Les Zébrures d’automne aux Francophonies de Limoges (suite) Léa et la théorie des systèmes complexes d’Ian De Toffoli, mise en scène de Renelde Pierlot

Les Zébrures d’automne aux Francophonies de Limoges (suite)

8-Lea-c-2023

© CHRISTOPHE PEAN-

Léa et la théorie des systèmes complexes d’Ian De Toffoli, mise en scène de Renelde Pierlot

Pour la première fois, en coproduction avec les Théâtres de la Ville du Luxembourg, les Francophonies-des écritures à la scène reçoivent des artistes de ce pays.  Nous avions entendu avec grand intérêt une lecture du début de cette pièce aux Zébrures de printemps et Ian De Toffoli a ensuite bénéficié d’une résidence à la Maison des auteurs de Limoges pour la finaliser. C’est une vaste saga où une gamine  curieuse veut connaitre  le pourquoi et le comment du changement climatique. Sur cent cinquante pages de manuscrit, réduites ici pour arriver à trois heures trente de spectacle, deux trames narratives alternent: la généalogie d’un grand groupe pétrolier et la trajectoire d’un militante écologiste qui se radicalise: «I’m sorry, my friends/This is an emergency. » (Désolée, les amis/ Il y a urgence.), chante Léa.

Sur le plateau, un enchevêtrement tentaculaire de tuyaux délimite les espaces de jeu où s’entrelacent deux récits pris en charge par Léna Dalem Ikeda, Jil Devresse, Nancy Nkusi, Luc Schilt, Pitt Simon, Chris Thys. Les acteurs de ce chœur dynamique passent rapidement avec quelques éléments de costume, d’un rôle à l’autre., d’un monde à l’autre Et les séquences dialoguées sont introduites par des narrateurs ou narratrices se relayant.

L’épopée de la famille Koch – à la manière d’un feuilleton qu’on pourrait sous-titrer à la manière de Dallas « ton univers impitoyable ! »-  s’étend sur cent trente ans. Depuis le jour où, en 1881, le jeune migrant Hotze (devenu Harry) Koch, vingt-trois ans, débarque du train « sur le sol sec de la colonie de Quanah,/dans l’État du Texas. » Embauché comme échotier, il va finir par devenir propriétaire du journal du coin, puis achète des actions de chemin de fer et les premiers puits de pétrole.
«Le chemin de fer, c’est le nouveau boom! /Tant de forêts de chênes abattues /Pour créer les poutres de bois/qui forment les traverses, /Tant de tonnes de fer fondu/tordu/moulu/Pour devenir ces rangées parallèles/ Qui s’étendent comme une gigantesque toile d’araignée. »

 De père en fils, l’empire Koch sur trois générations achète exploitations pétrolières, brevets de cracking de brut par rupture homolytique, raffineries, usines de plastique et d’engrais chimiques (division fertilisants de Farmland Industries, Invista, filiale de DuPont, active dans les domaines fibres et résine, avec des marques comme Lycra ou Thermolite… ) La liste est longue et détaillée !

Ian De Toffoli, très documenté, nous distille en épisodes mode western, cette conquête industrielle. Des guerres fratricides viennent épicer la vertigineuse ascension du groupe. En 2018, la famille Koch, propriétaire de l’entreprise, s’est enrichie de vingt-six milliards de dollars pour atteindre cent-vingt cinq milliards de fortune cumulée !

Parallèlement, la pièce raconte l’histoire de Léa qui fait partie de cette génération d’enfants éco-anxieux: « Solastalgie, voilà le nom qu’un philosophe australien/donne dans ces années-là à la détresse psychique /provoquée par la dégradation environnementale. (….)  »

La jeune Léa s’imagine « un monde dépeuplé, /mais jonché de pièces de Lego, /de chaises blanches Monobloc, /de seaux de plage de chez Décathlon/et de sacs jetables de supermarché…. »
Elle mène l’enquête en remontant aux racines du mal: l’exploitation des énergies fossiles. De fil en aiguille, elle va faire le parallèle entre la prédation des ressources terrestres au détriment de la vie animale végétale et humaine, et la naissance du capitalisme moderne, le colonialisme, le sexisme…

Le double récit choral est entrecoupé de scènes imagées, beaucoup plus lisibles dans la partie Koch Industries, traitée sur le mode burlesque. La metteuse en scène a trouvé des codes de jeu qui échappent au didactisme, avec des moments de comédie musicale chantés et dansés. Le volet Léa, plus informatif et moins fantaisiste, peine, lui, à trouver sa forme et à s’articuler avec l’autre narration.

Renelde Pierlot a en effet placé le début de la pièce à la fin du spectacle  «Le 25 octobre 2025, /une explosion secoue le deuxième étage d’un immeuble gris et trapu,/situé entre d’autres immeubles de mêmes dimension et aspect/dans le quartier de Gasperich/,dans la ville de Luxembourg. » (…) L’explosion finira également/ selon son intention originelle/par réduire en poussière et en cendres/ les bureaux luxembourgeois /de Koch Business Solutions Europe Sarl. » De cet incipit découle un double flashback, raconté du point de vue de Léa. « J’avais envie d’écrire une épopée, dit l’auteur, un chant en vers libres. C’est le récit de Léa. Ces personnages narrateurs permettent de présenter une matière aride. Je trouve fascinant de bombarder avec des infos, jusqu’au vertige. »

Écrivain, dramaturge et universitaire, Ian de Toffoli aborde des thématiques sociétales et politiques, brouillant les frontières entre récit, documentaire et drame. Cette pièce, comme les précédentes: Rumpelstilzchen (2018) et AppHuman (2021), est une commande des Théâtres de la Ville de Luxembourg. Léa ou la Théorie des systèmes complexes pose la question de la militance et du prétendu « éco-terrorisme » (sic !) face à la violence d’un État qui, entre autres, a réprimé la manifestation contre les méga-bassines de Sainte-Soline. Des étudiants activistes présents aux Zébrures d’automne saluent l’engagement de Léa et les informations que la pièce apporte: «Léa montre que les enjeux politiques sont vertigineux. La pièce aborde la question de l’intersectionnalité des luttes. L’urgence est d’agir.»

