Flâneries nocturnes du Clos Lucé Lascia ch’io pianga et Le Sacre du printemps, chorégraphies de Marie Chouinard

Flâneries nocturnes du Clos Lucé

Lascia ch’io pianga et Le Sacre du printemps, chorégraphies de Marie Chouinard

Splendide programme dans le parc Leonardo da Vinci, château du Clos Lucé à Amboise, avec deux œuvres du répertoire de la compagnie Marie Chouinard, Lascia ch’io pianga (2018) et Le Sacre du printemps (1993). Le duo de cinq minutes Lascia ch’io pianga, interprété par Adrian W.S. Batt et Valeria Galluccio sur l’air éponyme de Georg Friedrich Haendel, tiré de son opéra Rinaldo (1711), vise à mettre en valeur la danseuse d’exception Valeria Galluccio.

 ©V. Gallucio

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Son partenaire, qu’on le veuille ou non, passe au second plan, réduit au rôle traditionnel des danseurs de ballet, celui du porteur. Le corps athlétique et démesuré de la ballerine efface littéralement l’interprète masculin.La pièce est, somme toute, féministe, l’homme étant à son tour « invisibilisé ». N’étaient les portés émaillant la monstration -l’un sur l’épaule du jeune gens, l’autre, la danseuse courbée vers l’arrière, posée sur le dos de celui-ci, ou bien simplement soulevée à bout de bras- Adrian W.S. Batt aurait peu de grain à moudre. Et le pas de deux serait un solo. Une variation sur pointes des plus ardues, souvenirs de la formation classique de Marie Chouinard.

 Quoique le contraste physique soit frappant et rappelle les couples du cinéma burlesque, opposés par leur corpulence : Charlie Chaplin/Eric Campbell dans The Rink (1916), Buster Keaton/«Fatty » Roscoe Arbuckle dans The Cook (1918), Laurel et Hardy/James Finlayson dans Big Business (1929). Ou opposés par leur taille, comme Karl Valentin/Liesl Karlstadt. Mais ici, nous ne sommes ni dans le comique ni dans le tragi-comique. Si pastiche il y a, il vise à contester par les seuls moyens de la danse, le ballet romantique du temps jadis, mais nullement le contenu dramatique de l’aria de Haendel. En français : « Laisse-moi pleurer sur mon triste sort et soupirer pour la liberté. Que la douleur brise les chaînes de mon martyre. » Pour que pastiche il y ait, il faut que le niveau technique soit au moins égal à celui de son objet. Et c’est ici, le cas.

 Dans sa présentation de la soirée, François Saint- Bris a fait le lien entre l’art et la technique sans faille de la compagnie québécoise et le goût du polymathe Léonard pour le mouvement : pour lui « source de toute vie ». Après la performance époustouflante de Valeria Galluccio, nous avons eu droit à la version maison du Sacre du printemps, musique d’Igor Stravinski qui, selon nous, plus que la chorégraphie originale de Vaslav Nijinski, fit scandale en 1913. On doit aussi au compositeur, ainsi qu’au peintre Nicolas Roerich, l’argument de ce ballet en deux parties et une douzaine de thèmes : danses des adolescentes, jeu du rapt, rondes printanières, jeux des cités rivales, cortège du Sage, adoration de la Terre, danse de la Terre, cercles mystérieux des adolescentes, glorification de l’Élue, action rituelle des ancêtres, danse sacrale. L’œuvre avait pour sous-titre : Tableaux de la Russie païenne. Le hasard a voulu que ce Sacre, peu orthodoxe, ait été présenté à Amboise, un soir d’Assomption. Incarné par treize officiants, comme autant d’apôtres dans La Cène de Léonard de Vinci à Milan.

 

© Marie Chouinard

© Marie Chouinard

 La mi-août correspond aussi au repos d’Auguste et les Italiens appellent encore «ferragosto», un temps propice à l’escapade, à l’excursion, au congé payé. Et Pagliacci (1892), un opéra de Ruggero Leoncavallo se déroule un jour de « ferragosto ». Marie Chouinard a créé et dansé elle-même sa version de L’Après-midi d’un faune en 87, en partant du ballet de Nijinski qui indigna les bien-pensants en 1912 en raison de ses allusions sexuelles. Elle s’attaqua ensuite au morceau de bravoure du Sacre qui a inspiré Martha Graham, Israel Galván, en passant par Mary Wigman, Maurice Béjart et Pina Bausch. «Il n’y a pas d’histoire dans mon Sacre, dit-elle, pas de déroulement, pas de cause à effet. Seulement de la synchronicité. C’est comme si j’avais abordé la première seconde suivant l’instant de l’apparition de la vie dans la matière. » Le peu de narration de l’original est esquivé, à savoir le sacrifice de l’Élue.

La prestation des danseurs est prodigieuse et il faut tous les citer : Michael Baboolal, Adrian W.S. Batt, Justin Calvadores, Rose Gagnol, Valeria Galluccio, Béatrice Larouche, Luigi Luna, Carol Prieur, Sophie Qin, Celeste Robbins, Clémentine Schindler, Ana Van Tendeloo et Jérôme Zerges. Ils se sont dépensés sans compter. Tous vêtus, ou plutôt dévêtus, ce qu’il faut et comme il faut, par Liz Vandal. Hommes et femmes torse-nu, pieds-nus, maquillés par Jacques-Lee Pelletier, coiffés par Daniel Éthier.
En son temps, Raphaël de Gubernatis avait dit l’essentiel, et fort bien, sur ce chef d’œuvre de la compagnie canadienne. Il parlait de «gestuelle vigoureuse, sauvage, teintée d’un primitivisme exceptionnellement éloquent, quelque chose de fort et de terrien qui vous frappe directement aux entrailles. » La chorégraphie de Marie Chouinard et la partition de Stravinski n’ont  pris aucune ride. Les conditions de diffusion sonores étaient idéales et nous avons pu capter la moindre nuance de la musique-enregistrée-de Pierre Boulez dirigeant le Cleveland Orchestra. Nombreux ont été les rappels.

 Nicolas Villodre

 Spectacle vu le 15 août dans le parc Leonardo da Vinci, château du Clos Lucé, Amboise (Indre-et-Loire).


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Livres et revues Les mille et une plaisanteries du Théâtre de l’Unité de Jacques Livchine

Livres et revues

Les mille et une plaisanteries du Théâtre de l’Unité  de Jacques Livchine


Dernier livre de Jacques Livchine, metteur en songes, comme il se définit lui-même.  En cent-vint pages et avec une couverture rouge comme les rideaux du théâtre bourgeois auquel il n’a cessé de s’attaquer, une sorte de catalogue liste memorandum-réflexion des quelque quatre vingt spectacles et interventions créés par le Théâtre de l’Unité depuis 1968 jusqu’à l’an passé. Avec la trente-cinquième édition  de La Nuit unique en juin à l’Avant-Scène à Colombes (Hauts-de-Seine), Hervée de Lafond, sa codirectrice et Jacques Livchine ont éteint les projecteurs d’une aventure hors-normes. Sans regrets, disent-ils. Peut-être, mais avec une épaisse couche de nostalgie  (voir Le Théâtre du Blog).

