Délestage, de et par David-Minor Ilunga, mise en scène de Roland Mahauden

©Yves Kerstius

©Yves Kerstius

Délestage, de et par David-Minor Ilunga, mise en scène de Roland Mahauden

 L’humour déferle dans ce solo à la congolaise.  «Ce que je raconte, dit David-Minor Ilunga, ce sont des “kinoiseries“, un mélange d’observations et de blagues; les questions que je me pose sont celles de mes compatriotes qui découvrent l’Europe. » Venu de Kinshasa (Zaïre), il navigue entre les planches et la plume et a signé plusieurs pièces. Il a conçu Délestage pendant une résidence en Belgique, juste après les attentats de Maelbeek et Zaventem,  et  a été ému par celui de Nice, le 14 juillet 2016.  Seul en scène, il joue un personnage confronté, comme bien d’autres clandestins, à la police et à la justice des Blancs, en cette période où la peur infuse la société européenne.

Devant une avocate du centre de rétention, et en passe d’être expulsé,  il entreprend le récit de son arrestation, de l’interrogatoire mené par deux flics qui le prennent pour un terroriste jusqu’au match de foot endiablé qu’il a joué avec ses geôliers… L’avocate a du mal à endiguer cette parole abondante et truffée d’anecdotes sur le Congo d’aujourd’hui et les relations Nord-Sud. Empreint d’une fausse naïveté, le  personnage évoque petits et grands drames quotidiens de son pays, et dresse un portait hilarant de l’Europe vue par un Africain.  » -C’est une maladie chez vous, improviser ? Vous n’avez jamais de plan? lui reproche l’avocate.  -Comment ça pas de plan ? On a toujours un plan, m’dame. Seulement, c’est pas des plans de cinquante ans, comme vous autres. Ça se résume à l’instant: survie, survie et survie. C’est comme ça, quand on vit dans une société de délestage, m’dame. (…) Ça veut dire que tout est discontinu. Sans aucune garantie.(…) Aujourd’hui, ce sont les enfants qui mangent, demain ce sont les parents ; cette année, les garçons vont à l’école, l’année prochaine,  ce sera le tour des filles (…).  Délestage, c’est aussi la recherche de solutions. C’est l’article 15 de la Constitution de Mobutu :“Débrouillez-vous“»

 A la fois auteur et interprète, David-Minor Ilunga nous fait goûter, pendant soixante quinze minutes,  sa prose savoureuse, riche en inventions de langage et rythmée, et nous entraîne avec verve dans un récit en zigzags. Mais derrière ces propos parodiques, c’est le désarroi de tout un peuple que l’on entend.  «Le rire dans lequel je me réfugie, dit-il, me protège comme un scaphandre ». On entre d’emblée dans la logique de ce récit à plusieurs voix, dynamique et tout en digressions. Mais dommage, cet excellent comédien n’a pas pris en charge le texte de l’avocate dont la voix off dans la deuxième partie, lui donne la réplique… Elément exogène,  qui surprend et détonne…

Le spectacle, produit et créé au  Théâtre de Poche à Bruxelles, a tenu l’affiche avec succès pendant plus de cinq semaines et semble promis à une importante tournée en Europe et en Afrique. Il n’est malheureusement programmé que trois soirs à Paris.

 Mireille Davidovici

Le Tarmac, 159 avenue Gambetta Paris XXème, jusqu’au 16 mars. T. : 0 43 64 80 80.

Dans le cadre du festival Traversées africaines,  jusqu’au 13 avril,  au Tarmac.

Le 22 novembre, Foyer Culturel de Jupille (Belgique) ;le  27 novembre, Centre Culturel Wolubilis à Bruxelles ; le 28 novembre, Théâtre la Ruche,  Charleroi (Belgique).

Le 7 décembre , Centre Culturel de Perwez  et le 8 décembre, Centre Culturel de Waterloo, en Belgique.

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www.poche.be

 


Nkenguegi, de Dieudonné Niangouna

(C)Samuel Rubio

(C)Samuel Rubio

 

Nkenguegi, texte et mise en scène de Dieudonné Niangouna

 Que sont les « nkenguégui » ? «Des plantes équatoriales aux longues feuilles coupantes. Au Congo, utilisées pour protéger les enclos des bêtes sauvages. Celui qui reste à l’intérieur de l’enclos est protégé, mais enfermé. Celui qui est à l’extérieur, est en danger mais libre. »
Le dernier texte d’une trilogie, initiée avec Le Socle des vertiges et Shéda, se fait aujourd’hui magnifique création scénique, à travers la déclamation d’un verbe passionné, glissé avec verve et panache dans une fulgurance d’images et de reviviscences foisonnantes. 

