Prison, au-delà des murs

Prison, au-delà des murs 

Photo Eric Cabanis. AFP

Photo Eric Cabanis. AFP

La prison, une institution relativement récente en Europe mais dont l’efficacité  connaît aujourd’hui ses limites et suscite bien des questions. Cette exposition, coproduite par le Musée des Confluences, le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de Genève et le Deutsches Hygiene-Museum de Dresde, nous présente, derrière les barreaux, un univers où corps et esprits sont surveillés et punis pour protéger la société et réhabiliter éventuellement les criminels. Un paradoxe bien mis en valeur: comment exclure, tout en préparant le retour à la liberté ? On montre ici la réalité de la vie carcérale et offre de nombreux témoignages audio et vidéo de ses différents acteurs mais aussi des objets et des données chiffrées.

 En amont, le visiteur est invité à un théâtre d’ombres, peuplé de personnages virtuels, joués par des comédiens : sortes d’hologrammes filmés en 3 D  et projetés dans l’espace. Un long et étroit couloir mène à trois chambres : des cellules de la prison. Dans la première, tels des animaux en cage, hommes et femmes racontent leur confinement. On reconnaît des bribes de textes classiques comme La Vie est un songe de Pedro Calderón de la Barca : «Qu’est-ce que la vie ? Une fureur, une illusion, un cri. » (…) « Sans avoir vu le jour depuis vingt ans, je vis enfermé dans un cachot horrible.» Dans ce contexte, ces phrases, intemporelles et universelles, ont une résonance particulière.

Plus loin, comme au parloir, postés devant une vitre et l’oreille collée à un écouteur, nous voyons un homme ou une femme assis qui s’adresse à nous. Un jeune homme, hagard: «A cause de la guerre, on a dû émigrer, on a pris le train. On est devenus des clandestins. » (…) « On a des avocats qui bossent pour nous gratuitement.» Un autre, l’air souffreteux : «Ici, c’est la misère, tout le monde est démoralisé, malade. » « Je me réfugie dans la routine, dit aussi une femme. Je suis obsédée par la propreté.» Une jeune fille, un livre fermé devant elle: «J’ai essayé de lire. J’y arrive pas. Quand je lis, tout ce que les personnages font et que je ne peux pas faire, ça me déprime.»  Leurs mots viennent d’ateliers menés par la comédienne Marion Talotti avec les détenus de la prison à Saint-Quentin-Fallavier.

Troisième étape de cette déambulation : nous voici, par un jeu de miroir et de transparence, les murs pour un temps abolis, à la fois à l’intérieur de la cellule et projetés dans une forêt, en pleine nature, où s’ébattent (s’évadent) les prisonniers. À la lisière du réel et de l’imaginaire, notre point de vue se déplace : sommes-nous de simples visiteurs ou sommes-nous aussi en détention ? : «Nous vivons tous à l’étroit dans une chambre immense », disent en exergue Joris Mathieu et Nicolas Boudier, concepteurs de ce parcours immersif avec l’équipe du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon.

Autre expérience sensorielle déroutante : confinés dans une pièce, nous entendons les bruits de la prison: cris, pas, bruits de clefs et serrures, un enregistrement réalisé et diffusé par France-Culture.  Ces viatiques en tête, on aborde la suite de l’exposition. Le scénographe Tristan Kobler a conçu trois grands modules entourés de barreaux rouges, marquant la frontière entre le dedans et le dehors. Derrière ces grilles, d’abord un espace dédié aux règles régissant l’univers carcéral et aux rapports de force qu’elles engendrent, avec à l’appui : documents-papiers ou audiovisuels, objets fabriqués par les prisonniers. Dans un deuxième module, se déploient les exutoires pour survivre à l’enfermement : le travail, l’expression artistique, les  moyens inventés pour communiquer avec l’extérieur. Et dans des vitrines, de belles réalisations de peintures, sculptures, installations.

 Un troisième espace est dédié à la transgression et à l’évasion montre les différents modes de la révolte en prison : caches pour les objets interdits comme stupéfiants, alcool, nourriture, téléphones portables, cigarettes… et astuces pour les trafics. L’imagination est ici sans limites pour détourner les objets. Par exemple, une corde rudimentaire pour se faire la belle, des épingles, lames de rasoir, fourchettes ingérées pour aller à l’infirmerie ou tenter de s’enfuir. Et on peut voir des photos de mutineries…

L’espace central de l’exposition se concentre sur les problématiques générales et actuelles. Avec des données statistiques, des témoignages du personnel pénitentiaire et de justice, des paroles de détenus. Dans le documentaire A l’ombre de la République de Stéphane Mercurio, Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté, rappelle les marques profondes et irréversibles infligées par la prison. La réclusion joue le rôle attendu de contrôle en isolant les criminels mais a des conséquences sur les individus.

