Chili 1973 : Rock around the stadium, conception et écriture d’Hugues Reinert

 

©Arno Hussenot

©Arno Hussenot

 

 

Chili 1973 : Rock around the stadium, conception et écriture d’Hugues Reinert

 Le général Pinochet prend le pouvoir par les armes, et renverse le gouvernement socialiste de Salvador Allende, démocratiquement élu trois ans plus tôt., L’Estadio Nacional de Santiago se transforme alors en camp de concentration, et plus de douze mille opposants y sont torturés, violés, assassinés, dont le chanteur Victor Jara…

Pour éviter que les cris des victimes ne parviennent aux oreilles du voisinage et de la presse internationale, Pinochet fait diffuser en continu la musique des Rolling Stones. «Ce sont certainement, dit Hugues Reinert, les dictatures qui ont pris le plus vite au sérieux le football, devenu outil de propagande idéologique mais aussi instrument de cohésion sociale et d’identification nationaliste.»

 Dans les stades, le public ne pense plus aux problèmes socio-politiques… Hugues Reinert a conçu une trilogie Amor, autour du rock, du  foot et du cinéma et s’est posé la question de savoir comment une culture populaire devient celle d’un pays dominé, où le peuple n’est plus représenté ? Chili 1973 : Rock around the stadium, deuxième volet de cette trilogie répond à la question, selon Hugues Reinert, accompagné du musicien et ingénieur du son, Kevin Le Quellec. Sa performance participe aussi d’une installation sonore, d’un concert mais aussi d’un spectacle, avec un film documentaire. Sur une musique rock: guitares, pédales d’effet, batterie, etc.

 Après avoir symbolisé une jeunesse révoltée contre le vieux monde, dotés d’une énergie sexuelle, les Rolling Stones étaient devenus les représentants provocateurs du monde occidental, avec une culture venant du peuple, puis récupérée et érigée en culture dominante. Jusqu’à devenir, depuis le concert à Cuba en 2016, les ambassadeurs musicaux de pays capitalistes. Et ils ont bien été les seuls de leur génération, à avoir traversé facilement le temps….

 1973 : année des éliminatoires pour la Coupe du Monde de foot en Allemagne; le Chili et l’U.R.S.S. sont dans le même groupe de qualification. Au match-aller, le Chili obtient un nul en Russie. Et L’Estadio Nacional à Santiago-du-Chili doit accueillir le match-retour. Dans un contexte de guerre froide (Pinochet est soutenu par les Etats-Unis), l’U.R.S.S. refuse de jouer dans « le stade de la mort ».

 La F.I.F.A. (Fédération Internationale de Football Association) missionne alors deux délégués pour faire un compte-rendu de la situation : «Nous avons trouvé que le cours de la vie était normal. Il y avait beaucoup de voitures et de piétons, les gens avaient l’air heureux et les magasins étaient ouverts.» Surréaliste ! Pour la F.I.F.A., le match peut donc avoir lieu dans ce stade qui est juste ses yeux, un centre d’orientation… L’U.R.S.S., inflexible, maintiendra le boycott ! Deux mois après le coup d’Etat du général Pinochet, la F.I.F.A. veut rendre légitime une rencontre qui n’aura pas lieu.  

Cette pièce de théâtre musical, non fictionnelle, a pour thème ce fameux match mais avec la seule équipe nationale du Chili, puisque les Russes ne sont pas venus. Avec conviction, Hugues Reinert  raconte dans quel le contexte ont eu lieu ces événements, et il joue aussi au foot sur scène, avant de rejoindre ses instruments de musique. Moins acteur que narrateur…

 Véronique Hotte

 La Caserne des Pompiers, 116 rue de la Carreterie, Avignon, jusqu’au 23 juillet à 19 h 15. T. : 04 90 01 90 28.

