Une Maison de poupée, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza au Festival de Charleville-Mézières

 

Festival mondial des Théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières: vingt-deuxième édition

Une Maison de poupée, d’après Henrik Ibsen, mise en scène d’Yngvild Aspeli et Paola Rizza (en anglais surtitré)

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© Johan Karlsson

Cette artiste norvégienne a créé en France ses premiers spectacles (voir Le Théâtre du Blog) en France. Elle était venue étudier l’art de la marionnette à Charleville. Mais, comme Maison de Poupée qui ouvre ce festival, Chambre noire (2017), Moby Dick (2020) et Dracula il y a trois ans, ont vu le jour au Figureteatret sur l’île de Vestvago. Elle est directrice artistique de ce récent mais haut lieu de l’art de la marionnette.
Ici, Nora (Yngvild Aspeli) évolue parmi des marionnettes à taille humaine en costume sombre, port et visage sinistre. Il y a là tous les personnages du drame, y compris les trois enfants de Nora et Thorwald, blottis près du sapin de Noël. Les pantins semblent là de toute éternité: on les dirait poussiéreux ! et ils attendent de prendre vie entre les mains expertes de leur créatrice.

«Tout a commencé par le bruit d’un oiseau qui est venu se cogner contre ma fenêtre. (…) « Boom ». (…) C’était comme si, ce moment où les os de l’oiseau s’étaient fracassés contre le verre, quelque chose en verre à l’intérieur de moi s’était cassé aussi. » La marionnettiste se fait narratrice et nous invite à prendre nos distances avec cette pièce créée en 1879 et nous révèle les mécanismes intimes de ce drame  bourgeois mais visionnaire pour l’époque. Avant de mettre la robe de Nora, elle en tire une minuscule réplique d’un oiseau bleu tapi dans sa main.

Cette jeune mariée, alouette aux ailes légères, tendre et insouciante, que son mari Thorvald Helmer appelle de jolis noms d’oiseau, va se cogner aux murs d’une prison invisible quand elle prendra conscience de la réalité du monde qui l’entoure. Puis les austères poupées s’animent en séquences dialoguées, tirées de la pièce. A la fois, comédienne et manipulatrice, Yngvild Aspeli Ysgvilt prête sa voix à tous les personnages qu’elle anime, dont Nora qui virevolte, insouciante dans la maison. De temps à autre, ses enfants, visage poupin et corps de chiffon, sont pendus, muets à ses vêtements…
Nora a une dette qu’elle ne peut rembourser et qu’elle avait contractée en secret pour emmener son mari se soigner guérir en Italie. Plus grave, elle avait contrefait la signature de son père. Quand elle lui avoue sa faute, Thorvald la rejette comme une criminelle: «J’aurais travaillé avec joie nuit et jour pour toi, Nora… J’aurais tout supporté, privations et soucis, pour l’amour de toi. Mais il n’existe personne qui sacrifie son honneur pour l’être qu’il aime. » «Des centaines de milliers de femmes l’ont fait, lui répond Nora. »

Sur ces quelques mots, les illusions quant à son mariage vont tomber et son entourage lui apparait sous un jour nouveau et Nora va vite perdre le contact avec la réalité. La narratrice se dédouble alors en une marionnette qu’elle applique bras et jambes sur son corps. Puis Nora va danser avec elle une tarentelle, pour distraire et séduire son mari. De tarentelle, à tarentule, il n‘y a qu’un pas : une araignée tisse sa toile autour de l’intérieur bourgeois dont les murs au joli papier peint, se transforment en une sinistre toile d’araignée. Déjà plusieurs fois apparue ici, l’insecte change progressivement de taille et devient un monstre qui avale Nora après un corps-à-corps mémorable entre l’actrice, sa marionnette et les pattes velues de l’araignée.
A l’effigie du pantin Thorvald, Viktor Lukawski, apparaît: lui et sa marionnette tiennent un dialogue croisé avec l’actrice et sa poupée Nora
. Un tissage virtuose entre interprètes vivants et doubles factices… Puis, dans cette confusion, tout un bestiaire envahit le plateau: ailes, becs, plumes, pattes, bouches et corps d’araignée. Guro Skumsnes Moe s’est inspirée pour écrire sa musique, du rythme frénétique de la tarentelle, comme la chorégraphe Cécile Laloy,  une musique qui va monter en puissance. Nora avait appris cette danse lors du voyage en Italie…

