Zones théâtrales, Biennale du théâtre canadien francophone à Ottawa

Zones théâtrales, Biennale du théâtre canadien francophone à Ottawa

« Juste pour que tu saches, tu parles actually vraiment bien en français. On a tout’compris ce que tu disais, pis c’est ça qui compte vraiment. L’affaire où tu te sens coupable de pas bien pouvoir parler en français pis ça te fait t’excuser, ça c’est normal.On se sent toute de même, actually. Y’a rien de plus francophone que de penser que tu parles pas vraiment bien en français, écrit Céleste Godin dans Overlap

Huit spectacles, trois chantiers et cinq lectures sélectionnés dans tout le Canada : la vitalité du théâtre francophone éclate bien au-delà de la province de Québec. Une nouvelle génération arrive avec Gilles Poulin-Denis de Colombie Britannique, directeur artistique d’une manifestation qui n’a rien à envier au théâtre européen… Expérimentée, professionnelle, ambitieuse et concernée dans un moment politique marqué par les effets de la commission Réconciliation et Vérité. Instituée en particulier pour rendre aux communautés autochtones leur mémoire et les récits des «pensionnats indiens», outils d’une assimilation forcée et d’une acculturation violente (le dernier a fermé en 1996 !).

Chaque soir, les peuples premiers, les autochtones, ont été remerciés d’accueillir Zones Théâtrales sur leurs territoires «ni cédés, ni remis». Aucune thématique  n’a été imposée et plusieurs spectacles, dans leur diversité, tournent autour de l’identité, de la mémoire et de la reconquête des origines. Et, bien sûr de la francophonie…

Jack

Jack

Jack de Marie-Pierre Proulx suit la quête d’une jeune fille: refaire la route 50, Jack Kerouac en main, en hommage à son défunt grand-père globe-trotteur, jusqu’à « l’arbre aux souliers ». La pièce, à une voix et deux présences, est, bien sûr, linéaire, ponctuée d’arrêts plus ou moins inoffensifs pour la jeune fille… Peu de surprises mais un beau duo d’acteurs, souvent en parallèle et parfois en dialogue: France Huot et Jean-Marc Dalpé, lui d’une autre génération et qui joue le rôle de toutes ces rencontres bienveillantes, dans un espace astucieux et poétique : l’autrice est aussi scénographe…

 La Fille du Facteur, de et par Josée Thibault (Alberta) un autre récit des origines, errances et déracinements qui pèche par une scénographie encombrante et une certaine coquetterie dans le jeu. C’est aussi le thème de Manman la mer de Djennie Laguerre, une Canadienne d’origine haïtienne. Et si la guérison se trouvait dans un retour au pays, dans les retrouvailles avec une grand-mère qui connaît les secrets de la nature ?

Là où le sang se mêle de Kevin Loring.

Dans ce spectacle inaugural du Théâtre autochtone du Centre National des Arts à Ottawa, la question des origines est en jeu. Floyd incarne une génération perdue, coupée de ses racines. Séparé de sa fille qu’il a donnée en adoption, il vit au jour le jour avec des copains de bar. Quand elle le retrouve, elle-même en quête de ses origines, c’est sa jeunesse, c’est l’avenir qui permet à Floyd de renouer avec son passé.
En écoutant la pièce traduite en français par Charles Bender qui est aussi sur scène, on pense, au-delà de l’histoire des autochtones d’Amérique du Nord, aux immigrés et à la question de l’assimilation : aujourd’hui, ce sont souvent les petits-enfants qui partent en quête d’une mémoire occultée, refoulée, pour la rendre à leurs aînés. L’écriture est très classique, narrative et explicative à l’anglo-saxonne et le spectacle rejoint la tradition, avec un dispositif et un rituel très sobres, au début et à la fin du spectacle où le public est invité à un cercle de paix.

 Mokatek et l’Etoile disparue

Affirmation d’un théâtre à inventer, libéré des modèles «blancs»? On aura quand même entendu le chant d’une langue autochtone dans ce joli spectacle pour enfants. Le voyage initiatique d’un enfant en quête du sens de sa vie, est  joué par une marionnette: une sorte de géant courbé sous une tente et qui suit le vol d’un corbeau ami et de quelques autres animaux emblématiques, aux quatre points cardinaux.

Les communautés francophones de tout le Canada ont chacune leur théâtre  qui est vraiment le lieu de vie de la langue, son temple, son usine. On devrait dire : des langues avec leurs racines françaises communes, elles sont aussi diverses que les territoires de la fédération canadienne. On comprend l’importance de l’enjeu…Avec Overlap par le Satellite Théâtre du nouveau Brunswick par exemple,  la langue se conjugue au présent, et est parlée avec l’insolence du «chiac» jeté au visage d’une francophonie nostalgique et figée. Celle d’une jeunesse qui étouffe dans sa petite ville…

Qu’on ne s’alarme pas : parmi les chantiers présentés ici, La Catapulte (Ontario) : Oh ! Canada: un forum sur la langue, réunit trois chercheurs en socio-linguistique, littérature et droit qui s’interrogent sur la langue et la peur diffuse du cheval de Troie du bilinguisme. De leur dialogue, avec chiffres et études scientifiques à l’appui, ressort comme du Victor Hugo: «Guerre au vocabulaire et paix à la syntaxe! » Les mots anglais assimilés à la structure grammaticale du français ne sont pas si massivement présents qu’on le craint… Le danger serait donc plutôt du côté de l’intimidation culturelle qui ferait de la Francophonie, un repoussoir : ah, je ne parle pas bien ma langue ? Never mind, j’en ai une autre.

