Qui va garder les enfants? de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, mise en scène de Gaëlle Héraut

Qui va garder les enfants? de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, mise en scène de Gaëlle Héraut

© Richard Volante © Pauline Le Goff

© Richard Volante © Pauline Le Goff

Le titre du spectacle reprend la phrase idiote et machiste de Laurent Fabius (il ne pourrait  plus se le permettre aujourd’hui et se ferait insulter sur tous les réseaux sociaux). C’était en 2.006 quand Ségolène Royal avait posé sa candidature à la primaire socialiste comme François Hollande avec qui elle vivait.

C’est une sorte de théâtre-documentaire, dit à la première personne mais aussi joué, que Nicolas Bonneau va développer en une heure et quelque. Pour parler de la place des femmes en politique dans la douce France d’aujourd’hui, de jeunes femmes ou moins jeunes, de gauche comme droite ou du centre, des élues de petites ou grandes communes, d’anciennes ministres dont Nicolas Bonneau a recueilli les témoignages sur plus de deux ans.

C’est la matière même d’un spectacle inégal où son auteur semble parfois avoir du mal à placer le curseur entre un théâtre purement documentaire et un récit personnel où il parle de ses relations avec les femmes. Sur le plateau, un fauteuil, quelques paires d’escarpins qu’il chaussera parfois et dans le fond, un petit escalier en spirale encombré de chaises inutiles. Cela commence bien lentement par une sorte de parodie de la misogynie mais on discerne mal où Nicolas Bonneau veut en venir.  Puis il interviewe en les jouant aussi : Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme sous la présidence de François Mitterrand, Christiane Taubira, Marylise Lebranchu, Ségolène Royal, Roselyne Bachelot, Nathalie Kosciusko-Morizet, et une députée, Clémentine Autain mais aussi Virginie Lecourt, maire d’une petite commune (170 habitants) :  Saint-Junien-les-Combes, près de Bellac (Limousin). Il passa une journée avec elle sur le terrain  et c’est sans doute le meilleur des sketches, à la fois bien construit et plein de vie.

Mais le spectacle tourne parfois au catalogue quand Nicolas Bonneau cite seulement la célèbre Olympe de Gouges qui écrivit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Louise Michel, Rosa Luxembourg, ou encore Édith Cresson et Marine Le Pen. Le narrateur parle aussi d’Angela Merkel dont il admire beaucoup les stratégies pour écarter ses adversaires, ou encore Margaret Thatcher, l’intransigeante «dame de fer»…. Cela commence à faire beaucoup de monde! Qui trop embrasse, mal étreint et aimer, c’est choisir, comme disaient nos grands-mères: ces vieux dictons restent valables et en particulier sur une scène. Par ailleurs, Nicolas Bonneau parle aussi souvent de sa famille et de Caroline, sa première amoureuse. Il avoue l’avoir bêtement quittée parce qu’il était jaloux qu’elle réussisse comme syndicaliste étudiante. Il la reverra mais, entre temps, elle aura aussi réussi à se faire élire députée et elle lui tiendra la dragée haute.

En passant Nicolas Bonneau rappelle -mais on se demande bien pourquoi- que Zeus avala Métis, son amante et que la déesse Athéna sortit armée de la tête de Zeus. Il y aussi une chanson sur les femmes à l’Assemblée Nationale. Un sketch pas vraiment drôle et que l’on oublie vite. Bref, un spectacle avec de bons moments: Nicolas Bonneau a un talent indéniable de conteur… Mais on reste un peu sur sa faim; il y a des longueurs et l’ensemble n’est pas toujours passionnant. La faute sans doute à un texte parfois bavard et à une dramaturgie mal maîtrisée sur un thème casse-gueule; on a souvent l’impression que son auteur navigue à vue… Sa Caroline aura le dernier mot du spectacle avec un message qu’elle lui adresse, assortie d’une phrase de Groucho Marx: les hommes sont des femmes comme les autres… Bien vu.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 mars, Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris XI ème. T. : 01-48-06-72-34.

