Petit Navire
Petit Navire de Normand Chaurette, mise en en scène d’Olivier Lopez.
Petit Navire est la seule pièce destinée aux enfants de Normand Chaurette, auteur québécois, connu en France surtout par Les Reines créée par Joël Jouanneau en 97 et Le Passage de l’Indiana en 96; Petit Navire a déjà été mise en scène par Pascale Daniel-Lacombe en 2003 et par Dominique Catton en 2007. La pièce, un peu surprenante et elliptique, est plutôt destinée, non pas à des petits enfants mais à des spectateurs de dix/douze ans ou à des adultes.
C’est l’histoire d’un jeune garçon nommé Petit Navire et de sa petite soeur Roxane, âgés de dix ans qui n’ont plus de parents avec eux et qui sont élevés par deux personnages assez curieux: Marie-Laure, une lavandière et le vieux Monsieur Wreck; de temps à autre, ils reçoivent une carte postale où leur mère raconte ses expédition en montagne, mère qui reste toujours aussi mystérieusement absente; en fait Marie-Laure et Monsieur Wreck font tout pour cacher aux enfants que leur mère fait de fréquents séjours à l’hôpital. Mais on n’en saura guère plus.Petit Navire se met à écrire sur ce qu’ il perçoit de la vie qui est devenue la sienne: en pensée avec sa mère mais sans elle, pressentant sans doute très bien comme tous les enfants qu’on lui cache quelque chose de grave; quant à Roxane, elle ramène un pauvre mouton destiné à la vivisection… qui finira par mourir.
L’écriture de Normand Chaurette est à la fois simple et ciselée comme peu d’écritures contemporaines le sont, sans doute parce que l’auteur est québécois, et l’on sait l’importance de la langue française au Québec qui est une composante majeure de l’identité de ses habitants face au mur impitoyable de l’anglais omniprésent. Et quand il s’agit d’un texte où la présence de la mort est envahissante comme toujours chez Chaurette, même si cette fiction un peu noire comporte une bonne dose d’humour. Alors comment traiter cette sorte d’ovni de la scène théâtrale? Sans doute pas, avec un jeu réaliste. Olivier Lopez a choisi ,dit-il, de « dédramatiser l’aspect fictionnel du récit » et de faire en sorte que » les enfants aient pleinement conscience de la part de convention nécessaire à toute entreprise théâtrale » et il a sans doute eu raison de s’emparer du texte de cette façon là.
Il a commencé par demander à sa scénographe Marie La Rocca de lui imaginer un décor de cuisine des années cinquante , avec table en Formica et tabouret carré couvert de lino comme on commence à en voir chez les antiquaires, et plancher en grosses lattes peintes en blanc gris, sur la partie cour de la scène. Et Olivier Lopez a imaginé (ce qui n’es pas prévu à l’origine par Normand Chaurette) de demander Pascal Zavaro de composer une oeuvre pour violons, altiste et violoncelle, pour que la musique puisse ponctuer la série de séquences dramatiques imaginée par l’auteur. Il y a dans l’air quelque chose qui rappelle singulièrement Atlas, le très bel opéra que Meredith Monk avait créé il y a une quinzaine d’années à Houston.
Dès le début du spectacle,Olivie Lopez installe clairement la distanciation: on présente chaque comédien et chaque musicien ( Amélie Clément ,qui joue la petite fille, dit qu’elle attend pour bientôt son premier enfant, ce qui rééquilibre sans doute les choses par apport à cette menace de mort un peu envahissante). Le septuor à cordes est installé sur scène, à côté de la cuisine, face public et Pascal Zavaro a réussi à écrire une musique où l’absence , la maladie, le mal-être sont évoquées par un subtil jeu de cordes où le rythme de la composition compense le côté vite ensorcelant du violoncelle ,des violons et de l’alto.
La mise en scène d’Olivier Lopez est d’une grande rigueur et les quatre comédiens: Yvon Poirier, Amélie Clément, Elios Noël et Joanne Génini-Béguin , bien dirigés ,encore un peu tendus le soir de la première, font un travail de grande qualité car la, partie n’est pas facile, on s’en doute. En fait, Olivier Lopez – place la barre assez haut et sa mise en scène est d’une toute autre qualité que celles des spectacles pour enfants où tout ,en général, est à peine correct . L’idée du mouton transformé en gros chien poilu n’est vraiment pas l’idée du siècle mais, à cette réserve près,ce spectacle ambitieux, malgré quelques longueurs, a reçu un bon accueil le soir de la première où il y avait plus d’adultes que d’enfants, lesquels ne devraient pas pourtant y être insensibles.
Allez du Vignal, en conclusion de Petit Navire, ressortez nous encore une fois votre petite phrase de Tchekov… Mais très volontiers, madame Albanel: » Ce sont les vivants qui ferment les yeux des morts mais ce sont les morts qui ouvrent les yeux des vivants ».
Philippe du Vignal
Théâtre des Cordes jusqu’au 24 février, puis à Tourlaville le 6 mars et à Allonnes le 10 mars.