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©x Dans leur lieu à Audincourt

« Toute ma vie je n’ai été hanté que par une seule question : arracher le théâtre au carcan sociologique d’une culture dite cultivée. Alors, l’Unité c’était une course effrénée, nous n’avons jamais cessé d’ouvrir de nouvelles routes, de secouer le théâtre dans tous les sens, de faire bouger les paramètres, d’expérimenter, de « rater mieux », de jouer pour les chiens, dans une 2 CV, de s’adresser à une ville toute entière, de jouer partout, même dans les théâtres, d’inventer des actes poétiques radicaux. Nous pensions toujours que de l’idiotie pouvait jaillir une étincelle. »

Nous avons vu la majorité des créations de l’Unité soit environ une quarantaine, ce qui est exceptionnel pour une compagnie dans une vie de critique et avons aussi demandé à ces fous exemplaires de diriger des stages A.F.D.A.S. pour comédiens à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Mais aussi de mettre en scène des spectacles avec les élèves en fin d’études, notamment Le Mariage au festival de Blaye que l’Unité avait créé au festival in d’Avignon. Ils auront été de remarquables pédagogues et directeurs d’acteurs. Et la promotion qui a travaillé avec eux, en a été marquée pour toujours.  Sans eux, L’Ecole où ils intervenaient régulièrement, n’aurait jamais été ce qu’elle a été. Ils ont apporté  un tsunami qui déplaisait fortement-et c’était formidable-aux gens du Ministère de la Culture, en charge de l’enseignement théâtral… 
 Folie mais aussi exigence professionnelle…Nous entendons encore la voix d’Hervée de Lafond portant à cent mètres, hurler dans les coulisse de Blaye: « Dites, donc les filles, les bas noirs et porte-jarretelles, on ne les laisse pas traîner par terre, on les range avec soin: cela coûte cher. Et vous, les garçons, les chemises même sales, cela se met sur des cintres, sinon, demain même lavées, elles auront un parfum dont vous vous souviendrez.  » Ils ont aussi créé un remarquable petit spectacle sur le Moyen-Age, dans le cloître de l’abbaye de Conques (Aveyron).
Ces ex-élèves ne les ont pas oubliés. Hervée et Jacques, non plus… Faustine Tournan jouait il y a deux ans dans Une Saison en enfer.  Léna Bréban, metteuse en scène et Alexandre Zambeaux, acteur et dramaturge, en parlent avec reconnaissance. Comme Nathalie Conio-Cauvin: « Ils  trouvaient une forme toujours unique pour parler d’eux et envoyer des messages, entre autres, dans Terezin qui se jouait en déambulation dans un théâtre à l’italienne et où j’ai joué la résistante Natacha… Ces incroyables formateurs de vie et de pensée m’ont apporté une envie forte de mise en scène engagée…et de projets sans limite ! »
Nous avions vu Jacques tout jeune, débuter comme acteur avec Didier Sandre, acteur d’Antoine Vitez, dans Glomoel et les pommes de terre de Catherine Dasté, la fille de Jean Dasté, et la petite-fille de Jacques Copeau. Elle aura révolutionné le théâtre pour enfants dans les années soixante-dix avec des mises en scène à la fois pleines d’humour et d’une rigueur exemplaire…
Puis nous avons assisté aux spectacles les plus forts de l’Unité depuis cinquante ans, et cela en fait des souvenirs… Vous y allez y avoir droit en feuilleton cet été mais vu la canicule, il y a du retard à l’allumage…  Parmi les plus belles créations: L’Avare, La 2 CV théâtre, Le Mariage, Mozart au chocolat, et La Célébration de la Guillotine au festival d’Aurillac 87-inoubliable, même en ce matin pluvieux, place de l’Hôtel de Ville-  L’Histoire du Soldat, Don Juan, Le Bourgeois gentilhomme,  Terezin, 2.500 à l’heure souvent repris et où jouèrent plusieurs anciens élèves de Chaillot,  Oncle Vania à la campagne, fabuleux de poésie,  vu dans une prairie en Suisse,  leur cabaret mensuel dit Kapouchnik  très populaire et joué  pendant vingt ans dans leur lieu  à Audincourt. La Tour bleue  à Amiens devant des milliers de personnes, Le Parlement de rue à Aurillac, Macbeth, dans une forêt mouillée en hiver près de Montbéliard, La Nuit Unique à Aurillac, Une Saison en enfer, promenade magistrale dans les chemins empruntés par Arthur Rimbaud et le dernier, le court mais impressionnant Les Femmes puissantes d’après L’Assemblée des femmes d’Aristophane, mise en scène d’Hervée de Lafond sur les restes d’un ancien théâtre antique romain de 2.000 places, près d’Audincourt…

Nous avons vite oublié des échecs revendiqués comme tels, un ennuyeux et mal joué Revizor, un de leurs premiers spectacles dans une triste salle à Paris et L’Avion dans une prairie en lointaine banlieue, une fausse bonne idée sur le crash d’un Boeing qui fut aussi un crash théâtral… Mais une des forces de cette compagnie, c’est accepter l’échec et en tirer les conséquences, puis d’avoir la ténacité pour résister d’abord aux gens du milieu et aux politiques qui leur vouaient un mépris, voire une haine tenace. Exemple: aucun directeur du Théâtre National de Strasbourg n’aura pris la peine d’aller-ou d’envoyer un collaborateur- voir un de leurs spectacles, même quand Hervée et Jacques dirigeaient pendant huit ans la Scène Nationale de Montbéliard… à deux heures de train. Pourtant, l’Unité aura joué  des centaines de fois à l’étranger et sur trois continents. Levez le doigt ceux qui peuvent en dire autant!

En lisant ces pages, nous avons repensé à ce que nous liait si fort au théâtre de l’Unité: d’abord avec Jacques, un passé commun: Etudes Théâtrales en Sorbonne avec Bernard Dort, ce fabuleux professeur et le Groupe de Théâtre antique de la Sorbonne où nous avons appartenu, mais pas en même temps. Et aussi des valeurs qui ont fait respecter le Théâtre de l’Unité: trouver un autre public, une des obsessions de Jacques et Hervée, même au prix d’échecs inévitables mais assumés : leur fameux « ratez mieux ».
Et la provocation revendiquée non comme but mais moyen de meilleure relation avec le public. Et une  intelligente revisitation de classiques: Don Juan où Jacques interrompait le début du spectacle où on voyait trois Don Juan et trois Elvire nus. Depuis la salle, il faisait baisser le rideau: « Excusez-nous, ce n’était finalement pas une bonne idée. On reprend depuis la début. » Et une minute à peine les acteurs revenaient habillés. Vrai? Faux? Hervée et Jacques étaient déjà passés maîtres dans le jeu du théâtre dans le théâtre et le public de banlieue parisienne était tout de suite subjugué. Ou Le Bourgeois Gentilhomme, présenté au cours d’un  grand dîner avec toute la Cour, femmes et hommes en costumes d’époque devant le Roi…
Il y a aussi un paramètre souvent exploité: la représentation unique comme la démolition d’un H.L.M. vétuste par explosion dans La Tour bleue,  en banlieue d’Amiens, avec, avant des chansons et sketchs dans les étages très bien éclairés. Des milliers d’habitants étaient là…  qui se sont fait avoir comme les deux ou trois critiques parisiens venus pour le spectacle et l’explosion en direct. Tous roulés dans la farine. Bien joué! Impossible en effet de procéder à cette explosion tant attendue, puisque nous étions à une vingtaine de mètres!
il y a aussi à l’Unité, une affection pour les repas pris en commun, histoire de tisser des liens… que Jacques sait préparer pour trente personnes. Et très souvent, un dîner est prévu dans leurs spectacles comme dans Le Bourgeois Gentilhomme, Le Mariage, Le Repas des riches et le Repas des pauvres…. Et dans  un chaudron pendant la représentation d’Oncle Vania à la campagne, cuisait doucement une soupe offerte aux spectateurs, juste après les dernières répliques, à la nuit tombée.
Autre marque de fabrique chère à l’Unité: l’amour de la poésie: Arthur Rimbaud, Blaise Cendrars, Ghérasim Luca… souvent cités.  Et l’amour des animaux : Jacques a toujours eu un adorable bouvier  bernois  qu’il faisait  parfois intervenir dans leurs créations et ils ont commis un spectacle Le Théâtre pour chiens.
Et l’élasticité du temps: les spectacles peuvent durer quelques minutes, une heure trente ou deux, ou toute la nuit. Et ils savent jouer par tous les temps, le plus souvent, dans des lieux atypiques petits ou à la taille d’une ville comme pour Le Réveillon des boulons à Montbéliard. Et à chaque fois différents, selon le lieu de représentation mais très consciencieusement repérés : Le Chemin de Rimbaud dans sa campagne, Les Femmes puissantes avec comme scène ce qui restait des gradins d’un théâtre antique, Le Moyen-Age dans un cloître du XIII ème siècle,  en essayant de calculer en janvier l’inclinaison du soleil en juillet, pour que le public ne soit pas ébloui. Professionnalisme garanti…
Autre marque de fabrique évoqué aussi par Jacques Livchine dans ce livre: le plaisir de provoquer, que ce soit les adversaires de la peine de mort (dans La Célébration de la guillotine) ou les politiques et barons de tout bord. Hervée, en 2024, nommée commissaires de Montbéliard, capitale française de la culture, tutoie ainsi à l’inauguration Gabriel Attal, alors Premier ministre.  «Tu es venu en avion, alors qu’il y a un TGV, tu te prends pour qui ? Pour le Premier ministre ? » Et elle a fait remarquer que la ministre de la Culture, Rachida Dati n’avait pas daigné se déplacer et que deux cent millions d’euros de crédits ont été annulés pour le ministère de la Culturen cette même année 2024.  Emois dans les rangs.. Hervée de Lafond causa ainsi un mini-scandale chez les élus du coin qui n’aimaient pas beaucoup le Théâtre de l’Unité, trop dérangeant à leur goût. Et enfin un élément- non des moindres- le plaisir de transmettre évident chez ces complices, que ce soit régulièrement, et avec quelle efficacité! à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot ou à Audincourt, dans leurs Ruches des stages pour les jeunes, qu’ils animaient chaque année.