 


La Radio des bonnes nouvelles, texte et mise en scène de Gerty Dambury

La Radio des bonnes nouvelles, texte et mise en scène de Gerty Dambury

 

©EmirSrkalovic

©EmirSrkalovic

Il y a eu deux représentations du spectacle au Tarmac à Paris, méchamment tenu en haleine par le Ministère de la Culture qui lui a signifié depuis un an déjà, sa fermeture. Mais le public, nombreux, divers et concerné, est toujours bien présent. Gerty Dambury, animatrice de la compagnie La Fabrique insomniaque, est une auteure et metteuse en scène guadeloupéenne installée depuis longtemps dans l’Hexagone. Elle y fut professeur d’anglais et fait entendre de plus en plus clairement sa voix.

Les temps sont aux manifestes et les mouvements récents comme  Décoloniser les arts ont rejoint ses points de vue : décolonialisme et féminisme, entre autres, qu’elle assume dans une recherche d’autonomie des formes théâtrales, pour servir le militantisme (joyeux) de la dame. Dans cet esprit,  La Radio des bonnes nouvelles s’inscrit sur scène : mélange sans chichi d’interventions musicales (batterie et basse), un peu répétitives et d’incarnations théâtrales, par le biais d’un retour au passé, autour d’une palette de figures féminines de combat, portées par trois comédiennes.
Pour faire advenir cette parole, Gerty Dambury situe dans un cimetière un joyeux sabbat de ces femmes de courage toutes disparues, venant dire leurs vérités. Parmi elles, Théroigne de Méricourt (souvent oubliée des livres d’Histoire), mais aussi Louise Michel, Angela Davis… D’autres, moins repérées encore de nos consciences européennes et auxquelles Gerty Dambury rend un hommage appuyé, méritent qu’on les cite : Gerty Archimède (première femme avocate, puis députée de la Guadeloupe qui affronta le représentant du gouvernement de Vichy), Claudia Jones, journaliste et activiste de Trinidad ( Cuba), Ida Wells Barnett qui défendit les droits civiques aux Etats-Unis, d’autres encore mais personnages de roman, comme Mrs Dalloway dans le livre  éponyme de Virginia Woolf.

 Ce texte est le fruit d’une commande du festival Elles résistent de La Parole Errante à Montreuil  mais Gerty Dambury poursuit ici le chemin d’artiste qui a toujours été le sien :  chercher les racines du courage nécessaire aujourd’hui dans les vies, souvent amères, de celles qui se sont opposées au pouvoir dominant.  C’est donc un théâtre qui parle haut et fort, mais qui laisse peu de place aux contradictions, aux impasses, aux douleurs tues. On aimerait parfois que la sarabande s’arrête, et que puisse s’installer un temps d’appropriation, de vraie complicité ou d’empathie avec ces femmes qui finalement restent des « figures ». A contrario, Gerty Dambury mêle toutes ces courageuses destinées sans se départir de l’envie foutraque de ne pas se prendre trop au sérieux (d’où ce projet bizarre de lancer une « radio des bonnes nouvelles », qui nous changerait, c’est vrai). Le spectacle se balade donc entre militantisme contemporain et cours d’Histoire, la musique (malgré la belle énergie de deux filles à la batterie et à la basse) ne donnant finalement pas à l’ensemble l’élan qui le conduirait jusqu’à une forme assumée de cabaret et qu’on attend en vain.

 On passe cependant un moment sympathique, l’engagement des interprètes au service de ces femmes de combat ne faisant aucun doute. Et le  public élargit son horizon, à la fois historique et politique, grâce à ces figures de femmes rassemblées ici en utopie joyeuse. Ce spectacle est en attente de son avenir pour la prochaine saison mais signalons que, par ailleurs, Gerty Dambury a initié depuis quelques années un concept théâtral, le Séna : ce n’est ni une rencontre littéraire ni une réunion politique mais un peu tout cela à la fois. Elle y rassemble le public, autour d’un groupe d’actrices/acteurs et sous la houlette de l’efficace MC. Ti Malo. Ils s’emparent d’un thème qui est décortiqué et passé à la moulinette des écrivains, essentiellement caribéens, dans un dialogue humoristique partagé avec les spectateurs. Le Séna est régulièrement présent au café:  La Colonie 128 rue La Fayette, Paris X ème. À ne pas rater.