Le travail visuel et sonore, les marionnettes conçues par Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison et Delphine Cerf, la scénographie de François Gauthier-Lafaye, les costumes de Benjamin Moreau et les éclairages de Vincent Loubière sont à la hauteur des ambitions de la créatrice: mettre en images et en perspective le  drame intime de Nora. Une Maison de poupée, écrite par un homme, pose la question du genre dans un monde dominé par le masculin.
Sans se laisser dévorer par son personnage, Yngvild Aspeli  fait ici preuve d’une absolue maîtrise de son esthétique et  des immenses ressources de la marionnette. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Ce spectacle a été joué les 16 et 17 septembre au festival mondial des théâtres de marionnettes, place de l’église Saint-Rémi, Charleville-Mézières (Ardennes). T. : 03 24 59 94 94.

En Norvège, du 15 au 17 décembre, Nordland Teater, Moi Rana (Norvège). 

Les 27 et 28 janvier, Notteroy Kulturhus, Tonsberg.

Du 8 au 11 février, Teater Innlandet, Hamar.

Les 6 et 7 juin, festival Heddadagene, Oslo.

Et du 12 au 20 mars, Théâtre-Centre Dramatique National de Dijon (Côte-d’Or). Les 23 et 24 mars,  Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine). Les 28 et 29 mars, Le Bateau-Feu, Dunkerque (Nord).


Hen, création et mise en scène de Johanny Bert

Festival d’Avignon :

 Hen, textes de Brigitte Fontaine, Perrine Griselin, Laurent Madiot et Pierre Notte, création et mise en scène de Johanny Bert

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Photo Christophe Raynaud de Lage

Ce corps-là est fabriqué de pièces et de morceaux, changeant, transformable, outré ou réduit par l’artiste Eduardo Felix : un objet incroyablement sensuel. Il a avec lui, tout de noir vêtus, main dans la main, Johanny Bert et Anthony Diaz. Manipulateurs ? Ils l’animent, le/la font entrer dans la vie et avec quelle intensité ! Hen est devant, en toute fluidité, comme un masque pour l’acteur qui lui donne sa (belle) voix en direct. Difficile de faire plus vivant, plus physique que ce théâtre d’objets, accompagné ici par Guillaume Bongiraud, au violoncelle et Cyrille Froger, aux percussions : des présences fortes, attentives, malicieuses, parfois ironiques, en réponse à ce qui se passe dans le castelet.

Johanny Bert donne ici une nouvelle facette à son art de travailler avec les objets, pour employer un mot simple et d’inventer à chaque spectacle un rapport neuf et juste entre les vivants, les marionnettes, l’espace, les matériaux et la musique. Sa patte ? Une capacité à se réinventer, sans capitaliser sur une forme qui serait une signature. Hen éblouit par une agilité et un rythme musical sans temps mort. La poupée fait corps comme jamais avec son acteur, traversée par sa voix : une nouvelle voie pour Johanny Bert, modeste et ambitieuse. Un spectacle dur et tendre à la fois. À voir et à partager.

Christine Friedel

Théâtre du Train bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon, à 17h10, les jours pairs jusqu’au 24 juillet. T. : 04 90 82 39 06.

Biennale internationale des arts de la marionnette

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Biennale internationale des arts de la marionnette

Incertain M. Tokbar,  par le Turak Théâtre, écriture et mise en scène de Michel Laubu et Emili Hufnagel