Les limites du bruit possible

Les limites du bruit possible

Et si on se passait  du langage? Ce que fait presque la compagnie internationale  -les acteurs se sont rencontrés à l’école Jacques Lecoq à Paris- des Limites du bruit possible (comme ceux du Satellite Théâtre). Ces comédiens-acrobates, à partir de scènes primitives: naissance, mort, faim, appropriation puis rejet du vêtement… travaillent un théâtre avec peu de mots -on est plutôt dans le cri- très physique et de haute performance, avec des images fortes touchant aux émotions essentielles. C’est beau, mais, paradoxalement, finit par être abstrait…

 

Néon Boréal

Néon Boréal

Néon Boréal

Le Théâtre du Trillium (Ontario), lui, se frotte aux technologies numériques (image et son) avec une certains réussite dans un feuilleton où, dans la nuit arctique et dans le noir du studio troué par les clignotements des appareils, des jeunes gens créent des podcasts expédiés à l’aventure… Passons sur leur Jeff Koons : lunettes 3D et images aléatoires projetées mais sans texte solide ni jeu, ne font pas du théâtre…

Laitue matinale

Plus intéressante, une pièce sur l’éclosion d’un garçon enfermé dans un corps de fille. Une  tentative pour rendre orale la langue inclusive (où le masculin ne l’emporte plus, faut-il le rappeler) ? Mais torpillée par un entrelacement trop compliqué avec Antoine et Cléopâtre de Shakespeare.

White out, d’après Marguerite Duras, d’Anne-Marie Ouelette et Thomas Sinou, créateur de son.
L’expérience d’une écriture, là encore, de peu de mots, et d’une scénographie indissociables semble être le défi de cette rêverie sonore en blanc, avec une belle utilisation scénique des fumigènes, donne envie de voir la réalisation finale.

S’effondrent les vidéo-clubs d’André Gélineau et Flush de Marie-Claire Marcotte

On commence à connaître en France, grâce entre autres à Théâtre Ouvert, les écritures dramatiques francophones du Canada. Elles nous ont valu ici de jolis moments. Ces textes sont apparentés par une sorte de fantaisie mélancolique qui les emmène plutôt du côté de la nouvelle ou du cinéma. Hasard ? Dans ces deux pièces, l’homme apparaît comme handicapé, empêché… et attendrissant.

Johnny d’Emma Haché

Lecture d’une pièce très forte qui raconte la vie d’un couple, d’une vieillesse désunie et desséchée, de l’adoption d’un enfant merveilleux, à l’illusion initiale, puis au déni. Johnny n’est pas comme les autres. On attend de la voir sur scène avec les acteurs qui nous ont embarqués : Diane Losier et Marcel-Romain Thériault.

Réunions et rencontres avec Les Transfrontaliers, l’Association des théâtres francophones du Canada et l’Organisation Internationale de la Francophonie. Aucun doute, le théâtre est politique surtout quand on aborde la question centrale de la décolonisation culturelle. Il faudra y revenir, mais pour le moment, gardons au moins la formule: « se défaire de peaux qui ne sont pas les nôtres » et le concept : « réciprocité des consciences ».

 Le Soulier de David Paquet

Le théâtre est aussi divertissement. Pour clore cette semaine intense,  une bosse de rire à l’état brut avec une rencontre loufoque d’une mère débordée par son insupportable fils handicapé et d’un dentiste phobique et exalté, lui-même materné par une assistante sexy, alcoolique non abstinente. Non-sens, humour noir dans une micro-humanité hallucinée et hagarde : la liberté d’être politiquement incorrect, c’est aussi celle du théâtre.

Christine Friedel

Spectacle vus en septembre à Ottawa.

 


L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

©Giovanni Cittadini Cesi

©Giovanni Cittadini Cesi

L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

 De l’art du théâtre, on peut parler beaucoup sans toucher jamais au cœur de l’affaire, ou plutôt sans l’élucider. Il y a là un mystère que certains appellent foi, saut dans le vide, et d’autres : instinct. Oui, avec un partenaire, il faut se laisser faire sans rien lâcher pourtant de sa propre persévérance. C’est compliqué, mais il faut y aller. Au risque d’hésiter et d’avoir à recommencer… Pour en parler, Pascal Rambert a inventé un texte qui n’est pas un monologue; ici l’acteur (Arthur Nauzyciel) dialogue avec un chien: Elboy, un puissant saint-bernard noir, sorte d’ours très lourd et très doux -et aussi très odorant- mais qui n’a rien de cabot. Attentif à la parole de l’acteur à ses injonctions, quoiqu’il mette parfois un peu de mauvaise volonté quand il lui dit: «assis». Acteur sobre par excellence, le chien fait don de sa seule présence et contraint son partenaire à une égale simplicité. On assiste ainsi à l’expérience avec intérêt et empathie car sa présence rend l’homme à sa fragilité.

On apprend aussi qu’il n’y a rien à apprendre de l’Art du Théâtre, sinon qu’on ne sait pas pourquoi ni comment ça marche, instinct mis à part. Et que le monde est plein de jeunes filles désirant monter sur scène. L’auteur proclame en retour son appétence exclusive pour celles-ci (à l’exception de quelques garçons, jeunes aussi), avec les mêmes yeux qu’au temps, plus si proche, où il s’est lancé dans le théâtre, précisément pour rencontrer des filles. Secret de jouvence dont certains hommes ne peuvent se passer : on a déjà entendu ça du côté d’un certain Y.M…, écrivain mondain dont l’addiction a fait le tour des réseaux sociaux. Bon, mais ici rien de grave : Pascal Rambert qualifie ce texte de bouffon.

De mes propres mains, un monologue plus ancien et incontestablement noir, est un brillant exercice sur la folie, et sur le destin d’une arme à feu qui doit être déposée ou non chez la crémière pour qu’un cousin vienne la prendre: une sombre affaire entremêlée de terribles fantasmes de guerres et génocides. Arthur Nauzyciel  le dit avec une concentration et une précision parfaites, mettant en pratique les propos du premier texte pour n’être pas un acteur ordinaire. On ne perd pas un mot, pas un souffle de cette voix. Pascal Rambert a eu la bonne idée de faire traverser le plateau par un homme de ménage qui efface, d’un geste régulier et absent, des traces que nous ne voyons pas. C’est dire la solitude de chacun, de celui qui parle et son enfermement dans une folie envahissante. De fait, l’acteur ne s’adresse pas à nous mais il travaille sous nos yeux le rythme et la clarté de ce sombre texte. Il ne s’agit ni des tréfonds humains ni de psychologie mais de la sauvagerie et de la logique des mots. Mais au bout d’un certain temps, on se dit que, décidément, cela ne nous regarde pas…

Christine Friedel

Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris VIII èùme jusqu’au 3 mars. T. : 01 44 95 98 21

Time’s Journey Through a Room

 

 Festival d’Automne à Paris.

