Fleurs de soleil de Simon Wiesenthal – adaptation Daniel Cohen et Antoine Mory, mise en scène de Steve Suissa
Fleurs de soleil de Simon Wiesenthal, adaptation de Daniel Cohen et Antoine Mory, mise en scène de Steve Suissa
Né en 1908 dans une famille de commerçants juifs à l’Est de l’Autriche-Hongrie, l’auteur grandit à Lwow (Pologne) où il suivit des études d’architecture. Arrêté après l’invasion par les nazis en 1939, il fut déporté en 41 dans les camps de concentration: Janowska, Plaszów, Mathausen… Il en sort quatre ans plus tard, retrouve sa femme mais a perdu quatre-vingt neuf membres de sa famille!
Il abandonne alors son métier d’architecte et consacrera sa vie à la recherche des criminels nazis qui ont méthodiquement assassiné -mais pas que- six millions de juifs! Fondé en 1977 à Los Angeles, le centre Simon Wiesenthal a œuvré à l’abrogation de la prescription des crimes des anciens nazis et fera tout pour qu’ils soient jugés. Il joua ainsi un rôle dans la localisation d’Adolf Eichmann capturé à Buenos-Aires en 1960, puis il s’impliqua dans les affaires concernant le passé nazi d’hommes politiques autrichiens encore vivants. Représenté dans le monde entier, le centre Simon Wiesenthal poursuit une lutte permanente contre le fanatisme, l’antisémitisme, le racisme et l’intolérance…
Cet homme exceptionnel a cherché toute sa vie à comprendre ce qui lui est arrivé dans un camp qui était autrefois son école d’architecture… donc un lieu qu’il connaissait très bien. Appelé par une infirmière, il va entendre, seul avec lui, les dernières paroles de Karl, un nazi très gravement blessé qui voulait lui parler. Mais il ne verra même pas sa tête enveloppée dans des pansements. Et Karl, qui mourra le lendemain, aura eu le temps de lui raconter qu’il a assassiné des centaines d’innocents et il lui demande pardon pour les atrocités commises, notamment l’incendie volontaire d’une maison où avaient été enfermées des familles juives entières. Et ceux qui essayaient de fuir étaient aussitôt fusillés. Karl veut lui donner ce qu’il possède: un peu d’argent et quelques objets et vêtements. Ce que Simon Wiesenthal refuse.
Quelques années plus tard, il ira rencontrer la mère de ce jeune soldat; elle garde une sublime image de son fils bien-aimé et il lui taira l’atroce confession qu’il a reçue de lui. Tout au long de ce monologue, revient cette question sans réponse: peut-on pardonner des exécutions massives d’innocents? Et pardonner soi-même au nom d’autres victimes? Simon Wiesenthal, lui, a refusé: «Ce jeune soldat à l’agonie m’a confessé ses crimes pour, m’a-t-il dit, mourir en paix, après avoir obtenu le pardon d’un Juif. J’ai cru devoir lui refuser cette grâce. » Ai-je eu raison ou ai-je eu tort ? Cette question ne cessera de le hanter et quand il a adressé à de grandes personnalités, le manuscrit des Fleurs de soleil paru en 1960, il leur a demandé : “Qu’auriez-vous fait à ma place? ” Il n’y a évidemment pas de réponse… Et il dira peu avant sa mort en 95: «Je leur ai tous survécu. S’il y en avait que je n’ai pas cherchés, ils sont aujourd’hui trop vieux pour être poursuivis. Mon travail est fait.”
On retrouve ici Thierry Lhermitte qui commença le théâtre, il y a plus de quarante-cinq ans avec la troupe du Splendid, Josiane Balasko, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Gérard Jugnot et Michel Blanc. Il a joué dans quelque cent trente films dont Les Bronzés de Patrice Leconte et la fameuse pièce de théâtre puis le film: Le Père Noël est une ordure. Puis Le Dîner de cons, Les Valseuses ou encore Les Ripoux et Un Indien dans la ville, tous très populaires. Mais on l’a vu aussi au théâtre dans Biographie sans Antoinette de Max Frisch, Grand écart de Stephen Belber ou Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressmann Taylor.
Bien entendu, ce monologue traite ici d’un thème autrement plus douloureux. “Fleurs de soleil, dit Steve Suissa, est avant tout une œuvre qui traite du pardon. C’est-à-dire, au bout du compte, de ce qui fait de nous, des êtres humains. Dans une langue universelle, Simon Wiesenthal évoque un double enfermement. Celui d’un homme dans un camp de travail forcé, aux pires heures du totalitarisme. Et, bien au-delà du récit des faits, l’enfermement d’un homme confronté à la question obsédante du pardon. Seule une question demeure, en forme de bouteille à la mer : qu’aurions-nous fait à la place de Simon ? »
C’est une adaptation de ce texte paru en 1969 et traduit en une vingtaine de langues où Thierry Lhermitte interprète les personnages de ce récit poignant qui est aussi éclairé par de courtes déclarations de philosophes, historiens, religieux, hommes et femmes politiques: comme entre autres, Simone Weill, Mathieu Ricard, etc. dont les voix sont celles de Christiane Millet, Cristiana Reali, Laurent Stocker… Ils ont bien voulu répondre à la question de Simon Wiesenthal: « Ai-je eu raison ou ai-je eu tort ? »
Doutes et interrogations quant au refus du pardon, au désir de vengeance et à la liberté de jugement… Comment être lucide des années après: le temps et les circonstances n’étant plus les mêmes? Mais, dit Mathieu Ricard, « la société a besoin de pardonner afin d’éviter que ne se perpétuent la rancune, l’acrimonie et la haine qui vont inévitablement mûrir et se traduire par de nouvelles souffrances. La haine ravage nos esprits et ruine la vie des autres. Pardonner signifie briser le cycle de la haine. » ( …) « Un proverbe bouddhiste dit : ‟Le seul aspect positif du mal réside dans le fait qu’il peut être purifié. « Si l’on se transforme réellement, le pardon qui vous est accordé n’est pas indulgence à l’égard des fautes passées, mais reconnaissance de ce changement. La notion de pardon est intimement liée à l’idée de transformation. »
Thierry Lhermitte est toujours discret, juste, très souvent émouvant, à des années-lumière de ses rôles habituels et a une magnifique présence: on l’écoute donc facilement et le silence dans la salle est impressionnant. Malgré ce trop grand plateau et donc un mauvais rapport avec le public pour un texte aussi confidentiel, malgré aussi une mise en scène approximative: direction d’acteurs imprécise, manque de rythme, bizarres lumières parfois violettes ou rouges, vidéos sur un curieux écran en losange au-dessus de la scène… Pour traiter d’un thème aussi important, on aurait aimé beaucoup qu’il y ait ici plus de rigueur et de sobriété.
Mais reste Thierry Lhermitte et c’est déjà beaucoup. Mais, comme disait une spectatrice un peu amère à la sortie, cela fait quand même cher pour à peine une heure de théâtre : 54 € au parterre Carré or (sic) à 16, 50 € pour les places… à visibilité réduite! Il ne faut donc pas s’étonner de la couleur grise ou blanche des cheveux du public… Il serait pourtant bon et nécessaire que les jeunes gens de 2020 puissent entendre cette parole concernant des faits de barbarie pas si anciens et qui, malheureusement, appartiennent à l’histoire de la « civilisation » occidentale…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 29 mars à 19h, Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème ). T. : 01 42 08 77 71.