Chotto Desh, chorégraphie d’Akram Khan, adaptation de Sue Buckmaster , musique de Jocelyn Pook

Chotto Desh, chorégraphie d’Akram Khan, adaptation de Sue Buckmaster, musique de Jocelyn Pook (à partir de cinq ans)

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©Jean-Louis Fernandez

 

 Pour que les jeunes soient parmi les premiers à découvrir le nouveau Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Emmanuel Demarcy-Mota son directeur, a programmé un spectacle d’une heure tout public dans la journée avec cette création présentée en 2017 (voir Le Théâtre du Blog).
La grande salle a été magnifiquement rénovée avec une moquette crème assortie à des sièges en toile écru. Elle résonne de cris d’enfants agités par l’attente : certains sont venus de loin en car ou en train. Un public impressionnant, vite captivé par l’apparition du danseur Nicolas Ricchini (en alternance avec Jasper Narvaez).

Il se présente comme étant Akram et nous entraîne dans son enfance. Nous le suivons dans les rues de Dacca où il passait ses vacances d’été: il danse en se frayant un chemin dans la foule et la circulation des voitures : l’évocation sonore et les contorsions comiques du danseur pour éviter les obstacles nous transportent dans le vacarme et le fourmillement d’une ville du Bangadesh (cent soixante-huit millions d’habitants). Puis on retrouvera le jeune Akram en pleine guerre de libération de ce pays en 1971. 

 Plus tard, il devient le personnage d’une histoire que lui raconte sa mère en voix off, illustrée par un dessin animé sobre et poétique. On suit le danseur derrière le tulle où sont projetées les images de sa vie familiale quand il était enfant et de ses aventures dans la jungle : des arbres, un fleuve, un éléphant, un serpent, des papillons, des abeilles… Pour le grand plaisir des enfants fascinés,il se glisse avec légèreté dans l’univers poétique du Tigre de Miel de l’autrice indienne Karthika Naïr qui a souvent collaboré avec le chorégraphe.

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Chotto Desh, ebengali petite patrie, adaptation pour jeune public du solo Desh (pays (natal) est un récit d’apprentissage où le chorégraphe garde l’esprit du kathak, qui le passionnait enfant. Il avait même endommagé le magnétoscope de ses parents à force de la regarder des heures pour imiter cette danse … Il n’y a rien de folklorique dans la gestuelle de l’interprète ni dans la musique qui nous a paru   quelquefois un peu trop forte. Les plus jeunes retiendront surtout ce conte indien joliment illustré et un tour de passe-passe du danseur : avec quelques traits de crayon sur son crâne rasé, il dessine le visage du père. Avec cette sorte de masque, il caricature  ses gestes avec tendresse. Une belle image que l’on retiendra longtemps.

Les plus grands et leurs parents s’attacheront à l’histoire d’un artiste qui, nourri de plusieurs cultures, a suivi sa passion et mené sa barque, mais sans se couper de ses racines. Une leçon de vie pour tous.

Ce spectacle -pour la majorité des enfants, un premier contact avec la danse et le théâtre- les incitera sans doute à revenir, vu le prix des places très modique pour eux.

 Mireille Davidovici

Ce solo vu le même soir nous plonge dans l’autobiographie du jeune Akram, né en France d’un père venu du Bangladesh et d’une mère philippine. Par la danse et grâce à des projections de figures animées sur un tulle de fond de scène, belle création visuelle de Tim Yip, le chorégraphe raconte la naissance de sa vocation.
Son père veut qu’il lui succède à la tête de  son restaurant parisien, le jeune Akram va trouver dans la danse une échappatoire  « Je veux danser papa, je veux devenir danseur!  ». 
 Héritier d’une double culture, il a été dans son enfance partagé entre cet art qui le fait vibrer et le devoir envers son père. On pense à Freddie Mercury qui, contre l’avis de ses parents, s’est lancé dans la musique et la chanson à corps perdu. 
 Cette pièce demeure un bel hommage touchant et poétique à ses parents. Akram Khan réussit par de simples artifices de jeu à nous emporter dans son histoire. La création musicale de Jocelyn Pook accompagne ce récit.

Jean Couturier

Spectacle présenté les 4 et 5 octobre, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

 Du 12 au 14 octobre, Le Trident, Cherbourg (Manche).

Les 4 et 5 novembre, Teatro Macedonia Alacala, Oaxaca City Performing Arts Festival, Oaxaca (Mexique).

Le Tigre de Miel de Karthika Naïr, illustré par Joëlle Jolivet, est publié aux éditions Hélium.


L’Amérique n’existe pas de Peter Bichsel, mise en scène de Dominique Lurcel (tout public à partir de huit ans)

© Guislaine Rigollet

© Guislaine Rigollet

L’Amérique n’existe pas de Peter Bichsel, mise en scène de Dominique Lurcel ( tout public à partir de huit ans)

 Nous aimons qu’on nous raconte des histoires et celles de Peter Bischel ont une saveur particulière. Journaliste et écrivain, ce Lucernois connut son heure de gloire dans les années soixante avec, entre autres, un premier roman Le Laitier. Chroniqueur apprécié de la Weltwoche et du Tages Anzeiger, il trouvait son inspiration dans les cafés où il improvisait des contes avant de les publier sous le titre Histoires enfantines…

