Scarbo chorégraphie de Ioannis Mandafounis et Manon Parent

 

Scarbo chorégraphie de Ioannis Mandafounis et Manon Parent

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@Jean Baptiste Bucau

« Créer des pièces totalement improvisées mais qui ont l’air écrites », telle est la méthode de ce chorégraphe basé principalement en Suisse et récemment nommé à la tête de la Dresden-Frankfurt Dance Company (l’ancienne Forsythe Company). Avec Manon Parent, il a trouvé l’interprète idéale pour cette approche. En musicienne accomplie -elle est aussi violoniste- avec une danse fluide et libre, elle explore un large répertoire de mouvements amples. «  Sa manière d’interpréter les notes mais surtout les silences est un travail qu’elle est capable d’accomplir à un très haut niveau et en pleine conscience, dit Ioannis Mandafounis. Cet échange constant entre écoute active et mouvements en opposition avec la musique est perceptible : ils prennent parfois le dessus sur la musique et à d’autre moment, le corps est mené par la musique. »

La danseuse entre en scène comme chez elle, par une petite porte latérale, et investit rapidement le plateau,  courant, bondissant, jusqu’à bout souffle. Elle s’arrête parfois pour regarder le public, souriante, ou se réfugie dans les coins sombres, un rien énigmatique… La tension monte dans sa gestuelle, les mouvements se cassent, elle s’effondre puis se reprend, comme traversée par une sourde douleur, sur les notes heurtées et nerveuses du Scarbo de Maurice Ravel, inspiré au compositeur par le nain diabolique du Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand. Une musique syncopée, claudicante que Manon Parent vit à fond, avec une énergie rageuse .

Puis elle s’arrête en pleine action, prend la tangente, pour de sonores ablutions et va s’asseoir, face public, non pour se reposer mais pour livrer un souvenir qui la hante. Enfin, elle s’en prend violemment au tapis de danse et aux chaises vides alignées en fond de scène, avant de retourner à sa danse, sur un tout autre registre musical et lexical. Elle termine sur un chant nostalgique: l’une des Ariettes oubliées de Claude Debussy composée sur un poème de Paul Verlaine, L’Ombre des arbres. … « Combien, ô voyageur, ce paysage blême/Te mira blême toi-même,/ Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées, /Tes espérances noyées. »

Avec ce solo intense, à la fois libre et écrit, Manon Parent donne à sa narration dansée toutes les nuances d’une émotion à fleur de peau, en grande proximité avec le public sur lequel elle prend appui. Un beau moment à découvrir parmi la programmation foisonnante du festival Faits d’Hiver

Mireille Davidovici

Du 1er au 4 février Théâtre de la Ville Epace Cardin ,1 avenue Gabriel, Pari s(VIII ème)  T. : 01 42 74 22 77

Le 5 juin, Festival TanzArt Ostwest, Stadttheater, Giessen (Allemagne) ; le 25 juilletKalamata Dance Festival, Kalamata (Grèce)

Faits d’Hiver du 16 janvier au 18 février. T. : 01 71 60 67 93.


Tumulus, chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Geoffroy Jourdain

 

 Tumulus, chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Geoffroy Jourdain

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© Christope Raynaud De Lage

«Chanter et danser en même temps est au cœur de ma pratique soliste, dit François Chaignaud. J’ai toujours rêvé de créer une pièce de groupe qui s’appuie sur ces répertoires anciens, confrontés à nos corps actuels.» Il réalise ici, avec le musicologue Geoffroy Jourdain, une étonnante procession rassemblant des interprètes rompus au chant comme à la danse. Pour la première fois, il n’est pas lui-même sur le plateau, comme dans son remarquable Romances Inciertos, un autre Orlando (voir Le Théâtre du blog).

Venu de la salle, un lent cortège avance en silence : treize corps soudés les uns aux autres, dans des costumes volumineux et déstructurés. L’étrange tribu investit la scène où s’élève un tumulus, un de ces monticules herbeux qui, dans les campagnes recèlent d’antiques sépultures. Les artistes se déploient autour et entonnent des polyphonies anciennes et contemporaines, allant de la Renaissance, avec un motet de Josquin Desprez  Qui habitat in adjutorio altissimi (1521) ou des extraits du Requiem (1547) de Jean Richafort, jusqu’au Dies Irae de la Missa pro defunctis (1718) d’Antonio Lotti et ici, interprété pour la première fois en France,  Musik für das Ende (1971) du Québecois Claude Vivier. Les sonorités fluides du latin religieux ou profane alternent avec la légèreté des psaumes anglais de William Byrd : Lullaby my sweet little baby.

Une ronde sans fin s’organise, et, d’un chant à l’autre, les corps s’animent suivant l’humeur de la musique. D’abord funèbre, la procession s’attarde devant le tombeau, puis, quelques danseurs happés par les petites ouvertures qui y sont ménagées, se risquent à l’intérieur et en sortent comme ressuscités. Et la colline s’anime alors, telle une fourmilière, et devient un terrain de jeu pour une farandole célébrant sur des airs plus joyeux, la renaissance des corps… La mort est ici force de consolation et la musique insuffle un élan vital aux mouvements.