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© Romain Etienne

Il y a bien au début des allusions à la mémoire qui flanche. “ La dernière fois que j’ai vu ma mère, elle l’a dit: « Ah! C’est rigolo, vous avez le même nom que mon fils”.  “La mémoire est quand même un drôle de bazar.” (…) “Faut-il conserver mes souvenirs bien au frais ou au ( comme le fromage) à température ambiante pour qu’ils témoignent de leur saveurs, de leurs bruissements, de leur couleurs, de leurs parfums et de leurs goûts..?”  Mais très vite, le langage fera place à un théâtre d’objets d’une grande qualité avec entre autres une sorte de side-car /moto  dont les éléments se détachent, une tondeuse à gazon qui anime trois hippocampes, la même tondeuse à la fin broiera en milliers de petits morceaux des journaux, (belle métaphore de la mémoire qui disparaît), un frigo allongé  avec ajoutées deux oreilles et une trompe d’éléphant que chevauche un Hannibal coiffé d’un casque de fortune… Et surtout un mur de  quelque vint-cinq réfrigérateurs de tout modèle savamment empilés sur un grand praticable à roulettes où par derrière officient  des comédiens.  Cela fait penser un peu à la célèbre boutique que Ben possédait rue Le Tondu de l’Escarène à Nice. En tout cas, cette accumulation que n’aurait pas non plus désavoué un artiste comme Arman, est d’une grande beauté plastique et donne un contenu poétique à tout le spectacle.

© Romain Etienne

© Romain Etienne

Il y a aussi à un moment, quelques décervelages comme ceux que pratiquait le jeune et fabuleux artiste américain Robert Anton (1949-1984) dont les  marionnettes avaient une tête grosse comme le pouce. Manipulées par lui-même seulement sur un tout petit castelet. Reconnu en Europe mais presque ignoré dans son pays, il créa plusieurs spectacles- dont un tout à fait remarquable que nous avions vu en 75 au festival de Nancy. Atteint du sida, il préféra se suicider. Ici, une parenté certaine même si l’échelle n’est pas identique… Mais il y a ici la même force poétique, la même intelligence scénographique. la même absence de texte. Avec un ballet d’engins à moteurs à explosion et d’instruments hétéroclites à base de pièces détachées récupérés dont certains  ont pour écrin un petit frigo. Et qui prennent vie ou se détruisent devant nous. M. Tokbar a, comme ses complices, une drôle de grosse tête- admirable sculpture- au cerveau en quête de sens. Heureusement, s’il est est question de mémoire qui flanche, c’est juste par allusion au début. Ici compte surtout l’apparition d’images absolument surprenantes. Avec, pour finir, mais on ne vous la dévoilera pas, une étonnante multiplication (on dira pour faire court, platonicienne, avec la forme ou l’essence commune d’êtres de même espèce). Tout à fait étonnant! Là, on atteint  l’image grandiose, comme on en voit rarement et qui fait penser à la fameuse affiche des Frères Ripolin imaginée par Eugène Vavasseur. Cela ne dure quelques minutes mais a la puissance d’une installation qui pourrait figurer dans un musée d’art contemporain. Avis à leurs directeurs.

Côté mise en scène, rien d’inquiétant mais il faudrait resserrer un peu les boulons : il y a des baisses de rythme et quelques passages à vide mais qui peuvent facilement être corrigés comme la fausse fin… En tout cas, le public de Noisy-le-Sec où le spectacle s’est joué deux jours, a bien de la chance et l’a applaudi chaleureusement. Si le spectacle passe près de chez vous, surtout ne le ratez pas.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 18 mai au Théâtre des Bergeries, 5 rue Jean Jaurès, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis).

Du 21 au 23 mai, Comédie de Saint-Etienne.

TRACE.S, conception et mise en scène de Mathieu Enderlin

TRACE.S, conception et mise en scène de Mathieu Enderlin (spectacle tout public)

 59B85BB0-AE66-4EAC-A242-5F4A75338B6ATrois artistes nous entraînent dans l’univers de Georges Lafaye, l’inventeur du théâtre noir qui a révolutionné les arts européens de la marionnette et du théâtre d’objets dans les années cinquante. Les manipulateurs cagoulés, gantés et vêtus de noir, sont invisibles : seules les figures animées apparaissent dans un rai de lumière. Aujourd’hui oublié,  le théâtre noir a influencé bien des créateurs, en particulier le Tchèque Jiří Srnec qui a fondé le fameux Théâtre noir de Prague en 1961 mais aussi un peu plus tard le grand Philippe Genty.

