Points de non-retour (Quais de Seine), texte et mise en scène de Alexandra Badea.
Festival d’Avignon
Points de non-retour (Quais de Seine), texte et mise en scène de Alexandra Badea
Avec sa trilogie Points de non-retour, l’auteure et metteuse en scène française d’origine roumaine, interroge la manière dont l’Histoire politique imprègne les êtres au plus profond d’eux-mêmes et détermine leur existence. Ces textes témoignent de notre monde actuel, imprégné d’une violence néo-libérale et prétendument dépolitisée.
Le premier volet de Points de non-retour concernait le sort tragique des tirailleurs sénégalais de Thiaroye et le destin imposé à certains de leurs descendants. Ce spectacle créé à la Colline en septembre 2018, alternait récits d’histoire et commentaires de ces êtres concernés par ces événements précis. Avec Quais de Seine,le second volet créé au festival d’Avignon 2019, l’auteure poursuit cette réflexion en révélant le poids conséquent des non-dits dans une sphère familiale.
Nora,journaliste radio, est hospitalisée à la suite d’une tentative de suicide. Elle rencontre régulièrement un psychiatre qui l’aide à se reconstruire, en recomposant avec elle un récit, alors que son passé est terriblement défaillant. Ainsi accompagnée, elle accèdera à une mémoire familiale interdite: bribes de souvenirs de ses grands-parents tombés dans une insoutenable tragédie. Dans la nuit si cruelle du 17 octobre 1961 la police tira sur des Algériens dont certains furent jetés dans la Seine, n’ayant pas respecté le couvre-feu imposé aux Nord-Africains par le préfet de Paris, un certain Maurice Papon, que l’Histoire rendra une fois de plus tristement célèbre.
La grand-mère Irène, une jeune pied-noir et son compagnon algérien Younès, originaires de Sétif, vient dans un intérieur parisien ici couvert d’un voile comme un rêve vaporeux surgi du passé. Irène est une jeune fille alors enthousiaste et volontaire qui survivra mais son compagnon et père de leur enfant ne pourra continuer la route: les parents de la jeune fille rejettent son idylle avec Younès. Les jeunes gens ont voulu vivre leur amour à Paris mais la police comme les harkis considèrent les Algériens selon le contexte de la guerre coloniale…
Pourtant, Irène s’inquiéte davantage que Younès, en lui affirmant qu’elle serait toujours à regret la fille de la conquête de l’Algérie. Lui s’étonnait de tels mots si peu prometteurs d’avenir et elle, aurait voulu oublier ces fausses racines qu’on lui avait collées : « Je n’ai pas choisi de naître là-bas. Je voudrais pouvoir parler sans que ça soit tout le temps vu comme la parole de l’oppresseur. » Selon elle, tous deux ont bien fait de quitter la terre algérienne, car tous là-bas et même ici, ont goûté à cette haine, même ceux qui ne sont pas encore nés. Pour Younès : «Fuir encore ? Etre un exilé à vie. Se battre toujours pour une place que personne n’a envie de te donner. Avaler les humiliations, le mépris, avaler toujours, faire semblant… » Alexandra Badea écrit en début de représentation sur son ordinateur, des lignes projetées sur un écran au lointain. Que retenir de l’Histoire qui nous a précédés? Joué par une équipe d’artistes binationaux: Madalina Constantin, franco-Roumaine (Irène), Sophie Verbeeck, franco-Belge (Nora), Amine Adjina, franco-Algérien (Younès), Kader Lassina Touré, franco-Ivoirien (le thérapeute), ce spectacle fin et rigoureux est sans doute trop fidèle à une mission pédagogique et mémorielle, ce qui entrave les possibilités de liberté de jeu…
Véronique Hotte
Théâtre Benoît XII, du 5 au 11 juillet.
Le spectacle sera repris à la Colline-Théâtre national, Paris ( XX ème).