Le Livre des ciels de Leslie Kaplan, mise en scène de Philippe Penguy
Le Livre des ciels de Leslie Kaplan, mise en scène de Philippe Penguy, musique de Denis Zaidman
Le premier livre de Leslie Kaplan L’Excès-L‘usine (1983) était composé de courts poèmes en prose sur le dur travail dans les ateliers et hangars. Et Marcial di Fonzo Bo en avait fait une adaptation en 2002. Puis il eut Le Livre des ciels où l’autrice en une centaine de pages, parle des ouvrières qui y vivent au rythme qu’on leur impose dans un paysage de raffineries situées au milieu d’une ville industrielle sinistre .. Avec pour seul éclairage, la beauté du ciel, seule chose qui leur appartienne vraiment… «Le ciel est souvent particulier, mauve. Couleur puissante, elle surprend. C’est l’industrie. On longe les murs, on pousse le vélo. Les murs sont calmes, tranquilles, un vrai langage. Il y a des déchets partout. Ce n’est pas désagréable, comme une attente, plutôt. »
Rigueur extrême et précision de l’écriture de ce livre, qui, dit Leslie Kaplan, « est l’histoire d’une rencontre dans un monde où même la douleur peut être confisquée et où les sentiments flottent, comme à l’état pur, sans objet.» On le sent tout de suite, il y a chez elle, les souvenirs d’une histoire vécue avec une belle sensibilité: travail sans intérêt, fatigue, sentiment que la vie échappe à ces femmes et où il n’y a aucune issue.
Philippe Penguy avait déjà monté Louise, elle est folle de cette autrice il y a quelques années et il récidive sur le petit plateau nu du Lavoir Moderne Parisien avec ce long poème. « Pourquoi monter un texte de Leslie Kaplan qu’elle n’a pas pensé pour le théâtre, dit le metteur en scène qui, en fait, ne répond pas à cette question essentielle… « Je ne peux concevoir ce projet que comme une création plurielle, de par la structure même de l’œuvre de départ, à la frontière de la poésie et du récit romanesque. Ni théâtre au sens du récit et de la construction dramaturgique, ni restitution poétique, ni danse contemporaine à part entière, pas vraiment un théâtre gestuel puisque parole il y a, même souvent dissociée du travail corporel.” Comprenne qui pourra! Essayons d’oublier le sabir prétentieux de cette note d’intention qui prône donc, si on a bien compris, un spectacle: ni ni ni…
Sur cette scène parquetée au même niveau que la salle; juste un rideau blanc à demi-transparent dans le fond, éclairé par des projecteurs LED à lumière blanche, verte, rouge… Et cela donne quoi? Pas grand-chose d’intéressant. Cela commence mal: on assiste pendant de trop longues minutes à un trajet-marche au pas, du côté cour au côté jardin et réciproquement d’Isabelle Fournier, Jessica Rivière et Agnès Valentin qui vont à tour de rôle raconter la lutte de trois femmes sans argent contre la domination des mâles, ouvrières d’usine mais libres… et une histoire d’amour en filigrane.
Un récit soutenu par les musiques avec différents types de flûte par Denis Zaidman. Mais ces marches incessantes, ces déshabillages et rhabillages derrière le rideau, ces récits individuels ou choraux n’arrivent jamais à faire théâtre! L’erreur la plus flagrante de cette mise en scène est ce mouvement perpétuel qui rappelle les marches militaires et donne le tournis. Les trois comédiennes d’âge différent ont heureusement une excellente diction et une bonne gestuelle mais on s’ennuie très vite… Et c’est sans appel. Il y a quelques belles images de quais et trains de banlieue tournées par le metteur en scène mais cela ne suffit pas à sauver ce projet dont le texte n’aurait jamais dû être porté à la scène. Ou alors il aurait fallu faire plus simple, plus malin surtout et plus court. Mais ici, malgré de réelles qualités littéraires, cet ovni théâtral mal construit, sans dramaturgie et à la mise en scène des plus approximatives, ne fonctionne pas…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué du 7 au 10 novembre au Lavoir Moderne Parisien, rue Léon, Paris (XIX ème).