Time’s Journey Through a Room, texte et mise en scène de Toshiki Okada, spectacle en japonais surtitré en français

 

317Le séisme de 2011 au Japon suivi du tsunami et de l’accident nucléaire de Fukushima ont profondément inspiré l’écriture de Toshiki Okada, dramaturge contemporain postmoderne, qui renoue avec la tradition ancestrale japonaise dont il s’écartait jusque là pour confronter, sur le plateau comme en littérature, les vivants et les morts.

 

Après la catastrophe japonaise-césure dans le Temps et l’Histoire-n’est-il pas temps qu’advienne, comme «naturellement», une prise de conscience collective efficiente vers  des changements socio-politiques et économiques.Les vivants et les morts sont là pour témoigner de possibilités encore inaccomplies.

 

 A la manière d’un sismographe, le dramaturge enregistre les répercussions de la catastrophe, à long et moyen terme, sur trois personnages – un couple dont la femme,  meurt une nuit, quatre jours après les événements de 2011, et qui continue d’entretenir une parole solitaire  avec son époux qui l’écoute attentivement mais ne lui répond guère, et une amie de celui-ci qui lui plaît bien-ici et maintenant en 2016 -et qu’il invite chez lui. Les sentiments individuels du trio sont révélés par  la parole: l’une parle à l’un, et l’un parle à l’autre, sans jamais que les femmes ne communiquent ; elles appartiennent à des temporalités autres, dans la vie du mari.

 Mais, toujours à la manière d’un sismographe, Toshiki Okada enregistre aussi les soubresauts intimes des êtres, de l’univers et de leurs sons: gouttes d’eau, raclements d’objets en métal, voilages blancs et silencieux qui volètent au passage des courants d’air, ampoules de servante de théâtre, bouquet design de fleurs et vase posé sur table de bois, avec deux chaises: soit le bruit des accessoires quotidiens qui font la musique des jours.

 Toshiki Okada s’est entouré de Tsuyoshi Hisakado, créateur de sons et sculpteur  qui met en valeur tel bruit du monde extérieur, tel mouvement zoomé, à travers une extension des mouvements corporels par le son seul. Le public admire l’étrangeté de l’épouse défunte qui soulève la jambe en esquissant un pas lent et répété de danse, à la manière d’un frottement, tandis que l’époux assis donne une rotation à son pied. Objets et sons, comédiens-les vivants et la morte-sont ici comme synchronisés, comme les accessoires d’une superbe installation vivante, auditive et visuelle.

Après la catastrophe et avant sa propre mort, la défunte pressent la qualité existentielle de tous les instants de la vie auxquels elle ne s’était guère attachée. Ses petits enfants l’agaçaient, avoue-t-elle, dérangeant son confort immédiat, mais elle se rend compte qu’ils portent en eux et à jamais, l’héritage de l’avenir, héritiers en dernière instance de son propre avenir à elle, et à lui.

 Le mari ne répond pas mais prend acte avec intérêt des dires de la défunte, souriante et rieuse,  et son amie du temps présent, introduite sans le vouloir dans ce Voyage du Temps dans un appartement, délicate et précautionneuse, comprend implicitement les effets de la catastrophe éprouvés par son ami. Ces deux solitudes vont se rejoindre pour affronter ensemble le passage des jours.

Une aventure théâtrale intense, à l’écoute de voix intérieures troublées mais vivantes.

 Véronique Hotte

 T2G Théâtre de Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris, du 23 au 27 septembre.

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La nouvelle saison du Théâtre National de Chaillot

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La nouvelle saison du Théâtre National de Chaillot

 

Didier Deschamps@Patrick BergerDidier Deschamps annonce tout de suite la couleur: “Le théâtre est l’un des lieux formidables où l’individu peut se reconnaître autour des valeurs essentielles de liberté, de justice et de fraternité”.  Mais il a aussi insisté: le Théâtre National de Chaillot restera avant tout  le Théâtre National de la danse.
Comme si de méchants petits loups, bien en cour à l’Elysée, (des noms? non pas de noms!) voulaient faire revenir le théâtre à la première place … en lui succédant évidemment à la Direction de ce grand théâtre, objet de bien des convoitises!
Fleur Pellerin est partie, reniée par l’Elysée, et François Hollande (qui n’est jamais venu voir un spectacle à Chaillot) n’a sans doute pas que cela à faire. Mais, à la question de savoir si son mandat serait reconduit, Didier Deschamps s’est dit confiant.
En tout cas, il a jusque là mené un parcours sans faute,  alors que les choses  n’étaient pas évidentes et a fait venir un large public à la danse contemporaine. Donc, en cinq ans mission accomplie avec une belle efficacité. Quant à l’avenir… Silence radio au Ministère de la Culture: la décision devrait être prise en juillet, quant au renouvellement du mandat de Didier Deschamps.
L’actuel directeur a aussi souligné qu’à l’occasion des travaux qui ont lieu à Chaillot et se feront en octobre au Théâtre de la Ville, la possibilité de collaborations fructueuses, ainsi qu’avec le Cent-Quatre.
Mais la part consacrée au théâtre dans la programmation sera cette saison des plus limitées, même si Didier Deschamps, comme pour se faire pardonner, accueille aussi Krysztof Warlikoswski avec Les Français, une étonnante et remarquable adaptation d’ A la recherche du temps perdu présentée cette saison sur quelques scènes en France (voir Le Théâtre du Blog) et de plus jeunes metteurs en scène; comme Mélanie Laurent avec Le dernier Testament, inspiré des Evangiles ou Olivier Letellier, créateur de spectacles pour enfants.
Didier Deschamps a affirmé plusieurs fois, comme dans une sorte d’exorcisme, la vocation vers la danse de Chaillot jusqu’à un quasi-monopole, qu’il entend donner à Chaillot. La nouvelle ministre de la Culture, elle, ne semble pas s’être exprimée sur le sujet. Cette orientation, suppose selon lui, qu’il ne puisse plus y avoir d’école de comédiens dans le théâtre. Mais, désolé, les faits sont têtus: L’Ecole a été supprimée sans état d’âme et d’un trait de plume, il y a dix ans-belle erreur!-par son prédécesseur Ariel Goldenberg qui ne supportait pas son existence, et n’avait jamais même voulu rencontrer les élèves de la dernière promotion! L’actuelle directrice de la Création au Ministère de la Culture alors administratrice de Chaillot, avait déjà, (elle aussi pas très inspirée non plus!) essayé (mais ce fut un bel échec!) de faire disparaître l’Ecole. C’est d’autant plus dommage que, située dans un grand théâtre national, elle fut ensuite le modèle de beaucoup d’autres, et avait beaucoup apporté à Chaillot et réciproquement. Reconstruire un nouveau modèle d’enseignement et de recherche entre danse contemporaine, technologies récentes et théâtre n’avait rien d’étrange ni de scandaleux, au contraire: dommage…

