Biennale internationale des arts de la marionnette, 9e édition (suite)

Biennale internationale des arts de la marionnette, neuvième édition (suite)

 

À2 pas2la porte conception et interprétation de Laurent Fraunié

©Pierre Grosbois

©Pierre Grosbois

Un mur barre le fond de scène. Un homme rêvasse devant la petite fenêtre, ouverte sur une ville survolée par des avions et dominée par des grues et des tours qui grimpent comme des champignons. Un feu d’artifice embrase le ciel nocturne, et vire au bombardement. Notre héros, qui s’amusait avec un joli chien blanc à la robe de tulle, a tôt fait de se barricader chez lui. Il remarque une porte fermée qu’il voudrait bien passer, mais qu’y a-t-il derrière le mur? L’appel de l’inconnu aura-t-il raison de ses appréhensions ?

 Après Mooonstres, qui traitait de la peur au moment de l’endormissement (voir Le Théâtre du Blog), Laurent Fraunié sort de l’espace clos de la chambre à coucher, mais franchir la porte n’est pas si facile, et donne lieu à de laborieux préparatifs… Il joue avec les objets et les images, en  trouvant des gestes plus parlants que les mots. Projections, ombres, marionnettes, bruits seront ses partenaires. Adroit dans sa maladresse, le corps leste et robuste, il multiplie les gags mais sait aussi préserver des moments de rêverie, comme les images poétiques qui peuplent la fenêtre, au début, ou la danse nuptiale avec une mystérieuse poupée géante, Sorte de Lorelei funeste… qui a pris forme dans les plis d’un grand rideau blanc.

Même si les effets se prolongent parfois un peu trop et si les différents moments peuvent sembler décousus, ce spectacle muet nous entraîne dans un univers à la fois burlesque et insolite.  Avec un travail du son très subtil, qui contribue à donner relief et profondeur à cette nouvelle création du collectif Label Brut, fondé en 2006 par Laurent Fraunié, Harry Holzmann et Babette Masson.

Spectacle vu le 11 mai à la Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud Paris XIème.
Théâtre de Laval les 16 et 17 mai et  FAL 53 à Craon (Mayenne), le 19 mai.
Festival mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières (Ardennes), du 16 au 24 septembre. www.labelbrut.fr

Le Retour à la maison  de Matéi Visniec, mise en scène de Yannick Pasgrimaud (France)

©Jean Dominique Billaud

©Jean Dominique Billaud

 » Nous sommes les mis en pièces, les foulés aux pieds, à vos ordres, mon général et vive la patrie !  » s’écrient les poilus. Matéi Visniec réveille les morts  pour un dernier grand défilé et leur donne la parole  :  en bien piteux état, ce cortège des « morts d’une balle en plein cœur » , des gazés, des démembrés, des « morts de peur »,  trouve encore la force de revendiquer auprès de l’autorité militaire.  » Comment on va rentrer chez nous sans cadavre ? » demandent les  disparus au général.  Et les « fusillés pour haute trahison »  exigent de défiler devant les déserteurs, car il y a une hiérarchie chez les morts comme chez les vivants. En tête viendront les décorés, puis les gradés et ainsi de suite.

Tandis que fusent ces paroles virulentes, Gilles Blaise et Yannick Pasgrimaud  donnent  corps aux soldats en pétrissant l’argile du champ de bataille étalé sur une table : terrain de jeu et d’affrontement. De cette glaise, les comédiens font naitre des formes inquiétantes : corps tourmentés, bouches béantes, doigts, pieds, phallus, tombes… Une armée de fantômes qui, après avoir retrouvé un semblant d’humanité, va  retourner au sein de la terre.

L’auteur roumain, avec son humour habituel, a su trouver un ton caustique et sans pathos,  dans une mise en scène qui ne laissera personne indifférent. Belle idée que cette terre pour traduire cette fable tragicomique et les comédiens, excellents sculpteurs, exploitent avec talent sa plasticité.

Créé à Nantes en 2004 par Marmite Production et Compagnie, cette pièce courte (trente-cinq minutes) mais d’une grande densité émotionnelle, n’a pas perdu de son actualité, ni de sa force. La « Der’  des Der’ », aux cent ans bien sonnés, trouve encore de sinistres échos dans les guerres du présent…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 11 mai à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e T.  01 47 00 25 20 reservation@maisondesmetallos.org
Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette 73 rue Mouffetard, Paris V ème T.  01 84 79 44 44,  www.lemouffetard.com

 

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Rhinocéros d’Eugène Ionesco; Axe d’Agnès Limbos et Thierry Hellin

 

Biennale internationale des arts de la Marionnette: neuvième édition 

 La marionnette dans tous ses états, dans toute sa diversité, sera présente jusqu’au 2 juin avec une trentaine de spectacles à Paris, à Pantin et dans neuf autres communes d’Île-de-France, invités par Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, et par ses partenaires, la Maison des métallos (Paris XIème) et la Ville de Pantin (Seine-Saint-Denis).

Cette  Biennale internationale, très suivie du public, est aussi devenue un rendez-vous  important pour les professionnels. Objectif depuis sa création en 2001 : débarrasser la marionnette des clichés qui l’entourent et montrer la force et la liberté d’expression de pratiques polyvalentes et complexes. Comme le jeu d’acteur, les arts plastiques et numériques, l’écriture dramatique, la danse, etc.
Des êtres en papier, chiffon, bois, ou ombres,  et parfois de simples objets, sont le support de bien des aventures non réservées aux seuls enfants. A l’origine, la marionnette ne s’adressait pas au jeune public mais exprimait avec humour, une critique sociale parfois virulente, à l’instar de Guignol, créé à Lyon au XlXème siècle pendant la révolte des Canuts. Un art en perpétuelle recherche, comme en témoignent les spectacles qu’on a pu voir lors de cette soirée inaugurale.