Voilà, nous espérons vous donner envie de lire ce petit mais grand livre, qui sonne comme un testament mais très vivant. Il n’y a aucune photo mais, avec un peu de chance, vous en trouverez sur Internet et pour le festival d’Avignon, à la Maison Jean Vilar. Mais de nombreux documents ont été brûlés après un attentat de leurs locaux à Montbéliard. Souvent méprisé, voire injurié, le Théâtre de l’Unité-nous persistons et signons- aura  été le créateur du théâtre, dit de rue en France avec Jean Digne à Aix-en-Provence, aujourd’hui très malade. Et l’Unité aura eu une influence souterraine mais considérable sur le spectacle contemporain. Aujourd’hui, Hervée de Lafond et Jacques Livchine qui parle ouvertement de ses métastases, ne sont plus tout jeunes et ont préféré transmettre  cet outil à leurs collaborateurs. « Peu à peu se dégage  une réputation que nous ne maîtrisons pas. Nous sentons bien, dit Jacques Livchine, qu’il y a une légende qui naît avec ses exagérations et ses mensonges. » Mais avec ses vérités: celles des innombrables articles, films et documents sonores comme le récent interview à France-Culture. Quant à nous, nous ne regretterons jamais d’avoir travaillé avec Hervée et Jacques.
Que dire de plus? Vous, jeunes élèves d’une école de théâtre, lisez aussi ce livre exigeant et d’une rare intelligence artistique, cela vous donnera envie de ne pas avoir peur.

Philippe du Vignal

Éditeur: Théâtre de l’Unité, vente uniquement par envoi postal. Achat possible au Théâtre de l’Unité à Audincourt: 15 €.

 

 
 

Festival de Bayreuth Lohengrin musique de Richard Wagner, direction d’orchestre de Christian Thielemann, mise en scène d’Yuval Sharon

Festival de Bayreuth

Lohengrin, musique de Richard Wagner, direction d’orchestre: Christian Thielemann, mise en scène d’Yuval Sharon

Une réalisation très appréciée du public. Dans ce lieu privilégié et magique, un orchestre d’une qualité parfaite, conduit de main de maître, comme nous l’assurait l’audition du prélude. Une interprétation pleine d’élan révélant toutes les nuances et la profondeur d’une partition que l’on redécouvrait, grâce à l’acoustique exceptionnelle du Festspielhaus: c’est l’une des grandes qualités de cette salle et il y avait un équilibre parfait entre chanteurs et orchestre, sans domination des uns, sur l’autre.

Nous avons aussi découvert de remarquables interprètes: Piotr Beczala, grand ténor wagnérien, en Lohengrin puissant et lumineux. Elza von den Heever, au prénom prédestiné, une Elsa von Brabant d’une grande force expressive et dramatique. Miina-Liisa Värela, Ortrud puissante, incarnant à la perfection ce personnage sombre et démoniaque. Olafur Sigurdarson est lui aussi excellent en Friedrich von Telramund, entièrement manipulé par sa femme, Ortrud. Les chœurs, si importants dans Lohengrin, dirigés par Eberhard Friedrich et eux aussi parfaits, ont été très applaudis.

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On attendait beaucoup d’Yuval Sharon, Américain d’origine israélienne, féru de culture allemande, qui a mis en scène cet opéra opposant amour et pouvoir… Il a été follement applaudi à la fin par une salle conquise. Au premier acte, dans une sorte de centrale électrique avec des isolateurs, tels des troncs ébranchés, un pylône semble remplacer l’arbre tutélaire, le frêne du monde, ou le chêne judiciaire.
Lohengrin apparaîtra, muni d’un éclair, au lieu d’une épée. Vient-t-il réparer la centrale électrique ou apaiser la discorde ? La scénographie d’un bleu apaisant de Néo Rauch et Rosa Loy , contrastant avec les taches blanches des grands cols brabançons, est féérique. Des ailes de libellules ornent le dos des personnages. Celles de la pure et séraphique Elsa von Brabant, blanches comme son costume et, celles de la démoniaque Ortrud, d’un bleu foncé et nervuré, comme sa robe. Personnage divin, Lohengrin arrive en haut de la centrale, sur un  cygne représenté par une forme géométrique abstraite évoquant la colombe de l’Esprit-Saint.

Pour Yuval Sharon, Elsa est sous l’influence positive d’Ortrud. Ces femmes étant les deux faces d’une même personne. Elsa vivra une double libération. Au premier acte, Lohengrin la sauve de la mort et de l’hostilité de la société brabançonne. Puis, au troisième, Elsa refuse d’obéir à Lohengrin qui lui demande son nom. Ortrud est le négatif de la pure et noble Elsa, et une sorte de Satan.
Dans un commentaire publié, Yuval Sharon cite Bakounine, un ami de Wagner quand il composait Lohengrin. Le philosophe décrit ainsi Satan dans Dieu et l’Etat : « Dieu a voulu que l’homme, privé de toute conscience de lui-même, demeure à jamais un animal soumis au Dieu éternel, son Créateur et Seigneur. Mais alors est venu Satan, l’éternel rebelle, le premier libre-penseur et libérateur du monde. Il fait honte à l’homme de son ignorance et de sa soumission animale. Il le libère et marque son front du sceau de la liberté en l’exhortant à désobéir et à manger du fruit de l’arbre de la connaissance ». Ortrud est ce génie libre qui s’oppose à la société traditionnelle et oppressive des Brabançons… Une combattante de la liberté, en particulier celle des femmes soumises à la domination des hommes et au patriarcat.
Au troisième acte, dans la chambre nuptiale, Lohengrin montre à sa femme comment elle doit lui obéir. Le metteur en scène insiste sur cette domination. Le caractère féerique de Lohengrin est un masque derrière lequel Wagner a mis en scène une critique de la société de son temps, nous dit Yuval Sharon.
Un Lohengrin puissant sur les plans musical, vocal et scénique. Une tragédie intime renvoyant au Graal à jamais perdu ou à une société en voie de transformation. Une plongée dans l’univers wagnérien où amour et pouvoir sont inconciliables…

Jean-François Rabain


Spectacle vu le 6 août à Bayreuth (Allemagne).

Adieu, Sofia Seirli !

Adieu, Sofia Seirli
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Une figure emblématique du théâtre grec s’est éteinte hier dimanche 10 août, à soixante-dix-sept ans… Cette mort brutale a plongé le monde artistique dans une grande tristesse. Sofia Seirli était en vacances à Fournoi sur l’île d’Ikaria. Selon des témoignages, la célèbre actrice et scénariste a essayé de nager de la plage de Kamari jusqu’à l’îlot Saint-Minas. L’amie qui l’accompagnait, s’est inquiétée quand elle n’est pas revenue et a alerté les autorités. De forts courants l’ont sans doute emportée et elle s’est noyée…

