Les Survivantes, texte d’Isabelle Linnartz et Blandine Métayer, mise en scène d’Isabelle Linnartz

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Les Survivantes, texte d’Isabelle Linnartz et Blandine Métayer, mise en scène d’Isabelle Linnartz

 Les spectacles qui ont pour thème la prostitution, sont assez fréquents et parfois inspirés comme celui-ci par des témoignages véritables recueillis par Le Nid, une association qui aide celles qui veulent s’en sortir.  Sur le petit plateau du Théâtre 13, cela se passe en France à la frontière belge, près d’une autoroute avec, au loin, le bruit incessant des camions. Sous une sorte d’abri en tôle ondulée plastique délabré dans une ancienne station-service, un bar, une aire de parking…

Cinq femmes: l’une a la cinquantaine, les autres la trentaine et une jeune fille, se prostituent. Il y a là un seul homme incarnant trois clients et un proxénète. Elles ont eu des parcours plus que chamboulés. Comment en sont-elles venues à faire le trottoir? Aucune n’a choisi vraiment de faire ce qu’on appelle le plus vieux métier du monde et qui n’en est pas un. Souvent violées très jeunes par un père ou un proche, ou malmenées et abandonnées après un divorce, seules avec un enfant. D’où une situation très précaire et la tentation de faire le trottoir avec quelques passes par jour pour gagner facilement de l’argent. Puis elles tombent vite sous la coupe d’un proxénète ou d’un réseau, surtout quand on est étrangère, ne parlant pas français, sans papiers donc très vulnérable… Et elles ont vu leur corps devenir une marchandise soumise au premier venu, avec tous les risques de sida et de violences. Certaines -mais très peu d’entre elles- se prostituent volontairement…

 Isabelle Linnartz et Blandine Métayer ont choisi des cas typiques de femmes aux parcours différents qui, un jour, se sont retrouvées à faire le trottoir le plus souvent dans des endroits sordides, la nuit et sans aucune protection. La toute jeune Clara, dit-elle, aide ses parents: “Je suis venue de l’Ukraine, en passant par la Roumanie, la peur au ventre. (…) Ah ! J’en ai vu du pays, d’abord l’Italie, les bordels en Allemagne, les contreforts de Mulhouse et maintenant les vacances en Belgique. » (…) « Je crevais d’amour sur ce trottoir de l’enfer, je n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, j’avais tellement peur. »

 Rose, la plus âgée, (Blandine Métayer) fait le trottoir depuis de longues années, n’a plus aucune illusion sur les hommes et connaît les blessures aussi physiques que morales mais semble plus armée. Un personnage inspiré par Rosen Hicher, une ancienne prostituée qui souhaite que, pour protéger les femmes, il y ait une véritable légalisation de cette activité comme en Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Espagne où vont facilement de nombreux jeunes du sud de la France. Ou comme la Suisse avec une prostitution légalisée et soumise à l’assurance-maladie et aux cotisations pour la retraite… Rosen Hicher est co-fondatrice, avec Laurence Noel, du mouvement des Survivantes,  pour accompagner les femmes qui veulent s’en sortir.

 Mais le France semble peu déterminée et, même après la loi pénalisant le client, les gouvernements successifs ont toujours laissé faire la prostitution, notamment la nuit au bois de Boulogne… à quelques kms seulement du Théâtre 13 ou à Belleville où une cinquantaines de jeunes femmes du nord de la Chine font le trottoir jour et nuit. Et, malgré les bonnes intentions d’Anne Hidalgo, maire de Paris, la prostitution a tendance à se banaliser chez de jeunes Parisiennes … Rose a décidé de se battre pour la réinsertion de ses copines et d’elle-même : «Combien de filles disparues? Kosovo, Afrique, Niger, Chine. Combien de demandes d’asile refusées, de réseaux démantelés ? Combien de familles escroquées dans leur pays d’origine, de papiers d’identité délivrés en échanges de filles vendues. C’est un trafic international. Une honte humanitaire. »