  José Montalvo restera bien lui, comme depuis 2011, artiste permanent à Chaillot et exemplaire d’une danse contemporaine accessible  à un large public; il présentera à nouveau son beau succès Y Olé, ( 2015), un spectacle où il revisite son enfance espagnole, et où se mêlent flamenco, hip-hop, Le Sacre du Printemps de Stravinski, chants traditionnels africains, et danse contemporaine.
A ses côtés, trois artistes associés, comme Rocío Molina, artiste de flamenco, Anne N’Guyen avec un spectacle de hip-hop: Danses des guerriers de la ville, et enfin Olivier Letellier, metteur en scène de théâtre que l’on a déjà plusieurs fois à Chaillot. Au total, treize créations dont huit mondiales, et quatre spectacles pour jeune public.
La programmation-danse (sans risques) reste très solide, voire brillante, avec, entre autres la Batsheva Dance company, Le Nerderslands Dans Theater, Carolyn Carlson, Brigitte Lefebvre, Jean-Claude Galotta, le Malandain ballet Biarritz, ou la reprise du  Romeo et Juliette par Angelin Preljocaj.
Plus inattendu cependant, le projet Silence initié par Dominique Dupuy, le grand précurseur en France de la danse contemporaine autour de la thématique du silence; l’idée assez prometteuse du chorégraphe est “de faire se côtoyer la pensée, la théorie et la pratique autour de propositions mêlant ateliers, paroles, gestes, images et musiques”.
  La grande préoccupation de Didier Deschamps-et on le comprend bien-est aussi de faire co-exister au mieux une saison artistique, avec ces grands travaux dont Jérôme Savary qui dirigea le théâtre de 1988 à 2000, avait bien perçu l’urgence. (Il avait déjà intelligemment fait percer un couloir  pour que le public puisse aller du grand Foyer à la salle Firmin Gémier, sans passer par les jardins du Trocadéro).
 Ce second lieu de 420 places, avec une scène peu pratique et une salle inconfortable, mal conçu en 1967 par Jean de Mailly et Jacques Lemarquet, scénographe de Georges Wilson, le directeur de l’époque, était de toute évidence obsolète, et devait faire l’objet d’une réhabilitation globale. En fait, la grande campagne de travaux commencée en juin 2014, a aussi plusieurs objectifs: d’abord, l’accès du théâtre qui se fera aussi par les jardins, comme prévu par l’architecte Jacques Carlu en 1937 mais qui n’avait jamais fonctionné, à cause sans doute du seul accès métro situé sur la Place du Trocadéro, sera remis à l’honneur.
 Ce qui permettra au public de voir aussi enfin dans le sous-foyer autrefois doté de vestiaires et de toilettes, les sculptures de Paul Belmondo et d’Aristide Maillol, les fresques peintes entre autres  par Paul Belmondo, Pierre Bonnard, Othon Friesz, Edouard Vuillard, Roger Chapelain-Midy, Maurice Brianchon… comme les voyait le public de Jean Vilar, quand l’entrée du parterre de la grande et unique salle, se faisait au niveau de la scène,  et non par le grand Foyer comme maintenant.
Mais le très grand plateau (18m de profondeur x 15m environ) de cette salle, souffre aussi d’un grave handicap: la descente des décors était des plus difficiles, à cause d’un monte-charge trop court, et d’une pente pour camions mal étudiée depuis l’avenue du Président Wilson. Elle devra aussi, dans quelques années, faire l’objet d’une révision drastique et se voir offrir des gradins en dur, ce qui permettrait d’avoir en-dessous une vaste salle de répétitions