Mathieu Lorry-Dupuy a pensé le tumulus comme une machine à jouer, et les costumes de Romain Brau sont faits d’éléments amovibles encombrants, avec lesquels les danseurs peuvent s’emmitoufler ou se dévêtir, comme si leurs corps étaient en permanente mutation. Malgré quelques temps morts entre les phrènes, ce chœur mouvant nous offre une fascinante continuité vocale et gestuelle… Geoffroy Jourdain signe des arrangements en parfaite symbiose avec la chorégraphie en forme de rituel baroque et il se réjouit de faire renaître un patrimoine «qui ressemble autant à un tas de cendres qu’à un feu sacré».

Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué du 24 au 27 novembre, à la Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, Paris (XIX ème ). T. : 01 40 03 75 75. Dans le cadre du Festival d’automne à Paris

Le 30 novembre, Maison de la Culture de Bourges (Cher).

Les 3 et 4 décembre, Malraux-Scène nationale de Chambéry et Savoie et le 17 décembre, Concertgebouw, Bruges (Belgique).

Les 23 et 24 mars, Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; le 28 mars Théâtre Molière-Scène nationale-archipel de Thau, Sète (Hérault) et le 31 mars, Théâtre-Auditorium de Poitiers (Vienne).

Animal de Kaori Ito et Manolo, par le Théâtre du Centaure

Animal de Kaori Ito et Manolo, par le Théâtre du Centaure

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© Anaïs-Baseilhac

Quatre chevaux noirs attendent sagement avec leur picotin d’avoine, que le public s’installe et que le spectacle commence. Autour d’eux ; l’équipe artistique s’active, prête à se lancer dans une aventure: la rencontre entre l’univers de la danseuse japonaise et celui de Manolo qui se dit « Centaure en mutation» : « Par l’écoute des corps et la danse, dit-il, Kaori me guide dans cette recherche sur la piste animale. »

 Une pièce en quatre temps, un par cheval : Indra, Arjuna, Nakula et Sahadeva. Chaque séquence révèle les personnalités des animaux comme celles des artistes et induit un dialogue spécifique entre l’humain et la bête, considérée comme partenaire à part entière. Johanna Houe, écuyère et accordéoniste, accorde le soufflet de son instrument à la respiration de sa monture, en l’amplifiant, au rythme du martèlement des sabots. Ce travail musical est ici accompagné comme aux autres moments du spectacle, à jardin, par le guitariste Virgile Abela et, à cour, par Anwar Khan, virtuose des tablas mais aussi du chant et de l’harmonium. La danseuse Léonore Zurflüh rivalise avec la circassienne à cheval en imitant sa cavalcade et plus tard, entamera un pas de deux ludique avec Arjuna, généreux et bondissant à ses côtés comme un chien familier…

Manolo, dans un corps à corps charnel avec Nakula, se love, peau contre poil sur la bête immobile. Un dialogue muet s’instaure, émouvante intimité, dans le silence du plateau. Ce dernier tableau dit poétiquement la possible symbiose entre l’humain et le règne animal . «C’est, résume Kaori Ito, l’histoire d’un homme qui joue avec des animaux fabuleux, qui danse avec eux et disparait en eux. »

L’homme-centaure a rassemblé autour de ses chevaux une prestigieuse équipe que Kaori Ito a chorégraphiée avec finesse, en mettant en avant le talent de chaque artiste et de chaque animal. Nous avons apprécié la virtuosité équestre de Johanna Houé, vice-championne d’Europe de dressage des Masters ibériques, qui a souvent collaboré avec Zingaro. Le compositeur Virgile Abela, artiste associé du Laboratoire de Mécanique et d’Acoustique du C.N.R.S., va et vient entre musique contemporaine et jazz. Il se lance ici dans un duel humoristique dans la grande tradition de la musique indienne, avec le malicieux Anwar Khan qu’on a pu voir chez Zingaro, au Théâtre de la Ville ou à la Philharmonie de Paris.

Et Léonore Zurflüh, interprète de la compagnie de Kaori Ito, s’intéresse depuis longtemps à l’éthologie équine pour lire et sentir le mouvement du cheval. Elle n’a ici rien à envier aux foulées des montures noires élevées depuis leur plus jeune âge par Manolo et chouchoutées par Séverine Deperrois et Malorie Leclerc selon les directives d’une ostéopathe pour chevaux qui accompagne la création.