 Ces courts récits se prêtent à une adaptation théâtrale et, sous la direction précise de Dominique Lurcel, Guillaume van’t Hoff nous en livre quelques-uns. Sous les oripeaux d’un vieillard, il prend des allures d’enfant tantôt naïf, tantôt malicieux. Ce petit bonhomme, perdu au milieu d’un tas de cartons, va faire vivre une ribambelle de personnages. Un solipsisme les relie qui les pousse à des comportements bizarres.  Ils vont jusqu’au bout de leur logique, implacable : l’un d’eux apprend par cœur les horaires de tous les trains sans jamais voyager mais sera mis en échec par le service de renseignements de la gare. Alors, il poursuivra son rêve  : apprendre quelque chose que personne ne connaît. Ce vieux solitaire pour sortir de sa routine, rebaptise tous les objets qui l’entourent, jusqu’à ne plus comprendre son ancienne langue. Il y a aussi celui qui ne veut rien savoir et qui doit tout apprendre pour tout oublier, jusqu’à devenir vide comme le rhinocéros cuirassé du zoo…Enfin, le fameux oncle Yodok évoqué par un grand-père gâteux…

 A la fois juvénile et vieillot, Guillaume van’t Hoff nous entraîne dans un univers absurde et poétique : on pense aux Boutiques de cannelle du Polonais Bruno Schultz ou aux illogismes d’Eugène Ionesco. On devine, chez les êtres imaginés par, une solitude extrême, qu’ils peuplent de leurs fantaisies et de leurs rêves. Avec eux, le comédien questionne notre société normative et cherche à prendre la tangente…Malgré un espace de jeu un peu embouteillé par les cartons, il nous fait voyager pendant une heure dix, loin des rivages connus vers d’autres horizons, à la rencontre de vies minuscules et d’une humanité différente… Avec une ironie amusée et amusante .

 Mireille Davidovici

 Du 27 septembre au 26, Essaïon Théâtre 6, rue Pierre-au-Lard  Paris (IV ème).
 T. : 01 42 78 46 42

 Histoires enfantines, traduit.de l’allemand par Claude Maillard et et Marc Schweyer, Gallimard (1971)

 

 

Normalito, texte et mise en scène de Pauline Sales. (à partir de neuf ans)

Crédit photo : Ariane Catton

Crédit photo : Ariane Catton

Normalito, texte et mise en scène de Pauline Sales. (à partir de neuf ans)

 

La comédienne, metteuse en scène et autrice d’une quinzaine de pièces à codirigé pendant dix ans, Le Préau, Centre Dramatique National de Normandie à Vire ( Calvados)  avec Vincent  Garanger. Ils poursuivent leur démarche artistique avec la compagnie A L’Envi, prônant une écriture et une mise en scène qui révèlent une humanité toute de complexités et de contradictions. Ce texte répond à une commande de spectacle pour la jeunesse que leur a faite Fabrice Melquiot directeur du Théâtre Am Stram Gram à Genève. A l’heure où les super-pouvoirs dessineraient une norme « giga » à atteindre, comment rendre la normalité désirable, celle d’une vie honnête et en accord avec soi – sans qu’elle passe pour moyenne, terne et sans ambition ?

 Mais ce concept de normal (famille, pays, coutumes, mœurs et époque) varie selon chacun et oscille donc entre le normatif ou le prescriptif. Il n’est pas non plus la moyenne et ne peut définir la normalité. En même temps ou peu à peu, elle a fini par devenir un épouvantail : trop de banalité, trop de « médiocrité  et une modération  signifiant le plus souvent l’insuffisance. Mais aujourd’hui enfin, la société fait respecter la différence. Et, par ailleurs, peut-on être par ailleurs non-singulier ?  En classe, Luca, élève moyen en tout, a l’impression d’être oublié… Et quand la maîtresse demande à sa classe de CM2 d’inventer un super-héros, Lucas dessine Normalito « qui rend tout le monde normal» car tous ont une singularité,  mais lui-même affirme ne prétendre à aucune distinction. 

Il fait le récit de son aventure initiatique, à la fois scolaire, citoyenne et sociale :

« Alors ça ne se voit pas à l’œil nu, mais ils sont zèbres quoi à l’intérieur. Comme si on était tous des chevaux avec nos robes de couleur banale, et puis au milieu de nous il y aurait un zèbre et grâce à ses rayures on saurait immédiatement qu’il est différent… » Diverse est l’humanité enfantine scolarisée, comme celle entre  enfants à hauts potentiels (HP) ou celle aux troubles du dys- (les handicapés), ou encore ceux qui viennent d’autres pays et d’autres cultures. Iris, une fillette plutôt surdouée dans sa lecture du monde qu’elle ne cesse de découvrir avec acuité, aspire à la normalité et devient l’amie de Normalito.

L’un et l’autre découvrent la famille respective de chacun, dans un chassé-croisé leur ouvrant des perspectives heureuses. Chacun de son côté, trouve étrangement que les parents de l’autre correspondraient mieux à leurs aspirations. Iris ne supporte ni les frites, hamburgers et pizzas : le quotidien des repas familiaux. Et Luca, lui, n’en peut plus d’une nourriture bio, triste et peu festive. Sa mère -tendance bobo et design- se plaint et redoute que son fil normal ne soit « con ». Mais le père d’Iris voit en elle une future Présidente de la République.