Georges Lafaye avait fondé un «théâtre d’animation» abstrait, comme en témoigne le fonds qu’il a légué à la Bibliothèque Nationale de France. Mathieu Enderlin explore cet héritage et tente d’en retrouver l’esprit: «On n’allait pas prendre ses marionnettes mais en retenir quelques éléments comme les boîtes, gants et lettres, et reconstituer la boîte noire du théâtre : un gouffre où on plonge pour en faire émerger quelques chose. »

 Une rampe d’ampoules, une servante, des cadres lumineux et des lettres phosphorescentes qui se baladent dans l’obscurité, constituent l’univers de TRACE.S. Du noir profond  où sont immergés les manipulateurs, au risque de se cogner partout, naissent des formes géométriques. Lignes, triangles, points et caractères typographiques réalisent un ballet lumineux. Des mots noirs flottent sur des écrans blancs, des figures longilignes fluorescentes dansent, avant d’être avalées par la nuit… Un monde virtuel surgit devant nous avec des moyens artisanaux qui se dévoilent de temps à autre, pour bien montrer qu’il y a de l’humain derrière ces illusions.

«On essaye, dit Mathieu Enderlin, d’être dans l’expérimentation, comme Georges Lafaye qui avait renoncé à la médecine pour se tourner vers les arts plastiques et cinétiques». Le metteur en scène a conçu ce spectacle avec de jeunes marionnettistes stagiaires au Théâtre aux Mains Nues où il enseigne. Avec Thomas Cordeiro et Laure Lefort, il va pendant une heure donner vie à cette fantasmagorie poétique qui, fraîchement sortie de sa boîte noire, ne tardera pas à trouver son rythme de croisière…

 Mireille Davidovici

Du 14 au 23 mars, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris Vème. T. : 01 84 79 44 55.

 Le mardi 19 mars à 18 h 30 : découverte du fonds Georges Lafaye dans le cadre des mardis des arts du spectacle : Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu  58 rue Richelieu, Paris II ème.

Fonds Georges Lafaye : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b541000697.item

Kiss and Cry, idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael,création collective

Kiss and Cry , idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, création collective de Grégory Gosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé et Nicolas Olivier

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

La chorégraphe belge et son équipe reviennent à Paris avec trois spectacles : Kiss and Cry, créé en 2011 retrouve un public enthousiaste devant cet ovni où se mêlent danse, cinéma, manipulation d’objets, texte…Faire danser ses doigts sur une table de cuisine, filmer et projeter ce ballet en direct sur grand écran au-dessus de la scène: ainsi nait Kiss an Cry. Deux danseurs : leurs mains s’animent, sensuelles,  sur ce plateau miniature et sous un arbrisseau fiché dans un coin. La caméra s’approche et les filme sur Lascia ch’io pianga, une aria de Georg Friedrich Haendel.

Après ce prologue, l’équipe se déploie une heure quinze durant sur la scène encombrée de plusieurs plateformes, et bancs-titres, rails de travelling, ordinateurs, circuits de trains miniature électriques : l’un à l’avant-scène, l’autre au lointain… Soit pour faire naître un décor, pour filmer et pour éclairer les artistes dans des « nano-chorégraphies » à mains nues, aux paysages peuplés de figurines enfantines. Un dessin animé se fabrique sous les yeux des spectateurs, invités à regarder le film et sa réalisation.

Scénario simple: les mains et un narrateur racontent l’histoire d’une femme et de ses amours passés: cinq hommes croisés, aimés, disparus: «La première fois qu’elle était tombée amoureuse, ça avait duré treize secondes. Elle avait treize ans/ dans le train en retard de dix-huit heures quinze, voiture numéro quatre /chargé de quatre-vingt-six passagers dont un garçon de quatorze ans. (…) Ils étaient serrés. (…) Les mains s’étaient touchées. (…) Elle ne l’avait jamais revu. » Depuis, elle attend sur un quai de gare et regarde passer les trains: dans la vapeur de ses réminiscences, on entend Verdes Anos de Carlos Parades, un air qui reviendra, comme un leitmotiv. Où vont nos souvenirs ? Dans quel trou de mémoire, les gens que nous avons croisés, tous ceux que nous avons fréquentés puis perdus de vue, sont-ils tombés? dit le narrateur, et la caméra pénètre dans le pays de l’oubli, niché au fond d’un tiroir où se trouve une foule de petites statuettes figées dans le sable… La caméra zoome sur ce paysage et le rêve poétique disparaît dans un glissement de terrain. Ailleurs, des micro-caméras sur les trains électriques filment des paysages, animaux, fermes, maisons…

