Liebestod. El olor a sangre no se me quita de los ojos d’Angélica Liddell

Liebestod El olor a sangre no se me quita de los ojos,  (L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux) d’Angélica Liddell

Nous l’avions découverte avec toute sa fureur et tout son désespoir, il y a déjà dix ans au Cloître des Carmes à Avignon dans La Casa de la fuerza, un long spectacle-performance avec à la fois, l’esprit d’une certaine liturgie catholique dont elle est restée imprégnée et une espèce de transe sur fond de sexe,  avec de sublimes images et à une mise en scène remarquable. L’artiste espagnole fut aussitôt adulée par le public qui ne s’était pas trompé sur cette personnalité hors-normes et sur le message très féministe et très intime qu’elle voulait délivrer.

Mais les derniers spectacles que nous avions vus au Théâtre de la Colline et où elle évoquait son père et à sa mère récemment disparus, n’étaient pas bien fameux… Comme si l’autrice, metteuse en scène et actrice avait perdu son inspiration et avait quelque mal à se renouveler. Cela arrive… Inspiration qu’elle a heureusement retrouvée avec ce Liebestod  (Mort d’amour), titre du final  de l’opéra Tristan et Isolde de Richard Wagner. Un spectacle qui, malgré ses défauts, reste d’une grande qualité avec des images comme on en voit peu dans le théâtre actuel et comparables à celles qui faisaient autrefois le charme des spectacles de Bob Wilson.

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Dans un espace avec des rideaux jaunes pâle,  proche de celui d’une arène de corrida,  seule, en robe noire elle se livre à une sorte d’essai de communication avec le sacré et le tragique comme le théâtre pouvait l’être à ses origines. En témoignant aussi de la spiritualité de Juan Belmonte (1892-1962) célèbre torero espagnol obsédé par la mort dans l’arène, du jeune Joselito. Belmonte, pour qui pour son art relevait de la spiritualité la plus intense, finira par se suicider.Ici, Angelica Liddell associe la musique de Wagner.

On retrouve la fascination qu’elle a toujours eu pour le corps humain, avec les scarifications sur les jambes qu’elle s’impose, l’offrande qu’elle fait au public de son sexe jambes  écartées.  Et le morceau de pain qu’elle mange, après l’avoir trempé dans la sang de ce sexe… Trop, c’est trop et cela suffit, diront certains mais elle a une vraie sincérité et quand elle parle de la mort d’amour et de la douleur intime d’avoir perdu un certain Heysel. Comme cette Yseult qui a perdu son Tristan, nous la sentons très sincère et juste dans sa grande colère et à la fois, son amour pour les hommes.  
Elle a toujours cette fascination du corps et fait venir sur la scène des bébés, des chats et un  sublime taureau noir (empaillé) mais aussi un homme à qui il manque un bras et une jambe.  Puis Angelica Liddell  s’en prend dans un monologue d’une rare violence et très bien écrit, entre autres «à tous ces enfants français élevés comme si Dieu n’existait pas, et même empêchés de nourrir des doutes sur son existence, sous l’emprise d’une rééducation rationaliste abusive (… ) Et, dit-elle encore, à ceux qui ne pensent qu’à leur retraite dans un  pays «qui suralimente les orgueils et les arrogances contre les mystiques, les ermites et les poètes, dégradant la révérence qui leur est due, un pays obsédé par l’élite et la renommée, obsessionnelle par ses putains de cocktails où aller baiser le dernier Genet. »

Et les théâtres parisiens (garde-t-elle un souvenir amer du Théâtre de la Colline pas très rempli? ) en prennent aussi pour leur grade: « Totalement impossible que d’entre ces fauteuils rouges de merde, surgisse un dernier Céline, une dernier Rimbaud, un dernier  Baudelaire, un dernier Artaud, un dernier Genet car tout ce qu’ils veulent, c’est Sade sans Sade, Pasolini sans Pasolini, Henry Miller sans Henry Miller, Fassbinder sans Fassbinder, Céline sans Céline, Cioran sans Cioran. (… ) Car tous ces putains de fauteuils rouges sont infestés de pantins farcis de discours bla-bla-bla et d’une tripotées de roulures bouillantes, d’indécrottables commères, de comédiennes cupides et décérébrées, sublimes exemple de mouettes tchekhoviennes, chauffe-pines, renifleuses de bites influentes et de numéros de chambres d’hôtel (…) protagonistes des dernières campagnes de la mode automne-hiver et des publicités pour des tampons, des serviettes périodiques. » Elle envoie ce long mais très beau monologue avec une rage exemplaire et finit par un virulent coup de gueule: «Nulle part, il n’y a plus d’aliénés et de désespérés qu’à Paris. Les autres sont en grève. »

Un spectacle inégal, au rythme parfois défaillant et un peu long et la dramaturgie est en perte de vitesse avec deux fausses fins. Mais, seule sur ce grand plateau, Angelica Liddell ne triche jamais: elle a une présence indéniable et une belle exigence artistique, loin de toute médiocrité. Loin de cette bien mauvaise Cerisaie (voir Le Théâtre du Blog). Et elle a eu droit à une ovation debout d’un public assez jeune pour une fois au festival d’Avignon, ce qui n’est pas si fréquent. «C’est, dit-elle, avec lucidité, l’œuvre d’une femme amoureuse et mortelle. C’est aussi une immolation. » Bien vu: elle sait comme peu d’actrices, se mettre en danger et s’il reste des places pour ce Liebestod dont elle a assuré aussi la scénographie et les costumes, ou s’il passe ensuite près de chez vous, allez-y, même avec ses défauts et certaines scènes qui peuvent choquer. Un spectacle assez rare dans la frilosité actuelle…

Philippe du Vignal

Opéra Confluence, Avignon ( devant la gare T.G.V.) jusqu’au 14 juillet à 17 h.

Le texte est paru aux solitaires Intempestifs.


 

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