Tchernobyl forever d’après Carnet de Voyage en enfer

Tchernobyl forever d’après Carnet de Voyage en enfer d’Alain-Gilles Bastide, adaptation et mise en scène de Stéphanie Loïk

 

160423_tchernobyl_forever_7Il y a trente ans, jour pour jour, explosait, en Ukraine, un réacteur au graphite de type rbmk. «Il nous semble tout connaître de Tchernobyl, que peut-on y ajouter ? »  entonne une voix off,  mais cela reste un mystère qu’il nous fait élucider. »  Est-ce un signe ? Une catastrophe ?  Non, c’est «une guerre au-dessus de toutes les guerres »,  avec ses milliers de victimes »
Avec La Supplication, Tchernobyl/ Chronique du monde après l’apocalypse, Stéphanie Loïk avait déjà abordé ce thème en 2012 (voir Théâtre du Blog), adaptant les témoignages recueillis par Svetlana Alexievitch, l’écrivain biélo-russe, prix Nobel 2015. Elle récidive avec un spectacle tiré du livre d’Alain-Gilles Bastide, recueil d’interviews (dont certains empruntés à Svetlana Alexievitch), illustré de belles photographies très oniriques. Une sorte de plongée aux enfers de la mémoire
La mise en scène reprend la même forme, très stylisée, qui se démarque d’un documentaire. Les trois comédiens, tout de noirs vêtus, évoluent  dans une lumière grisâtre, avec des gestes amples et répétitifs; ils ne jouent pas des personnages mais, petit chœur homogène, se partagent le texte. T
émoignant de l’indicible, de l’invisible, de l’inconcevable. De ce qui est resté, et qui reste encore un secret bien gardé.
La femme d’un pompier raconte le calvaire de son mari, et de bien d’autres,  qui ont combattu le sinistre sans protection. «Ils lutteront toute la nuit. Pendant cinq heures, jusqu’au bout de la vie, A sept heures du matin,  ils sont transportés à l’hôpital ultra-moderne de Pripyat. Ils sont noirs. Comme du bois brûlé. Carbonisés de l’intérieur. Ce sont des piles, ou plutôt des déchets atomiques. »

Un survivant du front d’Afghanistan explique comment il affronte ici une mort plus redoutable parce qu’imprévisible. Une mère supplie la médecine de prendre comme cobaye sa petite fille née avec un corps sans orifices : « Les yeux seuls étaient ouverts, pas de foufoune, pas de derrière, et un seul rein. »
Chorégraphie, chants et mouvements bien orchestrés évitent le pathos ; Vladimir  Barbera, Elsa Ritter et Aurore James jouent très bien le jeu et savent nous toucher. La musique  de Jacques Labarrière nous immerge dans un monde irréel et inquiétant mais le registre vocal volontairement neutre des comédiens introduit bientôt une certaine monotonie. 
On eut aimé plus de ruptures, comme dans le spectacle précédant avec ses quatorze acteurs, vaste corps multiforme qui se contractait ou se dilatait, troupe d’où émergeaient des figures singulières.
  Mais les paroles de ce drame humain social et politique, vécu au quotidien, restent d’une grande force et soulignent l’attitude révoltante et l’irresponsabilité des gouvernants, quels qu’ils soient, à l’égard à des populations… Stéphanie Loïk revendique un «théâtre engagé»; elle veut alerter et inciter à se questionner sur l’énergie nucléaire. Depuis Tchernobyl, il y a eu Fukushima, et il devient urgent de porter le débat sur la place publique. C’est aussi le rôle du théâtre et ce spectacle y contribuera.

 Mireille Davidovici

Anis Gras/ Le Lieu de l’autre, Arcueil T. 01 49 12 03 29  jusqu’au 30 avril

Exposition des photographies d’Alain-Gilles Bastide. Tchernobyl forever, Carnet de voyage en enfer Edition à compte d’auteur Alain-Gilles Bastide ebook : http://issuu.com/photographisme-photomorphisme. Signature et présentation du livre, à La Petite Librairie, 14 rue Boulard 75014 Paris, le 3 mai à partir de 17 heures.

 


Valentina-Tchernobyl

Valentina-Tchernobyl d’après La Supplication de Svetlana Alexeievitch, mise en scène de Laure Roussel

 