Née à Alexandrie en 1947, elle était diplômée de l’École d’art dramatique du Théâtre National et a très vite collaboré avec des metteurs en scène renommés dans plusieurs théâtres en Grèce et à Chypre. Dont Pantelis Voulgaris, Nikaiti Kontouri, Antonis Kalogridis, Giannis Kakleas, Efi Theodorou, Giannis Rigas, Thodoris Abazis, Michaël Marmarinos, Vassilis Papavasiliou, Nikos Mastorakis, Nikos Hatzopoulos, Dimitris Tarloun Yannis Houvardas…
Au Théâtre Libre, à la Scène Libre, à l’Organisation théâtrale de Chypre, au Théâtre d’Art, au Théâtre Amore…. Elle a interprété de nombreux rôles d’auteurs classiques, contemporains, grecs ou étrangers.  Comme récemment  dans L’Hirondelle de Guillem Cloua, avec Vassilis Mavrogeorgiou, dans la réalisation d’ Eleni Gasouka, Thérèse Raquin, d’après le roman d’Émile Zola, mise en scène par Lilly Meleme, La Reine de beauté de Martin McDonagh, dans une mise en scène d’Eleni Skoti qui a reçu les Prix du public Athinorama,  entre autres, le premier prix de la meilleure représentation et de la meilleure mise en scène. Crime et châtiment,  une adaptation du roman éponyme de Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Dimitris Tarloou, Une Maison lumineuse comme le jour  de Tony Küshner, mise en scène par Yannis Moschos.
Parallèlement, elle a écrit des scénarios pour la télévision et a joué dans de nombreuses séries, entre autres des personnages cmme Maro Lykoianni, la mère de Zachos dans Les Abeilles sauvages ou  la Nonne Afxentia dans La Rose noire. Elle a aussi enseigné au Département d’études théâtrales à l’Université de Patras et dans les écoles d’art dramatique. 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Festival de Bussang

Festival de Bussang  

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Aller au théâtre du Peuple à Bussang (Vosges), c’est retrouver l’enchantement de ce lieu que nous avions découvert il y a longtemps.  Frédéric Pottecher, alors acteur, scénariste, célèbre chroniqueur judiciaire et écrivain mort en 2001 qui avait une voix que l’on n’oublie pas, était le neveu du créateur de ce lieu emblématique dans la région. Maurice Pottecher, industriel mais aussi poète, auteur et metteur en scène de son épouse Camille, actrice, a créé en 1895, cette grande salle en bois, pour faire partager une émotion théâtrale aux gens du village.  Douze directeurs lui sont succédé… Pierre-Richard Willm, François Rancillac, Philippe Berling, Jean-Claude Berruti, Pierre Guillois, Simon Delétang. Julie Delille, nommée en 2023 est la première femme à diriger ce lieu exceptionnel, construit au fil des ans, et maintenant classé monument historique. Le Théâtre du Peuple se démarque des lieux culturels : le bâtiment est construit tout en bois et en fond de scène, deux portes coulissantes s’ouvrent sur un décor naturel! Celui de la forêt vosgienne. Et l’on se surprend à imaginer, l’apparition furtive d’un animal…. Un cadre magnifique, avec, chaque année, deux créations en alternance dont l’une depuis l’origine du Théâtre du Peuple, avec des artistes professionnels et amateurs. Le Roi nu d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Sylvain Maurice L’auteur russe écrit cette pièce en 1934 en s’inspirant des contes d’Andersen: La Princesse et le Porcher, la Princesse au petit pois, Les Habits neufs de l’Empereur. Le protagoniste est un tyran mais aussi un bouffon autoritaire et capricieux. Jamais jouée du vivant d’Evgueni Schwartz, elle a, depuis, connu un triomphe mondial et reste très actuelle. Sylvain Maurice  s’est installé à Bussang en juin pour mettre en scène cette farce grinçante et ludique pour tous: ici, le tyran sature les écrans et les réseaux sociaux… mais finira déchu.  

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L’histoire : Henri, modeste gardien de cochons et Henriette, une belle princesse, tombent amoureux. Mais le père d’Henriette lui a choisi pour mari, le Roi le plus terrible qui fait régner la terreur sur ses sujets et sur  sa Cour. Henri, bien que banni, accompagné  par son ami Christian, va déployer intelligence et énergie pour retrouver son Henriette. A l’issue d’un stratagème, il mettra à nu le tyran, rendu ainsi ridicule aux yeux de tous, s’enfuira, laissant enfin le peuple recouvrer ses droits. Il croyait être le plus intelligent mais sera puni par sa bêtise…

 Sylvain Maurice a confié le rôle du Roi à Manuel Le Lièvre, magnifique comédien… Dès qu’il apparaît en haut d’un escalier blanc, il emporte tout sur son passage, de la caricature à la fragilité, avec les pires excès d’autoritarisme et de vantardise.  Il est ce Roi, enfant gâté à qui personne ne résiste et tel une rock-star,  il emmène le public et tous ses camarades  dont Maël Besnard, jeune comédien tout en nuances (Henri et son ami Christian le tisserand), prétendant habiller le roi d’un vêtement visible aux seuls yeux des personnes intelligentes, Nadine Berland (Ministre des Tendres Sentiments), Hugues Dufrannois (Le poète de la Cour) et Jacques Courtot (Le Premier Ministre) de la troupe amateur. Une farce jubilatoire au vitriol avec de remarquables costumes, est jouée avec deux musiciens sur scène et elle résonne encore très bien aujourd’hui. On pense à certaines personnalités… Un grand moment d’actualité.
 
Je suis la bête, adaptation du roman d’Anne Sibran, mise en scène et interprétation de Julie Delille

Abandonnée dans un placard, une enfant grandira dans la forêt, élevée par un animal qui va lui apprendre la vie sauvage et la langue des bêtes. Méline est ce monstre enfanté par la violence du monde civilisé, recroquevillé, entre ombre et lumière. « Nous, c’est le silence qui raconte, les hommes il leur faut une voix.» Anne Sibran raconte l’histoire d’une métamorphose de notre espace mental, d’une renaissance par l’entremise des mots et des silences.

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Ce solo est mis en scène et interprété par Julie Delille dans un dispositif sonore immersif… Nous parviennent ainsi des mots enfouis dans la mémoire, des bruits et odeurs jaillissant des entrailles de la terre. Une adaptation d’un texte de grande intensité, a été créée il y a sept ans à Nanterre-Amandiers et s’inscrit dans la nouvelle programmation de Bussang.  Les spectateurs peuvent tenter une expérience en immersion totale avec, comme seuls guides, leurs sens et leur instinct. Un moment sombre et poétique… à condition d’y entrer.

Solange Barbizier

Jusqu’au 30 août, Le  Roi Nu et Je suis la bête, au Théâtre du peuple, Bussang (Vosges). Réservations @theatredupeuple.com T. : 03 29 61 50 48

Exposition de la compagnie Atomik Family à la Maison de la magie Robert-Houdin à Blois


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xposition Magie foraine à la Maison de la magie Robert Houdin, à Blois

 «Apparues aux origines de l’art, les figures de l’étrange et de la monstruosité, dit son commissaire, Frédéric Dautigny, sont un répertoire inépuisable, riche de significations et magie. Barnum les a ensuite rendues célèbres. Sous de petits chapiteaux: des «baraques», on proposait des spectacles au pittoresque et aux scènes remarquables, au-delà de toute description…

©  Nicolas Wietrich

© Nicolas Wietrich

L’histoire commence en octobre, l’an passé à Blois, voisine des plus beaux châteaux français et dont les habitants sont gens de bon sens, doués pour le rêve et peu sceptiques… Mais depuis 98, le fantastique et la magie ont envahi la ville avec un musée, la Maison de la magie Robert Houdin. Arnaud Dalaine, metteur en scène et directeur de ce musée m’appelle et voudrait savoir ce que sont mes attractions foraines proposées lors d’animations du Freaky Circus et dont on lui a parlé. Il m’explique son projet d’exposition sur l’univers féerique et coloré de l’art forain, un monde où magie et création émerveillent petits et grands. Arnaud est un fin négociateur et on se comprend tout de suite…
Je collectionne les bizarreries, curiosités, singularités humaines et animales depuis trente ans et elles produisent chez la plupart des gens, frissons et émerveillement. Je propose à Arnaud de mettre ma collection à sa disposition. Heureux de faire partie de cette nouvelle aventure, je prends rendez-vous avec lui en Avignon où j’expose toute l’année au Tarot Créatif, des artefacts magiques et entre-sorts… Il choisit des pièces et découvre les coulisses d’un art longtemps considéré comme mineur mais pourtant riche de savoir-faire, poésie et invention. Il choisit chacune avec précision, pour raconter l’histoire des fêtes foraines, avec saltimbanques, montreurs de phénomènes, jeux de foire, spectacles ambulants…