 


Stadium

 

Stadium, de Mohamed El Khatib

 

el-khatib-stadium-c-fed-hockeCe n’est pas du théâtre : des « vrais gens » sont sur scène,pas en “amateurs“ venus modestement prêter main forte (et justification ?) à un spectacle. En effet, ils ne jouent rien, ils sont là en personne, parce qu’elles et eux ont quelque chose à dire. Et ils le font avec confiance et grande maîtrise, parce que c’est du théâtre ; sur une scène organisée dans l’espace et  le temps comme pour tout spectacle, il y a un commencement, une fin (encore que…), et un suspense, dans l’attente non d’un dénouement mais d’une rencontre et d’un nouage. On peut “spoiler“ : la rencontre se produira.

Mohamed El Khatib a partagé pendant deux ans la vie du fan club du Racing Club de Lens, a fait des recherches sur la sociologie du football. Il est entré dans ces familles où l’on naît supporteur, où on vit et meurt supporteur aux couleurs sang et or. Il a écouté les “ultras“ et leur parole parfois paradoxale, leurs guerres d’honneur avec les clubs adverses-spécialement le club parisien et ses insultes aux Ch’ti «chômeurs alcooliques consanguins pédophiles», leur sens du respect–oui-et de la solidarité. Ils lui ont raconté leurs ateliers d’ « éléments de langage“, car on n’insulte pas n’importe comment : d’accord, l’arbitre a perdu sa mère la veille, il aura droit à un certain respect, on le traitera donc d’«orphelin de pute». La face plaisante des valeurs de ce club de fans.

L’auteur a recueilli les souvenirs encore proches sur la mine à Lewarde qui a fermé dans les années 90, et devenue aujourd’hui Centre Historique Minier, et le témoignage de l’un des derniers maires communistes de la région. Le séisme politique est encore présent, creusé par l’effondrement industriel: il y eut l’espoir avec la gauche de 2012,  et le basculement en 2017 vers le Front National avec toute la puissance déferlante entraînée par la déception.

Cela pourrait être triste mais non…. Dans un dispositif simple-une petite tribune, un micro, un écran et une baraque à frites, les supporteurs de Lens viennent avec leurs blagues, leurs chansons, les chorégraphies de pom- pom girls, et les familles avec leurs tout petits enfants, fiers de ce que Mohamed El Khatib nous fait découvrir et aimer. À quoi sert le théâtre ? À mettre en scène les invisibles, à écouter ceux qu’on n’entend pas. Y compris dans le débat politique: les lois et règlements anti-hooligans (terme à employer avec une grande vigilance), comportant l’idée de «présomption de culpabilité», seraient un bon terrain d’expérimentation pour l’extension de lois répressives concernant tout le monde. (Voir le récent débat à l’Assemblée Nationale).

Le foot, c’est du bruit, mais aussi des paroles. En direct ou sur écran, les personnes présentes qui ne sont pas des « personnages» mais qui le deviennent, du fait de leur place ici-se moquent gentiment de l’image que le public parisien peut avoir d’elles, et nous dévoilent un monde. Vous croyez qu’il suffit d’installer une succursale du Louvre à Lens pour que les Lensois se l’approprient ? Savez-vous que c’est un métier, d’être mascotte ? Qui se cache dans l’énorme chien en peluche du Racing Club de Lens? Un danseur professionnel qui a dansé avec Pina Bausch et Carolyn Carlson. Où l’on voit que le spectacle du foot n’est pas si éloigné qu’on ne le croyait, de la culture de l’ « élite“. Laquelle, respectueuse comme on l’est au théâtre, reste de bois, quand une jeune fille essaie de l’entraîner dans les chants du club.

Mais les frites de la mi-temps, autrement dit de l’entracte, la fanfare, les moments de rire et d’émotion auront raison de cette raideur. Les supporteurs lensois gagnent cette rencontre, au point que la fanfare ne peut plus s’arrêter, ni les spectateurs quitter la salle. Mohamed El Khatib a gagné son triple pari : mettre en scène le peuple des oubliés, rendre au spectateur son corps et ses émotions, et parler politique, frontalement et  sans métaphores. Est-ce du théâtre ? Cette performance à cinquante n’est pas tout le théâtre, mais un théâtre, passionnant et réconfortant. Cela vaut la peine de suivre le travail de Mohamed El Khatib avec C’est la vie, à Théâtre Ouvert puis au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, puis Conversation entre Mohamed El Khatib et Alain Cavalier du 14 au 22 décembre)

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, jusqu’au 7 octobre.

