Avenida de Los Incas 3518 et Lohengrin
Avenida de Los Incas 3518, opéra et livret de Fernando Fiszbein et Lohengrin, opéra et livret de Salvatore Sciarrino, d’après une nouvelle de Jules Laforgue, direction musicale de Maxime Pascal, mise en scène Jacques Osinski
Avec Avenida de los Incas, un opéra de chambre, le public se voit projeté – et toujours avec le même plaisir – dans Fenêtre sur cour (1954) d’Alfred Hitchcock. Installé dans son fauteuil, comme le photographe (James Steward) qui, à la suite d’un accident, se retrouve en chaise roulante et passe son temps à observer, depuis sa fenêtre, les voisins d’en face.
Autres temps, autres moyens! La vidéo de Yann Chapotet, dans la mise en scène de Jacques Osinski, assure un travail onirique d’envergure, faisant monter et descendre à volonté et à grande vitesse, un ascenseur en folie dont les personnages s’inquiètent avec raison de son fonctionnement, (quand il ne tombe pas en panne, ce qui les oblige à monter un escalier fastidieux.
Le spectacle, facétieux et ludique, flirte du côté de la comptine enfantine, entre les panoplies de Batman et d’Ours Brun, quand les jumelles du public voyeur s’arrêtent sur l’appartement d’un couple avec enfant. On peut aussi observer un écrivain mélancolique tapant sur sa machine à écrire, n’osant rêver avec audace à une idylle avec sa belle voisine, l’énigmatique Alma.
Ces vignettes d’un moment sont révélées par un trio de trentenaires anarchistes, enfants de résidents bourgeois; ils n’arrivent pas à finir une thèse universitaire dans les quartiers cossus de Buenos-Aires, là même où se trouve l’immeuble de Fernando Fiszbein qu’il habitait, enfant. Les trois amis désœuvrés jonglent avec les effractions irresponsables d’appartements, les petits vols et autres usurpations anodines. Ils jouent aussi aux cartes, ou bien rêvent et invitent alors l’enfant de l’immeuble à commettre l’irréparable pour la survie nécessaire d’un héros de conte.
Le vertige de la descente émeut le spectateur quand tombent poignées de portes, cartes à jouer et côtes de porc préparées pour la fête des voisins. C’est dire que l’ennui ne pèse guère dans l’immeuble et le tournis des situations fait penser à un scénario de film noir ou à un roman policier à suspens.
L’atmosphère de Lohengrin se situe aux antipodes de celui d’Avenida de los Incas. C’est une «action invisible pour soliste, instruments et voix, en un prologue, quatre scènes et un épilogue ». Lohengrin, dit le chevalier au cygne, est un personnage de la légende arthurienne, le fils de Perceval et héros du célèbre opéra de Richard Wagner.
Pièce d’eau, cygne, sable, et évocations de rochers et grottes: un décor minimaliste et d’une blancheur minérale accueille le héros qui va épouser Elsa, une vestale, pour une nuit de noces non consommée.
L’un des oreillers blancs du lit se transformera en cygne, et Lohengrin montera sur son dos pour repartir sur la lune. Jacques Osinski considère Lohengrin comme un étrange rêve éveillé, une méditation intérieure à plusieurs voix: Elsa, Lohengrin, la foule déchaînée…
Cette aventure est incarnée par le comédien/déclamateur et chanteur Johann Leysen à la silhouette longiligne, et à la blanche chevelure; il a, pour ce jour de noces magnifiques, des vêtures légères dont il se défait avec pudeur jusqu’à la nudité. Un personnage bien réel et vivant qui vogue entre mythe, imaginaire et crudité…
La sonorisation amplifiée de l’Ensemble musical du Balcon que dirige Maxime Pascal, très réussie, multiplie les possibilités d’interprétation. Lohengrin/Elsa/ Leysen murmure les sons, chuchote le poème, souffle et râle tout près du public.
Un Lohengrin de belle intensité, tendu comme un arc qui viserait la lune.
Véronique Hotte
Athénée, Théâtre Louis Jouvet, du 19 au 23 mai. T: 01 53 05 19 19.