Au fil de leur émancipation, les enfants rencontrent Lina, la dame des toilettes de la gare, née homme dans un corps inadéquat ou faux, dont elle s’est échappée. Le pouvoir dérangeant de l’anormalité , inquiétante étrangeté, s’avère finalement plus séduisant que repoussant, et les gens différents sont semblables dans leur être au monde.

Scénographie de Damien Caille-Perret ludique  au possible, avec un intérieur un peu vide, si ce n’est des accessoires révélateurs de chacun des enfants, un siège design haut et cassé, marqué de  zébrures évoquant de façon métaphorique Lina, toujours sur la brèche… mentalement. Le fauteuil de Luca se révèle des plus confortables et dépliable pour qu’on s’y étende. A jardin et à cour, trois portes battantes s’ouvrent et se ferment, sur des passages privés, hors champ, des parents de Lucas ou bien de ceux d’Iris.

Cette installation judicieuse correspond, lors de la fugue nocturne des enfants, à l’espace, au sous-sol d’un gare, des toilettes que gère Lina.  C’est la tenancière d’une petite voiture à bras colorée et joliment peinte de marchande ambulante des quatre saisons  avec des rouleaux de papier placés en cœur et des figurines seyantes : hommes, femmes et trans. Les toilettes aideront  Lina et Iris à se comprendre quand elle se sentira malade ; ce sera pour elle comme pour Luca confiant dans ses amies un refuge intime et un lieu de révélations… Antoine Courvoisier dans le rôle du garçon  a un regard personnel sur le monde mais aussi l’esprit ouvert, curieux et réceptif. Grand, maladroit parfois, il reste tenace, revendiquant sa juvénile maturité. Pauline Belle en Iris patiente et calme, trouve une solution à tous les problèmes et ne désarme pas devant les attaques intempestives de son camarade fougueux qu’elle aime silencieusement d’un amour sincère et dont elle lui fera l’aveu libérateur. Les différences peuvent s’additionner pour se mutualiser, l’hypothèse est résolue. Anthony Poupard est aussi à l’aise en Lina, féminine jusqu’au bout de ses gestes de la main, que son propre frère, beau macho et sûr de lui.

Une récréation festive à la saveur de bonbon saveur acidulé sur la différence quelle qu’elle soit et Fabrice a un regard vif et positif quand il s’agit de la compréhension des plus jeunes.

 

Véronique Hotte

 

Spectacle vu le 12 mars au Carreau du Temple, 2 rue Perrée,  Paris (IIIème)

Le Théâtre de la Ville, aux Plateaux Sauvages Paris (XX ème) du 13 au 15 mars…

Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs.

 

 

Dans ma Maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu, de Philippe Dorin, mise en scène de Julien Duval

 Dans ma Maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu de Philippe Dorin, mise en scène de Julien Duval  

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

Elle s’endort, petite fille et se réveille avec des cheveux blancs. Avant de se coucher, elle a rangé ses jolis souliers qui vont la mener loin : à son rendez-vous avec la mort… qui a plutôt bonne figure : celle d’un Promeneur discret (Carlos Martin) environné d’une légère dentelle  de musique, on dirait. Entre l’ouverture et la fin de la pièce, il s’est passé quelques secondes mais aussi la durée de la représentation. La Petite Fille et la vieille dame auront pu se raconter beaucoup de choses, s’inventer des souvenirs avec le pouvoir du : « allume ! », « éteins ! » qui décide, ou non, du monde du rêve. Elles seront entrées dans l’illusion et le plaisir du jeu : tracer un carré au sol : « c’est ma chambre », jouer avec un village de papier, que le Promeneur manipule parfois comme un magicien, au risque d’une allumette de trop et d’un délicieux frisson. La neige tombe, on balaye. Mais on ne peut pas tout effacer et il faut bien qu’à la fin, la vieille dame disparaisse…

©Pierre Planchenault

©Pierre Planchenault

De vaillantes actrices : Juliette Nogaret, dix ans (en alternance avec Camille Ruffié) et France Darry, une vie entière de plus, si l’on en croit sa longue carrière, en particulier avec Jacques Echantillon dans un duo qu’on n’a pas oublié pas sur des textes de Dario Fo et Franca Rame. Main dans la main, elles ne se font pas de cadeaux mais avancent, avec ce qu’il faut d’insolence, tendresse, vivacité mais avec aussi, parfois, de doutes. Chacune à sa façon, dans une complicité charmante, elles ouvrent le champ de l’imaginaire. « Allume !», «Eteins !», et nous les suivons. Le mystère ne se dissipera pas, sur un plateau drapé de rideaux sombres où pleuvent à peine la neige et les étoiles, et les sons ténus filés par Kat May et Madame Miniature, qui prennent leur temps, comme le spectacle lui-même.

Le public -enfants et familles- ce jour-là à La Cloche d’Or, le joli théâtre de Rochefort-sur-Mer, en oublierait presque de quitter cette histoire vraie et grave, avec ses airs de féérie et de fantaisie. Voilà une belle initiation au théâtre, avec des ateliers pour les enfants, peut-être envieux de l’aisance sur le plateau d’une petite fille de leur âge. Julien Duval joue dans la plupart des spectacles de Catherine Marnas et a mis en scène deux spectacles « tout public » : Alpenstock de Rémi et Vos et La Barbe bleue de Jean- Michel Rabeux. Et il vient de créer avec Carlos Martins, la compagnie Syndicat d’Initiative, en compagnonnage avec le Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine. Une belle histoire de transmission, aussi, derrière la scène.