  Travail pharaonique, financé par le Ministère de la Culture, sur ce site où nous avons pu exceptionnellement pénétrer avec Vincent Brossy, l’architecte-maître d’œuvre de cette opération: un puits de de 29 m a été creusé  dans le zone calcaire (Chaillot étymologiquement: caillou) pour placer un monte-charges digne de ce nom, capable de faire venir les décors  sur le plateau Jean Vilar et aussi, grâce au percement d’un long tunnel, dans la salle Firmin Gémier. Et enfin la révision de la pente à camions.
Ironie du sort: cette possibilité d’introduire enfin et de faire sortir correctement les décors, va se faire quand Didier Deschamps réaffirme la prééminence de la danse à Chaillot. Laquelle n’utilise, comme on le sait, que très peu de décors…
Mais tout change, et la vie, comme la Seine, en bas de Chaillot, est un long fleuve tranquille, comme dit la Bible. Enfin pas toujours! la vie, la Seine (voir la montée des eaux actuelles!) , et les scènes qui on rarement plus de deux siècles!
Et ce qui n’était pas moins indispensable, va être enfin réalisé: l’accès des personnes à mobilité réduite dans l’ensemble du bâtiment, et l’amélioration des espaces de travail, un aménagement qui est loin d’être inutile! Mais l’actuelle et petite salle Maurice Béjart redeviendra une salle de  travail, comme au temps d’Antoine Vitez qui y avait répété son sublime Soulier de satin.
La salle Firmin Gémier deviendra donc modulable (voir la photo au-dessus de ce  chantier difficile et impressionnant!) et sera finie, du moins pour le gros-œuvre, au printemps prochain. Ce gros cube, haut d’une vingtaine de mètres et dotée d’un gradinage de 390 places parfaitement mobile, sera opérationnel pour des spectacles frontaux ou hors-normes, si tout va bien, à la rentrée 2017. Et l’accueil du public se fera par le grand foyer actuel…
Emouvant: Vincent Brossy nous a montré les tonnes de pierres planquées derrière de faux murs; par manque de temps, à l’occasion de l’Exposition universelle, pour les évacuer au moment de la construction en 1937, Jacques Carlu, Léon Azéma et Louis-Hippolyte Boileau, les architectes du lieu, avaient trouvé cette solution inédite…
On peut aussi voir dans un souterrain, les portes d’entrée blindées pour faire entrer, lors de la seconde guerre mondiale, au cas où, les personnes qui auraient été gazées, et les locaux de douches pour les décontaminer. Mais qui, heureusement… n’ont jamais servi.
Le Théâtre National de Chaillot est donc aussi, un lieu chargé d’histoire, du théâtre d’abord avec Jean Vilar, Antoine Vitez, Jérôme Savary, de l’architecture, et de la peinture, mais aussi d’histoire de France au XXème siècle. Il avait  abrité les réunions des occupants allemands, puis, après la guerre, celles de l’ONU…
Ces grands travaux marqueront donc aussi une nouvelle évolution du bâtiment et donc de ce Théâtre National qui aura joué un rôle capital dans l’histoire du spectacle contemporain. La récente orientation danse, voulue par l’Etat sera-t-elle confirmée, ou y aura-t-il, comme certaines personnalités le laissent entendre, un retour au théâtre/théâtre, et aux spectacles multi-media, dans un proche avenir? Probablement, les trois à la fois. En tout cas, un seule certitude: la nouvelle Ministre de La Culture n’aura pas droit à l’erreur, quand il lui faudra renommer, ou non, Didier Deschamps. Chaillot est une grosse boutique, et emploie une centaine de personnes qui, rappelons-le, sont aussi très concernées par ce lieu qu’elles considèrent avec justesse comme leur maison!

Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot. 1 Place du Trocadéro B.P. 1007-16 75761 Paris cedex 16.
T: 01 53 65 31 00.
Visite virtuelle: www.theatre-chaillot.fr/chronorama

Le Festival des écoles

Festival des écoles du Théâtre public

 LEMHeureuse initiative du Théâtre de l’Aquarium qui organise ce festival avec, pendant dix jours, des spectacles de sortie. Cette année, cinq écoles se produisent et il est toujours émouvant d’assister à ces représentations,  saluant l’entrée de ces jeunes acteurs dans la vie professionnelle.

 Coming out, inspiré de textes de Virginie Despentes et Chuck Palanhiuk, direction artistique de Tomeo Vergés, avec  les élèves de l’ESAD (Ecole supérieure d’art dramatique de Paris)

Un gymnase. Les acteurs se mettent  en tenue de sport, entament leurs échauffements et  se  livrent à des combats de judo…  Ils s’arrêtent parfois pour répondre aux questions d’un meneur de jeu. Après avoir livré leurs impressions, leurs réflexions, ils poursuivent leurs exercices et leurs acrobaties,  accomplis suivant l’athlétique mise en scène de Toméo Vergés.
Le chorégraphe explique que la structure dramatique adoptée ici est calquée sur l’écriture de  Chuck Patanhuik, écrivain et scénariste qui s’inspire souvent, pour ses films et ses livres de groupes de paroles. Ces dispositifs engendrent, selon l’auteur, des récits de vie, de « formidables soliloques ». capables de « captiver » l’auditoire.Conformément à la  nouvelle orientation de l’ESAD,  Coming out met en avant le travail corporel des acteurs, leur formidable souplesse, leur force et leur endurance.
La promotion 2015 porte le label: « arts du mime et du geste », et c’est sur le travail physique, l’imaginaire du corps qu’a porté la formation.  Ces jeunes  gens ont travaillé avec des professionnels du cirque, de la danse,  et  connaissent leurs corps ; ils savent s’en servir, qu’il chantent, dansent, parlent ou se livrent à des exercices muets. Chacun parvient à  utiliser ses qualités et ses fragilités physiques, pour élaborer son personnage.
Le  nouveau directeur de l’école, Serge Tranvouez, précise que les  « les acteurs ont abordé différentes techniques de jeu, et ont également été confrontés à la question du texte. ». Et ils ne sont pas en reste quand il s’agit de dire les petits bouts de monologues que comporte la pièce. Mais le caractère décousu de la dramaturgie, l’absence d’une véritable écriture, ne leur donne pas vraiment l’occasion de se coltiner avec une matière textuelle dense.  Et c’est dommage.

 Lac de Pascal Rambert, mise en scène Denis Maillefer par les élèves de la Manufacture de Lausanne

 «J’ai écrit pour eux, individuellement, en regardant parfois leur portrait. J’ai écrit pour eux Lac, une histoire où la langue est le premier sujet. Une histoire de langue mettant en ligne seize corps, moins un, face à la mort, au sexe, au crime. » Matière sonore, poétique, la pièce de Pascal Rambert est un régal de littérature, que les quinze jeunes acteurs semblent savourer.  Il a imaginé pour eux un drame, survenu au bord du Lac Léman, qui a précipité le groupe dans le deuil. Qui a tué le beau Thibault,  béguin de toutes les filles de la classe ? Comment est-il mort ?
  Ces questions tiennent le spectateur en haleine ; chaque protagoniste va donner sa version des faits et son vécu de l’affaire. Les autres, immobiles, écoutent et réagissent discrètement aux dires de leur camarade, en attendant leur tour de parole. Ils vont ainsi tracer, l’un après l’autre, la typologie d’un collectif, son histoire, mais aussi révéler les non-dits,  désirs, passions et haines qui circulent au sein de cet congrégation éphémère et hétérogène d’individus.
Pascal Rambert en profite pour faire jaillir la parole féminine, trop longtemps tue, pour dénoncer l’égoïsme innocent de la jeunesse européenne moulée dans son petit jean slim, face à la violence du monde, pour brandir un manifeste  théâtral, ou encore composer une ode à la jeunesse… C’est un exercice passionnant et périlleux qui est proposé là, et dont les acteurs s’acquittent plus qu’honorablement. Ils maîtrisent tous  très bien cette langue lyrique, qui s’entend comme un long poème dramatique à quinze voix. L’épreuve  imposée : rester debout, immobiles, et cependant présents, les spectateurs la partagent avec eux, dont l’attention soutenue est requise pendant trois heures. Ici, à l’inverse du spectacle de l’ESAD, tout est statique, et les corps sont très peu investis, sinon dans la mise en œuvre d’une oralité débridée.