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

Opérant par distorsion d’échelle, le spectacle tend un miroir satirique à cette histoire empreinte de nostalgie. «Rien n’est grand ou petit, que par comparaison», dit Gulliver en arrivant à Brobdingnag. A l’aune des personnages principaux que sont les mains, les souvenirs de la vieille dame -représentée aussi par une poupée de playmobil- reprennent vie. Sa main tient celle de ses amoureux d’antan pour quelques pas de deux érotiques: les pouces s’enlacent, les doigts s’étreignent, les paumes s’épousent sous les draps, ou quand vient le désamour, se tournent le dos dans le lit. Selon l’humeur, le couple s’ébat sur des trapèzes volants ou s’affale dans le canapé devant la télévision pour voir une compétition de patinage artistique… Kiss and Cry, apprend-t-on, est le surnom des bancs où les  sportifs s’assoient pour attendre le verdict des juges. L’occasion d’un gros plan sur une main dansant sur la glace : l’index et le majeur dessinent d’harmonieuses figures, les ongles en guise de lames.

Ces doigts-danseurs traversent avec légèreté des univers miniatures qui s’emboîtent comme des poupées russes. Tempêtes dans un verre d’eau, cataclysmes en modèle réduit, et illusions d’optique se succèdent. Le cinéaste du fameux Toto le héros, et la chorégraphe, cofondatrice de la compagnie Rosas avec Anne Teresa de Keersmaeker avec qui elle travailla six ans, nous ouvrent un beau livre d’images, habité par les doigts habiles de Michèle Anne de Mey, Frauke Mariën, Grégory Grosjean et Denis Robert Obert, et filmé par Jaco Van Dormael et Harry Cleven. Le récit qui assure la cohésion entre les morceaux de bravoure, gagnerait à être plus laconique, mais bande-son, lumières et scénographie concourent à la magie d’une réalisation minutieuse.

Succèderont à ce spectacle, dans ce théâtre fraîchement rénové, de nouveaux jeux de mains avec Cold Blood (voir Le Théâtre du Blog) puis une création, dansée en solo par Michèle Anne de Mey, et mise en scène par Jaco Van Dormael. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Un autre avis:

Une affiche attirante et on nous annonce un spectacle totalement innovant joué par les doigts de danseuse avec une scénographie onirique. Michele Anne de Mey et Jaco Van Dormael auraient inventé un procédé inédit…  Cela se passe à la Scala, un nouveau lieu du théâtre privé, boulevard de Strasbourg à Paris, un ancien cabaret rénové par un couple passionné: Mélanie et Frédéric Biessy avec  un budget total de 19 millions d’euros dont 5 % financé par L’Etat et la Région Ile-de-France.
Plus de traces de l’ancien cabaret illustre: ici, tout est propre, aseptisé, un peu fade, malgré le bleu choisi par Richard Peduzzi, le scénographe de Patrice Chéreau.  La scène est encombrée de tables, d’objets et de caméras pour créer des effets spéciaux. Les cadreurs marchent déjà  de long en large en attendant le top-départ. Les lumières  s’éteignent et ils filment ces doigts qui dansent dont on voit l’image sur grand écran. C’est du théâtre d’objets avec quelques effets. Mais une fois de plus, on est au cinéma-théâtre, et sur le plateau, on voit sur grand écran les scènes filmées. Accompagnées par une voix off à la Marguerite Duras qui agit comme un somnifère!