Christine Friedel

Spectacle vu le 29 janvier au Théâtre de Rochefort-sur-mer (Charente-Maritime).

Du 7 au 18 mars, Festival La Tête dans les nuages, Théâtre d’Angoulême (Charente) ; les 26 et 27 mars. Maison de la Culture de Bourges (Cher).

Le 10 avril, Théâtre municipal d’Agen (Lot-et-Garonne).

L’Enfant inouï,création et direction musicale de Laurent Cuniot, mise en scène de Sylvain Maurice

L’Enfant inouï, création et direction musicale de Laurent Cuniot, livret de Sylvain Maurice, librement inspiré de L’Extraordinaire garçon qui dévorait les livres d’Olivier Jeffers, mise en scène de Sylvain Maurice

 

Crédit photo : Elizabeth Carecchio.

Crédit photo : Elizabeth Carecchio.

Au départ, un livre illustré pour enfants soit un objet cartonné (en anglais: pop-up) changeant de forme  quand on l’ouvre. Un trésor de précision et de créativité qui émerveille le jeune lecteur… Ici reproduit à l’identique sur le plateau avec une page blanche posée comme en équilibre et d’où émergent d’abord la tête puis le corps d’Henri, interprété par la soprano Raphaëlle Kennedy.

La scénographie d’Antonin Bouvret est savante et malicieuse, grâce aussi aux lumières changeantes de Rodolphe Martin et à la vidéo de Loïs Douglazet.  A jardin, il y a dans l’ombre, Raphaëlle Kennedy et les musiciens de TM+ -Ensemble orchestral de musique d’aujourd’hui: Anne-Cécile Cuniot à la flûte, Etienne Lamaison à la clarinette et Gianny Pizzolato aux percussions.

 « Au début/J’étais seul/J’ai juste goûté un mot pour voir/C’était bon/Puis j’ai essayé toute une phrase (juste pour goûter)/Et enfin toute une page/Une PAGE/Une PAGE/Une PAGE/Je me suis régalé ! /Et maintenant je ne fais qu’une bouchée d’un LIVRE tout entier! » Cet opéra de chambre a pour origine une fable fantastique de cet  auteur et illustrateur britannique de quarante trois ans qui a écrit de nombreux ouvrages de littérature jeunesse et qui a remporté de nombreux prix dont celui prestigieux de Bologne.. Quand ses parents travaillent, Henri est seul à la maison avec son poisson Roudoudou dans l’aquarium. Il s’adonne à son loisir favori, lire des livres et tout l’intéresse : dictionnaires, romans d’aventure, histoires comiques et tragiques et même livres de mathématiques… Rien de plus inquiétant que cet appétit insatiable, cette dévoration des livres de bibliothèque, cette volonté de tout savoir et tout connaître pour dominer les autres.

Le corps enfantin est trop frêle, si l’on considère l’encyclopédie de mémoire dont il est porteur ; un déséquilibre s’installe entre le corps et l’esprit :« Je veux tout savoir/Rien ne peut m’arrêter… »L’enfant va tomber malade et devoir repenser son activité de lecture. Ne pas se réfugier dans la solitude : l’éloignement d’avec les autres empêche de s’épanouir dans des relations sociales et amicales harmonieuses et équilibrées. Identifier le monde et sa place dans le monde relève du discernement. Et apprendre à lire est indispensable pour grandir, penser et s’élancer.

 La musique de Laurent Cuniot donne à entendre la clarté et les nuances de colorature pure et virtuose de Raphaëlle Kennedy avec soliloques et dialogues et superpositions enregistrées de sa voix. Le choix des mots par Sylvain Maurice met en valeur la dimension musicale de ce petit opéra de chambre mais aussi la dimension poétique et burlesque de cette prose poétique facétieuse qui révèle l’univers enfantin. Cette voix chantée ou parlée, transformée électroniquement, démultipliée et renversée,  comme une petit garçon  qui perd l’équilibre… Voix du père, de la mère, voix de l’enfant, et silence du poisson… les identités se brouillent.

 Conversent ici avec plaisir, flûtes, clarinette et clarinette basse, percussions : vibraphone, etc. Pour le compositeur, l’alliance des instruments et de l’électronique procède de l’installation d’un univers musical contrasté, onirique, entre imaginaire et réel. Le tout en parfait accord avec la belle mise en scène de Sylvain Maurice, directeur du Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique National. Un souffle rafraîchissant, une énergie radieuse : l’art de la lecture, quoi de plus tonique…

Véronique Hotte

Spectacle créé les 10 et 11 décembre au Festival Tout’Ouïe, Maison de la Musique de Nanterre ( Hauts-de-Seine).

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines du 14 au 16 mai..

 

Oh Boy ! adaptation de Catherine Verlaguet du roman jeunesse de Marie-Aude Murail, mise en scène d’Olivier Letellier

Oh Boy ! adaptation de Catherine Verlaguet du roman jeunesse de Marie-Aude Murail, mise en scène d’Olivier Letellier

4474494C-0AA1-4FC2-85AB-98FE1C7BD659Assister à la huit-centième représentation d’une pièce n’arrive pas souvent. Gage de succès auprès du public et du milieu théâtral (Molière 2009 du meilleur spectacle jeune public), cette longévité crée une attente. Le roman avait déjà fait l’objet d’une adaptation pour la télévision : On choisit pas ses parents l’année d’avant. La vivacité de l’écriture comme de la mise en scène et du jeu confèrent à cette pièce le plaisir d’un moment joyeux d’intelligence partagée avec des spectateurs de tout âge.