Cette exposition exceptionnelle retrace l’histoire de ces arts forains grâce à une collection unique d’affiches, objets, photos de monstres, installations mêlant patrimoine, émotions et spectacles vivant. Elle fait renaître des artistes talentueux qu’on pouvait rencontrer dans les «baraques à boniments». À travers une célébration du divertissement, c’est tout un pan de notre mémoire qui reprend vie; l’inauguration en avril dernier a été un véritable succès  les trois premiers mois, le musée a affiché une fréquentation record.
Entrez, entrez… sous un chapiteau imaginaire où les lumières vacillent comme des étoiles et où le temps suspend son vol. L’art forain est un divertissement mais aussi un langage oublié, celui des couleurs qui chantent, des bois sculptés qui murmurent, des automates qui s’éveillent, à la tombée de la nuit….
Un monde à part: le merveilleux s’y invite au quotidien et les rires des enfants se mêlent à la nostalgie des parents. Les miroirs y reflètent nos rêves enfouis et les baraques peintes racontent en silence des histoires de fêtes et voyages en liberté. Chaque objet est un fragment d’enfance, la mémoire des fêtes foraines et un battement de cœur venu d’hier.£
Laissez-vous guider par la musique d’un ancien orgue  de barbarie… Elle vous mènera dans un univers où le réel flirte avec le fantastique, où l’artisan devient magicien et où chaque tour est une promesse d’évasion. Bienvenue dans l’art forain, ce théâtre de la joie nomade, ce musée vivant. Merci à tous ceux qui, chaque jour, dans ce temple, font vivre la magie. »

Sébastien Bazou

Exposition Magie Foraine jusqu’au 4 janvier, Maison de la magie Robert Houdin, Blois (Loir-et-Cher). Conférence de Frédéric Dautigny, le 19 septembre.

 

 

 

Festival d’Avignon Le Procès Pelicot, Hommage à Gisèle Pelicot, écriture et recherche de Servane Dècle, mise en scène de Milo Rau (Récits difficiles (violences sexuelles)

Festival d’Avignon

Le Procès Pelicot, Hommage à Gisèle Pelicot,  écriture et recherche de Servane Dècle, mise en scène de Milo Rau (récits difficiles : violences sexuelles)

En Autriche, le verdict: vingt ans de réclusion criminelle pour l’ex-mari Dominique de Gisèle Pelicot et les peines de prison pour les autres cinquante accusés, avaient vite été retransmis… Et une première version de cette lecture sur ce procès ( sept heures en allemand), a été présentée dans une église avec trente acteurs au festival de Vienne.
Une seconde version- cette fois en plus de trois heures et demi quand même- a été donnée avec des interprètes de cette soixante-dix neuvième édition et des invités. Le procès aux Assises d’Avignon fin 2024, avait attiré les médias du monde entier. Avec ces mots vite devenus célèbres: « »La honte doit changer de camp » et en refusant le huis-clos, Gisèle Pelicot (soixante-douze ans) est devenue un symbole de la lutte contre la banalisation du viol et des violences faites aux femmes. Elle a été décorée de l’Ordre national de la Légion d’Honneur…
Ces viols ont eu lieu à Mazan, petite ville du Vaucluse où des hommes (tout âge et toute classe sociale confondus) après avoir pris rendez-vous par internet, n’hésitaient pas à aller la violer chez elle, chimiquement droguée par son mari à l’époque… Dominique Pelicot ( soixante-et-onze ans ans) sa reconnu avoir proposé des rapports sexuels avec sa femme Gisèle mais  en a rejeté la responsabilité sur les autres accusés…

 

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La dramaturge Servane Dècle et le metteur en scène suisse Milo Rau ont travaillé avec les avocats de la famille Pelicot, les membres du tribunal, des experts psychologiques, chroniqueurs judiciaires, témoins, membres d’associations féministes pour raconter le procès du patriarcat, avec interrogatoires, plaidoyers et commentaires de cette action en justice. Mais Gisèle Pelicot a choisi de ne pas être là. Et, à évènement exceptionnel, conditions exceptionnelles d’entrée : gratuite! Ce qui est rare dans ce festival mais dans la limite d’un billet par personne présente et distribué la veille seulement, à 21 h devant le palais des Papes.
Sur la scène mythique du cloître des Carmes, des bancs en bois où sont assis la victime de ces viols (représentée successivement par Ariane Ascaride, Marie Vialle et Marie-Christine Barrault, Philippe  Torreton (Dominique Pelicot, le mari de Gisèle)  et d’autres acteurs pour représenter les avocats et les autres accusés.. Mais aussi la metteuse en scène Eva Doumbia, Anne Lassalle, avocate spécialiste des violences sexistes, Marie Coquille-Chambel, lanceuse d’alerte de MeTooThéâtre, Camille Étienne, militante écologiste, Laurent Layet, expert psychiatre au procès. Et Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture et membre du conseil d’administration du festival…
Cette lecture a aussi été diffusée dans plusieurs cafés de la ville et sur le site du festival… mais était difficilement accessible. Le procès, sous une forme ou une autre, a été, depuis celui d’Oreste dans Les Erynies,le dernier volet de la célèbre trilogie d’Eschyle, à la naissance du théâtre occidental…  Depuis, il y en a eu des milliers et Jean Racine, on l’oublie souvent, a écrit une petite comédie Les Plaideurs. Cette lecture, juste quelques mois après le procès,  serait-elle un prélude à un véritable spectacle, ou souvent comme toute lecture,en restera-t-on là?
Ce que nous avons pu en voir, nous a semblé intéressant mais trop statique et trop long! Les protagonistes pas toujours aussi cernés comme on l’aurait souhaité dans une véritable pièce. Milo Rau avec des acteurs, metteurs en scène et membres de la société civile concernés, a réussi, malgré tout,  à faire faire entendre la voix de celles qui continuent à être victimes d’un système sociétal, et pour une seule fois. « En rendant le procès public, Gisèle Pelicot  a réussi à opérer un basculement incroyable, dit Servane Dècle: elle a fait « changer la honte de camp en forçant les accusés à répondre de leurs actes. » (…) Le patriarcat ne reste évidemment pas confiné au foyer. Il agit, dans le monde et à l’intérieur de soi.( … ) Aujourd’hui masculinisme et néo-fascime avancent main dans la main. (…) En tant qu’artiste, militante et femme, je pense que le procès Pelicot porte un enjeu fondamental de notre époque.  » (…) Gisèle Pelicot  n’est pas seulement une victime mais aussi une survivante de la violence patriarcale. « 
Cette lecture de documents, préparée par Servane Dècle a été mise en scène par Milo Rau qui a souvent travaillé au théâtre sur des affaires judiciaires. « L’histoire, dit-elle, nous appartient à toutes et à tous, en même temps à aucun d’entre nous. »  Dans la ville où, précisément, a eu lieu ce procès historique, pas très loin du Cloître des Carmes… 

Philippe du Vignal

Lecture  au Cloître des Carmes, Avignon, le 18 juillet et retransmise sur festival-avignon.com

 

Adieu Robert Wilson

Adieu Robert Wilson

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Bob Wilson, né en 1941 à Waco (Texas), est mort avant-hier à quatre-vingt trois ans, d’un cancer à Water Mill (État de New York), le grand laboratoire de spectacles et de résidences d’artistes qu’il avait lui-même conçu en 91 et où il habitait, quand il ne faisait pas de mises en scène dans le monde entier. Avec lui -le plus jeune des trois- s’en va le dernier géant du XX ème siècle, après le dramaturge et metteur en scène polonais Tadeusz Kantor (1921-1990) et la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009). A eux trois, ils révolutionnèrent le spectacle contemporain.
Bob Wilson était, comme eux, un créateur à part entière de ses spectacles. M
etteur en scène, scénographe, dramaturge, vidéaste et sculpteur, il avait commencé par suivre trois ans des cours d’administration des affaires, ce qui lui fut ensuite bien utile pour diriger ses grosse productions…Dénominateur commun avec le créateur polonais et la chorégraphe allemande, il voulait, assoiffé de perfection, tout assumer jusqu’au moindre détail scénique. Mais il savait déléguer et s’entourer des meilleurs artistes et techniciens.
Artiste d’
avant-garde new-yorkais vers 1970 devenu mondialement célèbre après Le Regard du Sourd, il était peu connu, voire pas du tout aux Etats-Unis. Comme des dizaines de millions d’Américains, le  Donald Trump n’a sans doute jamais entendu parler de lui, ni vu un de ses spectacles. Mais Bob Wilson a été vite adopté en France où il créa nombre de ses œuvres théâtrales et opéras comme en Europe, puis dans le monde entier.
Bob Wilson étudie trois ans l’
administration des affaires à l’université du Texas. Puis en 63 -il avait vingt-deux ans- il va à New York suivre des cours de peinture et sculpture, puis en Arizona, deux d’architecture avec Paolo Soleri. Mais il s’intéresse aussi à la chorégraphie sous l’influence de Martha Graham et rencontre en 66 son ami Andy de Groat, mort en France il y a six ans, et dont il partagera la vie quelques années…Ce travailleur infatigable, jamais à court d’invention, travailla à New York dans des ateliers de théâtre avec des enfants cérébralement handicapés.