Un quart d’heure, cela passe encore mais l’ennui monte vite, malgré quelques effets bien maîtrisés.Et on se pose la question: pourquoi, au lieu de passer par un plateau de théâtre, ne pas faire directement du cinéma d’animation? La salle n’est pas pleine malgré une presse dithyrambique mais le public est conquis. Pas nous. Mais vous n’aurez pas la « chance » de voir en 2019, ce spectacle qui n’est finalement qu’un dessin animé.

Edith Rappoport

Kiss and Cry jusqu’au 31 décembre. Cold Blood, du 4 au 27 janvier. Amor, du 29 janvier au 3 février.

La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris Xème. T. : 01 40 03 44 30.

 

 

 

Nosferatu, écriture, mise en scène de Julien Mellano et Denis Althimon

 
Nosferatu, écriture et mise en scène de Julien Mellano et Denis Althimon, à partir de huit ans

Bob-théâtreAprès Ersatz et Fulmine que la compagnie du Bob Théâtre avait présentés au Mouffetard et au Dunois, ce théâtre d’objets à faire peur, atteint ici son objectif avec une salle de jeunes enfants qui sont fascinés. Cela se passe au XIX ème siècle dans un château des Carpates, où est appelé pour affaires un jeune clerc de notaire. Sur son chemin, s’accumulent rencontres menaçantes et mauvais présages. Il arrivera quand même au château où l’accueille le sinistre comte Orlock. On pense bien sûr,  entre autres au roman de Bram Stocker et au film-culte de Murnau.
Tonnerre, obscurité due à des pannes de courant, musique dramatique et effets de suspense: Julien Mellano et Denis Althimon, en croque-morts impassibles au visage livide, reprennent aujourd’hui ce théâtre d’objets, petit bijou du répertoire du Bob Théâtre qui  avait été nommé aux Molières Jeune public en 2008.
Ce Nosferatu se joue sur une table avec un chaudron et juste deux acteurs qui manipulent des objets: «Vivants, vivantes, sachez que la plus grande force du vampire est que personne ne croit à son existence!» On a droit à des projections de voyages en Transylvanie et rien ne nous est épargné pour nous glacer de terreur en un clin d’œil…
Comment prendre du plaisir à avoir peur à un spectacle de théâtre  ou au cinéma? Un paradoxe … depuis les vieilles légendes horribles où le sang coule jusqu’à la reconstitution de faits divers bien sanglants? En tout cas, ici le contrat est ici remarquablement rempli et avec beaucoup d’humour.

Edith Rappoport

Spectacle vu le 8 avril au Mouffetard-Théâtre de la Marionnette, rue Mouffetard Paris Vème  jusqu’au 13 avril. T. :  01 84 79 44 44.

Tremblez machines et Animal épique de Jean-Pierre Larroche

Tremblez machines et Animal épique de Jean-Pierre Larroche

©Eric Sneed

©Eric Sneed

Leurs mains, elles, ne tremblent pas : ni celles de Catherine Pavet sur son piano bricolé, ni celles de Jean-Pierre Larroche tirant des fils et des traits. Un métronome paresseux (il leur faut sans cesse le remonter) rythme leur travail, et ils ne dévient pas: ils ont quelque chose à faire, à quatre mains qui, parfois, se rejoignent sur le clavier d’un piano; parfois, il leur faut aussi un second piano, tracé au feutre blanc sur fond sombre. Une succession de courbes régulières, dessinées à deux, changent de vocation en route et finissent par former des têtes.

«Mais je ne sais pas faire un visage qui ressemble», dit une phrase venue s’afficher par magie. Il arrive à ces acteurs musiciens-peintres-magiciens de parler, mais très peu. Les mots ne sont pas leur langage. Donc comment parler de cette création plastique avec son, comme une performance en train de se faire, même si elle a été répétée et mise au point. Nous sommes embarqués dans le processus,  silencieux, séduits, avec un sourire de temps en temps. Au passage, ils reconstituent L’Homme à l’oreille coupée de Vincent Van Gogh, et tout se fait et se défait devant nous en temps réel. Pas si fréquent, si l’on y réfléchit : un moment de temps réel, plein.

