Il pourra toujours dire…, texte et mise en scène de Gurshad Shaheman

Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, texte et mise en scène de Gurshad Shaheman

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

L’auteur donne voix à des migrants, ceux  qu’on entend peu car voués aux gémonies dans les terres d’Islam, du fait de leur orientation sexuelle. Il a connu lui aussi les chemins de l’exil depuis son Iran natal, avant de s’établir en France où il se forme à l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille. Pour sa deuxième mise en scène, après un triptyque autobiographique intitulé Pourama Pourama, il s’est donné «pour mission d’aller en quête d’autres histoires d’exil, d’amours interdites et de guerre, pour en rassembler les fragments sous forme d’un oratorio pour le théâtre. »

Et il a passé un mois et demi à Athènes et à Beyrouth, à écouter une vingtaine de jeunes gens (entre seize et trente ans) venus d’Irak, de Syrie, du Maghreb… fuyant leur pays pour diverses raisons : guerre, répression homophobe, antagonismes religieux… Une fois les récits individuels  collectés, il s’agissait de les tisser ensemble, de les mettre en forme en respectant la singularité de ces histoires, pour les rendre universelles. Mission accomplie: ces témoignages, réécrits avec délicatesse et talent, s’entrecroisent et se répondent, et composent une fresque chorale impressionnante. Articulée en trois parties : des récits d’enfance où l’on questionne son identité ethnique religieuse ou sexuelle, puis une exploration des causes de l’exil, et enfin une peinture des traversées de chacun(e).

Quinze jeunes comédiens, élèves de l’Ecole régionale des acteurs de Cannes et Marseille, s’approprient  avec justesse les mots de Gurshad Shaheman. Ils bougent peu et leur voix seule nous parvient, d’abord dans la pénombre. La presque immobilité des corps donne plus de force à leurs propos, au risque de rendre le spectacle trop statique. Mais Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète finit par  trouver son rythme, soutenu par la musique discrète de Lucien Gaudion. Il fabrique des climats sonores, composés de vibrations électro-acoustisques à variations infimes pour appuyer ces paroles qui portent comme des leçons de vie:  «On a une très forte relation/À notre valise/Nos valises/Dans le première valise tu transportes toute ta mémoire/Après tu découvres que ce n’est pas très important/Alors ta valise devient plus petite/De plus en plus/Et vraiment là/Tu ne prends plus que le stricte nécessaire/Et même ça tu pourrais t’en passer/A la fin/Ce qui compte/C’est que tu existes encore. »

Cet oratorio, partition pour orchestre vocal, se déploie dans un clair obscur qui se dissipe peu à peu pour un dernier témoignage en pleine lumière, sur la musique de C’est si bon, chanté par Joséphine Baker. Une note d’optimisme sur les chemins de la liberté. Une belle expérience à partager et on espère que ce spectacle créé au festival d’Avignon l’été dernier n’en restera pas aux quelques représentations programmées à Aubervilliers.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 février, Centre Dramatique National d’Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).  T. :01 48 16 16.

 


Les Idoles, texte et mise en scène de Christophe Honoré

, © Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Les Idoles, texte et mise en scène de Christophe Honoré

Christophe Honoré a quarante huit-ans et s’était fait connaître par un bel article iconoclaste en 1998 Triste moralité du cinéma français, où il attaquait notamment Marius et Jeannette de Robert Guédiguian  et Nettoyage à sec d’Anne Fontaine, ce qui avait provoqué un mini-scandale parisien. Il avait créé au festival off d’Avignon 98,  sa première pièce Les Débutantes qui connut un certain succès. Comme au cinéma : 17 fois Cécile Cassard et un téléfilm adapté de son roman Tout contre Léo.  Suivra en 2.004 Ma Mère adapté du roman de Georges Bataille.
L’année suivante, il créera dans le in d’Avignon, Dionysos impuissant, une adaptation des Bacchantes d’Euripide. Et trois ans plus tard, toujours pour ce même festival, Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Parallèlement, il réalisera plusieurs films dont un septième long-métrage,  Non ma fille, tu n’iras pas danser.
En 2012, il écrit et met en scène un pièce sur les écrivains du Nouveau roman  et signe avec d’autres personnalités une tribune dans Le Monde où il dénonce les propos tenus par des responsables politiques et religieux à l’égard de la communauté des homosexuels dont Christophe Honoré se revendique.

 Fin XXème siècle ; le sida frappe très durement les homosexuels en quelques années, et il nous souvient d’avoir connu, parlé, rencontré ou partagé un repas avec au moins une bonne vingtaine de victimes dans le monde artistique. Très connus comme Michel Guy, Jean-Luc Lagarce ou pas du tout, comme notre très jeune élève de l’École de Chaillot, et un accessoiriste de ce théâtre, puis le merveilleux marionnettiste américain Robert Anton. Bref, l’hécatombe…  Christophe Honoré avait vingt ans en 1990: année du décès de Jacques Demy et d’Hervé Guibert, écrivain, un an après celui de Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique. En 92 disparaissait l’excellent critique Serge Daney comme Cyrille Collard, le cinéaste des Nuits fauves. En arrivant à Paris, Christophe Honoré voit  trois ans après sa création Jours étranges de Dominique Bagouet, lui aussi mort du sida, un spectacle qui l’impressionne beaucoup.