 En animateur d’espace inventif, le metteur en scène, formé à l’école Jacques Lecoq, n’hésite pas à faire tomber les conventions du théâtre de récit et confie à un seul  acteur (Guillaume Fafiotte ce soir-là), le soin de nous emmener dans ce délicat parcours d’apprentissage. Ici l’adulte se trouve confronté à ses manques et les enfants seront ses professeurs de vie.  Parmi tous les personnages de ce mélodrame de famille, Catherine Verlaguet a choisi en effet le prisme de Barthélémy pour raconter l’histoire d’une fratrie qui s’ignore au début : trois enfants abandonnés (mère décédée, père irresponsable) dont la Juge des tutelles cherche à favoriser la prise en charge par Bart, leur grand frère… Il vivait jusqu’ici tranquillement son homosexualité avec l’un ou l’autre de ses amoureux et ignorait l’existence de cette famille semée à tous vents par son père.

Son insouciance et ses copains faisaient rempart à sa solitude d’enfant lui aussi autrefois abandonné. Bart va garder sa légèreté au cœur même de cette aventure incroyable: se retrouver d’un jour à l’autre responsable de trois jeunes enfants. Son humour le fait s’exclamer à maintes reprises : Oh Boy! et nous rions avec lui de l’accumulation des charges qui lui tombent sur le dos.

Seul en scène. Avec une armoire, plutôt moche, sans charme. Peu importe, c’est celle des secrets d’enfance, celle qu’on n’ouvre pas et qui fait son poids. Mais Bart s’en sert comme d’un énorme Lego qu’il déplace, bascule, retourne. Ce qui pèse, peut devenir ce qui nous supporte, si on est un peu joueur. L’acteur se fait ici narrateur mais aussi personnage et par moments, manipulateur. Car pour nous raconter son histoire, Bart va se servir d’objets. Très peu nombreux,  complètement décalés, ils jouent leur partition pour dire le trouble où est jeté ce pauvre garçon qui téléphone à une poupée Barbie, parle à un culbuto ou à un canard de bain. Menus objets du quotidien enfantin qui cristallisent notre attention et composent la frise délicate d’une éducation de l’adulte par l’enfant.

L’histoire s’assombrit quand l’aîné des enfants développe une leucémie. C’est alors une course contre la montre entre les médecins, les soins et la mort qui s’annonce. A aucun moment, l’émotion n’est reléguée ou niée mais elle passe, grâce à la mise en scène, par la confusion accentuée des espaces, du mouvement, des objets. Mieux qu’un grand discours, Oh Boy ! ouvre la porte à l’incroyable inventivité du réel de nos vies, lorsqu’on veut bien laisser l’imprévu nous toucher et nous révéler ce dont nous sommes capables. Le public entre dans le quotidien; tout simplement normal, d’un jeune homosexuel un peu fêtard qui se découvre un beau jour et sous la contrainte des évènements, une fibre de grand frère responsable, comme un ersatz de paternité involontaire.

 Selon Marie-Aude Murail, « Quoi qu’on veuille dire aux enfants, on doit d’abord faire une histoire intéressante qui ne dégorge pas de l’éducatif dès qu’on y pose le doigt.» Catherine Verlaguet pour ce projet scénique, a joué en ce sens, en apportant à la pièce un ton joyeux, joueur et tendre qui touche chaque spectateur, quelque soit son âge. Tout en n’escamotant pas la dureté du réel. Un Inspecteur d’académie inculte (il y en a) et qui n’avait pas vu la pièce, avait jugé opportun il y a quelques années, de faire annuler toutes les séances scolaires au prétexte qu’on ne pouvait pas mettre les élèves devant des affaires aussi troublantes que l’homosexualité, une famille abandonnante ou la mort d’un enfant. Heureusement, plusieurs théâtres dont Chaillot, avaient tendu la main à Olivier Letellier. Grâce à eux et à tous les publics qui se sont réjouis à ce grand petit spectacle, il continue aujourd’hui à semer ses graines d’intelligence et de poésie.

 Marie-Agnès Sevestre

Dans le cadre du Parcours Enfance et Jeunesse du Théâtre de la Ville, jusqu’au 19 octobre, au Monfort, 106 rue Brancion, Paris (XVème). 


 

J’ai peur quand la nuit sombre par Erd’O (pour adultes et enfants à partir de douze ans)

 

J’ai peur quand la nuit sombre, d’après des versions du Chaperon rouge (tradition orale)  mise en scène d’Edith Amsellem (pour adultes et enfants à partir de douze ans)

25515-190814163836381-0Un spectacle conçu pour des parcs et jardins,  avec les personnages emblématiques du Petit Chaperon rouge, loin des contes de Charles Perrault et de ceux des frères Grimm. Soit, nous dit à l’entrée, une voix off aussi mielleuse qu’insupportable: «Une invitation à se perdre dans les méandres symboliques de quelques versions originelles du conte ». Bon, à voir…

Cela se passe à La Plantelière, un très bel arboretum sur sept ha à Arpajon-sur-Cère, une commune jouxtant Aurillac. Avec une grande variété d’arbres: érables, conifères, fruitiers, frênes, saules, hêtres… de nombreuses prairies avec fleurs sauvages, un labyrinthe de haies, un potager, un espace compost, un verger des formes et un verger conservatoire… Le tout, sans pesticides, herbicides ou engrais chimiques.