 Marie-Agnès Sevestre

 Spectacle vu le  23 janvier au Tarmac, 159 avenue Gambetta, Paris XX ème. T. : 01 40 31 20 96

 

La Femme®n’existe pas de Barbara Métais-Chastanier, d’après La Colonie de Marivaux, mise en scène de Keti Irubetagoyena

©© Natalie Beder

© Natalie Beder

La Femme n’existe pas de Barbara Métais-Chastanier, d’après La Colonie de Marivaux, mise en scène de Keti Irubetagoyena

La pièce en un acte de Marivaux, peu jouée, paraît écrite à la louche moins fine en apparence que L’Île des Esclaves (très jouée). Ne pas s’y fier: bien carrée, elle pose aussi clairement les problèmes. D’abord, celui de hommes. Du moins les “masculinistes“ à qui la simple revendication d’égalité paraît être une insoutenable domination féminine. Les autres en restent à la rigolade. Ensuite,  le problème des classes: auquel toute organisation féministe se heurte à un moment ou un autre. Et  Arthénice peut alors se lancer avec madame Sorbin dans le combat: «Unissons-nous et n’ayons qu’un même esprit toutes les deux.» Mais Arthénice reste la représentante de la noblesse, et sa commère, de la bourgeoisie commerçante. Se pose aussi la question de l’organisation: tout pouvoir est-il abus de pouvoir? Et, plus simplement, de quelle façon se parler en assemblée générale, quelles concessions faire, ou ne pas faire, au départ?

Marivaux ne se prive pas, lui, de miser sur les défauts dits « féminins » (coquetterie et autres) et l’on voit bien ici que la question est celle de toute Constituante. Et enfin, brièvement, celle de la colonisation. «Depuis qu’il a fallu nous sauver avec eux (les hommes) dans cette île où nous sommes fixées, le gouvernement de notre patrie a cessé.»  -«Oui, il en faut un tout neuf et l’heure est venue», répond Madame Sorbin. L’heure «de sortir de l’humilité ridicule qu’on nous a imposée depuis le commencement du monde».

Mais à quel prix ? Aucune île n’est déserte et il y aura des “sauvages“ à combattre et à éliminer…Le spectacle commence par un récit: comment l’armée américaine a déporté les habitants du petit archipel des îles Bikini pour y tester, quelques mois après Hiroshima, une nouvelle bombe atomique et comment l’astucieux Français Louis Réard, fabricant de maillots de bains, s’est emparé du nom bikini, pour sa publicité: «la bombe anatomique».

Barbara Métais-Chastanier et Keti Irubetagoyena ont pris en main La Colonie comme un outil solide et performant. Deux grandes banderoles: La femme longue durée (épouse) et La femme à usage unique (prostituée) seront saccagées un peu plus loin par des silhouettes paramilitaires habitées par des actrices. Interpellation du public, assemblée constituante, bricolages divers et variés: elles font feu de tout bois…  Et ce bois parfois prend très vite, quand  elles règlent, avec un lourd et vieux téléphone de campagne ou de guerre, le dialogue entre madame Sorbin et son mari, ou celui entre Arthénice et son prétendant. Mais parfois le feu ne prend pas: l’espace scénique trop vaste disperse le dialogue et les temps de suspension ne redynamisent pas la réflexion… quoi qu’en pensent sans doute l’autrice et la metteuse en scène.