En 1989, Manolo a fondé le théâtre du Centaure en Bourgogne et sa compagnie est maintenant installée à Marseille. Il oriente sa recherche vers la danse: «Petit à petit, je découvre un nouvel état d’être. C’est peut-être ça un Centaure : une relation, une danse avec le vivant». Animal est conçu pour être joué dans un théâtre ou en pleine nature, à la lumière du jour. Il faut découvrir ce spectacle et sa joyeuse énergie.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 20 novembre, aux Théâtre des Gémeaux-Scène Nationale, 49 avenue Georges Clemenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 61 36 67.

 Les 25 et 26 novembre, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Du 26 au 29 janvier et du 3 au 5 février, Biennale Internationale des Arts du Cirque, Marseille (Bouches-du-Rhône)

Le 5 mai, Quai 9, Lanester ; les 7 et 8 mai, Haras d’Hennebont (Morbihan).
Pôle de création des arts équestres en extérieur  les 13 et 14 mai, baie du Mont-Saint-Michel, Saint-Jean-le-Thomas (Manche).

 

We wear our wheels with pride and slap your streets with color…we said bonjour to satan in 1820… chorégraphie de Robyn Orlin

We wear our wheels with pride and slap your streets with color…we said bonjour to satan in 1820… chorégraphie de Robyn Orlin

 

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© Jérôme Séron

«Nous sommes fiers de nos roues et éclaboussons vos rues, de couleurs… Nous avons salué Satan en 1820…. » Un titre qui en dit long sur les conducteurs de rickshaw à Durban, auxquels Robyn Orlin a dédié cette pièce. Ils fascinèrent la chorégraphe sud-africaine encore enfant: « Je me demandais pourquoi les anges s’envolaient ainsi et réatterrissaient .»
C’était au temps de l’apartheid et la plupart étaient zoulous. Au XIX ème siècle, leurs ancêtres, des esclaves, tiraient en pousse-pousse les colons britanniques, débarqués depuis 1820 au Cap… Elle ressuscite ces as du pousse-pousse, en une joyeuse horde colorée avec six jeunes danseurs et les musiciens d’ukhoikhoi : Yogin Sullaphen et Anelisa Stuurman.

 La chanteuse mène la danse avec sa voix chaude, profonde, parfois aigüe,  imposante et demande au public de participer à la mise en route de la représentation, en encourageant les interprètes par un  « humm » général, puis en simulant le balancement des passagers sur la banquette d’un cyclo-pousse. Les spectateurs de la salle Gémier s’agitent d’avant en arrière, en une vague joyeuse : «J’ai toujours eu ce besoin, de casser la barrière entre public et interprètes, dit Robyn Orlin. Qu’il se passe un échange… »  Ici, le mouvement crée la communication .

Emportés par cette fougue, les danseurs s’élancent et courent, rivalisant de virtuosité. Ils portent d’impressionnants casques aux cornes démesurées et leurs costumes éclaboussent  de couleurs le plateau. Captés par des caméras, leurs corps en mouvement se démultiplient grâce à des effets d’optique sur un écran à l’arrière-plan. Les artistes se suspendent à une longue barre horizontale, s’égayent en groupe ou en solos sur le grand plateau, entraînés par les percussions d’Yogin Sullphen et le chant pénétrant d’Anelisa Stuurman.

Ils disent l’histoire de ces amahashi (chevaux en zoulou), un sobriquet donné par les colons aux meneurs de pousse-pousse. A la fois, poétique et péjoratif, il traduit la condition de ces hommes noirs, transformés en bêtes de somme et ici magnifiés par ce ballet éclatant comme un feu d’artifice.

 Ce travail de mémoire emprunte aux danses traditionnelles d’Afrique du Sud, notamment les danses zoulou caractérisées par des envols et des chutes. Un style qui convient à ces «anges» à qui Satan n’a pas coupé les ailes, des ailes qu’en pourfendeuse du colonialisme, Robyn Orlin leur rend.

La « jeune danseuse très en colère » qu’elle était en 81, l’est restée et transmet son art et son engagement aux six jeunes interprètes de la Moving into Dance Mophatong, une des premières compagnies mixtes d’Afrique du Sud, fondée par Sylvia «Magogo» Glasser en 78, en résistance à l’apartheid. Des bourses ont permis à de centaines d’étudiants pauvres d’avoir une formation et beaucoup sont devenus des artistes à succès.

 Mireille Davidovici

 Le spectacle a été joué du 9 au 12 novembre, à Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

Ils n’ont rien vu, chorégraphie de Thomas Lebrun

Ils n'ont rien vu_07 © Frédéric Lovino

©Frederic Lovino

Ils n’ont rien vu, chorégraphie de Thomas Lebrun

Un beau titre pour cette pièce qui essaye de parler de l’impensable: le 6 août 1945, trois mois après la capitulation de l’Allemagne, une bombe atomique américaine anéantissait Hiroshima! Soixante-dix mille morts et autant par la suite, à cause des irradiations.  Le XX ème siècle entrait dans l’ère nucléaire !