©carole-parodi

©carole-parodi

Rhinocéros d’Eugène Ionesco par la compagnie des Hélices (Suisse), mise en scène d’Isabelle Matter

 La place du village, son café, son épicerie et ses rues tranquilles. Des étagères  encombrées des boîtes poussiéreuses figurent ces lieux emblématiques du pays profond.  Avec des étiquettes indiquant le bistrot, l’épicerie, le domicile du logicien… 
Les habitants se livrent à leurs activités quotidiennes, puis des boîtes s’ouvrent d’où surgissent de petites poupées menant leur vie ordinaire. Un chat se promène… Manipulées sur table par trois comédiens, les personnages papotent dans la langue absurde d’Eugène Ionesco. Quand survient un rhinocéros.. puis deux, soulevant des tonnes de poussière et écrasant le chat de la voisine!

Incroyable? Au bureau on ne parle plus que de l’événement. Là, les pantins ont grandi, devenus marionnettes à gaine, ils trônent derrière leur pupitre, surveillés par un contremaître maussade. Soudain, Monsieur Bœuf attaque, transformé en rhinocéros et, devant ses collègues de bureau ébahis, il emporte sa femme sur son dos. D’autres ne tarderont pas à se joindre au troupeau monstrueux. La rhinocérite, un mal inconnu, finit par frapper toute la population et seul Béranger, un ivrogne naïf, demeure humain, dépouillé au final de toute enveloppe de marionnette.

Écrite en 1958, la pièce apparaît, ainsi interprétée, sous un jour nouveau. L’humour féroce et la poésie absurde d’Eugène Ionesco y résonnent comme une dénonciation du populisme actuel. Tels les moutons de Panurge, les personnages sombrent alors dans la pensée unique, terreau de tout fanatisme.

De facture très classique, le spectacle s’impose pourtant par son invention dans les moindres détails, avec une belle scénographie fonctionnelle et une lecture intelligente de la pièce d’Eugène Ionesco. Ce Rhinocéros existe aussi en version espagnole, créée dans le cadre d’un échange interculturel avec la Colombie, par la metteuse en scène et marionnettiste Isabelle Matter qui dirige actuellement le Théâtre des marionnettes de Genève.

 www.marionnettes.ch

 

©Alice Piemme

©Alice Piemme

Axe (De l’importance du sacrifice humain au XXIème siècle), conception et interprétation d’Agnès Limbos et Thierry Hellin (Belgique)

Agnès Limbos, fondatrice de la Compagnie Gare Centrale, vient du théâtre d’objets et Thierry Hekkin, codirecteur d’Une Compagnie, du théâtre de texte. Dans Axe, en droite ligne de la tradition belge, ils conjuguent leur savoir-faire pour dresser le tableau absurde et drôle d’un couple ordinaire aux prises avec des objets dérangés et dérangeants.

Dans leur intérieur petit-bourgeois, assis à une table  surmontée d’un lustre à pampilles prétentieux, ils conversent à bâtons rompus mais sans communiquer. Bientôt des bestioles dégoûtantes envahissent la scène, une statuette se met à fondre et perd sa tête… Et il se passe des choses inquiétantes dans le réfrigérateur. La gestuelle des protagonistes s’emballe, puis c’est le décor qui fout le camp !

Ils ont beau essayer de sauver les apparences, mais restent coupables aux yeux de la Cour pénale internationale: allusion évidente aux dictateurs des Carpathes exécutés en public, et en eurovision… Dans une série de tableaux accolés sans logique apparente, les comédiens, réduits à l’état de clowns tristes, s’accrochent tragiquement à leurs repères qui se dérobent… Désaxés, dans un monde qui s’écroule.

Les situations absurdes et grotesques s’inscrivent dans un environnement scénique et une chorégraphie de corps déliquescents bien orchestrés.  Malgré une dramaturgie décousue et un comique de répétition parfois trop appuyé, le spectacle  servi par des interprètes hors-pair, distille une inquiétante étrangeté… Le spectacle sera présenté au Festival mondial de la marionnette de Charleville-Mézières, les 17 et 18 septembre, puis en  tournée en Belgique

http://www.garecentrale.be/

 Mireille Davidovici

Spectacles vus le 9 mai à la Maison des Métallos Paris,  94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème

Biennale internationale des arts de la Marionnette: Le Mouffetard, T. 01 84 79 44 44. www.lemouffetard.com

Pierrot lunaire, théâtre lyrique avec marionnettes

Pierrot lunaire, théâtre lyrique avec marionnettes, d’après l‘œuvre d’Arnold Schönberg sur vingt et un poèmes d’Albert Giraud, précédé de Quatorze Manières de décrire la pluie d’Hanns Eisler, direction musicale de Takénori Némoto, avec l’Ensemble Musical Nigella, mise en scène de Jean-Philippe Desrousseaux (spectacle en allemand surtitré en français)

 

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©Gabriele Alessandrini

 Le Pierrot lunaire (1912) d’Arnold Schönberg, avec son « sprechgesang » (mélodie parlée), fait suite au Pelléas et Mélisande (1902) de Claude Debussy. Dans cet opéra rempli d’effervescence intellectuelle et de foisonnement artistique, la voix dit le texte, sous l’emprise d’une musique insinuante qui en magnifie les valeurs expressives.