Mais restent des moments délicieusement intelligents  imaginés par ces chercheuses pointues, drôles et sensibles. Les personnages masculins sont presque absents du plateau mais les hommes y sont présents quand elles leurs confient des rôles de femme, avec la tendresse et le respect qu’ils devraient avoir envers  elles. Comédiens et comédiennes à égalité d’énergie et de drôlerie, avec hauts et bas.  Ici, l’on voit que le féminin peut l’emporter sur le masculin, et sans douleur. On a oublié quelque chose: l’amour. Eh ! Oui, celui de la petite Lina Sorbin pour Persinet, à la fois caillou dans la chaussure pour cette longue marche des filles, et baume qui guérira l’ampoule. Et madame Sorbin a encore quelque chose à dire à son vieux mari… La question reste ouverte: si, à la fin, les femmes rentrent dans le rang, cela ne clôt rien: «Et, quand même nous n’y réussirions pas, nos petites-filles réussiront »…

Christine Friedel

Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis).  T. :01 43 62 71 20, jusqu’au 10 mars.

 

 

Les Intrépides

 

Les Intrépides textes de Céline Delbecq, Emma la Clown, Penda Diouf, Julie Gilbert, Camille Laurens et Sandie Masson, mise en espace de Catherine Schaub

AFFICHE 40x60 Six femmes ont répondu à la commande d’écriture, passée pour cette troisième édition des Intrépides. Une initiative de la S.A.C.D. pour mettre en avant la disparité criante entre hommes et femmes dans le domaine de la culture. Du côté du spectacle vivant, le bilan laisse en effet encore à désirer, à en croire la brochure Où sont le femmes ? tout juste parue.

Alors que les étudiantes dans ce domaine représentent 52% des effectifs, les femmes ne sont encore que 12% à la tête des Théâtres nationaux, 18% à celle de  Centres chorégraphiques nationaux et, petit progrès, 28% aux commandes des Scènes Nationales. Pour la réalisation, il y a 27 % de metteuses en scène, 37% de chorégraphes, 21 % d’autrices à se partager le  terrain avec les hommes. Pire, dans le domaine de la musique, on compte seulement 1% de compositrices, 4% de cheffes d’orchestre et 5% de librettistes…

 Pourtant, le talent ne leur manque pas, et on a pu le constater lors de cette soirée placée sous le signe du courage, thème de la commande. Tour à tour, chaque autrice lit sa pièce, soutenue par Emma la clown qui assure les transitions entre les textes, certains très réussis, allant de l’intime au politique, du quotidien au voyage initiatique … 

 J’aurais préféré avoir un flingue, ou comment «la numéro un de la sécurité alimentaire », devenue une lanceuse d’alerte contre les dérives de son entreprise, se retrouve au placard, puis au bord du suicide. Julie Gilbert, dans une lecture très frontale, fait sonner avec rage le «tu» que s’adresse son héroïne à elle-même et aux autres, pour dire comment, d’abord happée par un système, elle a eu le courage de résister… Avec  l’humour en prime.

 Céline Delbecq signe Phare, récit sensible d’une femme victime de violences conjugales, dans l’ambiance maritime d’un phare battu par les vents. Il lui faudra plus de courage pour partir, que pour encaisser les mauvais traitements. Une narration simple, avec une écriture fluide et tourmentée, comme les déferlantes alentour du phare…

 Penda Diouf, elle, entreprend avec Pistes, un voyage en Namibie. Elle opère, dans ce récit, un retour aux sources, une exploration du continent de ses ancêtres, à la découverte des grands espaces du désert. Elle revient aussi sur un génocide oublié, le premier du XX ème siècle: le massacre des Héréros et des Namas, perpétré par l’armée allemande à partir de 1904.

 Pour détendre l’atmosphère, Emma la clown passe au crible la notion de courage : version musclée et guerrière côté homme, version solidarité et générosité envers autrui, côté femme. Tout en se moquant, elle déploie, dans Le Courage, une dialectique malicieuse et diabolique. Les clowns disent souvent la vérité.