Il faut rappeler ce parcours de vie personnelle et artistique, essentiel pour comprendre comment sont nés ses premiers spectacles et les suivants : peinture, architecture, lumières et une remarquable sculpture de l’espace comme on n’en n’avait jamais vue sur un plateau. Mais il aimait aussi dessiner des meubles minimalistes dont on voyait parfois quelques exemplaires (tables, et chaises dont il avait toute une collection). Il avait une fascination pour le langage visuel et oral mais aussi pour l’ art du silence, du mouvement et de la répétition gestuelle et musicale qui seront ses marques de fabrique.Il créa aussi quelques performances, comme celle que nous avions vue à Bruxelles où il dirigeait Christopher Knowles, un jeune artiste qui, répétait sur une petite scéne chaque soir, sans jamais commettre la moindre erreur, nous avait-il-dit, le même texte très compliqué, à base de phrases répétées, qu ‘il avait écrit. Et cette fonction mentale du langage fascinait Bob Wilson.

 En 68, Bob Wilson crée la Byrd Hoffman School of Byrds(du nom de celui qui l’avait aidé, adolescent, à guérir d’un bégaiement). Et avec Andy de Groat, il crée en 69 à New York, The King of SpainThe Life and Times of Sigmund Freud. Des œuvres saluées par quelques critiques…
Trois ans plus tard, avec Andy de Groat et la danseuse et actrice Sheryl Sutton, il crée Deafman Glance à Iowa City. Ce désormais célèbre Regard du Sourd  sera invité par Jack Lang au festival de Nancy où nous avions vu la première: « Il a bouleversé l’art de la scène, a-t-il dit aujourd’hui. » Effectivement, cela a été un tsunami, provoqué par un Texan de vingt-huit ans, encore inconnu et qui n’était pas, à l’origine, metteur en scène de théâtre.

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Un spectacle exceptionnel et merveilleux de sept heures de 21 h jusqu’au petit matin, de ceux qu’on ne voit qu’une fois dans une vie de critique. Des souvenirs ? Oui, même après un demi-siècle… Au début, où un grand jeune homme (lui-même) en queue de pie, disait simplement avec une impeccable diction : « Ladies and gentlemen, ladies and gentlemen, ladies and gentlemen… mais de moins en moins fort, jusqu’à devenir inaudible. Le rideau se levait alors et ensuite, plus un mot : commençait un spectacle muet aux images somptueuses d’inspiration surréaliste, avec parfois, des animaux. Un homme entrait régulièrement en courant sur le plateau côté jardin et en sortait côté cour, sans se préoccuper de la scène muette qui s’y jouait.. Puis en ressortait dix minutes après dans l’autre sens…
Aucun scandale dans la salle, bourrée pleine de jeunes gens étonnés mais très admiratifs. Trois entractes mais aucun signal pour annoncer le reprise comme si la vie continuait simplement A côté de nous, Bernard Dort, grand spécialiste de Bertolt Brecht et qui avait été notre remarquable prof en études théâtrales à la Sorbonne et son ami Gilles Sandier, éminent critique, eux regardaient, indifférents, les scènes se succéder mais surtout discutaient entre eux. Plusieurs années après, Bernard Dort à qui je rappelais cette histoire, avoua qu’il avait eu tort de ne pas avoir été sensible à ce chef-d’œuvre absolu qui avait enthousiasmé Aragon.

Pas de récit mais un étirement du temps vécu par un enfant sourd sur un plateau désert, avec, au fond des toiles peintes, ce qui à l’époque, ne se faisait plus. Et toujours, une place prépondérante offerte à la musique. Aucune logique apparente mais jouée par une cinquantaine d’interprètes, une succession d’images fabuleuses et parfois cruelles. En leitmotiv, un personnage en longe robe noire, un corbeau posé sur son bras, aussi insolite qu’énigmatique, avec un couteau à la main qui allait tuer un petit enfant… Peu de traces mais il existe une vidéo de quelques minutes à l’I.N.A.

Dix ans avant, notre marraine nous avait emmené encore adolescent, voir avec son mari, un spectacle de Marcel Marceau au Théâtre de l’Ambigu. Il y avait, avant les fantaisies de Bip, son personnage fétiche, un conte d’Extrême-Orient assez hermétique auquel le public ne comprenait rien. A l’entracte, dans le hall du théâtre, le mari en question expliqua, lui, le scénario à une dizaine de personnes qui buvaient ses paroles: il était atteint de surdité totale… Quelle leçon de théâtre ! Je ressentis, des années après comme un prélude et un clin d’œil artistique à ce Regard du sourd qui rendit vite célèbre Bob Wilson.
Nous ne pouvons citer tous les spectacles de lui, que nous avons pu voir. Mais en 74, il crée au festival de la Rochelle,
Lettre pour la reine Victoria, un remarquable opéra avec de la musique classique par Alan Lloyd avec Stefan Brecht, le fils de Bertolt. Avec un titre et un thème issus de The Life and Time of Joseph Stalin, (La Vie et la Dimension temporelle de Joseph Staline) qu’il avait présenté cette même année à l’Académie de Brooklyn. Cette lettre qui avait été adressée à la Reine Victoria est de point de départ cet opéra.

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L’année suivante, il crée au festival d’Avignon Einstein on the Beach, un opéra dont la musique répétitive est écrite par Philip Glass, et la chorégraphie par Lucinda Childs. Rien à voir, bien sûr, avec le grand scientifique mais une œuvre d’une beauté d’une invention et d’une unité exceptionnelle qui sera vite connue dans le monde entier. Puis Bob Wilson conçoit un long spectacle pour les Jeux olympiques d’été en 1984The CIVIL warS : A Tree is best Measured when it is down (On mesure mieux un arbre quand il est à terre)  dont une partie seulement sera jouée au Théâtre de la Ville

En 90, Bob Wilson crée Le Roi Lear de William Shakespeare à Francfort-sur-le-MainLe Chant du cygne d ‘Anton Tchekhov à Munich, une adaptation d’Orlando de Virginia Woolf à Berlin-Ouest et The black Rider: The Casting of the magic bullets,  une collaboration de Wilson, Tom Waits et William S. Burroughs, à Hambourg
En 1998, il fait une remarquable mise en scène au Stockholms Stadsteater duSonge d’August Strindberg que nous avions pu voir en 2000 au Théâtre National de Chaillot. A ma demande, il avait été tout à fait d’accord pour recevoir quarante minutes les élèves de l’Ecole qu’alors, je dirigeais, et ceux de la section scénographie des Arts Déco.Il répondait avec une rare gentillesse aux questions. Un cadeau royal… de ceux qu’on n’oublie jamais.
1984 : il nous avait proposé d’assister toute une journéeà une répétition de
Médée de Marc-Antoine Charpentier, à l’ancien Opéra de Lyon qui n’avait pas encore été rénové et malgré des structures lumières et son assez obsolète, il avait réussi son pari Bob Wilson était d’une rare exigence,quand il dirigeait la gestuelle de la cantatrice. Mais il avait compris après vint minutes et malgré tous ses efforts à elle qu’il ne pouvait lui demander de tenir le bras levé dans la position exacte qu’il souhaitait.

Il a fait de nombreuses mises en scène au Metropolitan Operala Scala, l’Opéra Bastille. C’est une partie moins connue de son œuvre mais Bob Wilson a aussi créé des sculptures et des meubles dont la vente servait à financer en partie ses spectacles.Il a aussi réalisé de nombreuses vidéos connues sous le nom de Voom Portraits. Passant d’un continent à l’autre, il avait une boulimie de travail et en 2004,  il mit en scène avec grand succès Les Fables de La Fontaine… à la Comédie-Française. Et deux ans plus tard  Quartett d’Heiner Müller, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, avec Ariel Garcia-Valdès et Isabelle Huppert.