La prison est-elle la seule réponse ? La visite se conclut sur les alternatives mises en place avec, par exemple, le principe de réparation qui existe dans les sociétés traditionnelles où, au lieu de priver un individu de liberté,  la Justice vise à sa réintégration, en le confrontant à sa victime. La Justice restaurative de la documentariste Pauline Brunner et Marion Verlé montre comment une personne agressée, blessée ou trompée, peut, en rencontrant son agresseur, obtenir réparation, s’il reconnait ses actes. Cette «justice restaurative » commence à émerger en France. Johanna Bedeau, avec son film Détenus victimes, une rencontre s’intéresse à des confrontations entre détenus en longue peine et victimes qui ne se connaissent pas afin qu’ils dialoguent et essaient de se comprendre. Nos lois prévoient aussi des alternatives à la prison : A l’air libre de Nicolas Ferran et Samuel Gauthier est tourné dans une ferme en Picardie qui accueille des détenus en fin de peine. Entourés de salariés et de bénévoles, ces hommes tentent de se reconstruire avec un véritable projet de vie…

En éclairage, des œuvres d’artistes contemporains (Mohamed Bourouissa, Didier Chamizo, Jessy Krimes, Marion Lachaise, Ernest Pignon-Ernest, Jean-Michel Pancin, Mathieu Pernot) nous invitent à la réflexion. Laissons au poète le dernier mot de ce voyage : « Les pires actions, comme des mauvaises herbes/ Prospèrent dans l’air des prisons / Seul, ce qui est bon en l’homme/ S’y détériore et s’y dessèche/ La pire Angoisse veille au lourd portail /Et le gardien est Désespoir. » écrivait Oscar Wilde dans la Ballade de la geôle de Reading (1898).  Si vous êtes à Lyon ou y passez, Prison au-delà des murs vous inspirera…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 26 juillet, Musée des Confluences, 86 quai Perrache,  Lyon (II ème), (Rhône).


Comparution immédiate II: une loterie nationale? de Dominique Simonnot et Michel Didym

©Eric Didym

©Eric Didym

 

Comparution immédiate II : une loterie nationale? de Dominique Simonnot et Michel Didym

Journaliste au Canard enchaîné depuis treize ans, spécialiste des affaires judiciaires après avoir créé à Libération la chronique Carnets de justice, l’auteure est passée par la case prison… Jeune éducatrice au Service pénitentiaire d’insertion et de probation, elle a conservé un fort attachement au devenir des personnes incarcérés et à leur parcours personnel. Dès 2017, Michel Didym s’est emparé de ses Chroniques pour créer au théâtre Comparution immédiate : une justice sociale?

Deuxième volet dans les sous-sols de ce qu’on appelait « les flagrants délits », Comparution immédiate II : une loterie nationale ? interroge de nouveau (le metteur en scène tient à ce point d’interrogation) les conditions dans lesquelles sont traités les prévenus : arrêtés sur le fait, jugés par des tribunaux surchargés, accompagnés par des avocats commis d’office, leur personnalité et leur passé judiciaire sont souvent des paramètres à charge.

Dominique Simonnot a écumé les tribunaux de la région parisienne : Versailles, Bobigny, Nanterre, Paris… mais aussi ceux de Rouen, Toulouse, Bordeaux, Nancy, Toulon, Lille, Boulogne-sur-mer… Partout, la même fatigue des procureurs qui reçoivent parfois, en cours d’audience, de nouveaux dossiers à traiter ; le même humour désenchanté des présidents ; la même impréparation des défenseurs. Elle retranscrit (sans en modifier les dialogues),  ce que le spectacle nous laisse appréhender : l’immense désolation des prévenus. Tous jeunes, quelquefois étrangers, la plupart  du temps des hommes, qui combinent vie précaire, alcoolisme, chômage, petite délinquance, violences familiales et, bien sûr, récidives.