Le spectacle déambulatoire a lieu en trois espaces dans une clairière. Le public s’assied, s’il le peut et de temps à autre, sur quelques rares coffres en contre-plaqué coloré en  brun, vite convoités. Sur l’herbe verte et sous les beaux arbres éclairés par des projecteurs suspendus, il y donc ces espaces délimités par un fil rouge: la maison de la grand-mère Laura (soixante quatre-ans, dit-elle) celle de la mère et si on a bien compris, entre les deux, un espace dévolu au grand méchant loup, un grand jeune homme masqué, torse nu et en collant noir, muni d’une hache. «En libre circulation autour d’un jeu de pistes de la maison de la mère à la maison de la grand-mère, le public pourra assister à une ou deux séances pour suivre le fil rouge de différents points de vue. »

Effectivement, il y a du fil rouge un peu partout sur l’herbe verte et décliné en paquets, pelotes, mur, tas, mannequins… Et la grand-mère en embobine même une dizaine de mètres sur une perceuse sans fil verte donc assortie à l’herbe. La maison de la mère est elle figurée par un cadre en tringles rouges. Bref, du rouge partout avec  des centaines de mètres de fil de laine mais à l’inverse, l’histoire, elle, manque singulièrement – pardon pour le jeu  de mots facile- de fil rouge et on s’ennuie vite…
Le spectacle en deux parties est coupé d’un entracte : pour la première, cela se passe en quatre chapitres. L’installation plastique ne manque pas de charme, surtout à la nuit tombante mais on ne s’intéresse guère au texte, assez médiocre et souvent couvert par la mauvaise balance avec la musique. On se balade d’un endroit à l’autre comme l’a recommandé la voix off. Comme il y a parfois certaines scènes qui se jouent en même temps mais qui semblent se répéter, fatalement on décroche. D’autant que le niveau de jeu est assez faible ! Heureusement, il y a l’arboretum qui permet de rêver, le chant de quelques oiseaux nocturnes et quelques beaux instants avec la grand-mère dans la revisitation du célèbre conte. Mais pour le reste autant en emporte la nuit et tout cela ne suffit pas à faire un spectacle… Bref, on n’a absolument aucune envie de rester pour la seconde partie. Heureusement, il y a une navette prévue et le car est vite bourré. Rares en effet ont été  les applaudissements… On se demande bien pourquoi ce spectacle a été programmé ! A la sortie, une spectatrice exaspérée ne mâchait pas ses mots à propos du travail d’Edith Amsellem: «Quinze euros pour une petite chose aussi prétentieuse que dénuée d’humour, cela fait cher! » Donc, conseil d’ami, vous l’aurez compris, inutile de vous déplacer…

Philippe du Vignal

Le point de vue de Joséphine, critique stagiaire au Théâtre du Blog…

Une voix-off à la diction étrange nous donne les consignes. Avec un léger air de Twin Peaks. « Il n’y a pas de sens à la visite »  » (…) « Vous pouvez composer votre spectacle ». Un fil de laine rouge délimitant la scène sur quelque quatre vingt mètres de long, est interdite aux spectateurs. Trois espaces alignés, non séparés mais de l’un à l’autre, on ne peut entendre les dialogues… Si on en a le courage, il est possible de rester voir le même spectacle être rejoué une seconde fois pendant une heure dix, sinon  impossible de suivre tous les dialogues. De toute façon, cette histoire décousue est  difficile à comprendre !

Le dépaysement induit par l’installation peut séduire mais le texte manque  d’originalité. C’est une énième libre adaptation du Petit Chaperon Rouge, avec des thèmes maintes fois traités: relations mère-fille, émancipation féminine, règles, ménopause ou sexualité… Et on ne comprend pas vraiment ce que l’on fait là. Si les comédiens jouent les prisonniers de leur fiction, on se sent quant à nous, mis à l’écart et on les laisse volontiers dans leur espace. Croire qu’un public debout est un peu plus actif que sur un fauteuil et qu’il se sent forcément plus concerné par ce qu’on lui raconte, participe d’une certaine  naïveté…
Tant pis, mais aucune envie de rester et comme Philippe du Vignal, nous  avons repris la navette à la fin de la première partie…

Joséphine Yvon

 Du 21 au 24 août à 20 h 30, départ en navette: 36 avenue des Pupilles de la Nation, Aurillac. 

 

Vilain !, conception, écriture et mise en scène de Alexis Armengol

Vilain! conception, écriture et mise en scène d’Alexis Armengol (spectacle tout public à partir de neuf ans)

©Florian Jarrigeon

©Florian Jarrigeon

Zoé est orpheline, abandonnée de tous, et Le vilain petit Canard, ce conte d’Andersen si prisé des enfants,  semble lui plaire. Aussi s’y jette-t-elle et s’associe  à la destinée houleuse du caneton si controversé. Zoé se sent aspirée par une bourrasque. La lecture de l’ouvrage de Boris Cyrulnik consacré à la résilience donne le ton. La fille marche, tourne, erre, tergiverse, isolée et esseulée, citoyenne volontaire en pleine terre de solitude et surdité revendiquée.