Grâce au traitement choral de la pièce, Léa, c’est aussi un peu nous tous.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 septembre, Les Francophonies- des écritures à la scène : 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10. Les Zébrures d’automne se poursuivent jusqu’au 30 septembre. 

 Du 10 au 22 octobre, Théâtre des Capucins, Luxembourg.


Le Prix du Lucernaire Laurent Terzieff-Pascale de Boysson 2019

Le Prix du Lucernaire Laurent Terzieff-Pascale de Boysson 2019

Créé il y a juste cinquante ans, dans une ancienne usine de soudure, impasse d’Odessa qui donne sur la rue de la Gaieté et depuis situé rue Notre-Dame-des-Champs, le Théâtre du Lucernaire a depuis vu passer beaucoup d’artistes et connu des hauts et des bas dans sa fréquentation. Pourtant un artiste, et non des moindres, lui a toujours été fidèle : Laurent Terzieff qui a accepté d’y jouer même dans des conditions financières  difficiles.

En mémoire de cette fidélité, Benoît Lavigne, l’actuel directeur du Lucernaire a  donné le nom du grand acteur au prix qu’il a créé, en association avec la S.A.C.D. et les éditions de l’Harmattan, propriétaires du théâtre. Le comité artistique est composé des proches compagnons du couple Terzieff-Boysson et des collaborateurs du Lucernaire. Le prix est destiné à soutenir le texte d’un auteur contemporain et le projet de création qui l’accompagne. La compagnie lauréate reçoit une dotation de 10.000 euros de L’Harmattan mais aussi un soutien financier de la S.A.C.D. Le projet est ensuite programmé au Lucernaire, la saison suivante.

Seasonnal Affective Disorder de la compagnie Léla a été lauréat de la première édition du Prix en 2017 et cette création a reçu le prix du Meilleur spectacle de théâtre privé  l’an passé. Le second prix avait été attribué à Jalie Barcilon pour Tigrane de la compagnie Lisa Klax, un spectacle qui sera présenté au Lucernaire cette saison.

F172C578-FBE0-4942-8BA6-7858CF040A55Pour sa troisième édition, le jury a choisi de récompenser à l’unanimité, le 23 septembre, A Bout de sueurs d’Hakim Bah qui co-dirige la compagnie Paupières mobiles. Déjà lauréat de l’Aide à la création attribuée par Artcena, le texte, publié par Lansman éditeur, poursuit, avec cette récompense, une belle reconnaissance professionnelle. Grâce aux soutiens financiers accordés, la compagnie pourra développer son budget de production et créer son spectacle en 2020 au  Lucernaire.

Hakim Bah a écrit A Bout de sueurs, en réaction à des faits bien connus comme la mort de ces deux enfants guinéens, retrouvés gelés dans le train d’atterrissage d’un avion à Bruxelles en 1999 et à d’autres faits, méconnus, comme le rôle d’Internet dans le désir des femmes africaines d’aller vivre en Europe ou de sortir de la contrainte familiale pour rencontrer d’autres hommes. Enfin, il a voulu donner à la ville le statut d’un personnage à part entière avec environnement sonore, couleur des bavardages et sons des radios.

Hakim Bah, né en 1987 en Guinée, a suivi une formation d’ingénierie en informatique puis s’est tourné vers la scène en suivant une formation à Nanterre. Grâce à des résidences d’écriture, en particulier aux Francophonies en Limousin, au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes ou au Centre Inter-Mondes de La Rochelle, il a pu faire connaître son écriture si particulière:  celle de la parole et d’une fiction souvent resserrée jusqu’à l’étouffement. Hakim Bah assure aussi la direction artistique du festival L’Univers des Mots à Conakry (Guinée).

Marie-Agnès Sevestre

Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VI ème).

Zones théâtrales, Biennale du théâtre canadien francophone à Ottawa

Zones théâtrales, Biennale du théâtre canadien francophone à Ottawa

« Juste pour que tu saches, tu parles actually vraiment bien en français. On a tout’compris ce que tu disais, pis c’est ça qui compte vraiment. L’affaire où tu te sens coupable de pas bien pouvoir parler en français pis ça te fait t’excuser, ça c’est normal.On se sent toute de même, actually. Y’a rien de plus francophone que de penser que tu parles pas vraiment bien en français, écrit Céleste Godin dans Overlap

Huit spectacles, trois chantiers et cinq lectures sélectionnés dans tout le Canada : la vitalité du théâtre francophone éclate bien au-delà de la province de Québec. Une nouvelle génération arrive avec Gilles Poulin-Denis de Colombie Britannique, directeur artistique d’une manifestation qui n’a rien à envier au théâtre européen… Expérimentée, professionnelle, ambitieuse et concernée dans un moment politique marqué par les effets de la commission Réconciliation et Vérité. Instituée en particulier pour rendre aux communautés autochtones leur mémoire et les récits des «pensionnats indiens», outils d’une assimilation forcée et d’une acculturation violente (le dernier a fermé en 1996 !).

Chaque soir, les peuples premiers, les autochtones, ont été remerciés d’accueillir Zones Théâtrales sur leurs territoires «ni cédés, ni remis». Aucune thématique  n’a été imposée et plusieurs spectacles, dans leur diversité, tournent autour de l’identité, de la mémoire et de la reconquête des origines. Et, bien sûr de la francophonie…

Jack

Jack

Jack de Marie-Pierre Proulx suit la quête d’une jeune fille: refaire la route 50, Jack Kerouac en main, en hommage à son défunt grand-père globe-trotteur, jusqu’à « l’arbre aux souliers ». La pièce, à une voix et deux présences, est, bien sûr, linéaire, ponctuée d’arrêts plus ou moins inoffensifs pour la jeune fille… Peu de surprises mais un beau duo d’acteurs, souvent en parallèle et parfois en dialogue: France Huot et Jean-Marc Dalpé, lui d’une autre génération et qui joue le rôle de toutes ces rencontres bienveillantes, dans un espace astucieux et poétique : l’autrice est aussi scénographe…

 La Fille du Facteur, de et par Josée Thibault (Alberta) un autre récit des origines, errances et déracinements qui pèche par une scénographie encombrante et une certaine coquetterie dans le jeu. C’est aussi le thème de Manman la mer de Djennie Laguerre, une Canadienne d’origine haïtienne. Et si la guérison se trouvait dans un retour au pays, dans les retrouvailles avec une grand-mère qui connaît les secrets de la nature ?