 Mireille Davidovici

Punck Rock d’après la pièce de Simon Stephens, mise en scène de Cyril Teste, avec les quatroze élèves de la dernière promotion de l’Ecole du Nord

L’auteur britannique de 44 ans qui est  aussi scénariste pour des films de télé  fonde son travail sur une analyse pointue de la société contemporaine, et dans Punk Rock, il parle d’un événement tragique, celui d’une fusillade commise par un des élèves sans véritable raison apparente. C’est aussi une belle occasion pour lui de parler de cet âge intermédiaire entre l’adolescence et l’âge adulte où il faut déjà se confronter à la vie quotidienne avec ses bons moments mais aussi avec toute la violence. Et les jeunes élèves comédiens  ne sont guère plus âgés. Cyril Teste, metteur en scène et vidéaste ( voir Le Théâtre du Blog) a adapté la pièce de façon à donner en direct sur écranl, e film de l’action scénique de ce microcosme, ce qui ne manque pas d’audace et suppose un gros travail en amont quant à la direction d’acteurs.
Sur le plateau, côté jardin une sorte de mini cafeteria avec canapés, séparée par des étagères du centre scénique  où il y a six tables blanches en stratifié blanc avec quelques chaises;  et côté cour ,une petite salle  de classe fermée sur les côtés par des étagères couvertes remplies de dossiers gris. Les comédiens étant pour la plupart aussi cadreurs, perchistes, régisseurs son. sous la direction d’un chef opérateur Nicolas Doremus. Le public assiste donc à la fois à un film en train de se faire, et à une  soi-disant action théâtrale. La part belle étant quand m¨ême faite aux images filmées, car il est difficile de bien voir les deux, à la fois  d’abord parce que l’écran est placé trop haut pour les premiers rangs et parce que les acteurs, sauf ceux qui jouent à ce moment précis, ne sont guère éclairés..
C’est en fait une sorte de laboratoire qui rend compte d’un solide travail d’équipe mais où il est évidemment difficile de repérer des individualités. Sauf Baptiste Dezerces et Haini Wang, tous les deux remarquables, qui tiennent les rôles principaux.
C’est injuste mais comment faire autrement quand il  faudrait donner un petit morceau de gâteau à chacun des acteurs en 80 minutes. Il y faudrait plusieurs pièces! Eternel problème des présentation de travaux, quand on ne veut pas y passer la nuit!
Cela dit, c’est bien aussi de voir, et c’est assez peu fréquent,  comment dans une école de théâtre on enseigne le rapport à la caméra à des élèves qui auront eu là, à partir d’un texte dramatique  qui n’est pas  de première grandeur mais qu’importe, une expérience filmique des plus profitables, quand ils devront affronter le marché du travail.
Et la direction d’acteurs de Cyril Teste, précis et  fluide, est exemplaire, ce qui n’est pas évident quand il faut maîtriser l’espace et le temps, avec quatorze jeunes acteurs . C’est toujours émouvant de voir le dernier travail d’une promotion dont on sait bien qu’elle va se disperser très vite; ainsi va la vie au théâtre comme ailleurs.
« Je leur souhaite, dit Cyril Teste, de garder l’insouciance et une colère souriante, pour protéger leurs désirs et ne pas se laisser distraire par les innombrables crises qui nous assaillent. »  Quelques jours avant la nouvelle série d’attentats qui ont endeuillé la France et la Tunisie, c’était plutôt du genre bien vu
!

Philippe du Vignal

Ecole internationale Jacques Lecoq: Laboratoire d’Etude du mouvement

 Au sein de la célèbre Ecole fondée par Jacques Lecoq ( 1921-1999),  en 1956, ancien professeur d’éducation physique et sportive, et fréquentée par de nombreux acteurs et metteurs en scène dont Ariane Mnouchkine, existe aussi le LEM, un laboratoire sorte de département scénographique  qu’il créée en 1976 avec l’Unité d’architecture Paris-Villette, laboratoire qui était en lien avec son activité de professeur à l’Ecole nationale des Beaux-Arts où il enseigna pendant vingt ans.
Le LEM a une orientation particulière, puisqu’il s’adresse à des élèves qui ont déjà une expérience artistique (sculpture, danses, architecture, scénographie…) qui a envie d’aller plus loin dans la relation entre théâtre au sens large du mot et arts plastiques. Avec des cours d’analyse du mouvement, de construction d’éléments scéniques  (masques, maquettes de scéno…) et d’improvisation.
Ce qui nous  est donné à voir ici est le résultat de ce travail de laboratoire qui ne prétend en aucun cas à être un spectacle mais qui est, à tout point de vue,  très enrichissant. Cela se passe au Central, ancienne salle populaire de boxe, rue du Faubours Saint-Denis, dont on peut voir les photos de combats aux murs construite à la fin du XIX ème siècle avec  une verrière et une galerie tout autour dont le bas en bois de la rambarde montre encore l’usure faite par les chaussures des spectateurs…
Salle  consacrée ensuite au judo et finalement rachetée par Jacques Lecoq en 1976,avec un beau et  parquet de chêne assez souple parce que monté sur ressorts.
Bref, un lieu indépendant quant à la gestion et à l’organisation pédagogique, et dont la fille de Jacques Lecoq assure maintenant la direction, magnifique et  paisible, dévolu à l’exercice du corps depuis maintenant plus d’un siècle en plein Paris et connu des gens de théâtre du monde entier.
Et  sur lequel le Ministère de la Culture qui n’a jamais brillé en matière d’enseignement, n’a heureusement aucun pouvoir.
Le plateau est nu, éclairé par l’éclairage zénithal naturel, par les anciennes lumières  à abat-jours en métal de la salle de boxe et quelques projecteurs. Les élèves en collant noir et pieds nus, sauf une en escarpins, se livrent individuellement, par deux ou quatre, à des exercices avec des cadres colorés, des ensembles de tuyaux en plastique, ou de fils élastiques où ils évoluent dans une belle fluidité.
Et cela dans un silence total impressionnant; le public d’une centaine de personnes retient son souffle. Difficile à décrire: cela participe à la fois de la danse contemporaine, du mime, de la sculpture  contemporaine (Dan Flavin, Don Judd…) mais aussi de l’action dramatique. Ce qui frappe surtout, c’est la grande concentration des élèves, qu’ils soient actifs sur le plateau ou pas encore, et leur parfaite maîtrise de l’espace scénique. Tous attentifs et solidaires, ce qui est loin d’être le cas dans nombre d’écoles plus conventionnelles…La magnifique image de la fin: une cinquantaine de baudruches rose bonbon déboule sur scène mue par une jeune fille invisible.
Dans un salle annexe, un très intéressante exposition de maquettes de scéno expérimentale réalisées  à chaque fois dans cube, par ces mêmes élèves, et  que l’on ne peut voir que par quelques trous. Et  avec un minimum de matériaux tout à fait ordinaires.  Travail exemplaire  en adéquation avec celui pratiqué sur scène. On ne dira jamais assez combien la France a aussi besoin de de type de travail, absolument expérimental mais indispensable, à mille lieux des théâtres de boulevard tout proches et qui, à terme, est tout à fait bénéfique.
Le concept abstrait et non pas la reproduction réaliste,  la représentation de l’objet scénique qu’il faut s’approprier jusqu’à en faire un prolongement de son corps, quoi de plus  difficile à acquérir mais aussi quoi de plus enrichissant dans une formation théâtrale.  « Le moi est en trop (…) je préfère cette distance du jeu entre moi et le personnage »disait à propos du masque Jacques Lecoq….