 Carmen, à peine la trentaine, a aussi été amoureuse mais, sans doute imprudente,  a accepté une relation tarifée sans trop bien savoir à qui elle avait affaire… Droguée à son insu, elle s’est retrouvée dans un lit, soumise à trois hommes qu’elle n’avait jamais vus. Comment en est-elle arrivée là? «Au début, je n’étais pas contre certains jeux sexuels, j’avais rencontré un type sympa, plutôt drôle… Jusqu’au jour où il est arrivé avec un collier, là, je lui ai dit que je ne me soumettrai pas! Il a insisté en rigolant : tu vas voir, tu vas connaître de nouvelles techniques… Ses potes étaient riches, ils payaient bien, il m’a emmené dans un manoir… A travers les tentures imprégnées de l’odeur des cigares, je les ai reconnus… Tous! Ces notables bien-pensants… Médecins, notaires, footballeurs… D’abord, ils m’ont passé une corde autour du cou. Ils ont fait des tours et des tours… J’ai mis mon doigt pour ne pas être étranglée… Ils m’ont brûlée avec de la cire. Les séances de dressage commençaient à coup de bouquets d’orties sur le corps ! Pinces à outillage, bâillon, tortures en tous genre… Ils se défoulaient. Juges, politiciens, hommes d’affaires. Le seul moyen de les arrêter, c’était de trembler comme une feuille. Souvent, ils m’attachaient à un radiateur dans le noir… »  Un témoignage qui fait froid dans le dos et très bien interprété par Catherine Wilkening.

Mimi (Gigi Ledron), jeune africaine émigrée d’un pays en guerre, sait bien que l’esclavage sexuel est fréquent et a appris à se méfier du racisme et des refus de payer. « C’est la couleur qui te gêne ? dit-elle à un employé de banque. D’accord. Mais balance la monnaie parce qu’après l’autre naze du parking, je donnerai pas deux fois. –«Ferme ta gueule! réplique-t-il. Je paye ! T’entends? Ou faut te parler chinois! Enfin toi, ce serait plutôt bamboula, hein ? »

©Lionel Roy

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Il y a aussi un homme (Jean-Claude Leguay) qui joue à la fois Le Père, l’Employé de banque, un Proxénète, un Marin.  Et une «masseuse» (Isabelle Linartz) offrant des services sexuels dûment tarifés mais elle refuse toute pénétration et ne veut pas être considérée comme une pute par ses copines. Comment en est-elle aussi arrivée à passer des nuits avec les autres pour essayer de gagner sa vie? Rose, elle, a décidé d’emmener ses copines, victimes de leur passé, à Paris pour manifester et elle réussira à les réinsérer dans la société. Elle -mais elle ne leur avait pas dit- est déjà employée chez un fleuriste… Mais il faut se pincer pour croire à cette métamorphose inattendue, alors que les anciennes prostituées  vivent en majorité très pauvrement…

C’est là, dit Isabelle Linartz, qu’elles vont interroger leur passé, prendront conscience de la précarité de leur état et trouveront la force de s’en sortir. » Oui, mais le texte  et le scénario n’ont rien de très convaincant et, comme le dit aussi lucidement l’auteure et metteuse en scène: «Adapter des témoignages au théâtre n’est pas toujours facile, d’autant que je ne voulais pas faire une juxtaposition de textes narratifs.» De fait, la mise en scène assez maladroite navigue à vue avec de nombreux allers et retours entre scène et salle. Il y a une hésitation constante entre un théâtre-documentaire et une histoire réaliste qui a bien du mal à se mettre en place. Et la direction d’acteurs reste assez flottante. Aucune facilité, pas de voyeurisme mais le compte n’y est pas tout à fait et il aurait fallu un texte plus radical et une mise en scène d’une autre envergure pour parler de cette tragédie sinon niée, du moins hypocritement tolérée par toute la société française, en particulier par ses hommes (et ses femmes !) politiques…

 Philippe du Vignal

Théâtre 13 Jardin, 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème), jusqu’au 5 avril.

 

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