 Cette passagère du RER a le «courage de vivre en ayant toujours peur», tel est le lot quotidien des femmes, selon Camille Laurens dans La Scène. Avec une logique imparable, cette pièce impertinente met en scène une voyageuse qui assiste à une dispute sur le quai. Pourquoi n’est-elle pas intervenue ? Par lâcheté ? Mais la violence, on s’y habitue, dit-elle «Nous les femmes on n’est plus à ça près.  (…) Une femme menacée, mais c’est un pléonasme, Monsieur le sociologue»…

Cette soirée, où régnait la bonne humeur, a été suivie d’un débat. Constat : il reste encore beaucoup à faire et, dans le domaine culturel, la parité est loin d’être atteinte. Sauf dans l’audiovisuel, grâce à des mesures volontaristes et contraignantes. Mais elle ne signifie pas pour autant égalité entre hommes et femmes, a souligné la directrice de France-Culture, Sandrine Treiner. 

 

© agence DRC.

© agence DRC.

Quant à l’émergence des talents de la diversité… Il faudra encore déployer beaucoup de courage. Mais, pour paraphraser l’autrice féministe québécoise Anne Dandurand : le courage est un muscle qui se renforce, quand on s’en sert. 

 Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg, Paris Xème, le 26 juin.
Conservatoire d’Avignon le 17 juillet et Théâtre de Poche de Genève, le 17 novembre.

www.ousontlesfemmes.org

www.sacd.fr

Les six pièces sont publiées par L’Avant-Scène Théâtre

 

Une Maison de Poupée d’Henrik Ibsen

Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen, traduction de Régis Boyer, adaptation et mise en scène de Philippe Person

 

1612UneMaisonDePoupeeMesPerson2992x300DpiPhotoPierreFrancoisDSCF1829À propos de Nora, Georg Groddeck (1866-1934) parle de Nora, cette jeune épouse qui a falsifié une signature pour procurer à son mari gravement dépressif, les moyens d’une guérison et d’une convalescence en Italie. Si son crime est découvert, Nora pense qu’Helmer «prendra sur  lui» mais elle devient consciente son incompréhension et le quitte. Pour le psychanalyste allemand : «Nora mène une double vie : l’une avec Helmer et les enfants, l’autre pour elle toute seule, une vie rêvée» : la fierté d’avoir sauvé son mari.

 Le dramaturge norvégien, lui, écrit,  au moment de l’écriture de sa pièce, jugée plus tard subversive et scandaleuse, « qu’une  femme ne peut pas être elle-même dans la société actuelle, exclusivement une société masculine, avec des lois écrites par des hommes … » Le mari choisit le terrain de la loi et estime les faits avec un œil masculin.

 Dans ce huis-clos oppressant, la tension progresse ici de façon inéluctable et avec une acuité douloureuse. Philippe Person a écarté du quatuor, le personnage du  docteur Rank. Et le public, placé dans  un salon à l’ameublement nordique et à l’arbre de Noël illuminé, assiste en ces temps, apparemment festifs, de Noël, au bonheur de cette famille, décuplé par la promotion de l’heureux époux qui va devenir directeur de banque. Par ailleurs, la dette de la jeune femme  est juste sur le point d’être remboursée.

 Mais s’installe une anxiété déstabilisante avec la venue d’un maître-chanteur, Krogstad, qui menace Nora de tout révéler, si elle ne le soutient pas auprès de son mari qui veut le licencier parce qu’il qui a commis des irrégularités. Même la belle présence de Madame Linde, amie d’enfance qu’Helmer vient d’embaucher  pour remplacer Krogstad  ne suffit pas à rassurer Nora.
Le danger des aveux s’accélère et les craintes s’accumulent avant que tout ne puisse s’arranger merveilleusement, comme dans un conte. Peut-être… Mais Helmer apprend tout; cette catastrophe blesse  la jeune femme mais la révèle à elle-même : «Je ne peux plus me contenter de ce que les gens disent, et de ce qu’il y a dans les livres. Je dois penser par moi-même et tâcher d’y voir clair. » Elle quittera son mari.