D’un côté, le grotesque d’un registre scatologique, avec chapelets d’injures réinventées et adressées aux puissants, et de l’autre, un tragique aux envolées poétiques. Des mots cinglants et âpres, à la fois gorgés de colère et d’immense amour pour la vie, et le bel épanouissement de ce spectacle participent à une évocation géopolitique d’un monde contemporain bousculé. Avec la mise en relief des sombres événements actuels, largement retransmis par les médias, comme ces populations fuyant les violences politiques et sociales, la misère ou la guerre.

Dieudonné Niangouna reprend à son compte la douleur âcre de ces réalités-nerf de la guerre de son théâtre existentiel-à travers une expression qui est d’abord une façon d’échapper à la barbarie. Sa langue caractéristique porte la parole de la souffrance (qu’il fait sienne) de ceux qui subissent les agressions d’un monde violent.
L’écrivain-metteur en scène  joue aussi par intermittences flamboyantes, le rôle, au second degré, d’un directeur de troupe (théâtre dans le théâtre) et accompagne une dizaine de comédiens dans une version scénique du mythique Radeau de la Méduse de Théodore Géricault : « Les vagues balaient la barque, un pauvre radeau de fortune. Je vois la fragilité de la vie, de toutes ces vies accroupies et mal en point, entassées comme des bêtes sur la barque. Mais où vont-ils ? Personne ne saura, hormis le hasard. C’est quoi, cette obsession qui leur fait braver les mers, les vagues, les tempêtes et la mort ? »

Ce tableau du passé fait ici place à l’actualité criarde des mouvements migratoires d’Afrique et du Moyen-Orient. La vie, précieuse et à sauvegarder, tient lieu d’élan contre les vents et les marées, quand les les hommes sont propulsés loin de leur pays d’origine où règnent les misères. Avec dix merveilleux interprètes, embarqués sur quelques planches de bois qui leur tiennent lieu de petit radeau, tandis qu’un écran vidéo diffuse des images du Congo : Dieudonné Niangouna sur le pont Djoué traîne avec maladresse un luminaire volumineux, métaphore du soleil perdu, ou dans un commissariat, de curieux policiers se saisissent de femmes comme d’une marchandise à consommer ou à réduire à néant.

Les acteurs dansent dans la patience et la douceur, sur une chorégraphie ordonnancée dans la grâce. Puis, en hommes et femmes en colère, s’expriment plus violemment. Déclamateurs, chanteurs, danseurs ou musiciens, ils monologuent ou bien se parlent, avec le consentement implicite du metteur en scène.
Au centre, seul, se tient l’homme, sorte de figure de passeur ou d’Ulysse jamais revenu de son épopée sur les mers, le plus souvent debout, ou parfois gisant et souffrant comme le Christ sur la croix, dont les plaies sont crûment filmées.
Hors des relégations et des exclusions qu’il a pu surmonter, renaissant de sa mort, il aimerait pouvoir enfin habiter son être et simplement se sentir exister.

Un spectacle somptueux, engagé, à teneur  très humaine et conviviale, entre méditation sur nos temps présents et illuminations festives. Une exposition éloquente se tient en même temps que Nkenguegi au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis que dirige Jean Bellorini : Habiter le campement de Fiona Meadow, avec des photos révélant le visage de nomades, voyageurs, conquérants, contestataires, infortunés, exilés… et des extraits de Par les villages de Peter Handke.