Là où le sang se mêle de Kevin Loring.

Dans ce spectacle inaugural du Théâtre autochtone du Centre National des Arts à Ottawa, la question des origines est en jeu. Floyd incarne une génération perdue, coupée de ses racines. Séparé de sa fille qu’il a donnée en adoption, il vit au jour le jour avec des copains de bar. Quand elle le retrouve, elle-même en quête de ses origines, c’est sa jeunesse, c’est l’avenir qui permet à Floyd de renouer avec son passé.
En écoutant la pièce traduite en français par Charles Bender qui est aussi sur scène, on pense, au-delà de l’histoire des autochtones d’Amérique du Nord, aux immigrés et à la question de l’assimilation : aujourd’hui, ce sont souvent les petits-enfants qui partent en quête d’une mémoire occultée, refoulée, pour la rendre à leurs aînés. L’écriture est très classique, narrative et explicative à l’anglo-saxonne et le spectacle rejoint la tradition, avec un dispositif et un rituel très sobres, au début et à la fin du spectacle où le public est invité à un cercle de paix.

 Mokatek et l’Etoile disparue

Affirmation d’un théâtre à inventer, libéré des modèles «blancs»? On aura quand même entendu le chant d’une langue autochtone dans ce joli spectacle pour enfants. Le voyage initiatique d’un enfant en quête du sens de sa vie, est  joué par une marionnette: une sorte de géant courbé sous une tente et qui suit le vol d’un corbeau ami et de quelques autres animaux emblématiques, aux quatre points cardinaux.

Les communautés francophones de tout le Canada ont chacune leur théâtre  qui est vraiment le lieu de vie de la langue, son temple, son usine. On devrait dire : des langues avec leurs racines françaises communes, elles sont aussi diverses que les territoires de la fédération canadienne. On comprend l’importance de l’enjeu…Avec Overlap par le Satellite Théâtre du nouveau Brunswick par exemple,  la langue se conjugue au présent, et est parlée avec l’insolence du «chiac» jeté au visage d’une francophonie nostalgique et figée. Celle d’une jeunesse qui étouffe dans sa petite ville…

Qu’on ne s’alarme pas : parmi les chantiers présentés ici, La Catapulte (Ontario) : Oh ! Canada: un forum sur la langue, réunit trois chercheurs en socio-linguistique, littérature et droit qui s’interrogent sur la langue et la peur diffuse du cheval de Troie du bilinguisme. De leur dialogue, avec chiffres et études scientifiques à l’appui, ressort comme du Victor Hugo: «Guerre au vocabulaire et paix à la syntaxe! » Les mots anglais assimilés à la structure grammaticale du français ne sont pas si massivement présents qu’on le craint… Le danger serait donc plutôt du côté de l’intimidation culturelle qui ferait de la Francophonie, un repoussoir : ah, je ne parle pas bien ma langue ? Never mind, j’en ai une autre.

Les limites du bruit possible

Les limites du bruit possible

Et si on se passait  du langage? Ce que fait presque la compagnie internationale  -les acteurs se sont rencontrés à l’école Jacques Lecoq à Paris- des Limites du bruit possible (comme ceux du Satellite Théâtre). Ces comédiens-acrobates, à partir de scènes primitives: naissance, mort, faim, appropriation puis rejet du vêtement… travaillent un théâtre avec peu de mots -on est plutôt dans le cri- très physique et de haute performance, avec des images fortes touchant aux émotions essentielles. C’est beau, mais, paradoxalement, finit par être abstrait…

 

Néon Boréal

Néon Boréal

Néon Boréal

Le Théâtre du Trillium (Ontario), lui, se frotte aux technologies numériques (image et son) avec une certains réussite dans un feuilleton où, dans la nuit arctique et dans le noir du studio troué par les clignotements des appareils, des jeunes gens créent des podcasts expédiés à l’aventure… Passons sur leur Jeff Koons : lunettes 3D et images aléatoires projetées mais sans texte solide ni jeu, ne font pas du théâtre…

Laitue matinale

Plus intéressante, une pièce sur l’éclosion d’un garçon enfermé dans un corps de fille. Une  tentative pour rendre orale la langue inclusive (où le masculin ne l’emporte plus, faut-il le rappeler) ? Mais torpillée par un entrelacement trop compliqué avec Antoine et Cléopâtre de Shakespeare.

White out, d’après Marguerite Duras, d’Anne-Marie Ouelette et Thomas Sinou, créateur de son.
L’expérience d’une écriture, là encore, de peu de mots, et d’une scénographie indissociables semble être le défi de cette rêverie sonore en blanc, avec une belle utilisation scénique des fumigènes, donne envie de voir la réalisation finale.

S’effondrent les vidéo-clubs d’André Gélineau et Flush de Marie-Claire Marcotte

On commence à connaître en France, grâce entre autres à Théâtre Ouvert, les écritures dramatiques francophones du Canada. Elles nous ont valu ici de jolis moments. Ces textes sont apparentés par une sorte de fantaisie mélancolique qui les emmène plutôt du côté de la nouvelle ou du cinéma. Hasard ? Dans ces deux pièces, l’homme apparaît comme handicapé, empêché… et attendrissant.

Johnny d’Emma Haché

Lecture d’une pièce très forte qui raconte la vie d’un couple, d’une vieillesse désunie et desséchée, de l’adoption d’un enfant merveilleux, à l’illusion initiale, puis au déni. Johnny n’est pas comme les autres. On attend de la voir sur scène avec les acteurs qui nous ont embarqués : Diane Losier et Marcel-Romain Thériault.