Cette immense tragédie a inspiré à Alain Resnais Hiroshima mon amour (1959), un film, scénario de Marguerite Duras, dont nous entendrons quelques extraits. Puis les huit danseurs, au micro, égrènent sobrement des témoignages de victimes, accompagnés d’une bande-son où résonnent des percussions traditionnelles japonaises. Pour s’imprégner de la mémoire collective de cet événement, Thomas Lebrun et son équipe sont allés à Hiroshima, à la rencontre des survivants de la bombe atomique, les « hibakushas ». «Ce voyage a complétement transformé notre vision des choses, dit-il. Il a nourri notre imaginaire et notre savoir, de réalités et de témoignages et nous a permis d’avancer dans ce projet, avec d’autres regards et d’autres mots : ceux des  anciens qui ont vu et raconté, et que nous avons vus et écoutés … »

Rieko Koga a conçu un « baro », une pièce de tissu de huit mètres sur dix, constitué d’étoffes anciennes et contemporaines, en provenance d’Hiroshima  et d’autres villes japonaises. Ce matériau-mémoire à l’esthétique délicate va prendre différentes formes sur le plateau. Et Jeanne Guellaff a conçu les beaux costumes de cette pièce de quatre-vingt minutes qui débute par une touchante séance collective d’origamis. Un hommage à Sadako Sasaki, une petite fille de douze ans, victime du bombardement qui s’était promis, en vain malheureusement, de confectionner mille grues de papier pour survivre. Les gestes précis font référence à différents styles, de la danse traditionnelle japonaise, à Pina Bausch.

Nous nous souviendrons longtemps du moment évoquant la chute de la bombe nucléaire annoncée par la voix du pilote américain aux commandes de l’avion ce jour-là. Comme une sorte de nuée ardente, les éclairages de François Michel, exceptionnels, figent au sol les corps meurtris des artistes. C’est beau quand la danse fait sens !

Jean Couturier

Le spectacle a été présenté du 5 au 11 mars, à Chaillot-Théâtre National de la danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. : 01 53 65 30 00.

Concordan(s)e 2020: No More Spleen de Franck Micheletti, chorégraphe et Charles Robinson, écrivain

 

Concordan(s)e 2020

 

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© Delphine Micheli

No More Spleen de Franck Micheletti, chorégraphe et Charles Robinson, écrivain

 Quand un chorégraphe rencontre un écrivain, que se racontent-ils ? Et que font-ils ensemble? Depuis sa première édition, en 2007, ce festival a  fait le pari d’engendrer des œuvres hybrides, issues d’un mariage entre un chorégraphe et un écrivain. Les formes qui en naissent, après cinq semaines de plongée dans leurs univers créatifs croisés, sont présentées dans des théâtres, centres d’art, bibliothèques, librairies, universités d’Ile-de-France.
En amont du festival, des rendez-vous sont donnés au public:
ateliers d’écriture en danse et littérature, répétitions publiques, lectures croisées danse/écriture. L’enjeu : montrer la danse là où l’on ne la trouve pas habituellement. (voir, pour les précédentes éditions, Le Théâtre du Blog)
Jean-François Munnier, l’initiateur de cette formule, vient de la danse et, pour lui, la littérature permet de laisser une trace de cet art éphémère. Pour garder la mémoire des performances, des textes écrits à cette occasion sont publiés dans un recueil. 

 

No More Spleen de Franck Micheletti et Charles Robinson

 D’habitude, les créations de Concordan(s)e étaient le fruit de la rencontre entre deux artistes qui ne se connaissent pas. Cette année, par souci de continuité, trois binômes vont récidiver dont celui de Frank Micheletti et Charles Robinson: en 2017, le chorégraphe et l’écrivain imaginaient The Spleen, une enquête pop à travers nos intoxications : technologiques, politiques, organiques. A eux deux, ils ont inventé une science :  » la spleenologie*, qui serait à la fois une méthode archéologique, un art martial, une hypothèse thérapeutique: « En usant des arts spleenétiques, nous ploierons et déplierons des voix, des corps, des aventures proches ou lointaines, des récits parallèles et méconnus, pour exsuder le spleen qui empoisonne nos existences.»

Les complices proposent la danse comme une « pratique joyeuse» :  »No More Spleen veut en finir avec nos intoxications », dit Frank Micheletti. Nous ne sommes pas tranquilles avec les malheurs du monde. Nos corps incorporent des toxiques. Ils grouillent, râlent, protestent et craquent. Nos symptômes chantent avec les humiliés.  »Sur le plateau nu, quelques accessoires : pour l’écrivain, un micro et un synthétiseur; pour le chorégraphe, un tourne-disques, un bâton, un tabouret pliant… Le texte littéraire la matière première de Charles Robinson mais il oriente son travail vers le son, le « live » et le numérique avec des lectures-performances. Il a adapté pour France-Culture, son deuxième roman, Dans les Cités (Seuil-Fiction & Cie), sous la forme d’une pièce radiophonique, en mêlant texte et création sonore : «La danse apporte une troisième dimension, par rapport à une lecture performée.» Son sens de l’espace et du rythme rencontre la danse de Frank Micheletti, une conjugaison de hip-hop et gestuelles tribales. «Le texte est né de cette relation au plateau, avec les outils du plateau et les pratiques de chacun, précise le chorégraphe et sur un paysage commun, sont arrivées nos fantaisies ».