Dans Nouveau Roman, Christophe Honoré rendait une sorte d’hommage à des écrivains  comme Michel Butor, Simon, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras ou Françoise Sagan. Et il évoque ici, en orphelin admiratif, Cyril Collard, mort trois jours avant ses quatre Césars, Serge Daney, Jacques Demy, Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce encore peu connu à l’époque. Ils se parlent, sur la vie, sur l’art, s’engueulent un peu, rient aussi. C’est une sorte de comédie qui n’en est pas une: tragique, avec ces morts qui annoncent clairement en scène qu’ils ont bien disparu : plane aussi sans cesse la mort mais aussi l’amour et le désir sexuel qui l’a entraînée, sans que rien ne puisse l’arrêter. Jusqu’à la découverte de l’AZT puis des trithérapies. Mais trop tard pour ces six artistes. C’est à une sorte d’hommage tout à fait sincère que se livre l’auteur.

Nostalgie de ces années-là ? Oui, pour l’œuvre et pour les hommes mais non pour le cauchemar que cela a représenté pour nombre d’entre eux. Christophe Honoré ne l’a pas oublié et nous non plus. Il dirige remarquablement ses comédiens sans jamais tomber dans l’illustratif : Collard (Harrison Arévalo) Koltès (Youssouf Abi-Ayad) Demy (Marlène Saldana), Guibert (Marina Foïs), Lagarce (Julien Honoré) et Daney/(Jean-Charles Clichet) se parlent vivants et morts confondus.  Et Christophe Honoé a assez d’humour pour faire passer les choses  et exorciser la mort. Mais comme nous le rappelait un ami chimiste chercheur à l’Institut Curie et qui a travaillé sur ce virus, un des plus meurtriers qu’ait connus la planète, et trop de jeunes gens croient encore que l’on peut guérir du sida, alors qu’on peut juste en empêcher le développement. Ce qui est déjà un progrès considérable…

Cela commence avec la voix off de l’auteur qui raconte comment arrivé tout jeune à Paris de sa Bretagne natale, il voulait « tout ressentir et tout comprendre »  et découvrir un monde artistique. Et quand il se confie, quand il parle de lui et de ce qui l’a touché, cela sonne juste et fort. Mais bon, passée la première demi-heure, l’ennui arrive vite malgré de belles images, et la scénographie d’Alban Ho Van très réussie : une espèce de hall en béton sous des gradins. Malgré aussi les merveilleux et très comiques petits ballets de Marlène Saldana dans son gros manteau de fourrure… Et on retrouve les même défauts que dans les spectacles précédents de Christophe Honoré.

Désolé, mais comment dire les choses avec franchise : il y a comme une certaine paresse dans l’air et la trop facile écriture de plateau a encore frappé ! Celle qu’il avait déjà employée pour Nouveau Roman et Fin de l’Histoire et qui ne tient pas ses promesses: les dialogues ne sont guère plus intéressants, que les trop nombreux solos. Et côté dramaturgie, on ne comprend pas bien ce qu’il a voulu faire avec cette évocation de la mort de Rock Hudson, même si Serge Daney en avait parlé dans Libération.

Pour le reste, cela tient souvent d’une sorte d’aide-mémoire peu convaincant. Et pour quel public? Les mots de Mireille Davidovici à propos de Violentes femmes (voir Le Théâtre du Blog) pourraient s’appliquer ici : « L’assemblage de ces propositions amusant mais hétéroclite, n’a aucune nécessité: le public s’ennuie malgré ses efforts d’attention et de beaux acteurs sur le plateau.” (…) « On n’a jamais l’impression d’avoir affaire à une texte vraiment fort mais plutôt à une sorte de démonstration.” Même encore une fois si c’est impeccablement dirigé et s’il y a de belles images, l’ensemble assez statique et peu éclairé, fait du sur-place pendant deux heures et demi, sans aucune pause ni entracte! Et pour dire quoi? Et surtout à qui?
« Tenter que le texte soit le lieu d’une vie revécue » pour construire ce spectacle ne nous a pas vraiment convaincus. Alors, à vous de voir.

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris VI ème. T. : 01 44 85 40 40 jusqu’au  1er février (surtitrage en anglais; le samedi 26 janvier).