Véronique Hotte

Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis/ Festival d’Automne à Paris, jusqu’au 26 novembre. T : 01 48 13 70 00

 

 La pièce est éditée aux Editions Les Solitaires intempestifs

Machin La Hernie de Sony Labou Tansi

Machin La Hernie,  de Sony Labou Tansi mise en scène de Jean-Paul Delore

 

MachinLaHernie2(c)PierreVanEechauteSony Labou Tansi, né en 1947 dans l’actuel Congo-Kinshasa et mort en 1995  à Brazzaville, a écrit en 1981,  un roman-fleuve dont les éditions du Seuil publient alors une version réduite, L’État honteux, titre consenti par l’auteur qui lui préférait à l’origine, Machin La Hernie.
  Dix ans après la mort de Sony Labou Tansi, La Revue Noire a publié le manuscrit intégral en restituant le titre initial souhaité. Le héros, le président Martillimi Lopez, est un dictateur défunt dont le narrateur raconte et incarne la vie qui consiste à anticiper et à déjouer les complots pressentis : un «ventriloque de l’État qu’il dirige et de son état de garçon sexué», selon Jean-Paul Delore.
Un personnage de théâtre en résonance avec l’actualité, un règlement de comptes. Et le public a droit à la présence incandescente, soleil noir et mélancolique,de cet auteur et acteur unique, Dieudonné Niangouna. Une verve exceptionnelle, une niaque et une hargne de tous les instants, sans concession ni complaisance, une transe radicale. Ainsi, quand le Président du Congo vient d’être tout juste réinvesti ce 16 avril, la pétition Urgence Congo rédigée par Jean-Paul Delore, la costumière Catherine Laval, Dieduonné Niangouna et l’auteure Laëtitia Ajanohun dénonce les attaques criminelles contre les populations civiles en République du Congo : « Le 4 avril 2016, falsifiant comme d’habitude le résultat des urnes, la Cour constitutionnelle de la République du Congo, aux ordres, valide la réélection à la Présidence de la République du candidat Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 32 ans.
Préparé à ce coup d’état électoral, cette fois, le peuple congolais est prêt à amplifier sa résistance pacifique et à poursuivre sa désobéissance civile. »
Pour l’interprète engagé- Dieudonné Niangouna, Machin La Hernie, écrit donc il y  a près de quarante ans, résonne encore avec l’actualité, dont «la montée du FN, le terrorisme ambiant, la superpuissance de la France-Afrique fabriquée par les indifférents, la canaille des générations sacrifiées, le mal-être de l’Histoire, le bout du tunnel qu’on n’aperçoit plus, l’échec des droits de l’humain ».
Machin La Hernie se fait un spectacle aigu, une cage de résonance amplifiée, une fiction grotesque et sarcastique sur l’état du monde, un État honteux où Martillimi Lopez – tyran paranoïaque, délirant, est malmené par les événements dont il est aussi le manipulateur. Il gît agonisant, abandonné dans un palais déserté de tout sujet, garde ou conseiller, tandis qu’il s’imagine avoir encore et toujours du pouvoir.

 Tout est affaire de braguette et d’hernie « contenue dans une peau de bête »; une zone sexuelle excroissante, encombrante autant que félonne, qui dirige prétendument le monde : «Mais je vais vous raconter l’histoire de mon colonel Martillimi Lopez, fils de maman nationale, vous allez rire, oui, vous allez rire…»
Le comédien descend de la salle puis monte sur scène, où l’attend Alexandre Meyer avec  sa guitare électrique. Déclamant son récit sans compter, dansant, se contorsionnant, levant les bras, s’accroupissant et se tenant comiquement «les couilles» – sérieux toujours -, il s’interroge sur la situation qui est la sienne.

En repartant, il invite le spectateur à passer devant sa caméra, et le filme quelques secondes, le temps d’une répartie.La langue de Sony Labou Tansi, généreuse, physique et sensuelle, outrancière et farcesque avec ses occurrences répétées de Machin La Hernie et autres images ludiques évocatrices-un imaginaire linguistique créatif, un monde en soi-claque dans la bouche de l’acteur/performeur avec quelque chose d’étrange et de monstrueux, proche aussi des inventions imagées de Rabelais ou de Céline.
Le monologue n’en finit pas, puissant, répétitif, redondant et obsédant, comme une prière liturgique jetée à la face de la terre et des hommes,spectateurs taiseux malgré eux, et qui ne disent mot, ne réagissent ni se révoltent.
  Un spectacle rebelle, incisif et entêtant, un beau territoire politique de poésie…

 Véronique Hotte

Le spectacle a été joué au Tarmac-Scène internationale francophone, du 13 au 16 avril.
Le texte est publié à Revue Noire Éditions,

 

Au nom du père et du fils de JM Weston

Au nom du père et du fils et de JM Weston,  texte et mise en scène de Julien Mabiala Bissila

 