Réunions et rencontres avec Les Transfrontaliers, l’Association des théâtres francophones du Canada et l’Organisation Internationale de la Francophonie. Aucun doute, le théâtre est politique surtout quand on aborde la question centrale de la décolonisation culturelle. Il faudra y revenir, mais pour le moment, gardons au moins la formule: « se défaire de peaux qui ne sont pas les nôtres » et le concept : « réciprocité des consciences ».

 Le Soulier de David Paquet

Le théâtre est aussi divertissement. Pour clore cette semaine intense,  une bosse de rire à l’état brut avec une rencontre loufoque d’une mère débordée par son insupportable fils handicapé et d’un dentiste phobique et exalté, lui-même materné par une assistante sexy, alcoolique non abstinente. Non-sens, humour noir dans une micro-humanité hallucinée et hagarde : la liberté d’être politiquement incorrect, c’est aussi celle du théâtre.

Christine Friedel

Spectacle vus en septembre à Ottawa.

 

Une Classe préparatoire pour des jeunes élèves originaires d’Outre-mer

©Thierry Laporte

©Thierry Laporte

La Classe préparatoire intégrée pour des jeunes gens originaires d’Outre-mer à l’Académie de l’Union-Ecole supérieure de théâtre du Limousin

Le concours pour cette classe préparatoire intégrée à L’Académie de l’Union (photo ci-dessus), imaginée par Jean Lambert-wild, directeur du Centre Dramatique National de Limoges, en collaboration avec Luc Rosello le directeur du Centre Dramatique de l’Océan Indien, a eu lieu au printemps dernier. Après bien entendu, une course à la recherche des fonds indispensables. Des jurys de recrutement ont été mis en place  en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Nouvelle-Calédonie mais aussi à Limoges pour les élèves ultra-marins vivant déjà en métropole.

La formation théorique et pratique comprend un programme assez chargé avec trente-deux heures de cours hebdomadaires jusqu’en juin prochain. Surtout sous forme de stages d’une à quatre semaines avec une demi-journée pour la culture générale et théâtrale. Paul Golub, metteur en scène,  est le responsable pédagogique à l’Académie de l’Union, pour l’interprétation avec Carolina Pécheny-Durozier et Fargass Assandé, remarquable comédien ivoirien qu’on a déjà vu dans les mises en scène de Jean Lambert-wild. Ils suivront aussi ces élèves pour la préparation aux concours, et venus d’Outre-Mer, interviendront ponctuellement des artistes comme ce mois-ci, le poète et dramaturge kanak Pierre Gope dont la pièce Les Champs de la Terre, fable poétique inspiré du folklore calédonien et surtout kanak, a été présentée au festival d’Avignon 2016. Pour l’interprétation, Jean Lambert-wild, bien sûr, qui a été à l’initiative du projet, Guillaume Hasson, Marc Goldberg, Esther Myrtil et Michel Bruzat. Il y aura aussi un travail de la voix par Valéa Djinn et une préparation de l’acteur par Véra Ermakova. Et un atelier de danse-théâtre par Jean-Marc Hoolbecq, un enseignement de l’art oratoire polynésien par John Mairai, et un cours de danse polynésienne avec Tracqui Tuarril. Et Paul Francesconi créera avec ces élèves, Cargo d’après un texte de lui, en juin prochain à Limoges, et ensuite en France métropolitaine et Outre-mer.

Ils sont là, souvent très jeunes (sept d’entre eux ont dix-huit ans !)  depuis quelques semaines  et à des milliers de kms de chez eux. Mais une peu comme dans une grande famille, celle d’ultra-marin, et dans le cocon protecteur de l’Académie, presque à la campagne, et dans une grande et charmante villa ancienne à Saint-Priest Taurion à la périphérie de Limoges où ils habitent ensemble.  Et, visiblement, ils ont été bien choisis. Une bonne sélection, on ne le dira jamais assez, est indispensable à la réussite d’une école, comme une bonne distribution l’est à celle d’un spectacle.

Tous d’une grande finesse dans leur connaissance du théâtre contemporain, ils s’expriment dans une langue irréprochable que bien des candidats de la métropole pourraient leur envier. El- Badawi (vingt-trois ans) de Mayotte a déjà vu Une chambre en Inde par le Théâtre du Soleil et Les Damnés qu’il a beaucoup aimés. Olenka (dix-huit ans), originaire de la Réunion comme  Anthony, l’un des trois garçons, et comme… Jean Lambert-wild. Elle a déjà vécu à Bruxelles, où elle a aussi fait du chant et de la danse; elle est donc, dit-elle, plus habituée aux mœurs européennes.

Shékina, elle aussi, a dix-huit ans et vient de Martinique. Elle avoue qu’elle trouve bizarre de ne jamais être seule mais apprécie beaucoup de vivre la vie du Théâtre de l’Union. Ornella, même âge aussi, est kanak et quand on lui demande quel est le spectacle qui l’a le plus marquée, elle répond avec enthousiasme: L’Illusion comique de Corneille! «Quand on voit un film on n’est pas vraiment dedans mais là, j’avais l’impression que les acteurs me parlaient personnellement. »  Merveille! Comme si le temps, plus de trois siècles après la création de la pièce, et l’espace: plus de seize mille kms de Paris étaient d’un seul coup gommés! On sent chez elle, une certaine nostalgie de son pays mais aussi un choc culturel, malgré son émerveillement de pouvoir espérer faire du théâtre : «J’avais plusieurs papas, plusieurs mamans, et je ne me voyais pas quitter tout cela; arrivée ici, il m’a fallu mettre des chaussures, porter une grosse veste et accepter le fait qu’il y ait quatre saisons… » Thomas, le seul originaire de Guadeloupe, est visiblement content, juste majeur, d’être là après un bac théâtre, avec ses nouveaux amis et de travailler sur un programme qu’il trouve très enrichissant. Laurence, l’autre Nouvelle-Calédonienne, un peu plus âgée (vingt-trois ans), a fait déjà du théâtre au lycée pendant quatre ans à Nouméa. «Je ne me voyais pas faire autre chose mais je sentais qu’il fallait que je parte me former ailleurs pour mieux revenir». Se sent-elle bien à Limoges, et pourquoi? Réponse d’une belle intelligence : «Oui, et pourquoi sommes-nous bien ensemble: nous sommes tous des îliens et le premier soir, nous avons discuté jusqu’à quatre heures du matin, comme si nous nous étions toujours connus.» Même impression de se lancer dans une aventure qui orientera sa vie pour toujours, même sentiment aussi d’appartenir à un groupe très solide chez Chara la Guyanaise, débarquée ici à dix-huit ans après quelques années de théâtre au lycée. Haïthouni, de l’île Mayotte,  la seule qui ait vingt-trois ans comme Laurence, a déjà eu une  bonne initiation théâtrale dans son lycée où elle a été très impressionnée par la grève du sexe dans Lysistrata d’Aristophane et par  le scénario du Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht. Elle a ensuite fait, à Clermont-Ferrand, une licence Culture-Patrimoine/Arts de la scène. Mahealani, la seule polynésienne de cette première promotion, a suivi là-bas des cours de danse et d’art oratoire. On sent qu’elle s’est préparée depuis longtemps, malgré ses dix-huit ans, à  cet atterrissage. «Pas vraiment de choc violent, dit-elle, et je me suis sentie vite chez moi avec les autres élèves mais pourquoi les gens qui marchent dans la rue ne sourient pas quand on les croise?» Bien vu !