Nelly Pulicani  performeuse hors-pair, déclame, vocifère, argumente auprès du public qu’elle regarde droit dans les yeux. Dansant, courant en rond sur le plateau, sans se lasser.

Toujours d’attaque, toujours partante, enfant turbulente et attachante qu’on peine à cadrer et à lui faire accepter codes et règles, elle impulse ici une vigueur et une énergie rares,  Au cours de cette épopée personnelle, elle fait une halte dans une cabane en forêt ou une tente de Z.A.D.,  un squat à vocation politique, antre d’un musicien qui sait raison garder et qui propose un refuge à la belle égarée. Cet ami va jusqu’à préparer des goûters d’anniversaire pour celle qu’on n’a jamais fêtée, ignorante des us et coutumes des petits bourgeois ou bobos de nos temps.

Dans le rôle de l’artiste, conscient de sa mission pédagogique et citoyenne, Romain Tiriakian est excellent. Musicien talentueux, compositeur de chansons mais aussi  comédien accompli, il a ici une belle sérénité. A partir de ce hasard heureux, Zoé est invitée à grandir et à ne pas s’appesantir outre-mesure dans l’abri de ce nouvel et véritable ami Apte à renaître, elle le sait, le sent, se bat encore et se retrouvera elle-même avec sa voix, et dans sa voie…

La métamorphose de l’enfant à renaître s’accomplit à travers la rencontre des êtres et des arts. Shih Han Shaw réalise des dessins avec ses doigts de fée et il y a aussi des bribes d’un film d’animation réalisé avec Félix Blondel. La soi-disant laideur du canard n’était que la beauté non encore éclose du cygne. Les moqueries se trompaient de cible; pas l’exclusion mais la reconnaissance. Rebondir et se réinventer, l’enjeu artistique et philosophique est tendu. Tapissant le plateau, des lais de papier que l’interprète froisse, déchire et réutilisera, transformant sans fin l’accessoire en possibilités multiples. Cassures, heurts… Des dissonances finalement harmonieuses : les chuchotis et sifflements de Romain Tiriakian et Camille Trophème éveillent chez le public une jolie attention.

Un spectacle-performance, une prouesse tient aussi à son cadrage.

Véronique Hotte

Le 11. Gilgamesh-Belleville, 11 boulevard Raspail, Avignon. T. : 04 90 89 82 63, jusqu’au 23 juillet à 10 h 15, (relâche, le 17 juillet)

L’Oiseau migrateur de Dorian Rossel (à partir de six ans)

Festival d’Avignon

L’Oiseau migrateur de Dorian Rossel (à partir de six ans)

©Jean-MarcLobbe.jpg

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 Le Théâtre jeune public n’est pas en reste, au Festival, dans le in comme dans le off et il figure en bonne place dans la programmation proposée par la Suisse, avec cette pièce conjuguant simplicité et  densité poétique. Sur le plateau nu, deux blocs noirs – piliers ou porte ouverte- vont bientôt se couvrir de dessins tracés en continu à la craie par le comédien et la comédienne. Avec un fil tendu, ils auront défini l’espace avant de dérouler l’histoire d’un garçonnet et d’une fillette, le temps des vacances. Une amitié enfantine et éphémère  pour une aventure dans les marécages avoisinants, la rencontre avec une tortue pour l’une et un oiseau pour l’autre….

 A l’aide de graffitis aux lignes épurées, produits en direct et bientôt effacés, chacun raconte sa version, d’abord en silence et en dessins, puis avec des mots. Leurs narrations se répondent comme en miroir et le décor bascule, révélant toutes les faces ornés des blocs, brouillant les pistes de ce scénario à entrées multiples. Finalement, posés dans une équilibre instable, ces éléments déconstruisent l’histoire qui finit elle aussi en suspens.

 Dorian Rossel fait théâtre de tout et de rien : un sac plastique devient l’oiseau blanc qui s’envole ; des éponges créent l’univers aqueux du marais où les pas s’enfoncent dans un bruit de succion… C’est avec des adaptations, le film La Maman et la Putain et celle d’un roman Oblomov de Gontchravov que le Genevois s’était fait remarquer en 2014 au festival off. Il y revient avec deux spectacles* dont ce beau conte moderne, sans prologue ni conclusion, sans morale ni didactisme, où, avec un minimum d’effets, il suggère plus qu’il ne démontre et laisse aux enfants de quoi rêver autour de cette proposition ouverte.

 L’Oiseau migrateur est présenté à Théâtr’enfants, un lieu dédié aux enfants pendant le festival : avec une programmation concoctée par Eveil Artistique, Scène Conventionnée jeune public. Cette structure développe toute l’année des projets artistiques à Avignon et dans les environs, depuis 1983.  Elle s’apprête à changer de nom à l’automne pour devenir Le Totem. 

 Mireille Davidovici

 Théâtr’enfants, 20 avenue Monclar, Avignon . T. : 04 65 00 02 31 jusqu’au 26 juillet, relâche le 14 et 21 juillet.

 *Laterna Magica (voir Le Théâtre du Blog), une autobiographie fictionnelle d’Ingmar Bergman est présenté hors  sélection suisse, au 11 Gilgamesh Belleville.