La  pièce fait office de parcours initiatique jusqu’à l’obtention d’une maturité âcre, enfin atteinte par Nora qui aura joué les «alouettes » ou les «petits oiseaux» pour son mari, Helmer, amusé, et attendri à la fois par l’ingénuité confondante de la mère de ses enfants. Florence Le Corre (Nora) pépie, tremble et danse sur la scène avec grâce, perdant parfois le juste contrôle de sa voix posée. Philippe Person est Krogstad, un homme peu recommandable mais humain. Nathalie Lucas, l’amie de Nora lui apporte une présence réconfortante. Et Philippe Calvario, mari attentif, ouvert et attachant, ne fait référence qu’aux seules et vaines apparences sociales.

Un spectacle convaincant, serré et tendu sur le fil du rasoir…

 Véronique Hotte

 Théâtre du Lucernaire, jusqu’au 21 janvier, du mardi au samedi à 21h. T : 01 45 44 57 34

 

Verso Medea

Verso Medea, spectacle-concert d’après Euripide, texte et mise en scène d’Emma Dante

 

 DSC2183«Mon théâtre concerne la barbarie du monde », commente Emma Dante, comédienne, auteure et metteuse en scène de Palerme. Dans ce spectacle musical créé en 2003 au Teatro Mercadante de Naples, des comédiens sorte de chœur antique populaire qui diffuse le rude esprit des terres marines, jouent les femmes de Corinthe.
La maudite, la magicienne Médée (Elena Borgogni), le ventre gros d’un enfant, est portée par une rage maléfique. Image qui rappelle Le Sorelle Macaluso d’Emma Dante, au festival d’Avignon 2014. Dans un élan généreux, et avec une même volonté de résistance et  de colère au machisme paternel et fraternel, une brochette de sœurs, un rien chiffonnières, répondent, comme en écho esthétique et moral, à cette galerie d’hommes jouant les vieilles femmes.
On est en pleine Sicile traditionnelle du vingtième siècle, attachée à ses traditions et où règnent matriarcat, Eglise et… misère. Chez Emma Dante, on condamne le pouvoir abusif des hommes sur les femmes, mais on s’amuse aussi, et on fait preuve d’une santé vigoureuse. Les femmes portent une robe noire dont elles relèvent le bas, et exercent l’art de médire des autres et d’injurier tous les hommes de la Terre, dont Jason.
La guerre des sexes bat son plein dans l’humeur vive d’être au monde. Médée pratique une magie néfaste et des actes barbares, et commet un infanticide. Princesse étrangère et exilée, figure errante attirée par l’ailleurs,  elle apparaît sous l’aspect d’une femme, humiliée mais pas vaincue, et lance ses récriminations contre Jason et contre Créon qui l’a injustement exilé de Corinthe. Elle semble possédée par un démon intérieur plutôt que par un enfant à naître.
Passion tragique, déchirements de cette femme répudiée par son amant; Elena Borgogni a chorégraphié avec hargne une danse personnelle, dans un instinct de survie: du coup, la brochette d’hommes aux habits de femme, s’en trouve comme apaisée, à l’écoute d’une sœur féminine outragée par un mâle.
Ce chœur masculin entoure Médée avec cocasserie et gravité; il assume son travestissement, pointant juste la condition de la femme.  Avec une  remarquable invention théâtrale, l’accouchement est mimé, et le nouveau-né, juste figuré par une couverture, pleure, bercé dans des bras attentifs.
Les frères Mancuso, collecteurs de chansons locales mais aussi compositeurs, jouent de leurs beaux instruments traditionnels et chantent à merveille des airs entêtants, profondément ancrés dans l’histoire de leur peuple… Comme sortis de la nuit des temps, des rites quotidiens, paysans et marins, orgueil de la terre sicilienne.
Un rêve obscur à la magie éblouissante dans l’obscurité du plateau.

Véronique Hotte

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris XVIIIème, jusqu’au 28 mai. T : 01 46 07 34 50.