Ph. du V.

Ecole internationale de Théâtre Jacques Lecoq, 57 rue du faubourg Saint-Denis 75010 Paris T: 01 47 70 44 78

Le Rêve d’un homme ridicule

 Adolescence et territoire(s) :

Le Rêve d’un homme ridicule, de Fiodor Dostoïevski, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Jean Bellorini.

_DSC2808_p1« Je suis un homme ridicule. Maintenant, ils disent que je suis fou. Ce serait une promotion, s’ils ne me trouvaient pas toujours aussi ridicule. Mais maintenant je ne me fâche plus, maintenant, je les aime tous, et même quand ils se moquent de moi –c’est surtout là, peut-être, que je les aime le plus. »
Incompris, idéaliste, pressé de refaire le monde, le narrateur-personnage du
Rêve d’un homme ridicule se destine à une mort choisie, quand la rencontre fortuite avec une petite fille chagrinée le détourne de son projet macabre.

Revenu chez lui, cet insomniaque tombe, étrangement, dans un profond sommeil, et un voyage onirique le conduit vers un monde alternatif et utopique, une planète imaginaire où règne le bonheur et la bonté d’âme, Éden bientôt corrompu…Il se réveille, fort de la conviction qu’on peut lutter contre le Mal, que le Paradis est accessible, ici et maintenant. Ce constat transcende tous les ridicules, même si l’homme en question provoque encore le rire et les moqueries, qui font de lui une éternelle victime expiatoire.
Jean Bellorini a eu l’intuition que ce fou, issu du
Rêve d’un homme ridicule (1877), aimait à se distinguer : « Je me moquerais bien avec eux, pas de moi-même, non, mais en les aimant, si je n’étais pas si triste quand je les vois. Si triste, parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, et, moi, je connais la vérité ! Mais, ça, ils ne le comprendront pas », dit-il.
Et ce rêveur, qui regarde le monde depuis des hauteurs toutes relatives, correspond parfaitement à chacun des vingt-et-unjeunes comédiens amateurs d’Asnières, Clichy, Paris, Saint-Denis, Saint-Ouen, que le nouveau directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis a mis en scène.
Qui est ce fou? L’acteur qui raconte son aventure ? Ou simplement le metteur en scène, ou bien le spectateur? Ces jeunes gens, qui sont en train de passer de l’enfance à l’âge adulte, diffusent la flamme d’une parole critique avec une voix claire, aisée et agile. Ils dessinent romantiquement les mouvements d’une danse ample et gracieuse où ils s’échangent rôles et personnages, s’enfonçant dans un fauteuil, allongés sur un lit d’hôpital ou s’imposant au monde sur un trône élevé en majesté.
Nuit obscure, lampes jaunes et tremblantes qui descendent à vue des cintres, telles des étoiles filantes sur le noir du firmament, la vie qui va et vient capte les regards. Bellorini sait organiser des mouvements de foule, et la belle assemblée des acteurs forme un chœur habillé de couleurs acidulées. Ces jeunes gens insufflent du goût, de la vigueur et de la fraîcheur à leurs paroles. Ils ont conviction et foi en la vie.
Quand la lumière s’attarde sur l’un d’eux, son visage rayonnant donne à la scène toute la promesse du jeu qui l’habite, frêle et solide à la fois. On les sent pressés d’en découdre avec un monde qu’ils pressentent tyrannique et passionnant; ils attendent l’existence, instinctivement instruits des vagues de vie qui déferlent sur leur être en devenir.

Véronique Hotte

Ateliers Berthier, Odéon-Théâtre de l’Europe, le 14 juin.

Comme possible

 Adolescence et territoire(s) :

 

Comme possible, mise en scène de Didier Ruiz

 

2013 comme possible - Photo Emilia Stéfani-Law 5Quatorze adolescents de Clichy, Saint-Ouen et Paris 17ième, issus pour la plupart de ce qu’on appelle la diversité, se sont lancés l’an dernier sur un plateau de théâtre – les Ateliers Berthier-Odéon-Théâtre de l’Europe. C’est Didier Ruiz qui les y avait dirigés, en sachant être au plus près de leur présence.
Ils reviennent en 2014 sur ce même plateau, plus graves peut-être, car plus mûrs.