Quand on parle avec ces jeunes apprentis comédiens, on est fasciné par la maîtrise de la langue française, l’engagement personnel et l’humilité qu’ils ont, en même temps qu’une intelligence du métier théâtral, même s’ils ne sont qu’au début d’un parcours scolaire de haut niveau. Paul Golub, le directeur pédagogique de l’Académie de l’Union, et Jean Lambert-wild relèvent un manque historique : pourquoi les jeunes gens des départements-région d’outre-mer n’ont-ils pas eu auparavant les mêmes chances d’intégrer une grande école de théâtre dans la métropole, faute de pouvoir suivre une classe préparatoire pendant une année ou deux? Et jusque là, tous gouvernements confondus, le Ministère de la Culture n’a jamais fait preuve d’une grande clairvoyance pour résoudre cette sélection sociale et faire avancer l’enseignement artistique (on l’a bien vu quand il a été aussi incapable de pérenniser l’École du Théâtre National de Chaillot!) Et le dit Ministère ne s’était guère soucié d’apporter une réponse à ce problème de sélection sociale qui n’osait pas dire son nom, et cela vaut aussi pour les régions reculées de la métropole. Comme les directions successives des dites grandes écoles qui auraient pu au moins essayé de poser la question…  

Il aura fallu que Jean Lambert-wild, nommé il y a deux ans à la tête du Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National de Limoges, et donc à la tête de son Académie, relève courageusement le défi et parte à la recherche des indispensables financements. «Nous avons voulu que cette année scolaire entière avec bourse d’études permette à ces élèves de se présenter aux différents concours dans les meilleures conditions». «L’enseignement, dit Paul Golub, porte à la fois sur un engagement du corps et de la parole avec un nouveau regard sur le théâtre et est aussi fondé sur l’intervention d’artistes reconnus dans ces territoires comme John Mairai, grand spécialiste de l’art oratoire en Polynésie française qui viendra enseigner en mars prochain.»

Pourquoi seulement trois garçons retenus et sept filles ? «C’est très simple, dit Jean Lambert-wild, nous avons choisi les meilleurs, et dans ces concours d’écoles de théâtre, il y a toujours plus de candidates que de candidats, qui, d’année en année, sont moins nombreux. Et comme il s’agit d’une année préparatoire, nous avons donné aux filles toutes les chances de réussir.» Un problème qu’avait déjà rencontré Antoine Vitez avec son École à Chaillot. Il nous avait dit qu’il valait mieux en prendre un peu plus car elles  ont plus de difficultés que les garçons à trouver du travail. Et quand Jérôme Savary lui a succédé à Chaillot, le jury de recrutement a dû résoudre ce même problème. Et au théâtre ou au cinéma, il y a toujours en général plus de rôles masculins importants… Sauf quelques exceptions comme Bérénice, Chimène, Phèdre, ou Agnès chez Molière, La Maison de Bernarda de Federico Garcia Lorca ou encore Le Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos…

Reste à gérer cette inégalité de nombre au quotidien, mais cela ne paraît pas effrayer Jean Lambert-wild. «De toute façon dit-il, cette classe préparatoire intégrée à l’Académie avec certains cours communs  constitue une étape d’un processus organique qui commence en Outre-Mer et qui a vocation à s’y poursuivre. Et les élèves auront tous bénéficié d’une expérience et d’une formation originales, qu’ils réussissent, ou non, un des concours des grandes écoles théâtrales et pourront revenir dans leur  département-région d’origine. Et cela leur aura donné un sacré tonus.  Après une année d’alternance en Outre-mer pour soutenir des actions de formation, d’autres élèves auront aussi la possibilité de revenir ici afin de suivre une autre année de préparation, puisque le concours aura lieu tous les deux ans.»  Jean Lambert-wild a reçu le soutien des deux ministères concernés : celui de la Culture et celui  des Outre-Mer mais aussi de bonnes fées comme la Région Nouvelle-Aquitaine, la fondation Culture et diversité, l’Université de Limoges,la ville de Saint-Priest Taurion où est basée l’Académie de l’Union mais aussi du Centre Dramatique de L’Océan Indien, de la scène national Tropiques/Atrium, du Théâtre de Macouria, du Théâtre de l’île en nouvelle Calédonie, du Conservatoire artistique de Polynésie française, des Hauts Commissariats en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie, de la DAC Mayotte, Martinique et Guadeloupe, du Centre culturel Djibaou, de Air Tahiti Nui, etc. Et c’est bien que cette expérience innovante et très prometteuse, se fasse non à Paris mais à Limoges qui accueille chaque année, le festival des Francophonies…

Philippe du Vignal

Académie de l’Union, Le Mazeau, Saint-Priest-Taurion (Haute-Vienne). T.: +33(0)5 55 37 93 93. mailto: adm@academietheatrelimoges.com 33(0)6 45 38 13 48.