PhotoPVE_2878Où était l’église, le barrage, la station à essence. Où a explosé le bus ? Contre le mur ou  le poteau électrique ? Deux frères, Criss et Cross, habillés avec recherche, reviennent sur les lieux de leur enfance ; ils se chamaillent et n’arrivent pas à se mettre d’accord sur  » Où est où? » car « le Sud de la ville est désormais à l’Est et le Nord est au centre. »
  Ils fouillent dans les ruines encore fumantes laissées par la guerre civile,  et essayent de retrouver les endroits familiers, la maison de leur mère, la tombe de leur père, les souvenirs de la belle Madame Mado, et une paire de leurs précieuses chaussures, de marque JM Weston. Le must pour ces deux sapeurs.
« Pourquoi tant de cravates au milieu de tant de cadavres? Pourquoi des chaussures JM Weston ? » se demande le mari de Mado, surgi des décombres, et qui leur raconte, avec un humour glaçant, les exploits des soldats sadiques et sanguinaires à l’encontre de sa famille.
Dans un décor sobre, monochrome, Julien Mabiala Bissila joue Cross aux côtés de Criss Niangouna (Criss) et de Marcel Mankita ( le vieil oncle), et a mis en scène ces trois personnages qu’il a vêtus des couleurs vives chères aux rois de la sap.
« Les costumes de Marta Rossi reprennent les formes de l’élégance dandy, avec des matériaux de récupération : une bâche pour un pantalon, une canette découpée pour un nœud papillon, un sac de riz pour confectionner une veste… avec des matériaux synthétiques, seuls survivants des feux et  des bombardements.»
Cette explosion colorée va de pair avec la tonalité burlesque. Pas le moindre pathos pour décrire les horreurs de la guerre, dans cette comédie à la langue copieuse, conçue pour conjurer les terreurs.  Au nom du père et du fils et de J.M. Weston alimente le cocasse des situations, la faconde des protagonistes avec une écriture luxuriante, inventive, truffée de formules savoureuses, de belles fulgurances, et portée par des interprètes exubérants mais toujours justes, en particulier Marcel Mankita, qui compose un vieillard à la mémoire en vrac.
Profondément marqué par la guerre à Brazzaville, où il a perdu des amis chers et des membres de sa famille, l’auteur refait ce parcours cruel vers son enfance, à travers les mots: « J’arrive à crier ma colère, ma rage, mon impuissance autrement, dit-il. Ma vie a trouvé d’autres issues… La guerre est loin maintenant, j’en ris…  » L’humour est pour lui « un gilet pare-balles ».

Pour ce faire, il prend ici la sape comme point de départ, qui lui donne le titre de sa pièce, et symbolise l’appétit de vivre malgré envers et contre tout : « Le Congolais est un bon viveur, un ambianceur, voire un flambeur. Il aborde l’Histoire par l’anecdotique, le dérisoire ».
« C’est fou comme les détails vestimentaires et physiques sont importants, car, en fait, ces trucs te raccrochent à la vie. La vie réelle… », remarquait une rescapée du Bataclan qui, dans la bousculade, avait perdu ses baskets…
Criss et Cross à la recherche de leurs chaussures JM Weston, ont quelque chose de Vladimir et Estragon d’En attendant Godot, version dandy et logorrhéique.

Malgré quelques passages à vide où la pièce semble tomber en panne, il faut voir ce spectacle, ne serait-ce que pour y prendre des leçons de vie, et entendre la folle énergie de cette langue théâtrale exceptionnelle.

 Mireille Davidovici

 Le Tarmac, Paris. T. 01 40 31 20 96 , jusqu’au 4 décembre.
Tropiques Atrium/Martinique, les 21 et 22 janvier, et  tournée dans le réseau ATP en 2016. L’Atrium de Dax le 6 février. Théâtre municipal de Roanne le 9 février. Théâtre Na Loba, Pennautier le 13 février.
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence les 7 et 8 mars ; salle polyvalente d’Uzès le 10 mars; 12 mars, La Chartreuse, Villeneuve-les-Avignon le 12 mars; salle Georges Brassens de Lunel,  le 18 mars.
T.G.P. d’Orléans le 23 mars; Odéon de Nîmes, le 30 mars. Théâtre municipal de Villefranche-de-Rouergue le 1er mars. La Louvière, Epinal, le 26 avril; Théâtre de la Maison du peuple, Millau le 3 mai.

 Au nom du père,du fils et de JM Weston est publié aux éditions Accoria.

 

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