Théâtre Alexandre Dumas à Saint-Germain-en-Laye le 12 octobre. Théâtre de Chelles, le 13 octobre. Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France, le 14 octobre.
L’Avant Seine, Théâtre de Colombes, le 10 novembre et Théâtre du Beauvaisis, les 16 et 17 novembre.

Le But de Roberto Carlos

Le but de Roberto Carlos de Michel Simonot, mise en scène de Pierre Longuenesse

13-lebutrobertocarlos«J’ai vu la balle sortir en touche et revenir dans le but, écrivait Nicolas Ouédec, ancien international présent sur le banc de touche (1997). Vous vous demandez d’où ça vient et comment il a fait. Sur le moment, on se demande si le mur ne l’a pas contré.
A la pause, on a regardé le ralenti et on s’est aperçu que c’était un but venu d’ailleurs. Roberto Carlos ne semblait pas si surpris que ça, on avait l’impression qu’il avait déjà marqué le même à l’entraînement. Il y a eu un grand silence dans le stade. Après le match, on s’est dit que c’était le genre de chose qu’on devait juste admirer et applaudir. Il y a des buts qui restent pour l’éternité, et il en fait partie.»

Qui dira la poésie d’un compte-rendu de match ? Et la poésie plus grande encore d’un geste unique, d’une maîtrise quasi-surhumaine du corps ? Le football fait rêver, pour la vie de millionnaire de ses élus, mais peut-être plus encore pour ce qui fait l’élu : cette beauté du mouvement qui, comme une fusée, vous sort de l’attraction terrestre, et de la vie au ras du sol.
 «Nous ne sommes rien, soyons tout» n’est plus un chant révolutionnaire collectif,  mais la pulsion, l’impulsion  de millions de jeunes gens qui espèrent «s’en sortir». Michel Simonot  a écrit l’épopée de l’un d’entre eux, parti d’Afrique pour gagner l’eldorado européen. 11.600 km, onze mille six cents kilomètres, il faut l’écrire en chiffres et en lettres pour mesurer l’étendue de ce voyage interminable: avancées, retours, arrêts derrière un grillage, stationnement dans un camp, cachettes, poursuites, camion, marche, seul, à plusieurs…
  Voyage avec une gigantesque addition d’épreuves, et pas seulement sportives, de ce garçon, lesté de ses espoirs, comme tous ceux qui partent et se voient fermer les frontières de l’Europe, et de cette tâche qu’il s’est donnée : arriver à la perfection du but de Roberto Carlos, en shootant dans une canette derrière un grillage.
Et ce n’est pas un jeu : il s’agit de trouver la faille, la feinte qui lui permettre d’atteindre son but, à lui. Tous ces migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, comme on voudra les appeler, montrent dans Le But de Roberto Carlos, leur incroyable force, leur détermination, et leur expertise appliquée à une tâche presque impossible : passer. Ici, de l’autre côté. Tenir.
Le récit  nous emmène très loin, dans la solitude et la solidarité avec les autres du garçon. Il prend le rythme de sa respiration, de sa peur et le poids de sa résolution. On sent les herbes hautes où il se cache, le grillage sur les mains, les cailloux du tunnel qui blessent, la soif, le froid…
  La mise en scène, très sobre, donne toute sa place à cette brassée de sensations et d’émotions, soutenue par la musique obsédante de Frank Vigroux. Pas plus que les vidéos ou le jeu des acteurs (Pierre Longuenesse et Christian Lucas), cette musique n’est illustrative, et, pourtant un peu «cinéma», elle donne un support aux images mentales que nous projetons sur la parole entendue.
  Un beau travail poétique à ne pas manquer.

Christine Friedel

Spectacle vu à l’Anis Gras à Arcueil.
Et salle Jean Montaru à Marcoussis (91) le 1er avril à 20h30. T : 01 64 49 69 80

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