 

 

Les Francophonies en Limousin 2015 / suite et fin Les créations théâtrales

Les créations théâtrales aux Francophonies en Limousin 2015, suite et fin:

 L’Acte inconnu de Valère Novarina, mise en scène de Valère Novarina et Céline Schaeffer

cab2e84b565946f1ac35fabe603c85a6La rencontre de l’auteur français avec Haïti, à l’invitation de Guy-Régis Junior, pour travailler avec sa compagnie NOUS Théâtre, a été décisive. « Ce sont les acteurs qui ont choisi L’Acte inconnu, dit-il, et pour Limoges, j’en ai créé une réduction pour six  comédiens (…) C’est une petite équipe de «combat» qui s’est mobilisée, pour ce travail extrêmement audacieux, car on a deux semaines en Haïti, une semaine à Limoges.»
L’Acte inconnu (éditions P.O.L- 2007), créé au Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur en 2007, trouve, avec les acteurs haïtiens, et malgré des conditions précaires, un souffle neuf.
«Ils allaient tout de suite chercher la vie dans notre langue commune», dit l’auteur, à propos des répétitions. Ils se sont approprié le texte, ont refait les chansons à leur façon, et Finder Dorisca, à l’accordéon, a composé une nouvelle musique. »
Le verbe de Valère Novarina sonne, comme s’il était dit dans une nouvelle langue, illustrant bien la formule : «L’homme est un alphabet capturé vivant.» Les corps, les voix, les gestes, tout est différent: on se sent à la fois dépaysé et dans une plus grande proximité avec son univers . La simplicité de la scénographie, avec des panneaux mobiles peints par  lui, et des accessoires de fortune,  contribue à l’épure, comme cette distribution réduite.
On retrouve cependant le joyeux ballet de mouvements perpétuels qui constituent le déploiement de la parole dans l’espace. Une parole à rebondissements.
Selon Valère Novarina, «la parole est un geste». Entrent et tournent: Le Bonhomme Nihil, Le Coureur de Hop, Jean qui corde, Raymond de la matière, L’Ouvrier du Drame, La Machine à dire beaucoup, Le Chantre, La Dame de pique, l’Homme nu, La Femme spirale, Le Déséquilibriste, L’Esprit, Autrui…
Le mélange d’accidents de cirque, devinettes, maximes, marionnettes, proférations, prend ici toute son ampleur. Le clown devient griot (le virevoltant Edouard Baptiste). Et le vide, anagramme approximatif de dieu, résonne à la recherche du sens. Car c’est bien dans l’espace vide que le verbe peut circuler, s’exprimer…
Et, quand l’un des protagonistes demande : «Depuis combien de temps sommes-nous ensemble dans cette boîte humaine ? », on s’aperçoit qu’on n’a pas vu passer le temps.
Le spectacle sera repris au festival des Quatre Chemins de Port-au-Prince, en novembre prochain.

Pulvérisés d’Alexandra Badea, mise en scène de Frédéric Fisbach

528f9610df54572e02dbade0a5fc8809«Tu ouvres les yeux, agression de l’environnement. Rien ne t’appartient ici, tu es pulvérisé dans l’espace », dit l’un des quatre personnages qui s’adressent à eux-mêmes à la deuxième personne, mais ce « tu » est à la fois individuel et collectif.
Quatre salariés travaillant à l’étranger pour les sous-traitants d’une entreprise
multinationale française qui vend des «box multimédia» : une ouvrière chinoise vit l’humiliation quotidienne à l’usine ; un superviseur sénégalais de plateau d’appels  dénonce la cruauté du système; un responsable français assurance-qualité  voit sa vie gâchée par son travail; à Bucarest, une ingénieure d’études et développement craque…
A tous les niveaux de la hiérarchie et de la production, la pression de l’entreprise est aliénante, broie les êtres jusqu’au plus intime de leur existence. Les façonne et les détruit.
Pul
vérisés a obtenu le Grand Prix de littérature dramatique 2012, saluant l’habileté de sa construction, l’acuité de son propos, traduit par une forte  écriture.
Plutôt que d’attribuer le texte à quatre comédiens, Frédéric Fisbach l’a distribué à un français, un acteur et une actrice roumains); ce qui accentue l’effet choral et la dépersonnalisation des personnages. Ils sont, dit-il,  «des soldats inconnus pris dans les dommages collatéraux d’une guerre économique mondiale».
Un chœur d’amateurs démultiplie la portée collective du vécu des protagonistes, et crée un lien entre plateau et spectateurs. L’alternance de voix en direct, et enregistrées, de présence des corps sur le plateau nu et d’images vidéo, produit un effet de présence-absence, de déréalisation et d’incarnation de paroles, plus que d’individualités.
Le public est totalement pulvérisé lui aussi, et doit rassembler les morceaux du puzzle pour pouvoir reconstituer le moi de chaque personnage ainsi plongé dans l’anonymat. Mais on peut se demander ce qu’apportent au projet les interventions des amateurs! Approximatives et peu claires, elles dénaturent le côté clinique du spectacle, et si la mise en scène, à trop vouloir émietter une dramaturgie déjà éclatée, n’égare pas le public.
La pièce sera reprise dans une version roumaine, au festival Temps d’image à Cluj (voir Théâtre du Blog, Bucarest sur scène)

Après la peur, road-trip théâtral, conception de Sarah Berthiaume, Gilles Poulain Denis, Armel Roussel, direction artistique d’Armel Roussel