Ici, avec la mezzo-soprano Marie Lenormand-ou Fiona McGown, le 31 mars-la musique du XXème siècle,  imprévisible ouverte aux formes de l’aléatoire, sort de la temporalité classique. Avec un mélange de provocation, d’ironie et de prétentions cosmiques…

 Arnold Schönberg lançait un défi aux valeurs reçues, avec  une autre manière de vivre et de sentir, au début de ce siècle tourmenté. La définition des arts volait en éclats, entre volonté de jeu, fantaisie, irrespect, sarcasmes et refus du sentimentalisme. Cette épopée en trois parties de sept mélodrames se situe dans une maison close japonaise, à l’époque Edo (1600-1868). Pierrot, amoureux de Colombine-une geisha soumise au vieux Cassandre et surveillée par une maquerelle-se morfond, jaloux, puisqu’il est impossible à Colombine de se libérer. Elle se suicidera avec le katana de ce Pierrot lunaire, jeune héros exposé au désir, à la faute meurtrière et à sa rédemption.

 Cette œuvre écrite pour le cabaret,un lieu à la fois savant et canaille, celui de l’élégance et de la transgression, possède, pour Jean-Philippe Desrousseaux, des personnages de la commedia dell’arte qui peuvent être saisies par un théâtre de marionnettes, notamment le fameux bunraku, le théâtre japonais traditionnel  de marionnettes. Le goût de la parodie, entre provocation et burlesque, se glisse dans les figures grimaçantes de Pierrot, Colombine, Cassandre, et d’une vieille femme rouée, à travers une fête bergamasque qui tournera au drame, et le bunraku, avec son esthétique, répond techniquement et scéniquement à ce Pierrot lunaire.

Une narratrice-chanteuse nous raconte ici ce drame de figures solitaires, ici japonisées et animées à vue et avec précision par Gaëlle Trimardeau, Bruno Coulon, Antonin Autran, Jean-Philippe Desrousseaux, entièrement drapés de noir. Dans ce beau cauchemar, les personnages évoluent dans un univers fantastique très  sombre. Violence, désir cruel et nostalgie: le bunraku traduit avec finesse, la musique intérieure des personnages.

Ici, apparait une lune mystérieuse dans les tableaux imaginés par le metteur en scène, avec un vaste firmament de lumières brumeuses ou pures conçues par François-Xavier Guinnepain; on peut ainsi voir, en ombres, de souverains et magiques instruments de musique et leurs interprètes. La création vidéo de Gabriele Alessandrini qui, dans  les Quatorze manières de décrire la pluie dHanns Eisler, montre, grâce au graphisme numérique, l’apparition puis la disparition de taches noires et de couleur, sur fond blanc, entre abstraction et figuration, entre les images d’archives du Japon traditionnel, et  celles de la modernité. Un moment d’attention délicate pour un drame musical, avec le théâtre de jeux d’ombres et de lumières qui fascine le public …

Véronique Hotte

Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris (IXème) jusqu’au 31 mars. T : 01 53 05 19 19

 

 

 

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Je n’ai pas peur, d’après le roman de Niccolò Ammaniti

 

Je n’ai pas peur, d’après le roman de Niccolò Ammaniti, adaptation et mise en scène de Martial Anton et Daniel C. Funes. Cie Tro-Héol.

©Pascal Pérennec

©Pascal Pérennec

Accents italiens chantants, joie de vivre les longues vacances estivales qui ne semblent guère finir, courses libres dans les champs ensoleillés loin des parents occupés par leurs soucis d’adultes,  deux enfants, Michele et Maria, ont maille à partir avec leur propre équipée. Cette petite sœur ne le lâche pas d’une semelle son frère aîné qui se demande:«Comment gagner dans ces conditions la course avec les copains et copines du village ?» Ce garçon vif, adroit et souvent vainqueur, a dû cette fois-ci faire machine arrière pour retrouver Maria qui avait chuté et cassé ses lunettes !      

Ce ragazzo n’est donc arrivé qu’avant-dernier! Mais il récupère les gages du dernier arrivé, une petite fille dont tous se moquent avec méchanceté. Michele veut instinctivement la sauver des désirs scabreux auxquels les plus durs à cuire des gamins voudraient la soumettre, et il a tendance à avoir de la gentillesse et de l’empathie… qui le perdront dans un monde cruel qui n’écoute pas les âmes en peine et se moque des fragilités de chacun, d’autant que les familles du  village sont loin de vivre dans l’opulence. De fil en aiguille, Michele, parti explorer après avoir reçu un gage une maison abandonnée qui fait peur, il y découvre, par hasard, une trappe qui le mène à un autre enfant de son âge, Philippo, enlevé par la maffia et abandonné là. Nous ne dévoilerons pas l’histoire où sont impliqués les parents de Michele! Bref, une sale affaire.

Dilemme cornélien: choisir l’honneur clanesque dû aux siens et se taire, ou bien sauver l’innocent, un autre soi-même, et agir alors en garçon qui a foi en l’humain ? Une réalité dure et sèche comme le soleil qui n’épargne personne en Italie du Sud. Dans la maison ombragée, la mère repasse, au son festif des chansons populaires, en attendant son époux qui a affaire avec un certain Sergio… peu recommandable.