Mais dans ce qu’il faut bien appeler le cirque de la justice expéditive, le spectacle s’attarde sur chacun et, grâce à l’interrogatoire de personnalité, se fait alors jour une enfance maltraitée, l’absence de diplôme, la peine à s’exprimer et quelquefois des antécédents psychiatriques. Michel Didym a choisi Bruno Ricci pour incarner tour à tour président, procureur, avocat, prévenu et même parfois huissier. Il enchaîne ces comparutions avec une grande délicatesse de touche, quand se joue une vie en mois de prison, avec ou sans sursis. Dans ce tour de France, on sent bien qu’on n’est pas jugé de la même manière à Paris, Lille ou Nancy. Les sensibilités personnelles comme la fatigue du président et les plaidoiries plus ou moins inventives des avocats, se combinent alors pour faire tourner la roue de la Justice.

Marius, Aziz, Kevin, Laurent, Eric, Karim, Samy, Milos, Eddy, Aurélien, Noël… existent à travers leur vie ici concentrée autour d’un délit : cambriolages, trafic de shit, aide à l’immigration illégale, conduite sans permis, violences conjugales. Au passage, un «gilet jaune». Et ces trois jeunes filles qui attaquent des personnes âgées : en quelques minutes, défile l’engrenage des difficultés, ce qu’on pourrait appeler le pas de chance… En filigrane, transparaît la pauvreté de ces tribunaux qui incarnent pourtant la puissance de l’Etat : fuites d’eau, manque de personnels, absence de suivi des dossiers, auditions tardives, parfois jusqu’à trois heures du matin !

Sans compassion particulière envers les prévenus, ni volonté d’instruire à charge contre l’institution judiciaire, Dominique Simonnot comme Bruno Ricci donnent à chaque audition la qualité d’un petit théâtre humain où les plus démunis sont confrontés à des lois dont ils ne  peuvent assimiler les termes. Ou qu’ils ne respectent pas, pour arriver à survivre dans les marges que la société leur a ménagées. Dans quel état sortiront-ils de ces peines de prison qu’on leur signifie à coups de marteau ? Tel est le vrai sujet de Dominique Simonnot qui a eu le temps de se confronter à   l’indigence des systèmes de réinsertion….

Dans ce théâtre documentaire, l’acteur – central – est ici tous les hommes et donne à chacun ses raisons. Et lorsqu’il lit les lettres, poèmes ou textes écrits par des prisonniers dans un atelier d’écriture, leurs rêves et leurs désirs s’adressent à nous, à travers les barreaux…

 Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 2 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).

Les 4 et 5 février, Théâtre de Grasse, 2 avenue Maximin Isnard, Grasse (Alpes-Maritimes).

Too much Time/Women in Prison d’après Jane Evelyn Atwood, adaptation et mise en scène de Fatima Soualhia Manet

 

 Too much Time/Women in Prison d’après les photos et le texte de Jane Evelyn Atwood, adaptation et mise en scène de Fatima Soualhia Manet

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©Jane Evelyn Atwood

Dans la pénombre du plateau vide, devant un grand écran où seront projetées les clichés de Jane Evelyn Atwood, six comédiennes (dont le metteuse en scène) donneront voix, une heure durant, à des femmes que la photographe a rencontrées derrière les barreaux de 1989 à 1998. Une immersion dont elle n’est pas sortie indemne :  «Il m’a fallu beaucoup de temps “pour sortir de prison“ dit-elle dans un extrait filmé, au début du spectacle. Quand ce reportage a été achevé et publié,  j’avais les cheveux gris et tout le monde utilisait un téléphone portable .» 

Après une plongée dans l’univers des prostituées rue des Lombards à Paris il y a une trentaine d’années, la photographe américaine «fascinée par les mondes clos» et la vie des exclus, se rend dans une quarantaine de prisons en Europe comme aux Etats-Unis. Elle réussit à pénétrer dans les pires établissements, jusque dans les quartiers des condamnées à mort et en est revenue avec des images saisissantes et des témoignages des prisonnières et de leurs gardiens. Dans Trop de peine/Femmes en prison, avec cent-cinquante clichés en noir et blanc, elle montre le quotidien de ces femmes privées de liberté…