La Golondrina de Guillem Clua, mise en scène d’Hélène Gkassouka

 

La Golondrina (L’Hirondelle) de Guillem Clua, traduction et adaptation de l’espagnol en grec de Maria Hatziemmanoyil, mise en scène d’Hélène Gkassouka
 
D68C2502-2CA0-4D75-A5D3-2B5C16636733Un titre symbolique u printemps et à l’épanouissement de la Nature.  Comme une allégorie de la fragilité des relations humaines où on est toujours entre la vérité et le mensonge, le secret et l’illusion. En s’inspirant de l’attentat terroriste en 2016 dans un bar gay d’Orlando (Etats-Unis),  Guillem Clua écrit un an plus tard l’histoire d’une réconciliation.

Il met ici en scène deux personnages qui apparemment ne se connaissaient pas mais qui souffrent d’une absence commune: un mort. La rencontre de Ramon, un jeune homosexuel et d’Amélia, une vieille professeur de musique et mère de Danny, l’amant de Ramon, révèle petit à petit une vérité douloureuse. La Golondrina se concentre sur une étude psychologique: Ramon et Amélia exposent leur façon de penser, leurs sentiments et leurs angoisses, tout en se libérant de leur culpabilité…

Chacun se sent enfermé dans ses remords et ses cauchemars, mais après un long débat, des révélations et des surprises, on découvre comment ils arrivent à comprendre et à accepter l’autre. Loin des clichés homophobes, cette pièce a été adaptée à  la réalité grecque actuelle  et témoigne de l’une des révolutions sociétales les plus marquantes de notre époque.

Hélène Gkassouka crée un spectacle riche avec des moments très sensibles… Il faut souligner la beauté de la musique de Thémis Karamouratidis et des lumières de Lefteris Pavlopoulos à l’ambiance mélancolique. Belle unité du décor et costumes de Marie Tsagkari avec le jeu réaliste de Sophie Seirli et Vassilis Mavrogeorgiou, tous deux exceptionnels. Ils incarnent leurs personnages avec passion, tout en soulignant les nuances psychologiques de ce mélodrame loin des pièces de boulevard aux personnages homosexuels caricaturaux, et où il y a une véritable émotion et un rire amer. Avec une indispensable réflexion…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Mikro Gloria, 7 rue Ippokratous, Athènes. T. : 0030 210 36 42 334

Letzlove-Portrait(s) Foucault

 letzlove-foucault

Letzlove-Portrait(s) Foucault, à partir de Vingt ans et après de Thierry Voeltzel, mise en scène de Pierre Maillet

 L’an passé, nous avions assisté, à la Comédie de Caen, à une première étape prometteuse de cette création, tirée d’un livre d’entretiens publié en 1978, et sorti de l’oubli en 2014, par les Editions Verticales (voir Le Théâtre du Blog). Il s’agissait, à l’époque, de réaliser le portrait-type du «garçon de vingt ans » dans les années  soixante-dix. Le jeune homme qui signe Vingt et après, répond aux questions d’un interlocuteur alors anonyme, qui se révèle aujourd’hui être Michel Foucault : « »S’il y a mon nom, on ne lira pas ce que tu dis.“ Michel pensait même qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait le mien non plus. Il aurait bien voulu un livre: Letzlove.» explique Thierry Voeltzel. Cette belle anagramme de son patronyme, proposée par Michel Foucault,  est le titre du spectacle.

Pierre Maillet garde la formule questions/réponses du livre et tient le rôle du philosophe dans cette pièce qui suit la chronologie des enregistrements constituant la matière première de l’ouvrage. Elle s’ordonne en séquences dialoguées, titrées selon les thèmes abordés : homosexualité, politique, conflits familiaux, militance, travail… D’abord intimidé par les questions du maître, le jeune homme (Maurin Olles) réplique avec de plus en plus d’aplomb.

 Le théâtre donne vie à ces personnages que les acteurs interprètent, plus qu’ils n’essayent de les singer. Pierre Maillet ne se grime pas en Michel Foucault, contrairement à sa démarche dans  un autre spectacle, La Cuisine d’Elvis (voir Le Théâtre du Blog). Maurin Olles puise en lui-même l’insouciance de la jeunesse… Et ils mettent surtout en valeur l’humour qui sous-tend cette conversation à bâtons rompus, à la fois sérieuse et qui s’égare avec bonheur.  Ils nous font aussi ressentir l’amitié ambiguë qui se cache derrière les mots. On sent ici l’homme mûr désirant, et le  jeune homme, éludant tout sentimentalisme. Une chronique des années 70, mais aussi celle, plus discrète, d’une relation amoureuse. 

 Mireille Davidovici

Théâtre Monfort 106 Rue Brancion, 75015 Paris. T: 01 56 08 33 88, jusqu’au 21 janvier.  www.lemonfort.fr

Du 28 février au 4 mars, au Centre Dramatique National de Haute Normandie/ Rouen et du 25 au 27 avril,  au Quartz  de Brest

 

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