Douze auteurs francophones (belges, français, suisses, québécois ou congolais…) ont eu pour mission d’écrire une partition de trente minutes proposant des trajets dans la ville, en minibus ou à pied. A partir de là, un dispositif impressionnant a été mis en place, afin d’offrir à chaque spectateur, trois ou quatre de ces voyages…
A l’entrée, on est invité à choisir sa «chambre» parmi les douze proposées. Puis, munis de leurs tickets numérotés, guidés par un comédien, les spectateurs s’éparpillent par petits groupes, qui, à pied, qui, à bord d’un minibus, qui,  dans   les  coulisses, loges, et cuisine du théâtre…,  pour un petit spectacle ambulant ou in-situ. Dehors, c’est un ballet permanent de mini-bus emportant ou déversant leur cargaison de passagers.
A chaque fin de parcours, on choisit un nouveau numéro, et l’on embarque pour de nouvelles aventures. Il y en a de tous les genres, et pour tous les goûts : intrigue policière, récit de vie, fantasmagories… et des surprises nous attendent au tournant.
On ne peut pas voir chacun de ces spectacles, mais, de groupe en groupe, on se raconte, on se conseille sur les parcours à choisir. On entend dire que Comme je descendais des fleuves impassibles de Dany Boudreault vaut le coup. Les places s’arrachent pour Queen Kong de Selma Alaoui, Démocratie de Joël Maillard ou Caméra cachée de Jean-Baptiste Calame.
Cette homme, de Sarah Berthiaume, déambulation au clair de lune dans le quartier pavillonnaire ravit les marcheurs… Et, au terme de deux heures de pérégrinations, chacun sort, plus ou moins satisfait de ses choix, mais est entré en dialogue avec ces compagnons de voyage et les comédiens. Car la plupart des propositions sont interactives, conçues pour faire participer le public.
Un voyage ludique, où les textes apparaissent comme des prétextes à ces échanges…

Mireille Davidovici

Les Francophonies en Limousin T. 05 44 23 93 51 ; www.lesfrancophonies.fr jusqu’au 3 octobre

Les Francophonies en Limousin 2015/versant auteurs (suite)

Les Francophonies en Limousin 2015/versant auteurs (suite)

 

Hommages à Sony Labou Tansi

Une de ses phrases figure en exergue sur le programme et l’affiche des Francophonies 2015 : « L’histoire fait mal au rire ! » Le romancier, dramaturge, poète est mort il y a vingt ans, mais son œuvre reste plus que jamais actuelle et son verbe vivace; plusieurs événements sont proposés pour témoigner de sa beauté et de son actualité.

 Sony l’avertisseur entêté, lecture/performance d’Etienne Minoungou d’après Encre, sueur, salive et sang (recueil de textes de Sony Labou Tansi, éditions du Seuil, 2015)

Etienne Minougou a réussi, malgré le récent coup d’Etat, à sortir, in extremis, du Burkina Faso où, entre autres, il organise le festival Les Récréâtrales. Au bar du Théâtre de l’Union, dont la direction vient d’être confiée à Jean Lambert-Wild, il profère avec conviction, entouré de deux musiciens, les mots de l’auteur congolais qui épinglent les maux frappant l’Afrique et, par contamination, le monde entier : «L’Afrique deviendra de plus un plus un cas de conscience pour l’humanité toute entière.» Et : «Si l’Afrique meurt, elle ne fera qu’inaugurer le cosmocide.»
Vingt ans après, elles apparaissent prémonitoires. « Pensez, vendre et acheter ont bousillé les géographies », dit le poète car «L’histoire s’est mise à courir plus vite que les multinationales ». Quelle clairvoyance quand il annonce : « Au terrorisme technologique, les pauvres opposent la terreur primitive » ; « Ceux à qui on a refusé l’humain seront des brutes » « Un peuple qui a peur est capable du pire » !… Mais l’humour n’est jamais loin :«Européens, ne tuez donc pas l’Afrique elle peut encore servir » ; « Les Arabes ont trop de pétrole pour être heureux. » Cependant, ce qui nous transporte, c’est, au milieu de la pire noirceur, une capacité de rêve : «Je crie tout cela à la face des hommes pour dire l’espoir à l’oreille d’une humanité bâclée » ;  « Nous allons inventer l’Afrique, le monde de demain(…) Nous autres têtus d’Afrique (…)  Il faut avoir le cœur d’exister…»
Etienne Minougou n’a pas eu beaucoup de temps pour caler sa performance avec les musiciens, mais il incarne avec ferveur cette prolixité verbale, terminant par ces mots : « Nous sommes encore au monde, c’est un miracle.» Les paroles du poète sonnent comme autant de maximes. Il faut continuer à les lire.

photoRendez-vous rue Sony Labou Tansi !

Aux confins de la ville, entre pavillons, labours et reliquats de forêt, on la trouve difficilement. C’est dans cette ruelle que quelques compatriotes de Sony Labou Tansi, dont Dieudonné Niangouna, ont bricolé, avec les moyens du bord, une déambulation littéraire hors programme. Une belle idée… comme dit le poète : «Les mots vont mourir, si on ne les remue pas à temps.» À chaque station, des bouquets de textes de l’écrivain congolais, suspendus aux arbres ou placardés aux palissades, s’offrent au promeneur.  Ponctuée de poèmes dits haut et fort, dans les champs ou au bout d’une allée, au milieu d’aboiements canins, la balade se termine en musique et en buvant des bières. Sous le soleil d’automne, la rue Sony Labou Tansi prend des allures de Kinshasa ou de Brazzaville et devient l’une des plus belles de Limoges. En temps ordinaire, on ne la remarquerait pas.

 Exposition Sony Labou Tansi

On suit aussi l’itinéraire de l’écrivain à la BFM : Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Dans le hall de ce bâtiment à l’architecture exceptionnelle, une exposition comportant de nombreuses archives nous incite à la lecture jusqu’au 14 novembre.

 L’Imparfait du présent : quatre auteurs québécois pour fêter les 50 ans du CEAD !

 Le Centre des auteurs de Montréal (CEAD) accompagne, depuis un demi-siècle, les nouvelles dramaturgies québécoises. Découvreur et diffuseur de talents, comme  ceux de Michel-Marc Bouchard, Carole Fréchette ou Wajdi Mouawad, il continue à nous faire connaître le meilleur des écritures théâtrales de la province. Le comité de lecture des Francophonies a sélectionné quatre pièces lues par les apprentis-comédiens de l’Académie de Limoges, sous la direction de Paul Golub. Ces lectures ont depuis quelques années un succès fou: elles affichent complet et c’est la bagarre pour réussir à entrer dans le Théâtre Expression 7, devenu trop exigu.