 

Blanche-Neige, histoire d’un Prince de Marie Dilasser, mise en scène Michel Raskine

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Blanche-Neige, histoire d’un Prince de Marie Dilasser, mise en scène Michel Raskine

 

Il était une fois… Pourquoi, on s’arrête toujours à une fois? Mais à la fin des contes, quand la Princesse et le Prince sont heureux, ils peuvent vivre très longtemps. Alors, les choses se répètent:  Blanche-Neige grandit, grandit, le Prince vieillit, vieillit, les cent un nains de la forêt travaillent, travaillent au royaume de la forêt sans arbres et  aux montagnes aplaties. Souillon aux cheveux jaunes, la servante (le régisseur) tire les ficelles et joue à l‘occasion les messagers. Plus un écureuil à se mettre sous la dent, les ventres sont creux, la terre est épuisée, la lune ne répond pas et le soleil s’en fiche. Le Prince est jaloux de Monsieur Seguin, comme si c’était le moment. Et pourtant le bonheur : « Le bonheur nous a collé aux poulaines, aux ballerines, aux basques, mais il ne colle plus à mes bottes, ce fabuleux bonheur, cette onctueuse insouciance. »

Bien mélancolique, tout ça, réellement mélancolique. Et pourtant, «Si Peau d’Âne m’était conté , j’y prendrais un plaisir extrême» et ce n’est pas non plus de la tarte, malgré le gâteau de Catherine Deneuve et Jacques Demy. Ce/cette Blanche-Neige histoire d’un Prince est un bijou d’écriture qui ravit les enfants, comme les vieux enfants. On appelle ça une « commande », c’est plutôt une symbiose entre Marie Dilasser et Michel Raskine, une complicité évidente, un même regard. Eux, ils disent « ping-pong ». Aucune complaisance, pas d’eau de rose, la planète est foutue: on a trop « chasse-cueilli », bande de prédateurs que nous sommes…

Mais il nous reste le mieux du mieux, le fin du fin, le langage et l’humour de toutes les couleurs. Rien que les noms des cent un nains de la forêt sans arbres. Tiens, on vous donne les sept premiers : Poulmouyé, Oualdisné, Malfoutu, Tetaklak, Dakodak, Pétincou, Beufoju ; cherchez les quatre-vingt quatorze autres! Et le pire, donc le mieux : les enfants entendent avec jubilation ces ortografes fantaisistes.

Il nous reste aussi le théâtre: ne pas manquer les délicieux et impressionnants bricolages dus à Stéphanie Mathieu (scénographie), Olivier Sion (objets mécaniques) et Claire Dancoisne (collaboration artistique), la reine des corps transformés, transcendés en œuvres plastiques (voir sa Green Box, d’après L’Homme qui rit de Victor Hugo, à Présence Pasteur). Ne pas manquer mais cela va de soi, Marief Guittier, l’actrice par excellence, qui a tout joué –surtout avec Michel Raskine, son frère de scène, même s’il a joué son fils – et qui peut tout jouer. Ici, elle est le Prince vieillissant qui fume en cachette et revient bredouille de la forêt sans arbres, empêtré dans son inconscience de riche et le bonheur tourmenté de vivre avec sa Blanche-Neige si grande…

On ne peut qu’enchaîner les adjectifs : glaçante, bouleversante,  irrésistible, précise, tendre, unique. Et bien accompagnée par le gigantesque Tibor Ockenfels, qui se permet en plus d’être un grand acteur (Blanche–Neige), et par le précieux Alexandre Bazan (Souillon aux cheveux jaunes), qui vaque au bon moment et au bon endroit pour manipuler ses apparitions mécaniques, d’autant plus magiques qu’on en voit les ficelles.

On aura compris que ce/cette Blanche-Neige, histoire d’un Prince est un spectacle sans concession ni indulgence : on ne va pas faire de cadeau à ce Prince qui a exploité à mort la forêt, la terre et les cent un nains. Et cette rigueur fait le plaisir extrême de ce spectacle : on ne se moque pas de nous, enfants de tous âges (les petits sont ravis), on ne fait pas semblant. Nous savons très bien ce qui ne va pas, dans le monde ; nous savons que les contes terrifiants sont là pour nous aider à affronter les vraies terreurs. Et l’on nous donne ici ce que l’on peut trouver de plus précieux : du théâtre sensible, intelligent, drôle et mélancolique. Zut, re-voilà la kyrielle d’adjectifs. Donc, ne gardons un seul mot : un régal.  Et on a envie de dire : encore !

Christine Friedel

Chapelle des Pénitents Blancs, Avignon,  à 11h et à 15 h,  jusqu’au 12 juillet.

Comédie de Valence (Drôme) du 1er au 4 octobre, Le Bateau Feu à Dunkerque (Nord), du 8 au 12 Octobre; le Rive Gauche,  Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine- Maritime)  et le 15 octobre, Théâtre du Gymnase, Marseille (Bouches-du-Rhône). Les 6 et 7 novembre, Théâtre du Vellein, Villefontaine (Isère), les 21 et 22 novembre. Comédie de Saint-Etienne (Loire) du 4 au 6 décembre et Théâtre Molière, Sète (Hérault) les 19 et 20 décembre.

La Maison, Nevers (Nièvre) du 7 au 9 janvier, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon( Rhône) du 21 au 25 janvier; Le Château Rouge, Annemasse (Haute-Savoie) les 30 et 31 janvier..

Le texte de la pièce est publié aux Solitaires Intempestifs.

 

 

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