Le travail de Martial Anton et Daniel C. Funes, adaptateurs, metteurs en scène et scénographes est absolument inventif, et joue de la gouaille italienne et d’un parler populaire à couper au couteau, moqueur, ironique et cru parfois. Les personnages vivent libres et gais, malgré une relative pauvreté. Et ces interprètes passionnés manipulent des marionnettes émouvantes de vérité, de douceur mais aussi parfois d’âcreté.

L’enfance avec ses couleurs et ses ombres est ici, comme mise à nu, avec ces poupées énergiques, offertes au regard du public émerveillé par tant de vitalité. Frédéric Rebiere, Daniel C. Funes et Isabelle Martinez coulent leur être et leur parole dans ces petits personnages que sont le père, la mère, le fils, la fille, les méchants camarades et intrus, comme ce vieux Sergio ambigu.

Quelques planches de bois en forme de trapèze se balancent dans les airs, que  des poulies hissent ou rabaissent. On assiste ainsi à une course essoufflée sur la colline, à une chute dans une trappe insoupçonnée, et à des moments au-dessus du vide de ces jeunes en pleine croissance. Quant aux parents, à la fois chaleureux  et durs, ils aiment leurs enfants d’un amour presque animal. Michele, narrateur de son aventure initiatique, sait les conséquences d’une expérience réservée à des adultes qu’il s’est réappropriée par hasard, en défendant malgré tout une profonde affinité avec les valeurs de l’existence.
Les enfants (à partir de dix ans) et  les enfants devenus adultes aujourd’hui, affrontent ici une vie de violence où se mêlent à la fois attrait et répulsion, amitié forte et carnage…

Véronique Hotte

Le spectacle a été joué au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis 59 Boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis, du 22  au 24 février.

La Garance, Scène nationale de Cavaillon, les 7 et 8 mars.Théâtre Massalia, Scène conventionnée, Marseille, les 10 et 11 mars. Théâtre des marionnettes de Genève, du 14 au 18 mars.

Maison des arts du Léman, Scène conventionnée, Thonon-les-Bains, les 22 et 23 mars. Le Trident, Scène nationale, Cherbourg, du 28 au 31 mars.

Théâtre Gérard Philipe, Scène conventionnée, Festival Geocondé, Frouard, les 23 et 24 avril. La Halle aux grains, Bayeux, les 26 et 27 avril. Théâtre de Duclair, le 28 avril. Les Champs de foire de Plabennec, le 30 avril.

Centre culturel du Bocage mayennais, Gorron, le 16 mai. Centre culturel d’Erdre et Gesvres, Grandchamps-des-Fontaines, du 18 au 20 mai. Théâtre des Bergeries, biennale des arts de la marionnette, Noisy-le-Sec, le 23 mai.

 Le  roman est publié aux éditions Grasset.

 

La pluie, de Daniel Keene

La pluie, de Daniel Keene, traduction Séverine Magois, conception et jeu Alexandre Haslé

 

la-pluie-2-Copyright-Marinette-Delanné-2Un conte triste, et qui dit la vérité. Il était une fois une jeune fille qui habitait près d’une ligne de chemin de fer. Un jour, elle vit dans la plaine une file immense de voyageurs, très pressés de prendre le train, semblait-il. Et ce fut encore ainsi le lendemain, et encore, et encore, et puis soudain ce fut fini.
Ces voyageurs pressés, avant de partir lui donnaient tous quelque chose, une photo, un objet, qu’elle leur promit de garder jusqu’à leur retour. Elle en avait tant que sa maison fut bientôt pleine, et qu’elle dut dormir dehors. Ils ne revinrent jamais et elle devint vieille. Les photos pâlirent,  les objets tombèrent en poussière. Sauf un : une fiole qu’un enfant lui avait remise, avec de la pluie, la pluie bienfaisante du ciel.

Peut-on raconter froidement cette histoire terrible et pudique ? Alexandre Haslé ne pouvait choisir que la marionnette, le masque, pour leur poésie, pour garder leur part d’enfance, et surtout pour l’émotion qu’ils dégagent. «Leur grâce» disait Kleist.
À l’effigie de la vieille Hanna, de taille presque humaine,  le comédien donne ses mains, son regard attentif, presque soucieux. Il l’accompagne, veille sur elle, l’aime assez pour la laisser se détacher de lui, pour un instant hallucinant de vie autonome.

Il fait aussi apparaître et vivre quelques-uns de ceux qui prenaient ce train : une jeune veuve, un gros gitan, un violoniste. Sur un plateau toujours en vie,  ce disciple et partenaire d’Ilka Schönbein fait et défait la scénographie, les images, change d’échelle, met la maison d’Hanna dans une valise… Alexandre Haslé fait corps avec les objets et les visages qu’il a créés et qu’il anime, presque dans un même geste, unique. Ce qui donne à ces figures une grande humanité, portée par le texte de Keene.