Hamster de Marianne Dansereau. La pièce met en présence des personnages échoués dans une banlieue désertée, un jour de premier mai. La Fille de l’abribus attend le 51 qui ne circule pas, rejointe par le Vieil Homme qui passe l’aspirateur sur sa pelouse. Il lui tient la jambe tandis que, dans la station service d’en face s’étiolent deux garçons aux comportements étranges. Au parc municipal, la Fille qui a la jupe trop courte selon le règlement, monologue avec son hamster. La langue est dense, inventive, et à la fin, on découvre le drame qui rassemble tous ces personnages, à priori sans lien les uns avec les autres.
Marianne Dansereau triture le vocabulaire et la syntaxe, distillant un humour glacial. Un nom à retenir!

Réserves, Phase 1, la cartomancie du territoire de Philippe Ducros. Après l’Afrique et la Palestine (voir L’Affiche  dans Le Théâtre du Blog novembre 2009), l’auteur entreprend d’explorer un nouveau territoire, cette fois au cœur de son pays. Celui des peuples spoliés et relégués, les Indiens et les Inuit. Il va à leur rencontre, les entend, restitue leurs paroles. Parallèlement,  il explore les statistiques, revisite l’Histoire qui a privé ces nations de leurs terres, de leurs langues, de leur identité.  Il s’émeut et se révolte.
Dans cette première phase de théâtre documentaire, il se met en scène, avec les personnages rencontrés dont il rapporte les témoignages. Il trace ainsi un carte des territoires relégués : les réserves au bord des autoroutes, froid et neige, alcool, drogue, viols, prostitution prison… suicides.
Il trace aussi un portrait économique : colonisation et pillage des réserves naturelles (bois, charbon, pétrole, minerais…) Une grande générosité l’anime, et donne de l’élan à son écriture.  Après cette lecture, on a hâte de voir ce texte mis en scène.


Tu iras la chercher de Guillaume Corbeil. “Tu es là, le dos droit, tu attends quelqu’un. Qui? Tu ne t’en souviens plus. Où es-tu exactement?”  S’adressant à elle-même à la deuxième personne, une femme cherche son identité dans les images que les miroirs, ou les gens lui renvoient de la réalité. Elle se confond avec une autre qu’elle poursuit jusqu’à Prague.
Une quête vertigineuse, construite comme une fuite en avant, une fugue de Bach. On se souviendra de Pélagie Papillon: la jeune actrice habite le corps vide du personnage et joue toutes les nuances de ce thriller théâtral.


  Invisibles de Guillaume Lapierre-Desnoyers. A cause de sa mésentente avec sa mère, une adolescente fait une fugue, une vraie cette fois. Quatre personnages cooexistent mais dans une espace temps éclaté, où ils s’affrontent indirectement ou directement, et qui laisse place à un récit collectif : la mortelle randonnée de ces enfants qui fuient leur famille, sur ces autoroutes sans fin ou, de stop en camion en stop en camion, de viol en prostitution, les filles errantes deviennent invisibles. La solitude de l’homme au milieu des vastes espaces d’Amérique, est un thème récurrent de la dramaturgie québécoise…

 Les Prix

Le Prix RFI théâtre vise à mettre en lumière, et en ondes, des dramaturgies encore sous-exposées, tant en Europe qu’en Afrique. Le jury, présidé par le dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé, a choisi de récompenser Hala Moughanie, une jeune auteure libanaise, pour sa pièce Tais-toi et creuse.  Il a apprécié l’humour jubilatoire et féroce de ce texte qui, avec des dialogues acérés, dit la violence de la guerre, vécue au sein d’une famille fouillant un trou : trou d’obus, trou de mémoire, trou insondable au creux de l’être…Le texte est publié aux éditions Arcane (Liban).
Le Prix de la dramaturgie de langue française de la SACD:  parmi une dizaine de textes proposés par la Maison des auteurs de Limoges, un jury d’auteurs distingue un lauréat ; cette année,  Jonathan Bernier (Canada-Québec)  pour Danserault. Blotti sur une plage, au milieu d’un littoral où l’on ne parle qu’anglais, le vieil Hôtel Danserault, au charme désuet, a perdu de son lustre, tout comme la station balnéaire. Le retour de Damien, le plus jeune des fils Danserault, va tout bouleverser…
Le Prix Sony Labou Tansi des lycéens 2015:Un comité de lecture de quelque 600 élèves a décerné le prix 2015 à Sarah Berthiaume (Canada-Québec) pour sa pièce Yukonstyle publié aux éditions Théâtrales. La devise du Yukon, tout au nord du Canada, à la frontière de l’Alaska : «Larger than life ». C’est là que Kate fait du stop dans sa robe de Lolita trash, alors que dans leur cabane, trois marginaux  tentent de passer l’hiver. Il fait quarante-cinq degrés au-dessous de zéro… La rudesse du Yukon fait écho à celle des hommes : violence économique, individualisme, misère affective exprimée ici dans une langue très libre, à la fois dure et poétique. Pour la deuxième fois en deux ans, le prix est remis à un auteur québécois, ce qui montre une fois de plus la vitalité de cette écriture, qui sait aussi parler aux adolescents.
Là ne s’arrêtent pas les manifestations littéraires, il y en aura jusqu’au bout du festival. L’horizon de la Francophonie est large: le 2 octobre, des écrivains du Viet Nam seront à l’honneur. A suivre…

 Mireille Davidovici

 Les Francophonies en Limousin. T : 05 44 23 93 51 ; www.lesfrancophonies .fr  jusqu’au 3 octobre. Retrouvez l’univers de Sony Labou Tansi au Centre Wallonie-Bruxelles le 6 octobre à 12 h 30 pour une bistrot littéraire et le 9 octobre, à 20 h pour un spectacle : Amour quand tu nous prends, conception et mise en scène de Jean-Felhyt Kimbirima. 127-129 Rue Saint-Martin, 75004 Paris T. 01 53 01 96 96

 

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