Pour Fatima Soualhia Manet, il ne s’agissait pas de reproduire le livre mais de mettre en perspective les paroles croisées des détenues, de l’administration pénitentiaire et de la photographe. Et d’ouvrir ainsi l’espace de la prison, en apportant au public leurs points de vue. Les comédiennes se déploient ensemble, avant de faire entendre chacune:  Gwen, Linda, Brenda, Lynn, Karen… Comment en sont-elles arrivées là, et comment survivent-elles à la culpabilité d’avoir tué leur enfant ou leur conjoint… Comment aussi sont-elles considérées et traitées, et avec quelle différence par rapport aux hommes… Leurs confidences donnent à réfléchir, autant que nous choquent les propos cyniques d’un préposé au couloir de la mort, ou les statistiques sur les délits  féminins, portées par le seul homme de la distribution…

Plus parlantes que tout témoignage, les photos, à la fois réalistes et poétiques, apportent une clarté bienvenue à la noirceur de ces vies recluses. Le jeu des actrices, d’une grande sobriété, évite le pathos, et le spectacle nous interpelle sur des questions souvent passées sous silence. Nous découvrons aussi la beauté des images de cette grande artiste, installée en France depuis 1971, solidaire des grandes causes, et qui, par la suite, avec Les Sentinelles de l’ombre (2004) dénonça les ravages des mines anti-personnelles, après quatre ans d’enquête au Cambodge, Mozambique, Angola, Kosovo et Afghanistan. «Avec des photos provocantes, accompagnées de témoignages de prisonnières, écrit la militante américaine Angela Davis, Jane Evelyn Atwood présente un portrait complexe des conditions où vivent les femmes derrière les barreaux, »

En attendant leur ouverture dans quelques semaines, Les Plateaux sauvages, établissement culturel de Ville de Paris,  jouent hors leurs murs. Ce théâtre-documentaire fait bouger notre regard sur ces femmes en (trop) longues peines. Il faudrait que la justice prenne en considération les souffrances qui ont provoqué leur passage à l’acte. En France, on a fait quelque chose en ce sens, quand  Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de réclusion pour le meurtre de son mari, a été graciée en 2016.

Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué au Cent-Quatre, Paris XIXème du 27 au 29 mars.
La Loge, 77 rue de Charonne, Paris XIème du 17 au  20 avril.
Les Plateaux sauvages, 5 rue des Plâtrières Paris XX ème. T. : 01 40 31 26 35.

Trop de Peines, femmes en prison  a été publié chez Albin Michel  (2000).

Prison Possession, de et par François Cervantes

 

 

©Melania Avanzato

©Melania Avanzato

Prison Possession, de et par François Cervantes, à partir d’une correspondance avec Erik Ferdinand

François Cervantes témoigne ici d’une expérience épistolaire avec des détenus : soit l’écriture d’un homme seul, comme habité  par l’autre. En janvier 2012, l’auteur, metteur en scène et comédien, visite la prison du Pontet, près d’Avignon : les détenus, dit le bibliothécaire, demandent des recueils de poésie ou des autobiographies ; certains vont jusqu’à découvrir ici la fascination de la lecture et ses pouvoirs. L’un d’eux lui écrit un jour: «Je tiens un livre comme si j’avais ma vie entre mes mains, je ne peux plus le lâcher, je veux connaître la fin. »

 Ainsi, commencent des échanges de lettres avec des détenus isolés dans une société qui les exclut : ils savent qu’ils suscitent une incompréhension réelle: «La prison coupe les liens qui relient un individu aux autres et au monde. Un homme est amputé du monde, et le monde est amputé d’un homme. Et couper ces liens, ce la revient à couper ses pensées. »

 En même temps, l’acteur redécouvre le folklore du courrier postal, les enveloppes en circulation, les jolis timbres à coller, le mystère des écritures tracées  à la main.Entre l’écriture de l’émetteur et la réception de la lettre-différée-par le destinataire, s’ouvre un abîme, une attente, une possibilité d’ouverture, une espérance en travail.

 Il s’agit d’un simple lien, merveilleux (ni amitié, ni fraternité) dont l’importance est extrême, et à laquelle chacun des deux partenaires donne son plein consentement.  François Cervantes revient sur son enfance où il lui était difficile, de parler à ses proches : «J’apprenais à écrire pour apprendre à parler. »

 Erik, un détenu s’exprime à travers la parole de l’auteur qui livre ici son texte sur le plateau: même solitude et même isolement. L’un vit la situation à l’extérieur pour la transcender grâce à l’art de se dire et d’écrire, et l’autre ne peut échapper au gouffre immense qui le saisit. Toutefois, Erik, conscient de l’aventure qui le happe de façon inattendue, vit dans un néant sans fond, absent à lui-même par la force des choses. Puis il ressuscite à sa manière, dans le regard de l’auteur qui le place sur une scène pour qu’il puisse être entendu enfin comme individu.