Le spectacle avait été créé il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, dans une époque hantée par les groupes de réfugiés-autres “déportés», dont on feint de croire qu’ils ont eu le choix-sa fidélité à une forme artisanale, à ce jeu si près du corps lui donnent une nouvelle force, poignante.
On n’a pas besoin, au théâtre, de la violence froide de la technologie : la marionnette est plus vivante, plus réelle que l’image filtrée par un écran…

 

Christine Friedel

 

Lucernaire – 01 45 44 57 34 – jusqu’au 26 novembre – 19h

 

La ligne  de Roland Shön

La ligne  de Roland Shön

 

ligne ASur une île lointaine, circule un étrange autobus: comme la vie, il ne roule que dans un sens. C’est sur cette ligne  avec ses 29 stations, que Roland Shön nous invite à voyager. « A, accent circonflexe, comme théâtre », dit-il.
Auteur, conteur, marionnettiste et plasticien, il a imaginé un parcours en forme de quête, inspiré par un dessin de Saul Steinberg, THE LINE. L’artiste américain, célèbre notamment pour ses illustrations dans le New Yorker, trace, en 1954, une ligne horizontale sur 29 pages rassemblées et pliées en accordéon, où il fait apparaître personnages, animaux, paysages, objets, villes et  bateaux…
De quoi stimuler Roland Shön qui, en hommage au graphiste, construit à son tour un itinéraire fantasque et poétique… Chaque station a son histoire, décrite au dos d’un plan, et nous nous attarderons à quelques arrêts, à la recherche, avec lui, du mystérieux Leporello de l’Américain.
À la Station Filaplomb,  un collectionneur de fils à plomb en a réuni 3.657 prototypes, et se lance dans une longue démonstration sur l’horizontal et le vertical. Plus loin, apparaît le Théâtre sans fil où, du haut d’un castelet blanc, un minuscule guignol annonce l’entrée en scène de la belle Irène, une grande poupée manipulée à vue, qui croasse plutôt qu’elle ne chante.
Démiurge, le metteur en scène assure tous les rôles : du pilote, Aristide, qui est guide sur tout le trajet, au Vieux qui connaît l’histoire de la ligne. À la station de la Marchande d’images, il nous déroule ses rouleaux peints. À la station de l’Optimiste, il nous dévoile, grâce à un dessin animé de sa fabrication, un calendrier offrant chaque jour une devise pour « dérider l’année ».

 Les spectateurs sollicités, se prennent au jeu et  lancent des dates au hasard que Roland Shön convertit immédiatement dans l’idiome calendaire et transmet des conseils, par exemple :  » Le 2 novier : ne pas prendre une mauvaise résolution, c’est en prendre une bonne » ou :  » Le 12 févembre : arracher la dent que j’ai gardée contre lui  » …
Mais ces échanges avec le public sont trop peu nombreux, et le récit tombe parfois en panne entre deux stations. Chansons et musique auraient pu créer du lien entre tous les éléments,  mais agissent ici comme des pièces rapportées. Cependant, on apprécie dans ce spectacle singulier les masques, dessins, tableaux et marionnettes qui créent un univers plastique fascinant.
L’écriture, imagée, fourmille de jeux de mots et de belles surprises. Frisant le surréalisme à l’instar des images, elle fait surgir poésie et personnages insolites. Homme-orchestre, l’artiste dieppois, de spectacle en spectacle, invente une mythologie fantastique et conduit le public dans les contrées inexplorées de son imagination sans bornes.
Il propose un théâtre original et ludique à découvrir, et on pourra bientôt revoir une de ses anciennes créations Les Trésors de Dibouji.

Mireille Davidovici

Vu au Mouffetard,-théâtre des arts de la marionnette à Paris.
La Grange de Saint-Agil /L’Hectare, Scène conventionnée de Vendôme (41),  le 29 avril.
  À voir aussi : Les Trésors de Dibouji /Conte en objets à la lueur des flammes, au Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette à Paris T. : 01 84 79 44 44, du 17 au 28 février ;  au festival M.A.R.T.O de Clamart (92), du 29 au 31 mars, et au Théâtre Gérard Philipe de Frouart (54), les 21 et 22 avril .

Le Théâtre La Licorne

Le Théâtre de la Licorne à Dunkerque

 

