Clouée au sol de George Brant
Clouée au sol de George Brant, traduction de Dominique Hollier, mise en scène de Gilles David
George Brant est un auteur américain dont les pièces : Marie et Rosetta (2016), Bon sur papier (2015), Banc de Les Pleureuses (2012), Trois Voyages du Lobotomobile (2012), Grizzly Mama (2011) et Grounded (2012) ont été jouées aux Etats-Unis, en Angleterre et en Australie.
Cloué au sol (Grounded) a été traduite en 2014 avec une aide de la Maison Antoine Vitez et fait partie des dix meilleures pièces de l’année selon le Guardian et l’Evening Standard et a reçu de nombreuses récompenses dont une nomination pour le prix Amnesty International Liberté d’expression. Clouée au sol avait été mis en espace en juillet dernier à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.
Ce monologue est la confession intime d’une jeune femme pilote de chasse dans l’U. S. Air Force qui possède une volonté féroce de servir au mieux son pays: « Je suis dans le bleu pour une bonne raison, J’ai des missiles à lancer, J’ai des Sidewinders, J’ai des Mavericks, Je les fais pleuvoir sur les minarets et le béton en dessous de moi. Ce qui s’élève du désert, Moi je le ratatine, J’en refais du désert, Des fragments, Du sable, Du moins je crois, Au moment de l’explosion, je suis partie depuis longtemps, Tiger et moi on est passés à un autre bout de ciel Boum Boum l’armée de merde de Saddam et puis je suis chez moi en permission. »
A la suite d’une rencontre amoureuse, elle attend un bébé, ce qui la rend folle de joie. Oui mais… ses supérieurs l’ont évidemment déjà écarté du service actif au Moyen-Orient et vont l’affecter, après une formation très pointue et coûteuse, au pilotage d’un avion très performant, lui dit-on! Mauvaise surprise: plus de ciel bleu qui lui manquait déjà : un elle commandera un drone assise devant un écran gris et à la tête d’une équipe, dans une caravane climatisée d’une base militaire secrète à Las Vegas…
Les États-Unis, on le sait, disposent plus de 7.000 drones en service depuis plus de vingt ans ! Dont environ 200 appareils de haute altitude comme les Predator, Repaer, etc. ce qui nécessite des budgets importants. Amnesty International accuse les États-Unis d’utiliser clandestinement ces drones pour des exécutions en violation absolue du droit international, et en faisant de très nombreuses victimes, comme au Pakistan, civils innocents, ou proches des personnes visées… Elimination garantie de personnalités et chefs de guerre ennemis mais aussi… dommages collatéraux sans réplique possible, et donc sans aucun danger physique pour les équipes américaines ultra-compétentes qui les commandent bien à l’abri dans un désert, à des milliers de kilomètres de distance.
Mais reste aux pilotes comme cette jeune femme, à concilier vie de famille et de couple (son mari est croupier dans un casino (on est à Las Vegas!) et à gérer cette guerre au quotidien sans état d’âme et à tuer au besoin. Très efficace, elle surveille une dizaine d’heures par jour, un autre désert que le sien, en mission comme avant mais sans bouger, face à un ennemi potentiel. Un jour, elle poursuit un homme souvent accompagné d’une petite fille qu’elle voit très bien sur son écran et qui pourrait être la sienne. Très perturbée, elle se refusera à déclencher la mitraillette du drone pour éviter de la tuer, ce que fera pour elle, et sans état d’âme, un de ses supérieurs. Mais discipline militaire: elle passera en cour martiale ! En prison, elle prendra conscience des crimes qu’elle est en train de commettre au nom des Etats-Unis…
George Brant a su donner une dimension humaine au personnage de cette jeune femme pilote, avec une grande économie de langage et le rythme nécessaire pour faire vivre ce monologue. Aucun doute là-dessus, remarquablement écrit, il va devenir un classique du genre… Le spectacle est sans doute un des meilleurs d’une rentrée théâtrale par ailleurs assez terne.
Grâce d’abord à une remarquable scénographie, signée Olivier Brichet, minimale et très efficace-ce n’est pas si fréquent et doit être souligné- soit un cube noir comme dans Le Dépeupleur de Samuel Beckettt joué sur ce même plateau (voir Le Théâtre du Blog), avec juste, un plateau carré blanc. Bien éclairé (Marie-Christine Soma) et avec un bel accompagnement sonore (Julien Fezans). Pour une fois, tout est dans l’axe. On oubliera, seule réserve, le début un peu laborieux avec phrases projetées sur fond noir …
Grâce surtout à l’exemplaire rigueur de la direction d’acteurs de Gilles David. Et au jeu de Pauline Bayle, cette jeune comédienne qui, après avoir fait Sciences Po, est passée par l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, puis par le Cons. A vingt-six ans, elle a déjà monté plusieurs spectacles dont cette année, une Iliade d’après Homère, unanimement saluée (voir Le Théâtre du Blog).
Droite dans sa combinaison kaki et ses rangers, avec une diction et une gestuelle impeccables, elle dit sa joie d’avoir eu un bébé un peu par hasard, de vivre avec le papa de ce bébé, sa déception de ne plus voler dans le bleu du ciel mais aussi sa grande fierté, elle une jeune femme, de diriger une équipe de spécialistes militaires.
Puis, on la voit devenir la proie d’une schizophrénie galopante dont elle n’a pas vraiment consciente et ne plus bien comprendre ce qui lui arrive à elle, officier supérieur appréciée… Toujours concentrée, très crédible, Pauline Bayle est au plus près du public pendant une heure et quart. Bref, un beau travail d’actrice, au service d’un beau texte.
Philippe du Vignal
Théâtre de Déchargeurs 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier). T : 01 42 36 00 50
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