 Le prisonnier mis à l’isolement ne se sent plus vivre, ni appartenir à la société des hommes : la peine est trop lourde d’être ainsi coupé de son prochain. La réception des lettres de François constitue pour Erik ce à quoi, seul, démuni de tout, il peut accéder en dernier recours, un partage d’humanité. François Cervantes dispense patiemment la parole réfléchie et distante d’Eric, l’expression d’une sensibilité à fleur de peau, une clarté éloquente, l’instinct de la présence de l’autre avec qui pouvoir parler, en toute liberté, gratuité et bonté.

 Un spectacle tendu et sincère pour un échange avec cet autre qui est soi-même.

 Véronique Hotte

Gilgamesh Belleville, boulevard Raspail, Avignon (ancien Flunch) jusqu’au 28 juillet, à 12h25, relâche les 11, 18 et 25 juillet  (à partir de 13 ans). T : 04 90 89 82 63

 

Une longue peine, mise en scène de Didier Ruiz

© Emilia Stéfani-Law

© Emilia Stéfani-Law

 

Une longue peine, mise en scène de Didier Ruiz

 

Le titre ne comporte pas de nom d’auteur, mais pas de hasard : les cinq personnes sur scène ne sont pas en quête d’auteur, puisqu’elles le sont elles-mêmes, avec  leurs témoignages terribles que Didier Ruiz a mis en scène avec une clarté, une force et une modération exemplaires. À peine quelques projections vidéo, une bande-son d’une constante discrétion (et sans le pathos d’usage quand on parle des prisons), des éclairages soignés : bref, du beau travail.
Le principal, ces hommes et cette femme. Cinq personnes normales, graves, parfois drôles, qui racontent les horreurs de la prison. Pas trop de détails sur leur parcours mais un arrière-fond social, familial, qui, sans y mener fatalement, a savonné la pente…  André, Eric, Alain, Louis, et aussi Annette , ont effectué de longues peines. L’un d’eux plaide toujours son innocence, les autres ont, comme ont dit, payé leur dette à la société.

Tout le propos de ce témoignage mis en forme (difficile de parler de spectacle) est de montrer la réalité vécue du système carcéral. On en connaît la surpopulation, l’enfer du mitard, le manque scandaleux de soins médicaux, et mille autres tortures et souffrances infligées en toute illégalité et en toute injustice aux prisonniers. Comme s’il ne suffisait pas de surveiller et punir,  pour reprendre le titre du livre bien connu de Michel Foucault.

La réalité prend ici un nouveau sens, quand on entend la voix de  ceux qui ont enduré tout cela. On entend aussi comment l’un s’en est sorti grâce aux études et à l’écriture, l’autre par une belle-mais courte-évasion, comment certains gardiens ferment les yeux sur des parloirs très intimes, comment là-bas on avale couleuvres, honte et dignité.

 Dignité retrouvée ici, sur le théâtre. Ces anciens taulards,  racontent et l’affirment de telle façon, qu’ils existent d’abord sous cette étiquette. Ce moment de représentation (est-ce le terme juste ?), avec des bons moments partagés, révèle une évidence : la prison est leur histoire, non leur nature.

Reste une gêne : à l’exception de la victime d’une erreur judiciaire (autorité de la chose jugée, pesanteurs administratives et négligences criminelles du système), on ne peut s’empêcher de penser que,  derrière les horreurs de la prison, il y a eu l’ombre du sang. Et, en même temps, il est juste de ne plus en parler : affaire close, dette payée.

 On est dans cette contradiction : le public, ici, écoute André, Eric, Alain, Louis et Annette avec le respect qu’ils méritent. Soit. Qu’il les applaudisse avec fougue est une autre affaire. La souffrance, qu’ils ont vécue de façon inutile et injuste, ne fait pas d’eux des êtres christiques, et n’ajoute rien au pardon. Ceux qui le croiraient, donneraient paradoxalement raison au système actuel. Restons-en à sa dénonciation : il reste inacceptable d’un point de vue moral, judiciaire et politique.

Christine Friedel

Spectacle joué du 11 au 15 janvier à la Maison des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris. T : 01 48 05 88 27

 

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