Les performeurs, guidés par l’exploration textuelle du vertige rotatoire proposée par Charles Robinson, s’aventurent dans le labyrinthe de l’oreille interne, où flottent, erratiques,  des otolithes, concrétions calcaires qui régulent notre équilibre. L’auteur déroule un texte hypnotique sur lequel le danseur brode, défiant les lois de la gravité… Ils construisent une sorte d’épopée spatiale faite de texte, voix, corps en mouvements et musique. Une expérience plaisante appelée, après Concordan(s)e, à voyager avec Spleen sous la forme d’un diptyque d’une heure, au sein de la compagnie de Frank Micheletti: Kubilai Khan investigations.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 24 février à la Bibliothèque Publique d’Information, Centre Georges Pompidou, Paris (III ème).

Le 29 février, Médiathèque Louis Aragon, Fontenay-sous-Bois, (Val-de-Marne); le 12 mars, Médiathèque Rolland Plaisance, Evreux (Eure) ; le 13 mars, Maison d’arrêt, Evreux (Eure) ; le 14 mars, Médiathèque Marguerite Duras, Brétigny-sur-Orge (Essonne); le 21 mars, Bibliothèque Marguerite Audoux, Paris (III ème); le 30 mars, Maison de la Poésie, Paris (III ème) ; le 31 mars, Université Paris III, Bobigny (Seine-Saint-Denis) ; le 4 avril, Parc culturel de Rentilly-Michel Chartier, Bussy-Saint-Martin (Seine-et-Marne)

 Concordan(s)e : du 24 février au 9 avril, 47 avenue Pasteur, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T. : 06 07 64 17 40

*http://spleenologie.blogspot.fr

**http://www.kubilai-khan-investigations.com/

 

 

 

 

Le Printemps de la danse arabe # 1Entretien avec Marie Descourtieux

Le Printemps de la danse arabe # 1 Entretien avec Marie Descourtieux

 

C2FE1C23-838C-4798-BCE9-49BDF584E9EBÀ la veille de l’ouverture de ce festival à l’Institut du Monde Arabe, après un galop d’essai en 2018 (voir Le Théâtre du blog), nous avons rencontré Marie Descourtieux, instigatrice et programmatrice de ce projet novateur.  

 - Quelle place est destiné à prendre le festival au sein de l’Institut du Monde Arabe ? Est-il nécessaire de vous associer à d’autres structures pour construire le projet et quels sont les enjeux de ce programme partagé ?

L’objectif premier est de donner de la place au geste chorégraphique contemporain des mondes arabes car jusqu’ici, la programmation était centrée sur les danses traditionnelles. Depuis mon arrivée, il y a trois ans, venant moi-même de la danse, je trouvais essentiel de faire connaître et aimer ces cultures chorégraphiques. Mais nous avons un plateau difficile qui manque de profondeur… Donc spontanément, j’ai proposé à d’autres lieux de s’associer à ce Printemps, pour accueillir les créations du monde arabe. Comment s’inscrire dans cette dynamique? Comment se compléter ? Nous avons choisi de le faire, de façon assez simple : rassembler dans un temps donné (le printemps est un joli symbole) tous ceux qui voulaient y contribuer. Avec pour objectifs : mutualiser nos forces, donner de la visibilité aux artistes, dessiner une palpitation aux vingt-deux pays qui ont reconnu l’arabe comme langue officielle. Chaque partenaire apporte ce qu’il a déjà dans sa besace, à des rythmes différents, en essayant de faire concorder les calendriers et avec une réflexion assez large. C’est donc un partage et un équilibre un peu empirique que nous avons expérimentés  l’an dernier avec l’édition # 0. Il s’agit finalement d’un label, dans le cadre de ce moment fort qui nous réunit. Et d’autres lieux sont intéressés pour l’année prochaine, ce qui est rassurant.

- De nouveaux partenaires déjà cette année, avec le Tarmac, le Musée de l’Immigration et June Events qui s’inscrit plus fortement. C’est un vrai élargissement du projet de l’édition # 0…

Au Tarmac, la directrice, Valérie Baran a choisi de reporter Les Architectes de Youness Aboulakoul et Youness Atbane en avril, pour que son lieu puisse faire partie de ce Printemps. Le Musée de l’Immigration, avec l’arrivée de Stéphane Malfettes, a été très vite intéressé. Chaillot-Théâtre National de la Danse et le Centquatre étaient en quelque sorte les fondateurs l’an dernier avec nous et il aurait d’ailleurs été impossible de faire le festival sans eux. Cela nous a permis d’avoir des salles de répétition. Le Centquatre, par exemple, a proposé à Shaymaa Shoukry trois semaines de résidence, ce qui lui permettra de présenter deux spectacles.

