Une saison au Congo
Une saison au Congo d’Aimé Césaire, mise en scène de Christian Schiaretti.
1958. Dans le bar de Mama Makosi, à Léopoldville, la bière coule à flots et c’est l’effervescence des luttes politiques qui vont bientôt mener le pays à l’indépendance. Les Belges vont sortir Patrice Lumumba de sa prison pour le faire siéger à la table ronde de Bruxelles qui prépare l’indépendance du Congo. Elle sera enfin proclamée en juin 1960. Et il est alors élu Premier Ministre.
Le peuple en liesse trinque, danse et chante mais on voit les ex-colonisateurs comploter dans l’ombre pour garder la main-mise sur les richesses du pays. Fiers de leur ruse, ils entament à leur tour le cha-cha-cha de l’Indépendance. Car, « quand le buffle est blessé, il est plein de menaces». Et ils iront jusqu’à encourager la sécession du Katanga, province riche de mines d’or, diamant, cuivre et autres métaux précieux. Patrice Lumumba dénonce alors ces manœuvres mais il sera écarté du pouvoir après six mois, et assassiné avec le concours de son « ami », le traître Mobutu. Grâce aussi à la neutralité complice de l’O.N.U. manipulée par les Américains.
Le destin tragique de Patrice Lumumba est le fil conducteur de la pièce mais le Congo en est aussi le personnage central dont l’indépendance a incarné un temps les espoirs de l’Afrique. Aussi, le peuple est-il fortement présent sur la scène : Christian Schiaretti a réuni une quinzaine de comédiens d’origine africaine et une dizaine d’Européens pour incarner près de cinquante personnages… Un plateau en forme d’arène, tour à tour cabaret, place publique, prison, salle de conférences ou de Conseil des ministres, club d’élite… Cela permet de glisser d’une séquence à l’autre, dans un mouvement de foule perpétuel, avec de nombreux protagonistes…
Le traitement choral admirable donne à cette Saison au Congo une énergie à la hauteur de l’écriture d’un des grands poètes francophones. Et la musique de Fabrice Devienne soutient l’action tout au long du spectacle, discrètement ou intervenant en contrepoint ou en harmonie.
Marc Zinga est un Lumumba nerveux et idéaliste, tel que l’a imaginé Aimé Césaire, contrastant avec les politicards pleutres ou ambitieux de son entourage et avec les Européens obséquieux et menteurs. L’auteur a rencontré une seule fois Patrice Lumumba, en janvier 1960, à Bruxelles, à la veille de l’Indépendance pour écrire sa pièce, il s’est inspiré de témoignages et documents concernant cette tragédie. Dans Une Saison au Congo, il montre bien, sources historiques à l’appui, les mécanismes à l’œuvre contre l’instauration d’une véritable démocratie rêvée par Lumumba.
Mais c’est aussi un immense poème dramatique à la langue charnue et émaillé d’images. Chantre des luttes pour les indépendances, Aimé Césaire fait du personnage de Lumumba, une figure prométhéenne et l’érige en héros tragique comme le Roi Christophe haïtien de sa première pièce.
Il les veut « visionnaires très en avance sur leur époque, pas plus politiciens l’un que l’autre. Mais leur noble idéal leur fait perdre contact avec une réalité qui ne pardonne pas… Lumumba comme Christophe sont des vainqueurs qui se dressent, alors que tout s’écroule autour d’eux… »
Aimé Césaire donne ici, grâce à la mise en scène de Christian Schiaretti, une magnifique leçon d’histoire: il prend clairement partie mais n’est jamais manichéen. Ne faisant pas plus de cadeaux aux Africains et à un Lumumba affaibli par son idéalisme, qu’aux Occidentaux.. Il ose, malgré tout, défendre l’utopie, même si elle se brise contre les appétits carnassiers des uns, les haines ethniques des autres, les petites mesquineries et grandes trahisons. Ce rêve d’une courte saison s’est mué en un long cauchemar! Il nous sera encore permis de rêver avec lui, mais en toute lucidité.
Toute l’équipe du spectacle sait faire entendre la voix de celui qui, mort en 2008, a demandé qu’on grave sur sa tombe : «J’habite une blessure sacrée/ J’habite des ancêtres imaginaires/J’habite un vouloir obscur… »
Mireille Davidovici
Les Gémeaux 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine), jusqu’au 24 novembre. T. : 01 46 61 36 67.
Le texte de la pièce est publié aux éditions du Seuil.