img006La compagnie initiée et dirigée par Claire Dancoisne, après quelque trente-six créations, a une solide expérience de l’art de la marionnette et du théâtre d’objets. Après avoir vécu dans une aile désaffectée d’hôpital à Lille, un hangar à Roubaix, la Halle aux sucres et le théâtre  Saint-Paul à Lille, un entrepôt à Dunkerque depuis 2013. La Licorne a pu enfin emménager cette fois dans un ancien garage Opel, qui sera un véritable outil de travail pour les artistes en résidence.
 “Avec un label qui n’en est pas tout à fait un, dit Claire Dancoisne, « compagnie missionnée compagnonnage”.  Ce qui suppose qu’elle ait  des locaux  aux normes pour être  ouverts au public, et capables aussi d’accueillir des compagnies en résidence, des expositions et des stages de formation.
Le lieu est subventionné  par la DRAC, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, le conseil départemental et la Communauté urbaine de Dunkerque.
 Formidable pari que ce cahier des charges  et, n’en déplaise à Laurent Wauquiez, nouveau et jeune président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui semble trouver bien encombrants, les enseignements de la marionnette et du cirque (voir Le Théâtre du Blog), La Licorne possède un outil de  création de tout premier ordre, et un lieu à la fois fonctionnel et magnifique  pour organiser des stages professionnels, des expos et des rencontres.
  Chômage important dans la région, montée du F.N. aux dernières élections: c’est tout à l’honneur des institutions locales qui ne roulent pas sur l’or d’avoir  défendu et soutenu financièrement ce projet de grande envergure. Dans une ville pas très belle (92.000 habitants) mais où les gens sont chaleureux, et dans un quartier  excentré, l’ouverture de ce lieu a été saluée avec enthousiasme.
  Claire Dancoisne, issue de l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, qui a une véritable passion pour le théâtre d’objets et les marionnettes, avoue sa reconnaissance à Tadeusz Kantor et à Alexandre Calder, dont toutes les créations en portent peu ou prou, la marque. “La Licorne, dit-elle, ce sont des spectacles pour tous, mais exigeants, qui se sont toujours voulus rassembleurs, non dans un esprit populiste de nivellement mais bien dans une sorte de fête communautaire comme au Théâtre du Soleil”.
Au 60 rue du Fort Louis, le lieu, a ouvert ses portes, il y a un mois.  Situé dans le quartier populaire, assez pauvre, dit de la Basse-Ville, et sans beaucoup de commerces, ( il y a juste un petit café à deux rues de là) avec souvent des maisons murées, il a pourtant suscité un intérêt évident chez sa population, fière d’avoir elle aussi comme dans le centre ville,  une institution culturelle conçue par les architectes Anne Fauvarque et Jean Dupond.
Ici,
aucun luxe inutile. Il y a un accueil et une petite cafeteria à l’entrée avec cuisine, avec au premier étage, des bureaux spartiates mais clairs pour la petite équipe de la Licorne. Puis un grand espace sur chaque côté, les passerelles métalliques de chantier, les poutrelles en fer du toit,  le ciment peint du sol,  et le bois  font des murs font très bon ménage. Bien proportionnée, sa surface de 1.500m2 (50m x 30m) est capable d’accueillir à la fois des expositions mais aussi éventuellement des spectacles, avec, sur le côté, des loges, un atelier de construction, une réserve de plus de 1.000 m2 pour les éléments de spectacles en cours, et d’autres plus petits pour la couture, la sérigraphie et la peinture  et, dans le fond, une cour/jardin où les camions peuvent accéder.
Il y a aussi et encore un lieu de stockage de matériaux récupérés (fer, bois,etc.) qui serviront à la fabrication des décors, objets et masques des futurs spectacles. Bref, de quoi faire rêver, par paquets de dix, les compagnies installées en Ile-de-France et ailleurs…
  Il y a eu Bruits de planche, une très belle exposition jusqu’au 6 décembre dans la grande halle. Imaginez une suite de micros-sites scénographiés par Claire Dancoisne et Alexandre Herman. Ils résument chacun les spectacles créés par  La Licorne avec de beaux  croquis préparatoires, des machines fantastiques en fer articulées, proches de celles que concevait le grand Tadeusz Kantor, des masques mais aussi des objets, pour la plupart faits de matériaux récupérés.
 Comme, entre autres, cet éléphant de Spartacus, en bidons de tôle ondulée, ou les marionnettes des Encombrants font leur cirque. Toutes ces admirables sculptures, très vivantes,  font aussi partie de l’art contemporain mais populaire. Loin, très loin des petites formes minimales, souvent prétentieuses, des galeries parisiennes. Et il y a un coin avec un grand écran et quelques sièges d’anciens cinémas qui permet de voir des extraits de spectacles  de la Licorne.
L’exposition, gratuite, a eu un beau succès à Dunkerque et en particulier auprès de la population du quartier et leur a permis de connaître ce travail théâtral hors-normes mais d’une qualité exceptionnelle. Et tout près de chez eux: on ne dira jamais assez l’importance de la proximité d’un lieu théâtral pour les habitants d’une ville.
Pour la prochaine exposition, Une humanité cousue, Anne Bothuon présentera les costumes et le corps des personnages, marionnettes de la dernière création de La Licorne Le Cœur cousu.

Claire Dancoisne et son équipe ont aussi programmé plusieurs stages tous publics d’initiation à la soudure ( janvier) mais aussi au jeu masqué (février) et à la manipulation de mannequins (mars).
Le nouveau lieu sera inauguré pour le public du 29 mars au 3 avril, et officiellement, le 31 mars.

  Philippe du Vignal

-Théâtre La Licorne 60 rue du Fort Saint-Louis 59140 Saint-Louis. T:  03 74 06 00 01 www.theatre – lalicorne.fr

-L’exposition Anne Bothuon aura lieu du 8 janvier au 4 février, vernissage le 7 janvier à 19h. Les mercredi, jeudi, vendredi de 14h à 18h  et le dimanche de 15h à 18h. Nocturne le jeudi de 18h à 21h.

-Le Cœur cousu,  d’après le roman éponyme de Carole Martinez,  Théâtre des Bergeries à  Noisy-le-sec (93) T. : 01 41 83 15 20 le 13 février  à 20h30 ; Le Boulon/ Centre national des arts de la rue (à confirmer) Vieux-Condé (59) T. : 03 27 20 35 40  le 1er mars  à 14h30 et le 2 mars en soirée ; Comédie de l’Aa Saint-Omer (62) le 4 mars  en soirée. L’escapade à Hénin-Beaumont (62) T. : 03 21 20 06 48, le 13 mars en soirée.
Yzeurespace-Théâtre Sylvia Monfort,Yzeure (03). T. : 04 70 48 53 80 le 15 mars à 20h30. Le Temple à Bruay-la-Buissière (62) T. : 03 20 61 96 96 le 13 mai 14h30 et 20h.

  

Le petit Théâtre du bout du monde d’Ezechiel Garcia-Romeu

Le petit Théâtre du bout du monde d’Ezechiel Garcia-Romeu

 

PTBM7-small«Tout ceci, on s’en excuse, est un peu imprévisible. Mais n’est-ce pas mieux que la fin d’un monde.» Avertissement que se voient remettre les «chers visiteurs» dans le hall du Théâtre National de Nice. Une lettre dans une enveloppe leur donne en effet quelques indications sibyllines et paradoxales sur la conduite à tenir durant le spectacle. En substance : explorez, soyez curieux !
Le parcours débute dans l’ascenseur, en petit comité, et se poursuit par un couloir qui fait office de galerie de portraits. Les visiteurs peuvent s’arrêter sur la poésie mélancolique que dégagent d’étranges êtres mutants, avant d’entrer dans l’obscure salle de répétition, où se trouve une sorte de longue  et assez basse cabine vitrée.