 

Journées du Matrimoine 2015

Journées du Matrimoine 2015

 

tumblr_static_95ox0zioln8ck008wgwc4w08w_2048_v2Qui saurait citer une seule œuvre d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, Lili Boulanger ou Catherine Bernard? Qui se souvient de Madame de Villedieu, d’Hildegarde de Bingen ou d’Aphra Behn?  Qui sait que Madame de Graffignyremporta un vif succès avec sa pièce Cénie, à la Comédie-Française, en 1750 ? Des bataillons entiers d’artistes, écrivaines, musiciennes, peintres… nous ont précédées et ont disparu des anthologies et de l’histoire des arts.
Revaloriser l’héritage artistique et historique des créatrices, tel est l’objectif du projet Matrimoine lancé par HF Île-de-France (association pour l’égalité hommes-femmes dans les arts et la culture, voir Théâtre du Blog, Où sont les femmes, juin 2013).
Pour le présent aussi, beaucoup reste à faire. Ceux qui pensent que la reconnaissance professionnelle des femmes dans le domaine du spectacle vivant s’améliore seront contredits par des chiffres affligeants publiés par l’Observatoire de l’Egalité du Ministère de la Culture et de la Communication.
Au 1er janvier 2015, les
femmes dirigent 21 % des structures de création artistique subventionnées. Selon la SACD, elles signent 28 % des spectacles, pour la saison 2014/15 contre 25 % deux ans plus tôt… et 22% en 2006 !
Il devient donc urgent de donner aux femmes d’aujourd’hui ou d’hier leur place dans le paysage artistique. D’intégrer dans notre héritage global celles que l’Histoire, écrite au masculin, a largement occultées.
C’est à quoi s’emploient les premières Journées du matrimoine, conçues aux dates et en contrepoint des Journées du patrimoine. A la SACD, on pourra ainsi entendre, en lecture une enquête de la journaliste Odette Pannetier. (seule femme membre du premier jury du prix Renaudot en 1926), publiée dans la revue Le Cri de Paris en 1924. A sa question, « Pourquoi y a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques? », on appréciera les réponses cinglantes et cocasses du Tout-Paris théâtral de l’époque. Place du Palais-Royal, à Paris, se tiendra une manifestation d’artivistes : une série d’interventions pour mettre en valeur les créatrices du passé et leurs œuvres.
Une déambulation ludique, agrémentée de performances, est proposée dans le 13
ème arrondissement de Paris, de la Pitié-Salpêtrière au Panthéon, en passant par le Square Marie Curie et la statue de Jeanne d’Arc. Un parcours du même type se déroulera à Toulouse. Leur but : rendre visibles et éclairer sous un nouveau jour les femmes oubliées présentes dans des lieux emblématiques de ces villes.

 

Mireille Davidovici

 

19 septembre
de 12h à 24 h : Midi Minuit du Matrimoine par le collectif Midi-Minuit du Matrimoine. Place du Palais-Royal
20 septembre
10 h 30, 11 h 30, 15 h et 16 h 30 : Le Cri de Paris SACD – Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, au 11 bis rue Ballu, Paris 9ème.Salon vert.
19-20 septembre
14 h Parcours urbain organisé par HF Île-de-France et Osez le Féminisme ! Rendez-vous, 47 boulevard de l’Hôpital (métro Saint-Marcel, devant la statue de Pinel). Parcours en extérieur, à pied, durée approximative de 2 h 15.
16 septembre 2015 : ouverture du site dédié www.matrimoine.fr

 Sur la question, consulter aussi le Dictionnaire universel des créatrices aux Editions des Femmes dont la partie théâtre a été coordonnée par Michel Corvin qui nous a récemment quittés (voir Le Théâtre du Blog)

 Hildegarde de Bingen: extrait de Laudes et vêpres.

