Les Tigres sont plus beaux à voir, d’après la vie et l’œuvre de Jean Rhys, adaptation et mise en scène de Magali Montoya

 

Les Tigres sont plus beaux à voir, d’après la vie et l’œuvre de Jean Rhys, adaptation et mise en scène de Magali Montoya

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D’où écrit-elle ? D’un pays qu’elle a quitté, la Dominique,  à la terre rouge, d’une nature riche et inquiétante avec un monde d’odeurs et de couleurs mais aussi des séquelles à vif de l’esclavage. Elle raconte qu’enfant, à un moment, elle aurait voulu être noire. Et à seize ans, elle se retrouve en Angleterre, « son » pays qui n’est pas le sien. Suivent des années de pauvreté : elle est girl de music-hall ou figurante… Vienne ensuite un mariage, puis un deuxième, et un troisième dans un Europe vagabonde, un enfant perdu, une fille réussie. Mais toujours cet arrachement du premier pays.  Jean Rhys vient d’une histoire coupée…

La femme fragile et têtue, inséparable de son enfance, offre des bribes de sa vie à un jeune homme qui voudrait l’aider à écrire son autobiographie. Cela commence par deux livres sauvés, avec son compagnon d’enfance, d’un cruel autodafé. Et par un autre livre, immense.  Petite, quand on lui a parlé de Dieu, elle l’a imaginé sous la forme d’un livre, la création naissant de ses pages.

Après cela, comment ne pas passer sa vie à écrire?  Et comment ne pas écrire de soi, puisque l’écriture ne doit être que du vrai ?  Elle ne peut pas être continue, pas plus que la vie, la sienne en particulier. Elle va des Caraïbes, à l’Angleterre puis au Paris est une fête d’Ernest Hemingway et du couple Fitzgerald. Suivra un silence littéraire de trente ans avant qu’elle ne réapparaisse dans les années soixante.

Magali Montoya, qui avait monté une remarquable Princesse de Clèves avec plusieurs voix de femmes, rend compte de cette écriture et de cette vie indissociables, de cette probité et de cette fragmentation. Nathalie Kousnetzoff, Bénédicte Le Lamer et Magali Montoya elle-même jouent différents âges de la vie de Jean Rhys, différents moments ou facettes de sa vie instable et de son écriture. Ne rien perdre, ne rien cacher des retournements d’émotions : amitié et peur, dans l’enfance, avec une petite fille noire, attirance et dégoût pour un homme… Dire seulement  ce que l’on sait exact, vrai. Trouver le ton juste qui dira cette vérité-là : une obsession. Face à ses trois partenaires, Jules Churin joue le jeune admirateur et permet que cette autobiographie soit mise en scène

Sur le beau plateau du Colombier (la salle est un peu moins confortable pour le public !)  il y a des espaces imaginaires, celui de son enfance, de ses voyages et de ses maris, de la glissade possible dans l’alcool et la tentation de la folie.  Rien n’est figuré sinon par quelques objets : livres, papiers,  nombreux verres… Ce sont les textes, prolongés par la musique de Roberto Basarte, qui tissent ensemble cette vie et cette œuvre .

Le titre du spectacle est celui d’un recueil de nouvelles publié dans les années soixante, quand on a redécouvert Jean Rhys. Le tigre : aussi cruel que l’homme, mais plus beau à voir, et, même s’il n’y a pas de tigres à la Dominique, emblème d’une vie puissante et sauvage qu’elle n’a jamais oubliée. Magali Montoya crée un théâtre délicat et simple, littéraire au bon sens du terme. Les Tigres sont plus beaux à voir donne immédiatement le désir d’en savoir plus sur Jean Rhys et de la faire sortir d’une respectueuse célébrité.

Christine Friedel

À lire, entre autres : Les tigres sont plus beaux à voir, La Prisonnière des Sargasses, Souriez, s’il vous plaît (autobiographie), collection L’imaginaire, Gallimard,.
L’Oiseau moqueur et autres nouvelles
., Quai des Grands Augustins et Bonjour minuit éditions Denoël.

 

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