  Autour de cet inquiétant studio, tenant à fois du vivarium et du laboratoire, des bancs sont disposés en espace quadri-frontal. Sur le toit, un monde d’errance, de trappes, où quelques «prolétaires du néant» patientent. Au-dessus, un avion constitué de plaques de métal et de haut-parleurs.
  Bienvenue dans le petit monde post-apocalyptique d’Ezechiel Garcia-Romeu! Dramaturge associé à Laurent Caillon, metteur en scène et concepteur de marionnettes, il en assure aussi la manipulation. Au premier coup d’œil, on retrouve ce talent de miniaturiste et cette recherche d’intimité avec le spectateur, qui faisaient déjà le charme de Banquet Shakespeare et du Scriptographe.
Cet univers souterrain, muséal, en lisière de l’art brut, est parsemé d’objets d’autrefois: un tourne-disques, une machine à écrire, une télé qui neige, un téléphone filaire… Autant de vestiges d’un passé technologique déjà frappé d’obsolescence. Une ambiance un peu poussiéreuse d’Allemagne de l’Est, quand elle est peinte dans Good Bye Lenin par le cinéaste Wolfgang Becker.

  Une marionnette à tige, énigmatique personnage-taupe aux yeux lumineux, fait figure de guide. Le spectateur peut se déplacer au gré des micro-saynètes mises sous verre. Ecouter de la musique liturgique dans des gouttières. Observer ce qui se passe au-dessus, en-dessous. Nous assistons à une succession lente d’instants de (sur)vie.
   Parmi ces personnages usés, appareillés, dégingandés, un obèse cul-de-jatte attire plus particulièrement l’attention. Animé par une opération douloureuse, un tuyau planté dans le dos, il émet un discours-gromelot stupéfiant. Moment de grâce cacochyme. C’est la vie qui se déploie sous nos yeux, si finement décrite par Kleist dans son fabuleux petit texte, Sur le théâtre de marionnettes : «L’âme (vix motrix), centre de gravité du mouvement».
Ces personnages qui attendent, se déplacement difficilement, traînent leur valise ou leurs sacs de vide, aussi touchants que déprimants. Prophétisent-ils la société de demain ? Ne sont-ils pas plutôt le miroir de la nôtre, peuplée d’êtres blessés, amputés, claudiquant dans la jungle de Calais, les zones commerciales, ou  le monde de l’entreprise et autres lieux de transit ?

Leur univers de claustration, feutré, ralenti, dénonce notre absence d’ambition écologique, sous une lumière jaunâtre. L’univers sonore, surtout, nous alerte; percé de sons métalliques, de vols de mouche, de grésillements issus de haut-parleurs, il nous donne la clé : notre production de plastique et de béton est alarmante.
  L’homme provoque un tsunami sans précédent à l’échelle planétaire. La COP 21, conférence de Paris sur les changements climatiques, c’est maintenant! Il n’y a que la fondation Gates, nous dit une voix de chroniqueuse, qui investisse dans le traitement de nos matières fécales. Ambiance…
Le spectacle semble illustrer cruellement les théories d’Edward Gordon Craig qui voyait dans la marionnette, l’acteur idéal. Sans psychologie, sans égo, elle impose sa présence et s’anime, allégorie idéale de cette post-humanité réduite à quelques postures et gestes. L’univers d’Ezéchiel Garcia-Romeu est cohérent de bout en bout, désespéré. Il extrait de la matière brute, l’ultime mouvement, la grâce dernière. C’est beau, poignant.
Mais qui viendra nous apporter à nous, humains, un nouveau souffle ? Nous relever, nous guider, nous libérer de la gravité, sinon nous-mêmes ?
Le message sur l’artiste comme lanceur d’alerte, est expulsé avec plus de douleur. D’où, sans doute, ces applaudissements ténus à la fin de cette visite douce-amère. Si le spectateur ne peut qu’être sensible à la délicatesse des créatures, à l’urgence écologique, il est toutefois maintenu dans le désespoir par une esthétique où tout agonise.
Ici ou là, lui restent une maigre énergie et le menu plaisir de transgresser son impuissance en changeant d’angle de vue, en faisant tourner un vélo d’appartement (fournisseur d’électricité), en décrochant un téléphone pour un maigre dialogue. Il touche furtivement à la possibilité d’agir, d’entrer en contact.
Emergent de tout petits fragments d’humanité. Et pourtant, jusqu’au bout de ce monde, un constat : l’homme bouge encore.

 Stéphanie Ruffier

Théâtre National de Nice, jusqu’au 15 novembre. Théâtre d’Arles, les 8 et 9 janvier. Centre Dramatique National de Strasbourg du 13 au 15 janvier.