La Simplicité trahie

CHANTIERS D’EUROPE:

La Semplicità inganata, librement inspiré par les œuvres littéraires d’Argangela Trabotti et l’histoire des Clarisses d’Udine (en italien surtitré)

image La Simplicité trahie, qui fut publié en 1654 à Leyden sous le pseudonyme de  Galerana Barcitotti est un des livres d’une femme exceptionnelle (1602-1652) qui écrivit aussi  La Tirannia paterna, et l’Inferno monacale. Arcangela Tarabotti eut le même sort que des milliers d’autres jeunes filles de son époque, difficiles à marier parce que rebelles ou atteintes d’une défaut physique comme légèrement boiteuse et/ou pauvre, ou sans véritable dot, puisque les congrégations religiueses acceptent des dots au rabais!  Elle fut enfermée très jeune dans un couvent de Sant’Anna de Venise de par la volonté paternelle.  Avec la bénédiction du clergé masculin et  toute la société de l’époque.
    Mais elle eut le courage, et la force intérieure d’échapper quelque peu à sa condition : le Cardinal Patriarca Corner lui fait lire des livres, y compris de Machiavel et eut le droit de sortir du monastère, pour aller enseigner, et  rencontra ainsi de riches étrangers, comme l’ambassadeur de France,Nicolas Bretel et connut Gabriel Naudè, le bibliothécaire de Mazarin.
 A cette même époque, les Clarisses du couvent d’Udine dans le Frioul  contestèrent cette tyrannie absolue de ces  toute la clique  catholique qui les tenait enfermées là,  s’en prirent aux dogmes et se révoltèrent la culture masculine qui écartaient les femmes de toute responsabilité sociale et/ou politique, en particulier  contre la terrible inquisition des tout puissants vicaires généraux et autres évèques.
  Seule en scène, Marta Cuscunà  a voulu donner la parole et témoigner de l’histoire de ces jeunes femmes  qui, dit-elle «luttèrent contre les conventions sociales, en revendiquant leur droit à une liberté de pensée et de critique vis-à-vis d’un modèle social basé sur les dogmes de la culture masculine, et surtout une liberté d’inventer un modèle féminin alternatif face au modèle existant. Alors que les femmes étaient priées d’obéir soit comme filles puis comme épouses, sinon comme religieuses cloîtrées ou putains dans les nombreux bordels des grandes villes.« Et c’est de l’intérieur même du couvent, écrit Marta Cuscunà, quArcangela Tarabotti « dénonce ouvertement l’utilisation des vocations féminines religieuses à des fins économiques, en comparant les femmes contraintes à prendre le voile à des oiseaux mis en cage.(…) Je crois que le moment est arrivé d’opérer un changement de cap radical vis-à-vis du féminin et que c’est sur ce dernier que se décidera le tournant à prendre et qui pourrait nous faire sortir de cette crise globale ».
Marta Cuscunà est seule en scène en robe blanche puis noire. Dans le fond, un crucifix rappelle le pouvoir absolu de l’Eglise, et il y a six têtes de marionnettes absolument incroyables de vérité posées sur une grille, dès qu’elle la comédienne leur donne la parole, leur bouche étant seule animée par  la comédienne qui est derrière elles. Tout aussi incroyable est la tête de l’évèque aux yeux exorbités qu’elle manipule aussi.
  Marta Cuscunà raconte très bien l’étonnante histoire de cette révolte aux accents féministes évidents de ces six nonnes qui ne craignent pas d’aller à sa rencontre et d’affronter le terrible vicaire général Jacoppo Moracco avec une force  et une vérité qu’on entend rarement. L’univers sonore (parfois un peu trop envahissant) est impressionnant: chants religieux, bruits de portes en fer qui se ferment brutalement lors des vœux solennels…
  La révolte  et le revendication d’un nouveau modèle alternatif durèrent à Udine une soixantaine d’années puis l’Eglise reprit le dessus mais les choses ne furent plus tout à fait comme avant. Cette Simplicité trahie est un spectacle  tout à fait remarquable que nous a offert avec une belle conviction Marta Cuscunà en soixante-dix minutes: on espère vraiment qu’un théâtre français le  programmera  (il n’a été présenté que deux fois) , et sur une plus longue série de représentations. Tiens, au fait, pourquoi pas aux Théâtre des Abbesses, Emmanuel Demarcy-Motta?
 

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre de la Cité Universitaire le 13 juin.

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