Animal épique-de la même densité mais d’un autre ordre-est-il ce monstre délicieux à tête de plumes, bras d’agneau et robe du soir que nous montre Zoé Chantre? Où est-il? Dans le film qui montre sa quête et ses traces à travers bois? Dans les quatre pattes d’une sorte de table brinquebalante, légère comme des jambes de biches, dans le cœur d’un menhir? Sur les cartes murales où s’inscrivent ses traces? Ou dans l’œil de celui qui l’a vu… Comme toujours, Jean-Pierre Larroche fait confiance au déséquilibre, à la fragilité et à la résistance des matières, pour fabriquer des objets pouvant devenir animaux épiques.

Impossible de dire la grâce de ces objets indéfinissables qui persiste même après leur “déconstruction“: tout est dans la concentration du geste, qui devient à l’instant le plus précieux du monde, et devant lequel on retient son souffle. Il ne faut pas manquer ces acteurs tout simples. (Jean-Pierre Larroche a des airs de Buster Keaton). Ils ne se la jouent pas, bien trop occupés à leur mystérieux et merveilleux travail poétique…

Christine Friedel

Spectacle vu le 18 mars au Théâtre Dunois, 7, rue Louise Weiss, Paris XIII ème. T. : 01 45 84 72 00.

T. J. P.  à Strasbourg, le 21 mars, dans le cadre des Giboulées de la Marionnette, Biennale internationale corps objet image.

Mange tes ronces

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Festival d’Avignon:

Mange tes ronces,mise en scène de Manah Depauw

Le côté obscur du jardin : quelle aventure ! De l’encre de Chine, des marionnettes en papier, des vidéo-projecteurs, deux manipulatrices et un bruiteur-musicien qui officient à vue… Le dispositif artisanal de ce savoureux spectacle d’ombres, aussi humble que remarquable, fait songer à Dark Circus de la compagnie Stereoptik.

Mais ici, pas de prouesses fabuleuses du type: saut périlleux ou dressage de lion. C’est le fantastique niché dans le quotidien que cette compagnie belge choisit de mettre en scène. Deux personnages à languette: Léopold, un garçon de six ans et sa grand-mère, tâtonnent dans leurs relations. Un sens aigu du bricolage de génie les fait évoluer dans un univers de calques, d’aquarelles et de cartonnages.

Le conte privilégie la simplicité-il s’agit d’aller couper des orties, en évitant les ronces et de manger sa soupe-mais n’est en aucun cas simpliste. Les personnages ont leurs zones d’ombre  et Manah Depauw a esquissé avec finesse des thèmes délicats comme la crainte de manquer d’amour après la naissance d’une petite sœur, la défiance vis-à-vis des personnes âgées…  Mamie Ronce a en effet de quoi effrayer : un caractère bien trempé, des yeux qui roulent dans tous les sens et un chien agressif, nommé Moquette. Et elle ne ménage personne: pas question de la déranger pendant son feuilleton préféré!
Elle tient un peu de la sorcière et de Tatie Danielle avec son poil au menton, son chignon hirsute, ses lunettes papillon vert bouteille et elle a des répliques mordantes. Quelle réussite ! Cette Mémé qui n’a pas sa langue dans sa poche, doit beaucoup à Virginie Gardin qui lui donne sa voix avec un plaisir communicatif et qui a l’accent et les humeurs revêches de son personnage : l’animation est autant sur les écrans-très bien coordonnée-que sur son visage. Un engagement et un charisme réjouissants…
Et quand la faux de la Mémé valse au rythme du hukulélé : quelle swing ! L’univers graphique, noir et écru, de Théodora Ramaekers, égayé par les couleurs de la maudite soupe, infuse un fantastique à hauteur de regard d’enfant.  Mais nous n’en dirons pas plus.
Courrez voir cette cuisine tendre et piquante: Manah Depauw a la générosité de nous livrer ses recettes de fabrication et bouillonne d’énergie et d’invention! Le public ne s’y trompe pas et en redemande avec gourmandise.

Stéphanie Ruffier

Théâtre des Doms, du 7 au 27 juillet à 16h45, relâche les 13 et 21. T: 04 90 14 07 99.

 

 

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