C’est la 7e rencontre de Mano à Mano, événement consacré au Théâtre d’objets qui a rassemblé nombre de jeunes artistes prometteurs invités par Mireille Silbernagl, conseillère à la programmation. Pour cette édition, François Claude, directeur de l’Équinoxe, a confié une carte blanche aux Anges au Plafond, qu’il accueille pour une résidence de 3 ans.
Les Anges au Plafond, nous les avions découverts voilà une dizaine d’années au Théâtre 71 de Malakoff. Camille Trouvé faisait ses premières armes avec Les Chiffonnières, marionnettistes dans leur jolie roulotte, aujourd’hui dispersées. Avec Brice Berthoud, elle crée « un laboratoire de formes animées » d’une force poétique étrange, aux formes toujours renouvelées. Après la série de La Tragédie des Anges -Au fil d’Œdipe, Une Antigone de papier, Les nuits polaires, et Le cri quotidien-, elle a créé à l’automne dernier Les mains de Camille, bouleversant spectacle sur Camille Claudel (voir theâtre du blog déc 2012).
Et cette compagnie généreuse a concocté une journée précieuse en invitant 4 compagnies amies, une exposition et un final musical avec une chanteuse Éthiopienne à l’autre bout de la ville jusqu’à l’aube. Tout cela au lieu de reprendre l’intégrale de leur répertoire comme on aurait pu le penser. Il faut dire que les Anges au Plafond ont du mal à répondre aux invitations, avec près de 150 représentations de leur répertoire dans toute la France pendant la saison en cours.
CŒUR DE PATATE, leçon d’épluchage, Compagnie Peplum Cactus, conception Jessy Caillat
avec Marie Girardin et Sylvain Blanchard.
Issue de l’École Internationale de Marionnettes de Charleville Mézières, Jessy Caillat a fondé sa compagnie , elle monte des spectacles singuliers, notamment Bilan sur la maîtrise du poste vu avec plaisir en 2005. Ce Coeur de patate est une courte ébauche hilarante qui doit être peaufinée pour une durée plus longue. On voit un homme et une femme assis à table, en train d’éplucher rageusement un énorme tas de pommes de terre, ils se défient, se jettent les épluchures à la figure, tentent de triompher par la vitesse, puis s’abandonnent à un échange de patates marionnettes plantées au bout de leur couteau. Dans la caisse de patates érigée en castelet, il y a un échange sensuel et même un striptease, une projection d’épluchures, des jeux avec le couteau et la râpe des plus drôles. Pour une fois, on peut rêver d’aller voir la version « longue » de ce spectacle !
PETITE CONVERSATION SUR LES ARTS DE LA MARIONNETTE…
Mireille Silbernagl échange avec Brice Berthoud des propos sur la myriade de fils qui relient les marionnettes dont l’histoire est subversive. Elle cite un proverbe africain « Si l’on ne sait pas où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ! » Les marionnettes étaient des objets sacrés qu’on a retrouvés dans les tombes des pharaons, dans les statues des églises que les prêtres faisaient bouger pour impressionner les fidèles. Marionnette viendrait de petite Marie. Les marionnettes ont été jetées hors de l’église pour se retrouver dans les foires avec les personnages de la commedia dell’arte qu’on retrouve dans toute l’Europe. Pulcinella qui se révolte contre toutes les formes d’autorité, devient Punch en Angleterre, Karagheuz en Grèce et en Turquie. Giovanni Briocci arracheur de dents sur le Pont Neuf conquiert la gloire avec ses marionnettes à gaines, Guignol s’impose à Lyon avec Mourguet…Devant le succès populaire des marionnettes à la Foire Saint Germain, la Comédie Française fait interdire les marionnettistes de parole. Qu’importe ! Les bateleurs continuent à parler avec une lamelle en fer qui transforme leurs voix.
On a tenté de reléguer au seul jeune public la marionnette devenue dénaturée, mais heureusement, elle continue de vivre à travers le monde en conservant sa force….