Ce sont ces mêmes jeunes existences en herbe, incertaines et fragiles, boutons de printemps confrontés déjà et sans être jamais abîmés, aux violences quotidiennes d’une société où les dits Français et Blancs restent sourdement dominateurs moraux…
Ces jeunes gens, même s’ils ressentent la brutalité cassante et humiliante des rapports sociaux, n’en restent évidemment pas à ce constat réducteur, heureusement mis à mal par une société nouvelle qui s’ouvre et s’enrichit de toutes les différences. Le brassage des populations est irréversible : c’est un beau combat contre la sclérose sociale, l’incapacité d’un pays ou d’une population à évoluer et à s’adapter aux situations nouvelles par manque de dynamisme, repliement sur soi, vieillissement, et peur de l’autre.
Tous, filles ou garçons, petits ou grands, minces ou ronds, égrènent leurs origines diverses, algériennes, marocaines, tunisiennes, maliennes, comoriennes. Mais très peu disent qu’ils sont français, par respect peut-être pour leurs origines et dans le refus symbolique de trahir leurs parents; l’un d’eux choisit même de se dire seulement Africain… sans même évoquer son pays.
Ils sont tous là, conscients de leur corps et de leur être, face au public qu’ils regardent à la fois avec timidité et assurance, assis sagement sur une rangée de chaises, puis se levant à tour de rôle, ou se lançant chacun ou collectivement, sur une musique, dans une danse effrénée qui libère leur énergie. Et ce temps de mobilité du corps est plein de grâce.
Un jeune évoque son engagement politique pour, dit-il, améliorer les relations humaines. Et on entend les aveux intimes de certains et qui leur font mal, tant ils exigent d’efforts sur soi. Ils auraient sans doute pu ne pas être offerts à un public. Cela mis à part, grâce à Didier Ruiz, le travail de ces jeunes qui ont peu de temps derrière eux mais beaucoup devant eux est attachant: « ils ont des centaines d’années comme tout le monde », écrivait Marguerite Duras.
Ils nous ressemblent tous… à moins que ce ne soit nous qui leur ressemblions.

 

Véronique Hotte

 

Ateliers Berthier – Odéon-théâtre de l’Europe, le 14 juin.

 

 

Tabou

Tabou texte et mise en scène de Laurence Février, avec la plaidoirie de Gisèle Halimi à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence,  le 3 mai 1978

Tabou tabou

Le viol est un crime défini par la loi, et,  en même temps, indicible. Tabou. On en parle, et on ne peut pas en parler, « médusés », sidérés par la tête de Méduse, par l’horreur qu’il constitue. Il faudrait dire sidérées, car les victimes du viol sont en grande majorité des femmes : voir le bruit fait autour du livre d’Annick Cojean sur les « amazones », de Khadafi, son harem d’esclaves sexuelles, quatre fois détruites, dans leur corps, dans leur âme, dans l’honneur – hélas – de leur famille et dans la suspicion d’une complicité avec leur tortionnaire.
Une histoire vieille comme le monde : voir le mythe de Procné et de Philomèle, le beau-frère violant sa belle-sœur puis lui coupant la langue pour qu’elle ne raconte pas … Mais la belle a brodé l’histoire sur une tapisserie. Leçon retenue par Chiron et Demetrius, dans Titus Andronicus, la pièce la plus sanglante de Shakespeare : après l’avoir violée, ils coupent aussi les mains de Lavinia.
Laurence février et les comédiennes de Tabou ont choisi de ne pas représenter l’irreprésentable. La violence parle d’elle-même. Brigitte Dujardin a conçu un dispositif extrêmement simple : puisqu’il s’agit d’assises, un certain nombre de chaises seront dispersées sur la scène. Salle d’attente, salle d’angoisse, rumeurs confuses des autres salles d’audiences, rumeur intérieure du souvenir de la peur et de la peur du souvenir. Le corps de l’action est constitué par une rigoureuse « ronde » des interrogatoires des victimes. Chacune des comédiennes a son tour jouera et subira la nouvelle violence de cet interrogatoire : « des faits, madame, rien que des faits ».
Bien au-delà de la crudité et de l’impudeur qui lui sont imposées, la victime se trouve mise en accusation, a priori coupable. « Elle m’a provoqué » – une enfant de huit ans -, « elle était consentante » – terrorisée et à moitié assommée, « elle va détruire la vie de ce jeune garçon » – et sa vie à elle ? Et ainsi de suite. Glaçant.
La pièce finit heureusement par la belle plaidoirie de Gisèle Halimi aux Assises d’Aix-en-Provence : oui, il faut espérer, lutter pour une société où le viol n’existe plus, où les rapports d’égalité – on a envie de dire de liberté, d’égalité, de fraternité – entre les hommes et les femmes rendent un tel crime impossible et absurde. En attendant, c’est un crime, et quand une femme dit non, c’est non. Et que l’on sache bien qu’être vaincue, céder à la force n’est pas consentir.
Laurence Février et les comédiennes de Tabou (Anne-Lise Sabouret, Françoise Huguet, Carine Piazzi, Véronique Ataly, Mia Delmaë) ne font pas ici un théâtre documentaire : les interrogatoires sont la synthèse de multiples « cas » ; il n’y en a pas deux semblable, même si l’on peut en établir la terrible typologie, viol par un proche, viol conjugal, viol « en réunion »…
Le texte de la pièce est simplement vrai, on le sent, on le sait. Le spectateur n’est pas entretenu dans l’illusion de « personnages » : il voit les comédiennes changer de rôle et de fonction, tranquillement, il sait qu’il est au théâtre, et que ce théâtre c’est la présence d’une parole vraie, au moment où elle est dite, « dans le cercle de l’attention ». Après quoi les comédiennes peuvent saluer.
C’est très fort.

Christine Friedel

Théâtre du Lucernaire, 20h, jusqu’au 21 octobre, 01 45 44 57 34.

Le 15 septembre à 15, rencontre avec Geneviève Fraisse, auteure de Du consentement (éditions du Seuil, 2007) et Georges Vigarello, auteur de L’histoire du viol (éditions du Seuil, 1998). Informations juliechimene@gmail.com

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