  valentinaCe solo, “librement inspiré » de l’œuvre du Prix Nobel de Littérature 2016, raconte l’histoire d’une jeune femme et de son mari, victime des radiations atomiques après avoir travaillé  sur les lignes électriques de cette ville désormais martyre après l’explosion en 1986 d’un réacteur de sa centrale nucléaire.
Elle voit se dégrader de jour en jour le corps de celui qu’elle continue, bien sûr, à aimer. Les infirmières lui ont montré comment le nourrir avec de la nourriture moulinée qu’elle fait descendre au moyen d’un entonnoir dans un tube qui remplace son larynx détruit par les métastases qui ont commencé à à envahir son corps! L’écrivaine russe dit très bien l’immense solitude de cette jeune femme confrontée à la souffrance au quotidien de son homme, le seul de son équipe à être encore du monde des vivants. Cela fait froid dans le dos!
  Coralie Emilion-Languille est juste, précise et raconte cette histoire sans pathos, avec une grande sobriété. On sort de là encore plus persuadé que nous aussi nous allons avoir aussi notre Tchernobyl, malgré les grandes déclarations il y a quelque quarante ans de Valéry Giscard d’Estaing qui avait poussé au tout nucléaire en France.. En 1976, la construction du super-générateur nucléaire avait été décidée comme la Compagnie générale des matières nucléaires, (COGEMA) et l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (I.P.S.N.). Et on l’a oublié: cette stratégie du tout nucléaire est soutenue par les ingénieurs des grandes écoles, et par l’ensemble de la classe politique, y compris le Parti communiste qui y voient la création massive d’emplois, et par la C.G.T, à qui E.D.F. qui reverse 1% de son chiffre, approuvent le plan. Comme les régions qui profitent de la taxe professionnelle…
Mais  en 1974, 400 chercheurs dénoncent de façon très lucide le manque de transparence, les risques de fuites dans les centrales, ce que nie le gouvernement, et le problème,  insoluble des déchets…Bien vu!
La catastrophe de Fukushima seule rendit les gens plus lucides en particulier le P.S. et Martine Aubry. En attendant, les écrans plasma inondent de plus en plus le métro, les pharmacies et les galeries commerciales; les lumières des vitrines restent éclairées la nuit, comme les lampadaires de tout petits villages qui ne voient passer personne au-delà de 21heures, les magazines épais en couleurs et les quotidiens gratuits se multiplient, et les terrasses de café à l’air libre,  à deux pas du théâtre de la Manufacture des Abbesses sont chauffées par de puissantes plaques électriques!
Ce spectacle arrive à point nommé comme une terrible mais efficace piqûre de rappel. Merci Laure Roussel. Chez nous, quel sera notre Tchernobyl?  Les paris sont ouverts. Même si ce gouvernement comme les autres ne semble pas vraiment se préoccuper de cette inflation de dépense énergétique!

Philippe du Vignal

 

Manufacture des Abbesses,  7 rue Véron 75018 Paris. Métro Abbesses ou Blanche.
 

Fukushima cinq ans après

 

Fukushima,  cinq ans après.

 

FukushimaPlusieurs collectifs se sont installés, ce mois-ci, à la Parole Errante d’Armand Gatti à Montreuil pour présenter films, poèmes, installations plastiques, musiques, débats politiques, artisanat et peintures. Le 11 mars, Bruno Boussagol, grand explorateur de Tchernobyl, avait invité ses amis japonais, pour commémorer les désastres de  Fukushima…
À l’entrée, une Installation pour cent visages en suspension d’Alexandra Fontaine: soit six masques terreux environnés de messages en japonais, au-dessus d’un amas de pierres funéraires. La sculpteuse, qui a vécu au Japon, délivre ici un message d’une grande force poétique.

 Il y a aussi une importante exposition d’œuvres plastiques autour d’Armand Gatti et des stands de livres. Bruno Boussagol présente la soirée avec d’abord un film : Le Canon des petites voix, de Kamanaka Hitomi, sur les désastres causés par l’explosion de la centrale nucléaire, en 2011, la vie quotidienne des habitants qui sont partis ou ceux qui restent, tentant courageusement de désamianter les terrains près des écoles, la séparation des couples, les départs et les retours, après les évacuations forcées dans un rayon de 20 à 30 km autour de la centrale, selon le taux de contamination au césium. Mais aucune aide n’est prévue; les familles, informées des risques pour les enfants, ont dû partir ou vivre là, avec une angoisse quotidienne.
Dans un temple bouddhique abritant un jardin d’enfants, la vie tourne autour des gestes à accomplir pour éviter l’exposition interne et externe, contrôler chaque aliment, traquer les radiations dans l’air et le sol, dosimètre et pelle à la main. Les mères se partagent les cartons de légumes qui arrivent au temple de tous les coins du Japon, cuisinent ensemble, organisent des vacances pour les enfants, mais se sentent trahies par les autorités.
L’avenir de Fukushima peut pourtant se lire dans celui de Tchernobyl, il y a vingt-cinq ans déjà,  avec nombre de cancers de la thyroïde apparaissant chez enfants et adolescents, dix à quinze ans plus tard,  et ceux des adultes continuant à progresser…
 Ensuite Gérard Bournet a présenté Franckushima, un essai graphique. Comment appréhender l’univers de la radioactivité dont le propre est d’être invisible, inodore, sans goût ni saveur ? Cinq ans après Fukushima, la liquidation du désastre a, du moins en grande partie, permis sa banalisation et son oubli généralisé. À travers une démarche documentaire et graphique,  l’auteur veut faire de ce livre, une « caisse de résonance sur les catastrophes nucléaires ». Pour mieux nous préparer, dit-il, à celle qui nous guette en France!
Et Bruno Boussgol parla aussi de Tchernobyl, le nuage sans fin, une bande dessinée réalisée par Ming avec l’Association française des malades de la thyroïde.

 Edith Rappoport

 D’autres soirées sont prévues, dans le cadre de  Nous la forêt qui brûle,  Maison de l’Arbre de Montreuil
9 rue François Debergue 93100 Montreuil jusqu’au 31 mars

http://paroledemain.jmdo.com, : laparoledemain@gmail.com  

 

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