Puis, ce fut en 2010, Oh! Les beaux jours de Samuel Beckett, au Théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet et un an après Lulu de Frank Wedekind  au Théâtre de la Ville avec le Berliner Ensemble, musique de Lou Reed. Et encore La Dernière Bande de Samuel Beckett, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Et  Nous avions été moins convaincus par les spectacles qui suivirent. Le vocabulaire scénique: lumières où il était un maître incontestable, son, musique, costumes était toujours aussi remarquablement maîtrisé mais toujours pressé, il confiait le plus gros du travail  à des assistants et s’auto-académisait en appliquant des recettes qui avaient bien fonctionné dans les opus précédents. Peter Pan ( 2013) de James Matthew Barrie avec le Berliner Ensemble. Ou l’année suivante, Les Nègres de Jean Genet, à l’Odéon théâtre de l’Europe. Mais L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi, à l’Opéra Garnier fut un succès. Comme la reprise en 2015 de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, à l’Opéra Bastille.
Il y a six ans,
Jungle Book,au 13 ème art pour le Théâtre de de la Ville à Paris, était malheureusement sans grand intérêt et ennuyeux.  Il ne lui ressemblait en rien.

©x Pessoa

©x Pessoa

Et Pessoa, Since I’be been, vu l’an passé, malgré ses grandes qualités plastiques, des lumières raffinées et une exceptionnelle direction d’acteurs, ne fonctionnait pas tout à fait. Comment faire passer les écrits de Fernando Pessoa sur un plateau? Mission presque impossible et il y avait ici comme une dichotomie entre images et texte.

Cela dit, merci Bob Wilson pour toute la beauté que vous aurez apportée. Vous resterez comme un grand artiste et un maître incontestable du théâtre contemporain. Les œuvres de Pina Bausch continuent à être dansées mais  celles de Tadeusz Kantor ne sont plus jouées: sans lui et ses acteurs fétiches, ce serait impossible. Ce qui risque d’arriver aussi à celles de cet immense créateur. Enfin Clément Hervieu-Léger, maintenant à la tête de la Comédie Française, serait bien avisé de reprendre ses Fables de la Fontaine…

Philippe du Vignal

Avignon encore et toujours

 Festival d’Avignon encore et toujours

Nous avons pensé avec Jean Couturier, Christine Friedel et Elisabeth Naud, à faire un bilan de cette édition assez particulière: glissement insidieux vers des spectacles de danse, soi-disant célébration de la langue arabe, Ministre de la Culture-une grande première-refusant d’aller voir un spectacle dans le in, C.G.T spectacle ayant dans ce cas appelé à la grève, représentation du Soulier de satin interrompue à minuit et demi pour cause d’orage à la Cour d’Honneur dans un désordre total (de nombreux spectateurs ne savaient pas où se réfugier dans un Avignon désert à cette heure). Alors que la météo était très défavorable, la Direction du festival n’avait pourtant pas annulé la représentation…
Pour des circonstances dépendant de notre volonté, vous aurez bientôt ce bilan.. Mais les faits-connus-son têtus: taux maximum de remplissage maximum dans le in (98%) malgré une programmation décevante et des prix élevés; off étant maintenant double du in, avec de très bons spectacles au Théâtre des Halles, au Théâtre du Balcon, au Onze, à la Scala-Avignon, à L’Artéphile… avec parfois des spectacles déjà joués, comme Les Serge par la Comédie Française, des créations comme Le Mariage de Figaro avec Philippe Torreton…
Mais aussi un deuxième off, lui à peine comparable: celui des petites salles où pour des pièces: auteur, metteur en scène et acteurs inconnus, ont souvent quelques spectateurs seulement par représentation, voire aucun ! Et à un prix de location exorbitant pour les compagnies, au moins 4.000 €  les trois semaines… Et ceux des chambres chez des particuliers s’envolent: 100 € la nuit, au noir, bien entendu ! Et dans les hôtels, on conseille fortement de réserver dès maintenant une chambre et, bien sûr, de la payer… pour  juillet 2026. En attendant, retour en arrière avec un épisode d’histoire du théâtre par le metteur en scène Jacques Livchine qui, a autrefois, joué dans le off comme dans le  in…

Ph. du V.Je n’étais pas en Avignon

©x La Femme-Chapiteau

©x La Femme-Chapiteau

1980: le Théâtre de l’Unité est dans le in avec La Femme-chapiteau et deux autres spectacles. Je m’étais dit  : je vais faire ma chronique sur Avignon où je n’étais pas et vais faire semblant d’y avoir été. » Alors tu as vu quelque chose de beau ? Le Rodrigues ne t’a pas déçu ?  Brel à la carrière Boulbon, je ne vois pas l’intérêt.Tu as fait de belles rencontres ? On y va pour ça tout de même. Je trouve que le bar du in ouvert à tous, c’est sympa. C’est quoi dans le in cette histoire de langue arabe? Pour distraire la galerie et énerver Le Figaro ? Oh! Là, tu as lu, ce journal trouve la programmation exécrable, parle de festival woke et d’ entre-soi étouffant. N’empêche: le off commence à gagner un peu de reconnaissance. Du monde, il y en avait. Et cette déclaration du festival qui se prononce officiellement pour la Palestine ? L’irruption du théâtre privé partout, La Scala, avec neuf spectacles.  »
La ministre de la Culture a voulu éviter la Cour d’Honneur et a assisté à une animation dans un E.P.H.A.D. Je la comprends: elle dit clairement ce que je pense tout bas, le sens de la subvention est clairement perdu. La conquête d’un nouveau public, les droits culturels, on n’en parle plus.  Quant au off, il affiche clairement la couleur: les compagnies sont là pour trouver des dates et les lieux où jouer. La consommation effrénée de spectacles me pose question. Etait-ce un bon cru? Tous les records sont  battus avec 1,6 million de billets vendus dans le off pour 1.735 spectacles: 60 % de remplissage et  98% dans le in pur une trentaine de spectacles .
Paradoxal: tout le monde se plaint et parle d’une Culture qui se meurt faute de moyens et on assiste à un foisonnement impressionnant! Même la Comédie Française présente un spectacle dans le off. Vitalité ou cancer ? Je suis frappé par la pauvreté des commentaires et débats. Des compagnies suent un an pour s’entendre dire : « On a passé un bon moment, c’était super. »  Ou: J’ai pas accroché du tout. »
Et puis le grand débat : le goût de la critique souvent opposé à celui du public.  Léna Breban (que nous avions repérée à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot et qui a joué dans notre 2500 à l’heure ) en sait quelque chose: son Mariage de Figaro a été déchiqueté par Le Masque et la Plume sur France Inter… Mais il y a  six cent places vendues chaque soir pour ce spectacle repris à Paris de septembre à janvier. Est-elle le nouveau Alexis Michalik, lui aussi peu aimé par la critique ?