- Justement la question de l’accompagnement des artistes est en quelque sorte déléguée à vos partenaires, étant donné l’absence d’espace possible à l’ I.M.A. ?

C’était notre souhait dès le départ, avec le concours de Mathilde Monnier, directrice du Centre National de la Danse, d’accompagner les artistes. J’avais vu Shaymaa Shoukri au Caire et nous sommes tombées d’accord pour un accueil. Le C.N.D n’ayant pas d’école issue du monde arabe, il y a eu une vraie coopération pour organiser une résidence de l’Ecole de danse de Sareyyet Ramallah, avec le programme Camping. Une grande place est ainsi offerte aux danseurs de la diaspora… Les artistes voyagent, sont difficilement assignables à un pays et souvent traversés par plusieurs cultures. Et Suresnes Cité Danse en repère déjà beaucoup au sein de la diversité en France… Notre mission est claire : nous devons nous intéresser, faire connaître et aimer aussi les mondes arabes qui se sont installés en France et qui se tissent, se métissent… C’est notre problématique quotidienne… Suresnes Cité Danse a tout de suite réagi, bien que ce festival soit en hiver, en facilitant mon repérage et pour les artistes invités par son directeur, Olivier Meyer, c’est magnifique de trouver un rebond avec le Printemps.

Les pièces courtes présentées pendant le week-end d’ouverture, appartiennent-elles à des compagnies qui ne peuvent proposer de pièces plus importantes ?

Ces pièces, courtes, ne sont pas des extraits. J’ai essayé de construire des soirées qui se complètent : c’est un puzzle, subtil à équilibrer. Nous invitons des artistes émergents que nous avons envie d’accompagner. J’ai donc essayé de construire les trois jours à l’I.M.A. dans cette perspective. On ne peut pas y accueillir Radhouane el Meddeb, par exemple, avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin mais cela, Chaillot le fait parfaitement. Nous, nous pouvons offrir à Selim ben Safia, Adel el Shafey et Shaymaa Shoukry ou aux jeunes compagnies des Comores, l’accompagnement dont ils ont besoin. Cela me plairait assez que nous soyons une place de découverte pour ces jeunes artistes : si l’I.M.A. peut servir de tremplin, nous serions dans notre rôle.

- Vous vous donnez une place modeste mais vous êtes très engagée vis-à-vis des compagnies… Pour la partie voyages, visas, etc. inhérente à l’international, êtes-vous soutenus par l’Institut Français, par d’autres partenaires institutionnels, éventuellement du monde arabe ?

Notre lieu est singulier, nous avons à offrir un peu de lumière et nous cherchons à servir de trait d’union. Notre ambition reste de  présenter l’émergence et ce n’est pas le plus facile.  Ceux que je rencontre dans mes voyages, travaillent dans des conditions difficiles : nous essayons de leur permettre de grandir. Pour le moment j’arrive à faire ce travail avec nos moyens, sans partenaire spécifique. Heureusement, avec Jack Lang à la tête de l’ I.M.A., nous sommes en lien avec tous les pays concernés et quand il y a un souci, on arrive à le régler ; c’est une chance. Pour le reste, on trouve des partenaires en fonction des projets, comme cette année, la compagnie Egyptair.

- La place de la danse dans le monde arabe est encore problématique. Voyez-vous une forme d’acceptation progressive ?

Il y a des petits changements. La danse n’arrive pas encore à être considérée comme un spectacle : c’est une pratique ancestrale qui s’exerce dans les mariages, les fêtes, la vie politique… Contrairement à la musique qui a depuis longtemps le statut de spectacle, la danse doit  conquérir une place, et si possible dans des espaces faits pour cela. Devant ces difficultés, Selim Ben Safia, à Tunis, par exemple, a créé le festival HORS LITS, qui emmène la danse contemporaine dans des villes tunisiennes, dans toutes sortes de lieux privés ou publics. Pour le moment, disons que naît une certaine curiosité pour cet art.  

- Ce sont les festivals, créés par des chorégraphes, qui ont ouvert la voie… 

Oui, mais ils y parviennent grâce aux pratiques amateure et professionnelle, soutenue par des chorégraphes souvent venus d’Europe, car il y a peu d’écoles. La question de la formation reste essentielle.  

- Pour revenir au programme de cette année, nous n’avons pas remarqué de thématique particulière… 

Je n’aime pas trop les thèmes, c’est donc volontaire. L’enjeu est de faire connaître la danse au travail dans le monde arabe, en pariant sur de nouveaux chorégraphes, traversés par des influences venues de toutes les cultures qu’ils rencontrent. Le plaisir de la découverte que j’ai, en allant là-bas, j’ai eu envie de le partager avec le public. Cela peut prendre quelquefois la forme d’une recherche et, si je la considère partageable ici, je choisis de la présenter. En revanche, il y a des étapes de travail que je ne montrerai pas, car non pertinentes pour des spectateurs français.  Cela reste un pari, un projet en devenir.  Et le sens apporté par tous les lieux qui y contribuent et par le public qui commence à identifier la manifestation,  m’encourage à continuer!

