufoune, pas de derrière, et un seul rein. »
Chorégraphie, chants et mouvements bien orchestrés évitent le pathos ; Vladimir Barbera, Elsa Ritter et Aurore James jouent très bien le jeu et savent nous toucher. La musique de Jacques Labarrière nous immerge dans un monde irréel et inquiétant mais le registre vocal volontairement neutre des comédiens introduit bientôt une certaine monotonie. On eut aimé plus de ruptures, comme dans le spectacle précédant avec ses quatorze acteurs, vaste corps multiforme qui se contractait ou se dilatait, troupe d’où émergeaient des figures singulières.
Mais les paroles de ce drame humain social et politique, vécu au quotidien, restent d’une grande force et soulignent l’attitude révoltante et l’irresponsabilité des gouvernants, quels qu’ils soient, à l’égard à des populations… Stéphanie Loïk revendique un «théâtre engagé»; elle veut alerter et inciter à se questionner sur l’énergie nucléaire. Depuis Tchernobyl, il y a eu Fukushima, et il devient urgent de porter le débat sur la place publique. C’est aussi le rôle du théâtre et ce spectacle y contribuera.
Mireille Davidovici
Anis Gras/ Le Lieu de l’autre, Arcueil T. 01 49 12 03 29 jusqu’au 30 avril
Exposition des photographies d’Alain-Gilles Bastide. Tchernobyl forever, Carnet de voyage en enfer Edition à compte d’auteur Alain-Gilles Bastide ebook : http://issuu.com/photographisme-photomorphisme. Signature et présentation du livre, à La Petite Librairie, 14 rue Boulard 75014 Paris, le 3 mai à partir de 17 heures.