Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture : petit tour d’horizon
Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture : petit tour d’horizon…
Rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes
A la veille du 8 mars, journée consacrée aux luttes pour le droit des femmes, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié un rapport: Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, acte II : après dix ans de constats, le temps de l’action. Statistiques et conclusions restent accablantes et ce, malgré la prise de conscience induite par les rapports de Reine Prat, en 2006 et 2009: «Majoritaires sur les bancs des écoles d’art puis mises aux bans des institutions, les femmes subissent encore pleinement le mythe de la toute-puissance du «génie créateur masculin. (…) Aujourd’hui plus nombreuses que les étudiants, puis progressivement, à l’image d’un processus d’évaporation, elles deviennent moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées, et enfin, moins en situation de responsabilités que leurs homologues masculins. Elles représentent aujourd’hui: 6/10èmes du corps étudiant, 4/10èmes des artistes effectivement actif ; 2/10èmes des artistes aidés par des fonds publics ; 2/10èmes des artistes programmé(e)s; 2/10èmes des dirigeants; 1/10èmes des artistes récompensés; et, à postes égaux et compétences égales, une artiste gagne en moyenne 18 % de moins qu’un homme. »
A l’occasion de cette publication qui tombe à pic pour le 8 mars, les E.A.T. (Ecrivains associés du théâtre) ont organisé le 5 mars une table ronde à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, sur la question de la place des femmes au cinéma et au théâtre. Dominique Paquet, auteure et ancienne directrice de théâtre, commente ces chiffres et rappelle que l’un des premiers auteurs de théâtre, au Moyen-Âge en Europe, fut une Allemande: Hrosvita de Ganderscheim (930 et 935, et encore vivante en 973). Aujourd’hui oubliée, elle écrivit des pièces à partir de celles de Plaute et de Térence.
Même sort, rappelle la scénariste Sophie Deschamps, pour Alice Guy (1873-1968) qui, absente des manuels, réalisa pourtant des centaines de films, dont historiquement le premier de l’histoire du cinéma! La Fée aux choux (1896) qui donc précéda le célèbre L’Arroseur arrosé (1897) des frères Lumière. Et aussi des westerns, aux Etats-Unis, où elle termina sa carrière et mourut. Depuis toute petite, Sophie Deschamps, elle, rêvait de faire du théâtre: «J’ai abandonné le métier d’actrice, car on ne peut pas vieillir dans ce métier après trente-cinq ans. Ce qui m’a blessée, dans ma carrière, c’est de devoir séduire, l’obligation d’être la plus belle pour aller danser». Elle s’est donc tournée vers l’écriture dramatique puis le scénario: «C’est très jouissif d’écrire, car on tient les manettes». Il y a beaucoup de scénaristes-femmes, dit-elle, car « c’est un métier de l’ombre ». En revanche, les réalisatrices ne sont que 17 % à la télévision, et 25% au cinéma, et leurs films ne reçoivent pratiquement jamais de récompenses. «Les budgets de production pour les femmes sont très inférieurs, parce que les commissions d’attribution ne sont pas paritaires: le système actuel exclut doucement les femmes. Pourquoi 85% des budgets de la Culture vont-ils aux hommes ? ».
Du côté de la réalisation, «c’est plus lent, dit Cécile Tournesol, metteuse en scène de la compagnie L’Art Mobile, et plus difficile pour les femmes de monter des projets.» On leur fait moins confiance et la discrimination perdure: l’homme est l’artiste, la femme, sa muse. Et elles n’accèdent toujours pas à la direction des Centres Dramatiques Nationaux. «Quand Aurélie Filipetti a essayé de nommer plus de femmes dans les Centres Dramatiques Nationaux, elle s’est pris une volée de bois vert, précise Dominique Paquet. La ministre actuelle a décidé de faire des quotas et, a été alors votée à l’unanimité, une progression obligatoire de 5% par an, jusqu’à la sortie du seuil d’invisibilité (33%).
»Pour les comédiennes, il n’existe pas d’étude “genrée“, mais on peut se demander où sont les actrices de cinquante ans? Seules 8% d’entre elles travaillaient en 2015, et en 2016, c’est encore pire», dit Tessa Volkine, actrice et membre de L’A.A.F.A. (Actrices et Acteurs de France associés). «Avec ma voix grave, on m’a dit que je ne travaillerai pas avant quarante ans. On nous met dans des cadres. On fait peur par notre caractère engagé, par notre côté garçon manqué. Quand nous donnera-t-on la parole, à nous, les actrices?»
Il faudrait faire appel à l’imaginaire des autrices et auteurs, pour qu’ils écrivent des rôles pour elles. Pour que cessent les représentations stéréotypées des femmes dans les fictions. H/F* publiera sur son site à la fin mars, des consignes destinées aux formateurs, les incitant à déconstruire les stéréotypes sexués, mais aussi à rétablir les femmes au sein du patrimoine culturel.