Marie-Agnès Sevestre    

Du 22 mars au 28 juin, Institut du Monde Arabe 1 rue des Fossés Saint-Bernard, place Mohamed V, Paris (V ème). T. : 33(0)1 40 51 38 38. Chaillot-Théâtre National de la danse; Tarmac/Scène internationale francophone; Musée national de l’histoire de l’Immigration; festival June Events -Ateliers de Paris; Centre National de la Danse; Le Centquatre.

Flexible silence de Saburo Teshigawara

Flexible silence chorégraphie de Saburo Teshigawara

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Le chorégraphe  vient pour la sixième fois, en dix ans, au Théâtre National de la Danse de Chaillot, et nous avons pu assister aux dernières répétitions de sa nouvelle création. Pour Saburo Teshigawara, «La musique est composée de sons audibles et inaudibles, le son qui ne s’entend pas, c’est-à-dire le silence, coule dans la musique, cette pièce naît de cette dualité».

Après Solaris, (voir Le Théâtre du Blog), l’Ensemble Intercontemporain collabore avec le metteur en scène japonais qui réalise, comme d’habitude chorégraphie, décor, lumières et costumes. A cet orchestre créé par Pierre Boulez, se joint le sextuor d’ondes Martenot du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

 Chaque formation, sous la conduite pointilleuse du chorégraphe, répète tour à tour avec les danseurs : l’Ensemble Intercontemporain, avec la musique de Toru Takemitsu, et le sextuor d’ondes Martenot avec celle d’Olivier Messiaen. Les danseurs, tous japonais, à l’exception de Maria Chiara Mezzadri, italienne, connaissent bien l’esthétique de Saburo Teshigawara qui danse avec eux et Rihoko Sato. Ils ont participé à plusieurs spectacles du maître, dont, récemment, Sleeping Water, au théâtre des Salins de Martigues.

«Saburo est mystique à sa façon et dans la pureté du mouvement. Travailler avec lui, c’est comme revenir à la source» dit Aurélie Dupont qui va l’accueillir à l’Opéra de Paris la saison prochaine. De son coté, Rihoko Sato, son interprète fétiche et assistante depuis vingt ans, assure la coordination entre les trois groupes artistiques, et avec l’équipe technique.

Lors de la première rencontre avec les musiciens, elle a improvisé un solo de quarante-cinq minutes, pour permettre à Saburo Teshigawara de finaliser ses lumières et les fait littéralement danser.  En véritable démiurge, le chorégraphe vérifie chaque détail, déplace lui-même tel ou tel instrument de musique, puis invite les danseurs à improviser. Ils épousent son style si particulier: mouvements continus, ondulations des corps, avec des cassures de rythme brutales. Ils oscillent en permanence, sur les indications vocales de Saburo Teschigawara. Parfois la danse se fait dans le silence, parfois soudain les artistes se croisent dans un faible trait de lumière. Une danseuse se colle au sol, rampant tel un insecte, et longe le cercle lumineux.

Nous assistons, fascinés, à la construction de tableaux hypnotiques d’une grande beauté. Le public va découvrir une œuvre mouvante, empreinte de spiritualité,  à la fois grâce aux musiques choisies et à l’énergie qui habite le cerveau de ce créateur hors normes. Pour un voyage d’une heure quarante, servi par des artistes en parfaite osmose avec ce travail unique de Saburo Teshigawara.

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot 1 Place du Trocadéro Paris XVIème du 27 février au 3 mars.

www.theatre-chaillot.fr

       

 

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Monchichi, chorégraphie de Wang Ramirez

 

Monchichi ,chorégraphie de Wang Ramirez

 

Morah Geist

Monchichi, surnom qu’un voisin allemand a donné à Honji Wang quand elle était petite à cause de son look de métèque, devient le titre du premier spectacle de la compagnie Wang Ramirez, créé en 2011. Elle, d’origine coréenne mais née à Francfort, et lui, de parents espagnols,  dansent leurs différences, cherchant les points de contact et les ruptures de style entre leurs univers. Toujours en décalage, ils finissent par se rejoindre…

A chaque séquence, sa musique : de simples vibrations jusqu’à un tango de Carlos Gardel en passant par les accords de Nick Cave. Les scènes de genre se succèdent, brillants exercices soutenus par des ambiances lumineuses sophistiquées. Seul décor, un grand arbre nu masque les changements de costumes, mais  surtout, devient partie prenante de la danse, en se couvrant de fleurs ou se teintant d’une sève verte, selon les éclairages.