Nous en avons fait des Avignon… Dès 64, jeune spectateur, je ne faisais pas encore de théâtre et j’étais « descendu » de Paris en vélo-solex.  J’ai le souvenir de Lorenzaccio avec Gérard Philipe : « Veux-tu que je m’empoisonne oui que je me jette dans l’Arno; les Russelaï seuls valent quelque chose. » Ah! les mots, les mots les éternelles paroles. En 68, je vendais France Nouvelle, l’hebdomadaire culturel communiste. Jean Vilar n’avait pas d’argent sur lui et je le lui offrais. J’allais aux débats du Verger, je me nourrissais de Jean Vilar. Le Living Théâtre a créé la polémique: Judith Malina et Julian Beck réclamaient la gratuité d’entrée et des gauchistes hurlaient à la porte du cloître des Carmes: Vilar/Salazar… J’étais aux premières loges: Jean Vilar gardait la porte avec la C.G.T. « Chez le boucher, disait-il on paie sa viande, donc le théâtre ne peut pas être gratuit. » En 69, coup de tonnerre, la compagnie Maurice Béjart danse à la Cour d’Honneur Messe pour un temps présent : c’était énorme à l’ époque d’y faire entrer la danse contemporaine! Quatre  jeunes compagnies sont invitées à jouer aux cloître des Carmes.  Discussions un peu partout. Hervée de Lafond que je ne connaissais pas encore, jouait dans Le Roi Nu, mise en scène de Michel Berto.
En 71, mort de Jean Vilar…
1972:  le Théâtre de l’Unité  joue  L’Avare and co dans un foyer des jeunes travailleurs à Champfleury, un quartier Ouest d’Avignon où se trouve maintenant la Fabrica…. Hervée de Lafond, devenue, codirectrice avec moi du Théâtre de L’Unité, dit que nous avons ouvert le off et fait les premières parades dans les rues. Georges Lavaudant jouait aussi dans ce même Foyer, avec son Théâtre Partisan. Nous sommes repérés par André Gintzburger, imprésario qui nous prend alors dans son écurie. Premier contrat: Festival international du jeune théâtre à Liège. Mais nous n’avons pas l’argent pour louer un car et nous y allons avec nos vieilles voitures… Là, catastrophe: grève générale en Belgique et une de nos Quatre L tombe en panne d’essence. Le Théâtre Royal de Liège est plein mais à cinq minutes de la représentation, manquent quatre acteurs. Il va falloir avouer notre forfait:  les cinq minutes les plus cauchemardesques de ma vie. Quand, soudain,  nos quatre amis  font irruption! Nous avons joué dopés par la peur. Premières critiques élogieuses…
1977: nous jouons sous chapiteau Dernier Bal  aux Angles (Gard) juste au-dessus d’Avignon.  Nous faisons une parade pour  La 2 CV Théâtre, place de l’Horloge à Avignon..Puis nous distribuons des tracts mais je suis tellement épuisé que je m’endors sur scène.  Le public aime la parade mais il n’y  a personne au spectacle et le chapiteau s’envole. C’est la faillite.1978 : Cyrano promenade, une déambulation modeste. Elle avait pourtant  marqué Jean-Pierre Marcos; directeur du Pôle Cirque d’Amiens qui m’en parle encore… C’était un matin aux Angles. Nous sommes fous, le Théâtre de l’Unité  va mourir et nous devons marquer le point si nous voulons être « compagnie associée » à Saint-Quentin-en-Yvelines. Cela  nous sauverait. Me prenez vous pour une éponge, Monseigneur, sur la crête des Angles… Un théâtre paysager. Il y a un article dans Le Monde de  Colette Godard: un quart de page. Nous gagnons l’appel d’offres, un lieu, une subvention. Enfin, nous respirons et nous allons être pris dans le in avec notre théâtre de rue: Une page dans Libé de Jean-Pierre Thibaudat nous sauve de l’anonymat .

 1981: A nouveau dans le in avec Le Mariage dans une belle maison à Pernes-les-Fontaines Mais semi-fiasco: dans Libé, Jean-Jacques Samary écrit que ce Mariage a tourné au divorce.  On le croise dans la rue et on lui dit que c’est la vérité…

1982: Encore le in avec Radio festival et avec L’Avion en 91 devant le Palais des papes. Deux mille spectateurs. Le Monde nous démolit mais  L’Avion passe au Journal  sur France 2.

1997: nous jouons 2500 à l’heure au Théâtre des Halles.   Nous sommes au sommet et on remplit dès le quatorze juillet… Il faut gérer le succès.

2003: Térezin. Mais c’est la grève! Nous ne jouons pas mais devons payer la location du théâtre… La pièce meurt. Zéro contrat pour l’année qui suit. Dur… Dur!

2005  : Promenade avec Luther d’Yves Ravey avec Hervée de Lafond au Théâtre des Halles mais ce monologue ne trouve pas son public. A un spectacle de Pascal Rambert, elle s’exclame pendant un changement de décor : « Quel mal vous avons-nous fait pour que vous nous fassiez tant souffrir ?«   Toute la presse reprend cet épisode rare. La programmation de Vincent Baudriller et Hortense Archanbault qui dirigent le in,  est sur la sellette.
Ensuite ce sera au festival de Villeneuve-lès-Avignon dans une grande prairie, Oncle Vania  à la campagne, puis La Nuit Unique… Mais  j’en oublie. Avignon incontournable! Les compagnies ont trois semaines pour s’imposer ou se désagréger dans ce lieu des toutes les cruautés ou de toutes les joies.   »Débarcadère des volontés, carrefour des inquiétudes. » , disait de Paris, Blaise Cendrars dans Le Transibérien. Cette année, je ne suis pas allé en Avignon. Mais qui peut mieux le raconter que celui qui n’ y est pas allé ?

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité, 9 allée de la Filature; Audicourt ( Doubs). T. : 03 81 34 49 20  contact@theatredelunite.com

 

Festival d’Avignon Gahugu Gato (Petit Pays) de Gaël Faye, mise en scène de Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, avec la complicité de l’auteur, (en kinyarwanda et français, surtitré en français et en anglais)

Festival d’Avignon

Gahugu Gato (Petit Pays) de Gaël Faye, mise en scène de Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, avec la complicité de l’auteur, (en kinyarwanda et français, surtitré en français et en anglais)

Nous avions rencontré Gaël Faye lors de sa carte blanche au musée du Louvre (voir Le Théâtre du Blog). Il a participé à cette aventure où une adaptation théâtrale de son livre a été jouée en extérieur à Kigali ,puis dans les collines au Rwanda, avant d’arriver au magnifique cloître des Célestins, avec ses deux grands platanes. Il a choisi les interprètes, a assisté aux répétitions au Rwanda et à Marseille. Pour lui et les créateurs, était important que la langue d’origine-le kinyarwanda- soit conservée.

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© Christophe Raynaud de Lage

Prologue : «Je ne sais vraiment pas comment cette histoire a commencé. Papa nous avait pourtant tout expliqué, un jour, dans la camionnette. Vous voyez, au Burundi, c’est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez. Comme Donatien? J’avais demandé. Non, lui c’est un Zaïrois, ce n’est pas pareil. Comme Prothé, par exemple, notre cuisinier. Il y a aussi les Twa, les Pygmées. Eux, passons, ils sont quelques-uns seulement, on va dire qu’ils ne comptent pas. Et puis il y a les Tutsi, comme votre maman. Ils sont beaucoup moins nombreux que les Hutu, ils sont grands et maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête. Toi, Gabriel, avait-il dit, en me pointant du doigt, tu es un vrai Tutsi, on ne sait jamais ce que tu penses. Là, moi non plus je ne savais pas ce que je pensais.
De toute façon, que peut-on penser de tout ça ? Alors j’ai demandé : La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ? Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays. Alors… ils n’ont pas la même langue ? Si, ils parlent la même langue. Alors, ils n’ont pas le même dieu ? Si, ils ont le même dieu. Alors… pourquoi se font-ils la guerre ? Parce qu’ils n’ont pas le même nez. La discussion s’était arrêtée là. »

Cette histoire tragique de 1993… aujourd’hui, les habitants ne veulent plus en entendre parler et les mots Hutu et Tutsi sont tabous, nous a dit Dida Nibagwire. Le roman de Gaël Faye est d’abord une histoire d’enfance et il décrit d’abord la joie, puis la tristesse quand s’efface progressivement la naïveté. Le jeune Gaby, exilé du Rwanda, vit au Burundi avec sa famille et ses amis, mais il va connaitre la séparation entre son père et sa mère, puis la dislocation de sa bande, à cause des conflits ethniques. «C’est en parlant de choses microscopiques, dit l’auteur, que l’on peut toucher l’universel ; dans la littérature, il y a un rapport entre le lecteur et le texte qui fait qu’on finit par se fondre dans un histoire. »

Cela explique le grand succès de ce livre : il montre un des grands drames du XX ème siècle, à travers le prisme de l’enfance et de l’exil. « Pour s’approprier les mots de Gaël qui sont chargés, dit Frédéric Fisbach, il fallait les alléger.» D’où l’importance ici de très beaux chants et danses, alternant avec le récit des narrateurs. Les artistes interprètent tous des personnages différents -sauf Frédéric Fisbach (Le Père). La parole est donc plurielle et on pourrait entendre un conte au coin du feu… Une forme de théâtre intime et l’émotion passe doucement vers le public. Seule réserve importante : mieux vaut avoir lu le livre de Gaël Faye sinon on risque de se perdre dans tous ces personnages.

Jean Couturier

Spectacle joué du 17 au 22 juillet, au Cloître des Célestins, Avignon.

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