H/F : rencontre avec Sylvie Mongin-Algan
Pendant longtemps, dans un milieu des Arts et de la Culture pourtant considéré, par nature comme émancipateur et égalitaire, animé par des valeurs humanistes et universelles, les inégalités entre hommes et femmes n’ont pas été un sujet de controverses. Devenues visibles, ces inégalités ont alors suscité de nombreuses réactions, dont la création de H/F, à l’initiative de quelques femmes de théâtre dont Sylvie Mongin-Algan qui dirige à Lyon le Théâtre Nouvelle Génération, un collectif d’artistes. «A l’issue d’une discussion avec Reine Prat, et d’une réunion à la Direction du théâtre du Ministère de la Culture, qui rassemblaient quelques directrices de lieux, pour nous inciter à postuler à des directions, j’ai proposé à des amis de réfléchir : comment se faire entendre par les professionnels du théâtre? D’où la création, en 2008, d’H/F comme les micros H.F. et non pas F/H.» Depuis l’idée a fait des petits, et H/F-Île-de-France a suivi, et un réseau s’est constitué, à l’occasion du festival d’Avignon 2011, en Fédération inter-régionale du Mouvement HF qui compte aujourd’hui quatorze collectifs régionaux regroupant mille adhérent-es. Avec comme objectif: le repérage des inégalités des droits et pratiques entre hommes et femmes dans les milieux de l’art et de la culture, toutes fonctions confondues (artistiques, administratives et techniques) ; l’éveil des consciences par la sensibilisation des professionnels, des responsables institutionnels, des élus et de l’opinion publique, et l’orientation des politiques vers des mesures concrètes.
Un mouvement, qualifié d’évènement au regard de son caractère spontané et inattendu, par la philosophe Geneviève Fraisse. «C’est une aventure où on riait beaucoup, avec un plaisir à la subversion. Puis, il y a eu le travail sur le langue, le matrimoine, avec des chercheuses comme Aurore Evain. Le vocabulaire dérangeant, ça me plaît». Ainsi la Bolognaise Christine de Pizan, écrivaine féministe (1364-1431)-alors que la polémique sur la place des femmes dans la société faisait rage, se fit la défenseuse du «matrimoigne». À l’époque, quand il y avait mariage, les futurs conjoints déclaraient leur patrimoine (transmis par le père) et leur matrimoine (transmis par la mère). Pourtant, comme celui d »autrice », le mot fut effacé des dictionnaires…
Auteure ou autrice ?
Femme de théâtre et chercheuse, Aurore Evain a découvert par hasard, dans les registres du XVIIème siècle de la Comédie-Française, le terme « autrice » : «Je me suis engouffrée dans cette quête, jusqu’à épuiser les index et dictionnaires afin de débusquer sa trace sous les différentes orthographes de l’ancien français: auctrix, auctrice, authrice, autrice. Avec ce mot «autrice», remontait à la surface une longue généalogie littéraire de femmes qui l’avaient porté, de lointaines devancières en qui puiser notre autorité et notre légitimité de créatrices.
Pendant des siècles, l’Académie française a travaillé à rendre «autrice» invisible : désormais, on cherche à le rendre inaudible, en ajoutant un discret appendice à auteur-e… Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreuses à brandir ce mot comme un étendard et à adopter la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale en 1792 : «Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles».
Le rapport du Haut Conseil conclut : «L’affaire Harvey Weinstein et la vague de dénonciations des violences sexistes et sexuelles ont jeté une lumière crue sur les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes-artistes et sur les inégalités systémiques entre femmes et hommes dans le domaine de la culture. Si ce secteur ne fait certainement pas exception, il n’en demeure pas moins que les récents évènements (…) appellent à une action déterminée pour faire reculer les violences sexistes et les inégalités entre femmes et hommes. Dans cette prise de conscience qui doit se poursuivre et dans les actions qui doivent en découler, le Ministère de la culture a toute sa place à prendre.» Mais pour Sylvie Mongin-Algan, «les associations militantes doivent aller au-delà de la propositions des politiques. Rester inventives. Ça n’avance, que parce qu’on pousse. Dès qu’on relâche, les politiques mettent des cales. Nous sommes des lanceuses d’alertes. »
Mireille Davidovici
Le 5 mars, Table ronde à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, rue Ballu, Paris VIIIème.
Les Femmes et la culture, quelle place, quels outils pour sensibiliser et favoriser égalité et émancipation?, le 8 mars, de 9 h à 16h 45, Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XI ème.
Le 11 mars, Parcours : Les Dames du tram, de 15h 30 à 17h, station (T3) Delphine Seyrig.
Du 11 au 13 mars, Paris des femmes, Théâtre des Mathurins, rue des Mathurins, Paris VIII ème.
Le 12 mars, table ronde : La Place des femmes dans le monde de la culture, de 19h à 22h, à la mairie du XIV ème, 2 place Ferdinand Brunot, Paris XIVème.
Le 26 mars, de midi à minuit, cinquante-trois autrices liront leurs pièces au Théâtre 14 Jean-Marie Serreau, 20 avenue Marc Sangnier, Paris XIVème
www.HF-idf.org ; https://www.sacd.fr où-sont-les-femmes-dans-la-culture-toujours-pas-là
-Les Femmes ou les silences de l’Histoire de Michèle Perrot, Flammarion.
-Histoire d“autrice“ de l’époque latine à nos jours, d’Aurore Evain, revue SÊMÉION, Travaux de sémiologie n° 6, Femmes et langues, février 2008, Université Paris-Descartes et sur siefar.org
-Théâtre de femmes de l’ancien régime d’Aurore Evain, Garnier Classique.
-Qu’est-ce que la matrimoine ? d’Aurore Evain.
https://auroreevain.com/2017/11/23/quest-ce-que-le-matrimoine/