 Honji Wang allie force et souplesse, unit danse classique et mouvements d’arts martiaux, et on relève des traces de son passage auprès d’Akram Khan et de la danseuse de flamenco Rocio Monlina.  Son style sinueux contraste avec les mouvement francs et directs de Sébastien Ramirez,  venu lui de la break dance et du hip hop. Mais le couple finit par s’accorder…

Quelques querelles de ménage et quelques mots sur leurs origines ponctuent les parties dansées. Ces courts dialogues, pas vraiment nécessaires, renforcent l’impression de décousu qui émane de l’ensemble. Mais ce pas de deux à épisodes opère, pendant cinquante-cinq minutes, une indéniable séduction sur le public. Plus intimiste que Borderline créé en 2013 ( voir Le Théâtre du Blog) il en porte déjà les germes.

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond Point 2Bis Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris. T : 01 44 95 98 00, jusqu’au 18 février. Programmé avec le Théâtre de la Ville T.01 4274 22 77

Williams Center for the Arts, Easton, Pennsylvanie, le 4 mars; Clarice Smith Performing Arts Center, Maryland, le 8 mars ; Mercat de les Flors de Barcelone, les 6 et 7 avril ; Théâtre du Kremlin-Bicêtre (94) le  26 avril. Borderline : les 31 mars et 1er avril au Staatstheater de Mayence (Allemagne) ; Le Manège de Reims, les 9 et 10 juin.

Naked Lunch, chorégraphie de Guy Weizman et Roni Haver

Naked Lunch, chorégraphie de Guy Weizman et Roni Haver en anglais, surtitré en français,adaptation de Naked Lunch (Le Festin nu) de William Burroughs, musique de Yannis Kyriakides

   IMG_9461Cette adaptation dansée, jouée et chantée de cette œuvre de William Burroughs marque d’une pierre blanche la première venue en France de ces chorégraphes néerlandais, qui ont d’abord été danseurs à la Batsheva Dance Company.
 Mettre en dialogues, en scène et en musique ce livre-référence de la beat generation, publié en 1959, mettre en images l’addiction à l’alcool et aux drogues : entreprise osée… Le 6 septembre 1951, à Mexico, l’écrivain, drogué, voulant jouer à Guillaume Tell, tue sa femme d’une balle dans la tête, épisode qui servira de trame à la pièce. D’entrée, l’un des personnages annonce: «On en a pour une heure trente… Vous comprenez, il y en a du monde sur scène. Ce plateau est immense, rien que pour le traverser, il faut une minute et demi. On a aussi une femme enceinte et elle ne peut pas danser trop vite… Et tout le monde voulait un solo de deux, trois minutes.»
Cette création nous emporte dans un vent de folie, avec une chorégraphie remarquable de précision, sur une musique hallucinée de Yannis Kyriakides. Trois excellents percussionnistes, trois chanteurs impressionnants de mobilité, trois danseurs et quatre danseuses, et une actrice, Veerle van Overloop (dans le rôle de la femme de l’auteur) occupent en permanence l’espace qui se transforme grâce à un jeu subtil de praticables, scialytiques à éclairage sans ombre des salles d’opération, et de châssis mobiles où sont accrochées de grandes radiographies de tête de bébé, d’un crâne transpercé de clous, d’un panoramique dentaire, et la photo d’un couloir souterrain.  

  Naked Lunch donne à voir le corps du danseur traversé par l’expérience des toxiques dans l’interzone mythique décrite par Williams Burroughs. Mais, pour peindre la folie et le délire, mieux vaut posséder une écriture chorégraphique très structurée. Comme ici, avec une rare qualité de danse, dynamique, en tension permanente, qu’elle soit individuelle ou collective. Danseurs et chanteurs, pieds nus ou en chaussettes rouges,  changent régulièrement de costumes.
 Les bouffées délirantes de personnages sous héroïne de Naked lunch se retrouvent  surtout dans les associations de mots proférées par la comédienne : «Bleu, policier, père, pute, cancer, combat, came, sexe, rêver …». Pour donner un peu de respiration à ce texte dur, le public, au milieu du spectacle, est invité quelques minutes sur le plateau, à une danse collective libératoire. Fait intéressant : un chorégraphe s’empare de l’imaginaire du drogué : cette expérience personnelle ressentie profondément dans le corps et le psychisme du sujet dépendant, l’est aussi par l’interprète dans l’acte dansé.
Et les endorphines libérées par l’effort, le poussent à se sublimer, à laisser libre son corps en mouvement; l’adrénaline, que procure la danse, le transforme, et se transforme aussi en une beauté plastique que le public vient chercher ici, et qui le pousse à revenir. Nous garderons longtemps en mémoire cette débauche contrôlée d’énergie et de vie paradoxale, puisque la toxicomanie aboutit à la mort.

 Jean Couturier

Spectacle vu au Théâtre National de Chaillot, Paris, du 6 au 8 avril.
www.theatre-chaillot.fr         

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