JE BRASSE DE L’AIR Exposition de et par Magali Rousseau
Magali Rousseau nous guide à travers un chemin initiatique, celui de son exposition de bouts de fil de fer et d’étranges machines métalliques qu’elle manipule. C’est son parcours de vie, un parcours politique à travers une vingtaine d’oeuvres, certaines miniatures, d’autres plus volumineuses, un travail sur l’air, l’équilibre sur des mécanismes aléatoires et fragiles, une déclinaison des ailes sous toutes leurs formes. D’abord le reflet inversé d’une phrase écrite sur un fil de fer qu’elle relève : »je pédale dans la semoule ». Ensuite elle hisse au sommet d’un petit téléférique de petites feuilles blanches de tilleul, « grimper le plus haut possible (…), ne pas tomber avant l’heure de gloire ». Des ballons aéronefs qui tournent, un mot ne convient pas mieux qu’un autre…Il faut voir ce brassage étonnant difficile à décrire !
LA VIEILLE ET LA BÊTE , Théâtre Meschugge de et par Ilka Schönbein, musique Alexandra Lupidi
Ilka Schönbein promène depuis près de 20 ans les douleurs d’un monde morbide dans des solos déchirants. Nous l’avions découverte en 1998 au Centre d’Art et de Plaisanterie de Montbéliard dans Métamorphoses, il y eut ensuite Le Roi Grenouille et Pourquoi l’Enfant cuisait dans la Polenta et d’autres…
Pour La Vieille et la Bête, elle est accompagnée d’une étonnante musicienne chanteuse grimée en homme, qui donne une résonance émouvante et parfois drôle à ce personnage de vieille squelettique et desséchée, dont le corps se tord et se transforme en personnages de Jérôme Bosch. Ilka pèle une pomme, la pose devant elle de ses mains noueuses. Elle porte un masque hideux, se plie et fait surgir de son corps des formes étranges : »Il était une fois une petite fille, elle voulait devenir ballerine, la petite ballerine est devenue une vieille ruine (…) Est-ce qu’il y a une vie après la danse ? » On entend des accents de Purcell, un âne surgit étrangement mêlé au corps d’Ilka. L’âne chante, il est tombé à l’eau et le spectacle aussi. « Qu’est ce que tu veux à la fin, mourir, vieillir ? »
Nous sortons bouleversés de ce voyage autobiographique, Ilka Schönbein avait commencé son initiation en Allemagne comme danseuse auprès de Rüdolf Steiner. C’est une très grande actrice qui a choisi de vivre dans une pauvreté essentielle.
On pourra revoir Ilka Schönbein au Grand Parquet, où elle a présenté récemment Faim de Loup.
LE VIEUX DE LA MONTAGNE, Compagnie les Antliaclastes, mise en scène Patrick Sims
avec Joséphine Biereye, Orial Vilalomiu, Richard Penny, Zana Goodal, Ilan Katin
Patrick Sims nous accueille en ouverture de la journée auprès de son gigantesque flipper, décor de son spectacle pour évoquer son itinéraire. Né en Amérique, il a fait une thèse sur la pataphysique de la marionnette, Alfred Jarry et l’interprète inhumain. Il a exploré les marionnettes dans le monde, notamment à Java. Il s’est installé près d’Hérisson pour fonder et diriger Butchingers’Booot Marionnettes pendant 5 ans. Les Antliaclastes en sont issus.
Le vieux de la montagne s’inspire d’un texte de William Burroughs, ainsi que d’une fable perse de Hassan Sabbah du 12e siècle, c’est une poésie aléatoire, on peut rentrer dans l’histoire n’importe quand.
La première partie se passe à l’intérieur du flipper, on peut y voir les mécanismes du paradis, le diable manipule le flipper qui est un modèle du rebelle underground…
Cette première partie fait surgir des visions terrifiantes surgies de l’enfer, des robots, des monstres à tête de chien, des squelettes, un cul de jatte, un diable rouge, un brontosaure mangeant des glaces, des visions d’enfer parfois comiques, tout un capharnaüm poétique de marionnettes à fil manipulées par des artistes masqués qui semblent des géants inquiétants. La deuxième partie après l’entracte laisse le flipper à découvert manipulé par un acteur coiffé d’une grosse tête de président qu’on assassine.
Edith Rappoport
Théâtre Monfort du 16 au 27 avril, tél 01 56 08 33 88
http://www.antliaclastes.com