Festival de magie à Semur-en-Auxois
Festival de magie à Semur-en-Auxois:
Pickpocket d’ Hector Mancha
Cela se passe dans l’ancien Tribunal de Semur-en-Auxois (Côte-d’Or)… C’est l’heure de la plaidoirie et du jugement pour Hector Mancha, un ancien repris de justice espagnol. Enfant, il volait des sacs sur les plages des îles Canaries d’où il est originaire. Féru de jeux vidéo, il les subtilisait dans les magasins et les entassait jusqu’au jour où son père lui demanda comment il les avait eus. Sa cleptomanie compulsive s’arrêta net et il décida alors d’utiliser sa maîtrise pour divertir les gens. Les jurés, plutôt dubitatifs, demandent à voir les techniques mises en œuvre par ce personnage facétieux, une pointure de la magie mondiale, champion du monde F.I.S.M. 2015 avec un numéro virtuose de manipulation.
Le pickpockettisme est pratiqué par certains magiciens qui en font leur spécialité avec la complicité du public: cela devient alors une démonstration spectaculaire de dextérité et de bagout. Il faut en effet absolument contrôler sa future victime par son assurance et par un flot de paroles… Un Allemand Compars Herrmann (1816-1887) et son frère Alexander (1844-1896) en sont les précurseurs, avec une séquence de vol à la tire, au début du XX ème siècle. L’un des premiers du genre, un magicien anglais d’origine française Fred Brezin, à Londres en 1906, se présente comme The Original and first pickpocket. Suivi par l’Allemand Walter Sealtiel (1890-1948).
En 1929, un Hongrois Adolph Herczog (1896-1977), alias Dr. Giovanni, fit sensation en Angleterre en volant une épingle de cravate au Prince de Galles. Une vedette auprès du public populaire des boîtes de nuit aux États-Unis et dans le monde entier. Dans les années 1930, les pickpockets investissent les music-halls et Nissim, un prestidigitateur bulgare, défraya la chronique: il avait été pris en flagrant délit de vol dans le métro…
L’âge d’or a lieu après la seconde guerre mondiale. Avec le célèbre Serbe polyglotte Borislav Milojkowic (1921-1998), surnommé Borra, roi des pickpockets ou le voleur de Bagdad. Père du numéro de cette discipline et créateur d’un style archétypal, il se vantait d’avoir dévalisé Scotland Yard, Interpol et le F.B.I . Il fut vite une star des cirques en Europe, avec un numéro commençant par une chasse aux cigarettes agrémentée de ronds de fumée, suivie par un «déballage» d’objets que, déguisé en placeur, il avait volés au public qui entrait dans la salle. Pour un grand final, il faisait venir plusieurs personnes sur scène et de façon virtuose, les volait aussitôt…
En 1949, le Danois Tommy Iversen (1921-1984), alias Gentleman Jack et sa femme Maj-lis, «l’aristocrate des pickpockets » présentaient sur les cinq continents dans de nombreux grands cirques et spectacles de variété, un élégant numéro dans un style british très élégant. Dans les années cinquante, des Européens se font aussi connaître: Borra Junior, Alf Melander, Boris Borsuks, Mark Raffles… Au même moment aux États-Unis, Victor Perry, pratique le mentalisme, l’escapologie, l’hypnotisme. Et considéré comme le meilleur pickpocket au monde. Mais grâce à un autre Américain, Fred Revello, alias Ricki Dunn (1929-1999), la discipline se démocratise. Auteur d’un livre-référence sur le sujet, il a mené une longue carrière aux États-Unis, sous le nom de Mr. Pickpocket ou Le Premier pickpocket de l’Amérique.
Dans les années soixante, apparaissent le Suédois Bob Arno et le François Dominique Risbourg qui commence à quinze ans! Il devint aussi magicien et ventriloque. Et à vingt ans, il travaille au Lido à Paris et, en vedette, à Las Vegas… D’autres se font connaître: le Letton Boris Borsuks, le Tunisien Kassagi (conseiller technique pour Pickpocket de Robert Bresson), Fred Clifton et les Français Joe Waldys, Gérard Mercier et Dody Willtohn, le Suisse Pierre Jacques, etc. Et plusieurs magiciens célèbres ont inclus une séquence de pickpocket dans leur numéro.
Pour introduire l’art de détrousser les autres de façon honnête, Hector Mancha propose une routine-prétexte fondée sur un seul et grand principe: détourner l’attention. Muni d’une boîte de chips, il réalise une hilarante adaptation du numéro dit des boulettes de Slydini. Il fait asseoir une spectatrice sur une chaise et lui demande d’ouvrir la boîte. Et il se propose de faire disparaître une chips dans sa main en réalisant un «faux dépôt» et en écrasant au-dessus de sa main la chips empalmée pour produire des «miettes magiques» qui font disparaître la première des chips! Après ces gags, Hector Mancha réalise ensuite de vraies passes magiques pour éliminer une demi-douzaine de chips une à une. En utilisant le fameux «geste au lancé de boulettes » et différentes techniques empruntées à la manipulation de pièces, comme la révélation sur l’épaule ou l’apparition dans la main du spectateur.Des classiques que l’on retrouve dans le Traité de la prestidigitation des pièces de Jean-Baptiste Bobo. A la fin, la spectatrice, aidée par le magicien, va faire disparaître le reste des chips restantes dans la boîte… en la secouant frénétiquement. Résultat : une flopée en tombe par terre. Après cette séquence comique, il rendra à la spectatrice.. la montre qu’il lui avait subtilisée!