Orphée aux enfers

Orphée aux enfers, conception, scénographie et mise en scène de Pierre Blaise, musique de Jean-Pierre Arnaud/ Ensemble Carpe Diem

f-ebf-5416f520ba6f2Pierre Blaise, qui vient de reprendre le Théâtre aux Mains nues, à la suite d’Éloi Recoing, nommé à la direction de l’École Internationale de Marionnettes de Charleville-Mézières, présente une nouvelle étape  de ce spectacle,  toujours en cours d’élaboration.
  Un premier travail avec marionnettes et musique, en collaboration avec l’ensemble Carpe Diem, avait été entrepris dès 2012 au cours d’un stage avec une dizaine de jeunes professionnels de l’Atelier Arketal de Cannes. Pour ces premiers essais, la compagnie avait utilisé une série de marionnettes neutres à gaine. Et, en 2013, l’Ensemble Carpe Diem avait permis une confrontation des sources musicales possibles pour cet opéra.
« Orphée nous redit le mythe grec de celui qui est descendu jusque dans les enfers pour retrouver son amour perdu : Eurydice. La musique d’Orphée, dit le metteur en scène, berce et endort Charon l’épouvantable passeur des âmes. Il profite de son sommeil pour lui voler sa barque et… c’est une des plus belles histoires de l’humanité. La musique, l’amour, la mort, l’espoir… Les marionnettes, figures animées, sont de la matière magique. Elles portent en elles et colportent les contes et les grands mythes depuis la nuit des temps. »
Dans la petite salle du Théâtre aux Mains Nues, un public d’une cinquantaine d’enfants. Devant un castelet bariolé, un clarinettiste lance les premières notes, esquisse la terrible histoire de la perte d’Eurydice piquée par un serpent, et la quête d’Orphée pour la retrouver dans les enfers. Mais il va la perdre car il s’est retourné pour la voir… Les marionnettes ont une tête figurée par un simple cercle jaune, mais elles vivent sur des trapèzes  se déployant dans l’espace, grâce à la musique de Jean-Pierre Arnaud  et à la parole des manipulateurs.
C’est un spectacle très prometteur mais encore en devenir.

Edith Rappoport

Le spectacle a été présenté au Théâtre aux Mains Nues, Paris,  du 9 au 11 octobre.

Léonce et Léna

Léonce et Léna de Georg Büchner, adaptation et mise en scène de Grégoire Callies
 

Leonce-et-Lena_2.-Ms-Gregoire-Callies-©-Victor-Tonelli-ArtcomArtLéonce, prince du royaume de Popo, refuse d’épouser Léna, princesse du royaume de Pipi, qui ne veut pas se marier avec un inconnu. Chacun fuit de son côté. Lui, en compagnie de Valério, un aventurier philosophe ; elle, avec sa servante. Le hasard les fait se rencontrer dans une auberge, en Italie, et ils tombent amoureux. Tout est bien qui finit bien. Ils se marient, Léonce devient roi et Valério ministre.
 La pièce de Büchner, située dans un royaume d’opérette, avec ses personnages stéréotypés, réduits à leurs fonctions, traite d’un monde arbitraire où les hommes sont les jouets du hasard. Si bien qu’elle convient parfaitement à la marionnette.
Les charmantes petites figurines à gaine, habilement manipulées par Grégoire Callies et Marie Vitez,  se déploient dans un décor de conte de fées. Il en sort de partout, à croire que les deux comédiens ont plus de quatre mains.
  La boîte à jouer, conçue par Jean-Baptiste Manessier est étonnante d’astuce et de beauté. Elle se déplie en largeur, pour créer de vastes paysages ; elle s’ouvre, découvrant les dessous du théâtre (ou du monde !) où triment des homoncules attelés à des rouages grinçants.
Dans le ciel, monte la lune et les étoiles, romantiques à souhait pour la rencontre des amoureux, devant la vieille auberge, aux escaliers en colimaçon, qui descend des cintres. Dans cet espace miniature, les petites poupées ont un rien d’irréel qui amplifie la poésie du texte.
La légèreté, que confère aussi les déplacements et les voix des marionnettes, n’occulte pas regard aigu que l’auteur porte sur une société déliquescente où les riches oisifs s’ennuient et les souverains sont tyranniques et inconséquents, comme le roi de Popo, représenté en poussah absurde, réduit à ses «attributs», prêt à célébrer la noce de son fils en effigie, puisque c’est le jour inscrit dans le protocole.
Dans cette Allemagne de roitelets décadents, Léonce cède à la mélancolie : «Je suis si jeune et le monde est si vieux, je pourrais m’asseoir et pleurer»,  dit-il. Ce que confirme Valério : «Il était si vieux sous ses boucles blondes, le printemps dans les yeux et l’hiver dans le cœur», et  sa maîtresse Rosetta le lui reproche : «Tes lèvres sont mornes à force de bailler. Tu m’aimes par ennui.»
Mais, comme tout est possible dans le monde fantaisiste de Georg Büchner, Valério conclut  la pièce par une déclaration libertaire: «Et je deviens ministre d’état, et je promulgue ce décret, qu’on mette sous tutelle celui qui a des ampoules aux mains, qu’on condamne aux assises celui qui tombe malade à force de travail, qu’on déclare dément et socialement dangereux, celui qui se vante de gagner son pain à la sueur de son front. Et nous nous coucherons à l’ombre, et nous prierons le bon dieu qu’il nous  envoie  des  figues,  des melons et  des  macaronis,  des  gorges  mélodieuses,  des corps classiques et une religion commode.»
Après un début un peu confus, Léonce et Léna trouve tout son sens dans cette adaptation assez fidèle. Et l’on se laisse emporter avec plaisir dans l’univers loufoque de Georg Büchner que ne trahissent pas les marionnettes.

 

Mireille Davidovici

 

Théâtre de l’Atalante, 10 Place Charles Dullin, 75018 Paris
T. 01 46 06 11 90 Jusqu’au 10  octobre

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