Puis Hector Mancha demande à un jeune homme de venir sur scène qui, méfiant, sait qu’il va aussi essayer de lui subtiliser sa montre. Mais c’est bien le but, montrer que, même si la victime est avertie, cela ne l’empêche pas de la voler! Hector Mancha va alors proposer au volontaire de faire disparaître une pièce et de focaliser toute son attention sur cette pièce. Il réalise une disparition classique en main et la pièce réapparaît dans le pli de son pantalon, puis dans son poing. Et plus fort, il dit qu’il va la faire disparaître dans la main du jeune homme. Opération répétée plusieurs fois mais en vain. Pas grave… Entre temps, le magicien lui a bien volé sa montre!
Il démontre ici avec brio que, même sur le qui-vive, le cerveau peut être trompé car incapable de se concentrer sur plusieurs actions en même temps. L’illusionniste a bien conditionné sa victime, en lui touchant plusieurs fois le poignet pour l’habituer à la normalité de la chose… Et ensuite il s’offre même le luxe de lui voler son portable plusieurs fois de suite. Ensuite Hector Mancha détaille quelques techniques employées par les pickpockets comme le jeu de foot, la tache sur l’épaule, la bousculade dans un escalator ou un wagon de métro, la carte géographique et le journal utilisés comme couverture et écran, la veste sur le dos de la chaise… Mais il n’expliquera ni la pince ni la fourche, des gestes basiques mais essentiels pour voler des objets…
Il invite ensuite trois personnes, tire un billet de 50 € d’une petite bourse et le fait signer. Placé dans un foulard à clochettes à l’avant du pantalon d’une des trois personnes. Le porte-monnaie est montré vide et confié à quelqu’un d’autre. La personne avec le foulard dans le pantalon et donc gardien du billet signé, est ensuite victime du pickpocket qui lui vole portefeuille, téléphone portable, clés, lunettes, ceinture… avec la complicité des deux autres spectateurs… Pour terminer cette «routine», la victime est invitée à secouer son foulard et les grelots, puis le magicien extrait d’un seul coup le tissu pour montrer la disparition du billet… qui se trouve dans le porte-monnaie.
Mais un véritable pickpocket n’opère jamais seul dans la vie et, circonstance aggravante pour lui, il y a, dans ce cas, association de malfaiteurs! Avec des techniques très différentes de celles utilisées par les magiciens, ils font souvent appel à des accessoires sophistiqués. En investissant les endroits où il y a foule : métro, bus, champs de courses, grands magasins, etc. et où ont lieu bousculades et attouchements involontaires… Un terrain de jeu idéal pour passer inaperçu. Les victimes sont si préoccupées par tout ce qu’elles voient et entendent, que leur esprit «efface la sensation de la main qui les vole». Le cerveau ne peut avoir qu’un seul centre d’intérêt à la fois et enregistre donc la sensation la plus forte.
Le voleur, lui, travaille rarement seul mais entouré de deux « barons ».. Une bande très organisée de complices qui opère en trois étapes dont chacun est le garant. Le premier détourne l’attention de la future victime, le deuxième la dépouille de ses biens et le troisième emporte le butin hors d’atteinte, très loin… Le « chef de brigade » est celui qui vole la victime mais le terme peut aussi désigner le barreur (celui qui la repère), le bloqueur (celui qui la ralentit) ou le caleur (celui qui la conditionne aux attouchements). Les objets plus volés: portefeuilles et porte-monnaie, montres, portables, trousseaux de clés, etc. Certains attendent que leur proie soit saoule ou utilisent une bombe de narcotique, ou encore du savon liquide pour voler une bague. Le magicien, lui, prend des objets sans grande valeur: cravates, nœuds-papillon, ceintures, bretelles, briquets, paquets de cigarettes, agendas, stylos, voire même une chemise ! Mais quasiment impossible de subtiliser des bijoux sans que la victime ne s’en aperçoive, sauf certains colliers et bracelets.
Pour finir sur une touche plus poétique, Hector Mancha fait de l’ombromanie avec un télescope astronomique miniature projetant un halo de lumière sur le mur. Il enchaîne ainsi une vingtaine de figures du répertoire comme le chien, le lapin, le cygne, l’oiseau, l’éléphant. Mais aussi des célébrités comme Louis Armstrong chantant La Vie en rose d’Edith Piaf.
Cette conférence-spectacle est une belle idée de l’équipe de ce festival de magie orchestré par Gérard Souchet à l’intention du public profane mais aussi d’un autre plus averti… Un bon moment d’amusement et d’enseignement sur une discipline peu traitée et réservée à un cercle encore plus fermé que celui des illusionnistes… Et considérée comme un art annexe se transmettant surtout oralement ou que l’on apprend sur le tas… souvent à la limite de la légalité ou à l’aide des rares manuels sur le sujet.
Sébastien Bazou
Spectacle vu le 24 novembre à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or).